L'herbe sentait l'herbe humide, son parfum enivrant était à peine tranché par les quelques vapeurs de cigarettes qu'on pouvait sentir si on se concentrait vers le fond du jardin. Léna l'écrasa, l'herbe, en traversant le jardin, mais elle était si verte et en telle forme qu'elle se releva automatiquement derrière ses pas, effaçant les traces de ce passage lourd. On aurait dit un de ces gazons synthétiques sur lesquels s’entraînent les sportifs.
Son sac de toile au bras, Léna monta les deux marches d'escalier et sonna. A droite de la porte, il y avait un petit groupe de gens assis dans une demi-pénombre : c'était l'heure entre chien et loup, alors elle ne distinguait pas leurs couleurs, seulement des formes assez précises, les ombres des chevelures sur leurs fronts, les fluides des vêtements sur les décolletés.
« Léna ! » C'est une petite jeune fille à la mine joyeuse qui ouvrit la porte.
« Salut. » Léna sourit, se laissant enlacer en dégageant seulement son nez des afros parfumées. Une fois libérée de cette étreinte, elle jeta un regard circulaire autour d'elle. Il n'y avait personne dans l'entrée, seulement une fille au carré blond et aux vêtements amples, qui lisait à moitié couchée de côté, sur un fauteuil à côté des portemanteaux. Elle ne leva même pas la tête. Léna dévisagea quelques instants les bleus et les verts de sa silhouette affalée avant de relever les yeux vers la porte vitrée ouverte sur le salon. Des ampoules lumineuses éclairaient les quelques personnes qui dansaient vaguement, un verre à la main, au rythme d'une enceinte.
« Tu viens ?
— Attends, » répondit Léna. Elle accrocha son sac au portemanteau en essayant de ne pas déranger la fille blonde, qui ne broncha pas, et elle en sortit discrètement un carnet qu'elle glissa sous son bras.
Puis elle se laissa entraîner à travers le salon, le bruit attaquant ses oreilles.
« Je te laisse, » cria-t-elle à travers la musique, et elle se libéra de l'emprise ferme de son amie qui ne se débattit pas : une seconde plus tard, elle la vit silhouette enjouée sur la piste de danse.
Léna traversa la pièce pour s'asseoir sur le canapé. Il n'y avait pas grand monde dans ce coin-là. Quelques personnes étaient debout à côté du buffet, mais elles étaient suffisamment absorbées dans leur conversation pour ne pas venir l’embêter.
Elle avait voulu venir, ne vous détrompez pas. Elle voulait profiter, et pour elle, profiter, ça voulait dire laisser la musique envahir agressivement ses oreilles et la prendre au corps, observer les lumières qui jouaient sur les objets, regarder comme les gens se comportaient entre eux et apprendre.
Et surtout, c'était sortir son carnet à croquis et tirer le crayon à papier qu'elle glissait toujours au milieu des spirales.
Léna était maintenant courbée en deux, et elle griffonnait, la main proche de la pointe du crayon. Elle avait pris des pages blanches qu'elle maculait de traits de construction, des traits toujours droits qui ensemble faisaient des corps tout en courbes. Elle traçait en angles et dessinait en mouvements. Elle fixait sur le papier les gestes de ceux qui l'entouraient et ils ne s'en rendaient même pas compte.
Elle ne gommait pas sur ses croquis. Elle partait du principe qu'une fois qu'elle avait fait des erreurs, elles étaient faites, et elle préférait repasser une dizaine de fois. Mais elle avait un coup de crayon précis, elle ne se précipitait jamais.
Quand elle s'absorbait ainsi dans le dessin, elle oubliait peu à peu d'être vigilante. Elle ne craignait plus que quelqu'un voie qu'elle le regardait, ou que qu’on vienne l'interrompre. Elle ne voyait plus que les formes et les ombres et les lumières, et ce qu'elle essayait d'en faire. C'est pour ça qu'elle n'entendit pas tout de suite la voix masculine juste à côté de son oreille qui venait de lui dire : Bonsoir !
« Salut ! »
Cette fois, Léna sursauta et chercha d'où venait la voix qui l'avait interpellée. Mais à côté d'elle, il n'y avait que la fille blonde qui tout à l'heure lisait à côté du portemanteau.
« Je m'appelle Fabien, et toi ? »
Elle enregistra l'information.
« Léna », répondit-elle même si elle ne comprenait pas trop pourquoi ce Fabien était venu la voir, elle. Comme il avait manifestement mal entendu, elle répéta plus fort à travers la musique : « Léna !
— Je te dérangeais peut-être ? dit-il. J'aime bien rencontrer les gens que je ne connais pas encore, mais ils ont le droit de ne pas en avoir envie.
— Non, ça va. » Elle se détendit et sourit à moitié avant d'ajouter. « Je ne m'y attendais juste pas. »
Elle scruta le visage face à elle. Un visage aux traits fins, régulier, imberbe ou rasé de près, ce qui expliquait qu'elle l'ait pris pour une fille. Ça, et la chevelure blonde qui s'échappait de chaque côté de son visage jusqu'au sommet de ses épaules, et peut-être aussi les vêtements fluides et colorés.
« Tu dessines ? » demanda Fabien.
Elle ne cacha pas son carnet parce qu'elle n'avait pas honte, même si elle n'aimait pas trop qu'on fourre le nez dans ses affaires. Elle acquiesça. « Un peu.
— Mais bien."
Elle souffla un peu du nez. Elle avait eu ce genre de remarques suffisamment souvent pour y être assez indifférente.
« Tu ne vois rien d'ici.
— Si, insista-t-il. Je serais capable de reconnaître chacune des personnes de cette pièce alors que tu n'as pas fait leurs visages, juste à leur position. Tu captes les mouvements des gens, leurs énergies. Je ne m'y connais pas, mais… »
Cette fois, elle sourit franchement.
« C'est comme ça que tu abordes toutes les filles ?
— Tout le monde. Quand quelqu'un a l'air d'avoir des choses intéressantes à dire, pourquoi pas venir en parler avec lui ? »
Léna fronça les sourcils.
« Comment tu peux savoir ça ?
— Tout le monde a des choses à dire. Je vais seulement vers ceux qui ont l'air assez avenants pour les partager. »
Il avait l'air assez amusé par la conversation, au point qu'elle se demanda s'il ne se moquait pas d'elle.
« C'est du second degré ?
— Non.
— C'est bien la première fois qu'on me dit que j'ai l'air avenant. » Elle mima les guillemets.
« Tu avais l'air plutôt détendue. »
Elle comprit que c'était la faute à son éternel sourire. Les fossettes aux coins de ses lèvres qu'elle n'arrivait jamais à décrocher de là, et qui déstabilisait parfois les gens.
« Et toi, demanda-t-elle, tu lisais tout à l'heure. Tu connais déjà tout le monde ici ? »
Il secoua la tête.
« Non, mais c'est un super livre… »
Elle haussa les sourcils, et il détourna les yeux d'un air amusé.
« Et la majorité des gens ici me font peur.
— Peur ? »
Ce garçon n'avait aucune logique. Il venait parler aux gens dès qu'ils n'avaient pas l'air de faire la tête, mais il avait peur d'eux.
« Ils sont entre eux, ça ne m'intéresse pas trop. Je n'ai pas envie de m'incruster dans une conversation où je sais d'avance que je n'ai aucune place.
— Tu ne peux pas savoir.
— Tu sais aussi bien que moi que c'est le cas. Il y a des gens qui n'aiment que ceux qui connaissent ou qui connaissent leurs amis.
— En même temps, c'est plus dur de devenir leur ami si tu ne vas pas les voir.
— D'accord, montre-moi comment on fait. Je te regarde. »
Elle se mit à rire.
« Je n'ai jamais eu envie de rencontrer qui que ce soit.
— J'ai déjà dit que je pouvais m'en aller. »
Elle secoua la tête en levant les yeux au ciel.
« Je te crois, ajouta-t-il. Tu serais certainement capable d'aller vers eux si tu le voulais.
— Non, » admit-elle.
Le son ambiant monta. Il répondit quelque chose, mais le son de sa voix fut couvert par la musique. Elle attendit qu'il répète, mais à la place, il lui désigna du doigt la porte d'entrée. Elle comprit qu'il lui proposait de sortir dans le jardin afin qu'ils puissent s'entendre, et elle le suivit alors qu'il se levait du canapé.
Sinon, au début, je n'avais pas compris que Fabien et la fille de l'entrée étaient une seule et même personne, je n'ai compris que tard dans la conversation. En fait, j'ai mal compris la phrase "Mais à côté d'elle, il n'y avait que la fille blonde qui tout à l'heure lisait à côté du portemanteau.", du coup je croyais qu'elle la voyait toujours en train de lire dans l'entrée et je n'arrivais pas à situer où Fabien se trouvait.
"Il venait parler aux gens dès qu'ils n'avaient pas l'air de faire la tête, mais il avait peur d'eux." -> elle dresse assez vite son portrait, je ne sais pas si ce qu'il a dit permet de savoir qu'il parle aux gens dès qu'ils n'ont pas l'air de faire la tête. En fait, il dit qu'il allait vers les gens avenants.
Sur la forme :
- Je suis partagée sur la première phrase. L'herbe sentait l'herbe... Je suppose la répétition volontaire mais je ne saurais dire si elle me convainc.
- "Elle mima les guillemets." -> je devine que c'est autour d' "avenant", mais du coup je l'aurais bien mis entre guillemets, justement.
- "Il y a des gens qui n'aiment que ceux qui connaissent ou qui connaissent leurs amis." -> qui n'aiment que ceux qu'ils* connaissent ?
encore un chapitre qui fonctionne bien !
C'est amusant cette erreur entre garçon et fille, cela m'a même un peu perdue aussi puis j'ai rattrapé les wagons x'D
Le binôme Fabien-Léna fonctionne bien, il y a une belle dynamique, j'ai hâte de savoir de quoi d'autres ils vont discuter une fois un peu plus au calme.
La description de l'art du croquis est super bien faite aussi, très réaliste. Ah comme j'aimerais avoir le courage de croquer en public comme Léna ! ^^"
Mais je n'ai encore jamais trop réussi, à part si je peux le faire en me cachant comme dans le métro, haha.
En tout cas j'aime beaucoup le caractère de Léna qui semble assez complexe, cela donne envie d'avancer dans l'histoire pour apprendre à mieux la connaître !
Et les chapitres courts ne me gênent pas du tout pour l'instant : )
Courage pour la suite !
Je comprends tellement pour les croquis en extérieur, même en cours ça m'arrivait de cacher ma feuille de peur que quelqu'un fasse un commentaire... J'espère que tu y arriveras un jour, en tous cas si tu en ressens l'envie !
m'a fait pensé que la voix n'était pas la jeune fille justement, mais une autre personne présente aussi dans le coin, genre debout devant elle ou autre.