Les lampadaires frileux et givrés s'alignaient sur le goudron pour éclairer les derniers passants. Des ombres se croisaient, s'esquivaient. Luÿ, il dévalait les Champs-Elysées sans s'inquiéter d'être bousculé et irait droit au but sans arrières-pensées.
Pour une fois, un semblant de silence faisait loi. Presque aucune voiture, à peine des transports en commun. A vingt heures passé, finis les bavardages et les à-côtés. Les sons de ce monde étaient fats, mineurs et résolus.
Le bruit, c'était la vie. C'était pourtant dommage. Luÿ ne se désolait pour une plage, ne déplorait la banquise de passage. Fondant sur les bas-côtés, les détritus y fondaient sur sa voie. La vie d'antan ne l'avait connu, il ne la connaîtra jamais et il s'en foutait. Les rares rires sonnaient faux dans l'air glacé et, pourtant, il ne savait ce qu'était le sourire d'avant. D'avant de tout ce qui s'était passé, d'avant la non-liberté où le destin avait piétiné Sororé et la Fraternité.
Les restaurants étaient des tombes où les revenants étaient exorcisés. Les vitrines étaient de glace alors qu'il passait devant, dans la nuit presque noire. Les terrasses étaient tels des sépulcres décorés de fleurs sans pétales. Les salles de spectacles avaient été privé d'animation, comme des épaves de plaisance dérivant au bord de la Seine.
Ses joies d'avant avaient été foulées au pied par le goût du rouge et de la nostalgie du passé. Et néanmoins, qu'est-ce que c'était pour Luÿ ? Rien. Oui, rien. Que ce qu'il avait connu. Paris, belle et fiévreuse, s'était endormie malade dans ce Bois Dormant.
Sleeping Wood.
Certains l'avaient surnommé ainsi. Cette Tour d'Argent frôlait les étoiles, abîmant les cieux. Ne se souciant ni de ses hauteurs, ni de ses bassesses, elle dominait la Ville-Lumière de tout son orgueil. Elle avait toute l'assurance de sa gloire car ces fidèles éliminaient tout avis, tout préjugé.
C'était ainsi qu'il prit à gauche, tournant le dos au magnifique monument. La route d'asphalte se transforma en sente caillouteuse pour mener là où il voulait. La Forêt d'Yzancourt.
Il se fit englober par la masse végétale et sombre. Très vite, il n'eut plus à utiliser la lampe torche qu'il avait sortit car la lumière se fut en une clairière. Ce fut le début et la place d'une effroyable histoire pour lui.