En dépit de tous ses efforts, le sommeil ne parvenait pas à entrainer Loup dans ses bras. L’assassin de Tily et Dwenn, ce rat, était là, à sa portée mais Grys avait planté la graine du doute et il devait en avoir le coeur net. Il ne risquerait pas la vie de son petit garçon. Trop d'êtres chers lui avaient été enlevés.
Il regarda Iria.
Elle le regardait aussi. Loup voyait en elle ce que Tily aurait pu devenir si la chance de grandir lui avait été donné. Une jeune femme déterminée et pleine de vie. Son cœur se serra. Il ferma les yeux.
Tily se roule dans les feuilles rouges et jaunes de l'automne, elle rit aux éclats. Loup est allongé à côté d'elle. La petite fille se blottit contre son père. Ses cheveux ébouriffés sentent la forêt. La petite fille embrasse tendrement le front de Loup. Soudain elle se lève d'un bond et court vers les arbres. Tyly disparait sans un bruit ne laissant que la solitude et le chagrin.
Loup lutta quelques instants contre la colère qui grandissait en lui mais elle gagna. Sans un mot il se leva brusquement et disparut dans les méandres sombres de la Forêt des Larmes.
Iria le suivit du regard mais ne tenta pas de le retenir. Elle abaissa ses paupières douloureuses de fatigue. Elle ressentait tellement de compassion pour cet homme dont l'existence avait basculé en quelques secondes. Tout comme lui, depuis que son père, Neyol, était mort, le désespoir était aggripé à ses épaules tel un parasite vorace. L'espoir de vengeance de Loup le maintenait sur ses jambes mais si, au crépuscule de son combat, il se tenait encore debout, chancelant, survivrait-il aux bras glacials de l'absence? Elle finit par somnoler.
Neyol Crilone se tenait à la proue de son bateau. Fier et déterminé, son visage creusé par le sel tressaillait à peine sous l'effet d'un vigoureux vent de tempête. Les voiles du Pourfendeur ondulaient de plaisir au gré des bourrasques. Iria était contre son père et son odeur de tabac froid mélangée au parfum de l'océan lui procurait une sensation de bien-être et de sécurité. Elle le serra plus fort. Il lui caressa les cheveux. Elle croisa son regard, dur d'une vie de combats, il lui sourit.
— Iria, ne laisse personne se mettre en travers de tes rêves. La vie peut disparaitre en un instant comme le vent éteint la flamme d'une bougie. Et jamais le spectre de la mort ne frappe à la porte avant d'entrer.
Neyol s'avançe, il ne se retourne pas et disparaît dans une vague plus haute que les autres. Seule, sa voix reste et la jeune femme entend ces paroles.
— Tu es mon plus grand trésor.
Ses mots voguent sur l'océan, flottent dans les brises et, au fil de l'onde, deviennent des murmures.
La jeune femme ouvrit les yeux et frissonna. Les larmes ne vinrent pas, sa tristesse était aride, desséchée. Elle se recroquevilla sous sa couverture.
***
Grys réfléchissait. Comment allait-il pouvoir s'en sortir? Son bluff ne fonctionnerait pas longtemps. Loup n'était pas un imbécile, naif certes mais pas idiot. Au moins la petite télépathe n'avait pas réussi à lire dans ses pensées. Grys aimait parer à toute éventualité même la moins probable. Il dut remonter de longues années en arrière afin de se rappeler de ce prisonnier dont le nom s'était perdu dans les limbes de ses souvenirs. C'était un mage un peu fou qui avait tenter de l'arnaquer. Ce dernier avait négocié sa liberté, en enseignant à Grys des techniques de barrage mental. Le mercenaire avait appris à verrouiller son esprit. Cela remontait à si loin que sa première rencontre avec Iria fut un fiasco mais Grys apprenait vite.
Il entendit Loup se lever. Il devait fulminer de ne pas pouvoir tuer l'assassin de sa famille. Il sentait sa colère. Le mercenaire avait néanmoins un certain respect pour cet homme, mais ce monde était impitoyable. Ceux qui ne l'avaient pas compris mourait par excès de naiveté, les autres survivaient un peu plus longtemps. Son cynisme lui donnait un avantage. Grys savait que ses jours étaient comptés. La guilde la plus puissante de Milsden voulait sa peau. Un père brisé voulait sa tête. Ironiquement, lui qui avait passé sa vie à fuir ses responsabilités paternels, ne désirait, à cet instant, que revoir ses enfants et les mettre à l'abri. Ensuite il tuerait Tyssy.
Je ne me souviens même pas de leur prénoms.
A cette sinistre pensée il ferma les yeux.
Grys regarde ses enfants. Ils pleurent.
— Maman vous aimait très fort les enfants.
Il les prit dans ses bras. pour la première fois. Leurs sanglots et la chaleur de leur corps le fit frissonner.
— Comment elle est morte?
— Elle a eu mal?
Les questions fusent. La gorge de Grys est serrée. Il ne sait plus quoi dire.
— Votre maman n'a pas souffert. Elle a fait une chute.
— Elle est tombée toute seule?
— Quelqu'un de très méchant l'a poussé.
— Alors il faut le tuer!
— Ne t'inquiètes pas pour ça. Papa va le retrouver.
— Est ce que nous aussi on va mourir?
— Non je vous protègerai!
— Pourquoi tu n'as pas protégé maman!
— Parce que je n'étais pas là mais je serais là pour vous.
— Tu promets?
— Je vous le promets.
— Je vous aime les enfants.
— On t'aime aussi papa ?
Pour la première fois les mensonges sont difficiles à dire pour Grys, mais pas impossible.
Un léger crissement au dessus de sa tête lui fit le sortit de sa rêverie.
***
Les pas de loup le menèrent à un vénérable arbre qui dominait les autres. Il grimpa au sommet et contempla les alentours. Les nuages s'étaient dissipés et la lune déversait sa lumière blafarde sur l'antique forêt. Le Mont Noir se profilait à l'horizon, posé sur la terre, indécent comme le sein nu d'une géante endormie. Il inspira à pleins poumons la petite brise qui soufflait doucement. Il s'assit sur une grosse branche et appuya son dos contre le tronc massif. Il sentit une douce fatigue l'emporter.
Une femme est attachée contre un poteau. Des lambeaux de chairs mêlés aux restes de tissu de ses vêtements, son corps presque nu n'est que plaies et boursouflures. Elle gémit. Ses bourreaux, deux hommes et une femme, rient de la voir humiliée.
— Regarde moi cette catin. Elle s'est pissée dessus.
Un grand gaillard lui tape sur l'épaule en éclatant de rire.
— Ha non Sarina! Ca c'est moi qui me suis soulagé sur elle!
— J'ai bien envie de lui arracher la peau à cette trainée. Je commencerai par sa tignasse rousse puante.
Sarina attrape les cheveux de la prisonnière et les tire en arrière, son visage ensanglanté apparait. Elle est à bout de forces.
— Regarde moi ça Admar, la belle rouquine n'est plus qu'un étron de priguz.
Le deuxième brigand , hilare, ajoute:
— Et elle pue autant!
Sarina ricane.
—Pas plus que toi Mirnas!
— Fallait pas nous voler saleté de glaive pourpre!
La femme brigand s'empare d'un couteau et commençe à entailler son cuir chevelu.
La prisonnière pousse un gémissement de douleur et annone
— Pitié...
—Elle demande la pitié!
Les rires retentirent de nouveau. Admar éructa:
— Seulement si tu me suces. détache là!
Sarina coupe les liens qui attache la captive qui tombe à genoux, épuisée.
L'homme baisse son pantalon et se place devant elle.
— Allez au boulot. sale...
Sa phrase se termine par un hurlement. Il se tient l'entrejambe. et tombe sur le sol maculé de son propre sang.
Loup, profitant de l'effet de surprise, enfonce son poignard dans le crâne de la femme et lance son coude dans le nez de l'homme encore debout. Il récupère sa lame encore fichée dans le cerveau de sa précédente victime et sans se hâter tranche la gorge du bandit au nez cassé.
La prisonnière est allongée sur le sol. Loup attrape une veille couverture afin de la couvrir. Ces cicatrices sont profondes. Son dos est une immense plaie.
— Vous êtes en sécurité. Je vais vous aider.
La jeune femme lui souffle.
—Dwenn, je m'appelle Dwenn.
— Moi c'est....
Loup ouvrit les yeux. Il ne s'était assoupi que quelques minutes. Il venait de revivre sa première rencontre avec Dwenn. Son coeur se serra. Son esprit se focalisa sur l'assassin de sa famille. Il allait le tuer. Il ne pouvait savoir qu'Arcis était au Mont Noir. Ce rat bluffait. C'était impossible. Même un Orombre n'aurait pu aller jusque là. La magie d'Ereïm l'en aurait empêché. Il descendit rapidement de l'arbre et fila à travers les bois.
Ce chien va mourir!
En rentrant au campement, il trouva Iria endormit.
Il dégaina son épée et se dirigea vers la paillasse de Grys.
Quelque chose n'allait pas. Le mercenaire n'était plus là.
Lentement Loup secoua Iria.
Elle se réveilla en sursaut.
— Il a disparu.
J'ai beaucoup apprécié ce chapitre teinté de nostalgie. Le passage sur la première rencontre avec Dwen est plutôt sympa même si très gore. J'aurais trouvé ça intéressant d'avoir un passage plus "doux", là ça fait un peu Loup sauve la demoiselle en détresse et elle se marie avec lui. Même s'il faut dire que tu écris extrêmement bien les passages de souffrance et de cruauté humaine...
La relation qui se tisse entre Iria et Loup est assez belle. Content de le voir recommencer à aimer des gens malgré ses cicatrices.
Mes remarques :
"ily aurait pu devenir si la chance de grandir lui avait été donné." j'adore !
"un peu fou qui avait tenter de l'arnaquer." -> tenté
"Ceux qui ne l'avaient pas compris mourait par" -> mourraient
"— Pourquoi tu n'as pas protégé maman!" très forte cette phrase !
"mais pas impossible." -> impossibles
"Les pas de loup" pas mal le jeu de mot xD
Un plaisir,
A bientôt !