5. De sang et de larmes.

Par Arod29
Notes de l’auteur : Un chapitre que j'ai beaucoup modifié. Voici, j'espère, la dernière version.

Une bruine délicate et fraîche se déposait langoureusement sur le front de Dwenn et Loup, ils regardaient le ciel grisâtre se noyer dans l'encre de la nuit.  

— Tu ne regrettes pas? Chuchota Dwenn. 

Sans détourner son regard des nuages gris devenus noirs, Loup fronça les sourcils. 

— Des regrets? 

— D'être resté. 

Il sourit. 

— Il ne se passe pas une minute sans que je regrette d'être resté ici dans cette forêt puante avec une immonde femme et deux enfants aussi repoussants que bruyants. Alors que j'aurais pu passer toutes ces années à chasser des mercenaires, me baigner dans leur sang et boire des chopes de bière! 

— Tu es un idiot! 

Loup enlaça tendrement Dwenn.  

— Ecoute moi bien car c'est la dernière fois que je te le dis. Je ne regrette aucune des secondes que j'ai passé à tes côtés. Il hocha la tête. Bon, j 'exagère peut-être un peu. 

Dwenn le frappa sur l'épaule avec la paume de sa main. 

— J'adore vivre ici, j'aime Tili et Arcis plus que tout et je t'aime toi. Je ne changerai rien à ces vingt ans.  

— J'ai parfois l'impression de t'avoir enlevé à la vie que tu aurais du mener. 

— Cette existence n'aurait eu qu'une seule issue, la mort.  

— Serais tu devenu un grand sage? 

— Devenu? Mais je suis né comme ça! 

Dwenn ricana et l'embrassa. Loup caressa le visage de Dwenn, suivant du doigt la longue cicatrice qui traversait son front et coupait sa joue comme une tortueuse rivière asséchée.  

— Pourquoi tu ne m'as jamais dit comment tu t'es fait ça? 

— Parce que tu ne m'as jamais posé la question. 

— Alors je te la pose. 

Dwenn prit une grande inspiration. 

— C'était... 

Loup l'interrompit en posant un doigt sur ses lèvres. 

— Non, non ,non, je n'ai pas besoin de savoir.  

— Pourquoi? 

— Pour ne pas à avoir à tuer celui ou celle qui t'as fait ça. 

— Allez Dieu de la sagesse! Va coucher tes enfants! 

Quand Loup se retourna, Dwenn profita pour lui donner une vigoureuse tape sur les fesses. 

— Rien senti. 

Dwenn sourit. Elle l'aimait plus que tout ce vaurien. Sa silhouette disparut dans l'embrasure de la porte de leur petite cabane. Le poêle ronronnait comme un chat. 

— Attention! J'arrive! Cria t-il.  

Loup entra dans la chambre des enfants. Les couvertures des deux lits frémissaient. De petits rires étouffés chatouillèrent ses oreilles. 

— Dwenn les enfants ont disparu!! 

— Mais ce n'est pas possible! 

Dwenn venait d'entrer dans la chambre, elle posa ses mains sur les épaules de Loup. 

— A mon avis ils ont été mangé par un troll! 

— Il faut voir le bon côté des choses, on aura plus de dessert pour nous! 

Les pouffements se changèrent en éclats de rire et les draps s’abaissèrent révélant les deux enfants, les joues rouges d'avoir eu trop chaud sous les couvertures. 

— On est là! 

Loup rugit en levant les bras. 

— Je suis un troll et je vais vous manger!!! Miam miam! 

Tili et Arcis se mirent à crier. 

— Au secours!!!! 

— Hola! Tout le monde se calme! Tempéra Dwenn en souriant. 

Loup courrait en rond dans la chambre en grognant. 

— Et ça vaut aussi pour les grands dadets! 

Tout le monde se figea.  

— Qui demande à maman si on peut bouger? 

Tili, les yeux pétillants de malice, pouffa. 

— Maman, est ce qu'on peut bouger? 

— Non, interdiction sauf si... 

— Si quoi? demanda Arcis. 

— Si vous me faites des calins. 

Les deux enfants se précipitèrent vers leur mère et l'enlacèrent si fort qu'ils tombèrent à la renverse sur le plancher. Les rires fusèrent. 

— Allez maintenant tout le monde au lit! 

Arcis et Tili crièrent de concert. 

— Une histoire, une histoire, une histoire!!  

Loup s'accroupit face aux deux enfants. 

— Qui raconte? 

— Maman! Maman! 

— Et pourquoi pas papa?! 

— Maman raconte mieux! 

— Dwenn je crois que nos enfants n'entendent pas bien. 

— Au contraire mon beau. 

Loup prit un air offusqué. 

— Très bien puisque papa raconte mal. 

Les enfants ricanèrent. 

Dwenn s'assit sur le lit d'Arcis. Ses deux petits vinrent se blottir contre leur mère. Elle les enlaça. Un de chaque côté. Loup contempla un instant les trois personnes les plus essentiels à son existence.  

— Allez maman! Raconte! 

Dwenn regarda ses deux enfants avec tendresse. 

— Il était une fois... 

Comme une ombre, Loup s'éclipsa sans un bruit.

***  

Quand la nuit soufflait sa noirceur sur le monde, la Forêt des Larmes résonnait d'une myriade de bruits qui n'existaient pas dans la clarté du jour. A peine perceptible dans ce tourbillon sonore, une petite voix anxieuse s'évada d'une porte entrouverte dans la petite cabane de Dwenn et Loup. 

— Papa! 

Assis dans un fauteuil en bois, Loup s'assoupissait. Il ouvrit les yeux brusquement et se leva d'un bond. Depuis la naissance d'Arcis, son sommeil était si léger qu'un battement d'ailes de papillon suffisait à le réveiller. Il poussa la porte déjà entrebâillée et passa son visage par l'interstice. 

— Le sommeil ne vient pas Tili? 

La petite fille était assise dans son lit, ses jambes repliés contre elle. Elle avait posé son menton dans la petite vallée qui séparait ses genoux. 

— Non. 

Les petites flammes chaloupantes des bougies éclairaient par instants le visage de Tili. Des larmes coulaient le long de ses joues. Loup s'agenouilla au pied du lit de sa petite fille. Il passa une main dans ses fins cheveux noirs. 

— Qu'est ce qui t'arrive mon ange. 

— J'ai peur. 

— De quoi? 

Tili hésita une seconde. 

— De mourir. Loup plissa les yeux, il ne s'attendait pas à cette réponse. Il tendit les bras et prit sa fille contre sa poitrine. Ses cheveux sentaient la bruyère *** 

d'automne. 

— Tu ne vas pas mourir Tili.  

— Tu me promets? 

Loup l'embrassa. 

— Ta maman et moi sommes là pour te protéger. Tu n'as rien à craindre. Je te le promets. 

Tili s'allongea, sa tête s'enfonça dans l'oreiller moelleux. Ses grands yeux, aussi verts que les feuilles naissantes d'un jeune chêne au printemps, regardèrent son père avec admiration. Loup caressa les cheveux de sa fille. 

— Je t'aime mon petit papa. 

— Je t'aime ma petite bruyère. 

— Papa tu veux bien rester jusqu'à que je dorme? 

Loup approuva d'un signe de la tête. Et Tili s'endormit.  

*** 

Un sentiment de malaise étreignit Loup dans son sommeil et persista quand il se réveilla. Ce que lui avait dit Tili, cette nuit, l'avait troublé. Dwenn le remarqua. 

— Tu as l'air soucieux. 

— C'est Tili. Ce qu'elle m'a dit hier soir m'inquiète. 

— A son âge, les enfants se posent plein de questions. 

Loup secoua la tête. 

— Je sais mais je sens que c'est différent. Comme si. Il s'interrompit. 

— Comme si quoi? 

— Non rien! Laisse tomber. 

— Tu en as dit trop et... 

Avec fracas, les enfants déboulèrent pour manger. Dwenn se leva et mis une main sur l'épaule de Loup. 

— On en reparle ce soir, chuchota t-elle à son oreille. Elle en profita pour déposer un baiser sur sa nuque. Il frissonna et sourit.  

Arcis sauta sur le dos de son père.  

— Papa. On va à la pêche! 

— Oui! Et tout le monde vient! 

Dwenn grimaça. 

— Non je reste ici. Le bois ne va pas se fendre tout seul! 

Loup se retourna vers sa fille. 

— Tili? Papa ou Maman? 

— Je reste avec maman! 

— Bande de lâcheuses! 

A peine le petit déjeuner englouti que les pêcheurs étaient prêts à partir. 

Loup embrassa Dwenn et Tili. 

— A tout à l'heure ma petite bruyère. 

Dwenn ricana. 

— J'adore quand tu m'appelles comme ça. 

— Je ne m'adressais pas à toi ronce des bois. 

Dwenn lui jeta un regard noir.

— Ramène plein de poissons mon petit papa. 

Loup pointa du doigt Tili. 

— Promis lâcheuse! 

La petite fille fit une grimace à son père. 

*** 

L'apparition d'une brume épaisse assombrit, soudainement, la clairière. Ses bras vaporeux serpentèrent entre les arbres et les branches. De battante, le pluie devint fine. 

Une pénombre s'était installée avec l'apparition d'une brume qui serpentait entre les arbres.  

La hache s'abattit et le rondin se scinda en deux morceaux. Des éclats de bois virevoltèrent dans la pluie. 

Tili regarda sa mère avec admiration.  

— Maman je peux essayer? 

Dwenn sourit.  

— Approche. 

La petite fille s'avança en sautillant, ses bottines boueuses n'oubliant aucune flaque. 

Tili prit la hache, la leva et tomba en arrière dans la boue. 

Mère et fille eurent un fou rire, interrompu par une voix rauque qui venait de s'élever parmi les arbres. 

— Salutations mesdemoiselles! 

Une petite silhouette apparut dans le brouillard épais. 

Dwenn fit lever sa fille et recula en la protégeant avec un bras, de l'autre elle leva sa hache. 

— Maman!  

— Reste derrière moi Tili! 

Personne ne venait ici par hasard et quand Dwenn sentit une présence derrière elle, il était déjà trop tard.   

***  

— On a bien choisi notre jour! 

La pluie ne tombait pas, elle se jetait sur le sol avec le fracas d'une chute de grêle. 

Père et fils étaient assis sous la frondaison d'un arbre centenaire. Au fil des années ses branches s'étaient déployées au dessus de la rivière avec pour désir ultime de goûter la fraîcheur de l'onde chantonnante. 

Les poissons grouillaient et jaillissait de l'eau afin de remonter le courant plus vite. Certains malchanceux se retrouvaient sur la berge, gigotant aux pieds des deux pêcheurs qui riaient de leur belle aubaine. 

— Papa, j'ai entendu ce que t'as dit Tili hier soir. 

— Ne t'inquiètes pas pour ça. 

— Non je ne m'inquiètes pas. Je voulais te dire que moi aussi je la protégerai. 

Loup regarda son fils en souriant. Un sourire de fierté. 

— Quoi? Pourquoi tu me regardes comme ça? 

Le père enlaça son fils. 

— Je sais fiston. Tu sais, elle ferait pareil pour son grand frère. 

Arcis souffla. 

— Ca m'étonnerait! Elle m'embête tout le temps! 

Loup rit mais la joie ambiante se délita quand un nom, éructé par une voix puissante et rauque, glissa à travers le vent et la pluie. Il ferma les yeux une seconde. L'angoisse lui vrilla le ventre. Vingt ans que ce prénom avait été abandonné dans le cimetière de Stannarg. 

— Papa c'est quoi ce cri? 

— Je ne suis pas sûr Arcis. 

Le regard de son père l'effraya. 

— J'ai peur papa! Qu'est ce qui se passe? 

Les yeux d'Arcis se noyèrent de larmes. Loup caressa la joue de son fils. 

— Je ne sais pas mais je vais m'en occuper. Fais moi confiance. 

Il regarda autour de lui.  

— Monte dans cet arbre. Quoique tu entendes, tu restes là-haut. Si je ne suis pas là à la tombée de la nuit, tu files à Stannarg. C'est compris? 

Arcis ne répondit pas. Il paniquait. Sa respiration s'était accéléré.

— Tout va bien se passer fiston. 

Il lui tendit un petit couteau. 

— Garde le dans la main tout le temps, prêt à servir. 

— Papa! Qu'est ce qui se passe? 

— Plus tard fiston. Il l'embrassa sur le front. Allez grimpe. 

Loup aida Arcis à monter dans l'arbre millénaire et courut oubliant la douleur que lui criait ses jambes rouillées.  

Il distingua une fumée qui montait de la clairière juste en face de lui.  

Pourvu que je n'arrive pas trop tard!  

Il bifurqua brusquement vers la droite. Devant un arbre blanchâtre courbé, il se laissa tomber et glissa sur la terre boueuse. Loup déterra et ouvrit rapidement un vieux coffre rouillé, réveillant les souvenirs de son ancienne vie. Ses vieilles armes l'avait attendu, intactes et tranchantes comme au premier jour de leur existence. 

La gorge serrée par l'angoisse, il s'équipa à la hâte et reprit sa course. Il ne tarda pas à arriver à la clairière. Brièvement, il observa les lieux. Devant la maison en feu, Dwenn était à genoux, la tête baissée, sa chevelure rousse dissimulait son visage. Elle semblait résignée et abattue mais vivante. Un colosse, derrière elle, attrapa violemment ses cheveux et lui tira la tête en arrière. 

Le visage de Dwenn apparut. Loup y lut la tristesse et le désespoir. 

Tili! Où est Tili? 

Loup respira profondément pour ne pas céder à la panique.  

Au centre de la clairière un homme, petit et trapu, était assis sur une grosse pierre. Il frottait son pantalon avec ses mains en maugréant contre la boue. 

Loup dégaina son épée et la pointa vers les assaillants. 

— Qui es tu petit homme? Où est ma fille?! 

L'étranger leva la tête. Il eut un rictus de satisfaction. 

— Ha enfin! L'invité d'honneur est là! 

— Je ne le répéterai pas. Où est ma fille? 

Le petit homme fit un geste de la main, le colosse redressa Dwenn sans ménagement et se colla à elle. Deux sbires masqués surgirent des profondeurs des bois brumeux, chacun bandait un arc dans la direction de Loup. 

— Pas très loin. Tourne toi et lève les yeux. 

Loup se retourna, le ventre tiraillé par l'angoisse. 

Il reconnut les petites bottines renversées sur la terre noire. Sa bouche devint de plus en plus sèche. Puis l'arbre se dressa devant lui. Un vieux tronc massif, usé. Son cœur cognait de plus en plus fort quand son regard se posa sur sa petite fille. 

Ses frêles jambes se balançaient au gré du vent glacial. La pluie ruisselait sur elle. Un de ses pieds, nus, était bleu de froid. 

Tili était pendue à une branche, le visage égaré dans ses longs cheveux noirs. 

La forêt s'était arrêtée de respirer. Les ailes du silence planaient sur la clairière et même l'inexorable temps semblait s'être pétrifier un instant. 

La main sur la bouche, les yeux clos. Loup laissa les visions de sa petite fille s'emparer de son esprit. Sa naissance difficile, ses premiers pas, son sourire, ses rires tonitruants. Tili respirait la vie. Il l'aimait tellement. Il sentit les petits bras de sa fille glisser autour de son cou comme quand elle le serrait fort après un cauchemar, puis plus rien, la sensation s'évanouit et il ne resta que le vide. Ses jambes se dérobèrent. Il tomba à genoux, le corps douloureux de peine. La souffrance, telle un serpent, rampait dans chacun de ses membres et s'enroulait autour de son cou l'empêchant de respirer. Puis comme une vague, la rage submergea la douleur et explosa.  

Loup hurla et fit volte face, prêt à tuer. 

Le petit homme leva les mains. Il parla calmement en soutenant son regard.

— Tout doux mon gars, sinon ta rouquine va y passer.  

Loup vit les bras énormes du colosse se resserrer autour du cou de Dwenn. Il relâcha tous ses muscles. 

— Crois le ou non. Je comprends ta douleur. Je ne suis pas maître de ce choix radical. Je ne suis qu'un messager mais si ça peut te soulager, elle n'a pas souffert.  

Loup resta coi. Il tentait de contrôler sa fureur. 

Le mercenaire secoua la tête. 

— Je vois cette haine qui te consume. C'est bien légitime. Je m'appelle Grys Dilur.  

Le mercenaire s'approcha et lui tendit la main avec un regard provocateur. En guise de réponse Loup cracha sur les doigts de l'assassin de sa fille. Ce dernier regarda sa main engluée de salive et se l'essuya sur la cuisse. 

— Je suppose que je l'ai mérité. 

— Qui t’as engagé?! Rugit Loup. 

Grys sourit froidement. 

— Stannarg. Un cimetière. Il y a vingt ans. Devant la tombe de ton père.

Loup ne répondit pas. Son sang bouillonnait. Il n'avait jamais ressenti autant de haine. Grys continua. 

— Tu as tué quatre hommes et ce jour là, tu aurais vraiment du épargner le quatrième. 

Loup, les poings serrés, resta coi. Le regard perdu dans ses pensées, il n'écoutait plus le mercenaire déblatérer. 

Alzebal. 

Les images de l'embuscade du cimetière lui revinrent en mémoire.  Grys sembla lire dans ses pensées. 

— Oui tu te souviens. Vingt ans qu'il te recherche. Tu imagines? Ça force le respect. 

Les yeux de Loup brûlaient de fureur. 

— Je vais d'abord te tuer toi et tes raclures. Ensuite, je tuerais Alzebal. 

Grys leva les yeux au ciel et ignora les paroles de sa proie. 

— Tu ne saisis pas tout ce qui se passe ici. J'ai ordre de te ramener vivant.  

Il jeta un œil rapide à Dwenn. 

— Juste toi. 

Loup comprit et n'hésita pas un instant. Il jeta son arme à terre. 

— Relâche là Grys. Tu m'as déjà pris ma petite fille. Ne me prends pas sa mère. Elle n'a rien à voir là-dedans. Je suis à toi.

— Détrompe toi. 

Loup l'interrogea du regard. 

Le mercenaire se frotta le front. 

— C'était il y a longtemps. Dans son autre existence, c'est grâce à ta rouquine que je t'ai retrouvé. 

Dwenn baissa les yeux, réalisant que les vestiges de son ancienne vie avaient tué leur petite fille. Elle regarda Loup. 

— Je suis tellement désolée. 

Un ruisselet de douleur et de culpabilité glissa le long des joues pâles de Dwenn. 

— Abrégeons les adieux. 

— Grys! Non! Loup tendit le bras. Je te suivrais sans résister! Epargne là! Implora Loup. 

Le mercenaire baissa la tête vers le sol. Il semblait réfléchir. Brusquement il fit un signe de la main. 

Le colosse brisa la nuque de Dwenn. Un craquement sinistre résonna dans la forêt. Loup vit la lueur qu’il aimait tant dans les yeux de Dwenn, s’éteindre comme on souffle une bougie. Elle s'affaissa telle une poupée désarticulée. 

Loup baissa la tête. La forêt semblait tourner autour de lui. Il dut fermer les yeux quelques instants. Son visage lui sembla être en feu. La senteur boisée des cheveux de Dwenn virevolta autour de lui. Le souffle de doux murmures frémit à ses oreilles. Une partie de son esprit refusait la réalité.  

Réveille toi!

Quand il les rouvrit, Grys était toujours là et à ses côtés un homme maintenait son fils d'une main sur l'épaule. 

— Papa!  

Ce n'était pas un cauchemar. 

Le petit mercenaire trapu se frottait les mains. 

— La vengeance tue plus de monde que la peste grise. Au tour de ton fiston maintenant. Un contrat c'est sacré. 

Loup se concentra sur sa respiration et sur cet instant. Il ne perdrait plus personne aujourd'hui. 

Son petit garçon pleurait. 

— Regarde moi fils. 

Loup parla d'un ton plus ferme pour sortir Arcis de sa torpeur. 

— Arcis! Regarde moi! 

Loup tapota discrètement sur sa dague. Aussitôt l'enfant comprit et planta, d’un geste rapide, le couteau de son père dans la cuisse du mercenaire. Il hurla un instant, puis son cri se transforma en gargouillis, un poignard venait de lui transpercer la gorge. Loup s'était mis en action. Le colosse s'écroula en gémissant de douleur, une lame fichée dans l'œil gauche quelques secondes plus tard. Une troisième dague rata sa cible.  

Loup esquiva les deux flèches décochées par les archers qui s’enfuirent aussitôt dans les profondeurs de la forêt. L’infâme Grys s’était volatilisé aussi vite qu’une poussière emportée par un vent glacé. Loup se rua en hurlant vers le colosse qui bougeait encore. 

Il s'assit sur son torse. Il le regarda dans les yeux. L'homme n'implora aucune pitié. Il connaissait et acceptait sa fin. Loup leva son poignard et l'abattit violemment sur le mercenaire. Une fois, plusieurs fois, il frappait comme un métronome, sans faiblir. Le sang se mêlait à la pluie. Il frappa encore. 

— Papa!!!! 

Il frappa plus fort. 

— Papa!!!! Arrête!!!! 

La voix de son fils le sortit de sa torpeur. Il stoppa. 

Il regarda le colosse. Son visage n'en était plus un. 

Loup se tourna vers Arcis qui pleurait près de sa mère. Il lâcha son arme et regarda ses mains. La pluie, de nouveau battante, emporta dans le creux de ses gouttelettes le sang de sa victime. 

Les larmes de désespoir de son fils le meurtrirent au plus profond de son être. Il s'agenouilla auprès de lui. Il le prit dans les bras. Ils restèrent enlacés longtemps sous la pluie glaciale. Quelques vieux arbres autour d’eux, se lamentèrent. La forêt pleurait. Leurs sanglots lancinants accompagnèrent la tristesse et la détresse de ces deux êtres qui avaient tout perdu. Loup se releva délicatement, laissant son fils enlacer sa mère. Il partit détacher la corde qui retenait la petite Tili. Il la prit dans ses bras. Elle était si légère, si frêle. 

Le chagrin s'agrippa à lui et le fit tomber à genoux dans la boue, le visage contre celui de sa petite fille. Arcis lui posa la main sur l’épaule. Père et fils se regardèrent. Les mots n’étaient d’aucune utilité. Loup se releva et posa avec douceur Tili au sol à côté de sa mère. Il les embrassa. Arcis en fit autant. Un dernier baiser en guise d'adieu. 

Ils creusèrent une seule tombe à l’ombre d’un arbre millénaire. 

Mère et fille ensemble dans l’éternité. 

Tous deux regardèrent les deux corps, allongés sur la terre noire. Si paisible, si immobile. 

Arcis se blottit dans les bras de son père. Ils restèrent ainsi, sans bouger, le temps de la chute d'une feuille morte car le moment du deuil n'était pas venu. Il fallait se hâter de quitter les lieux. Loup devait mettre à l'abri son fils, ensuite viendrait les représailles, terribles et implacables. 

Il embrassa son fils sur le front. 

— Nous reviendrons les voir. Je te le promets. 

Loup se releva et regarda la cicatrice qu'il s'était infligé vingt ans auparavant. Elle saignait de nouveau. Il serra le poing et ils quittèrent ces lieux souillés de sang et de larmes.

 

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Rânoh
Posté le 17/04/2024
Salut !

Une bonne surprise que ce saut dans le temps, c'est bien pensé et l'effet donné est intéressant. Ce retour en force du destin de Loup est un excellent moteur, qui pousse à s'embarquer avec lui à la suite des événements. Même si, à ce stade, il n'a rien décidé, on suppose la suite (ou l’on croit comprendre).
Je comprends la note au début, quant au fait que la violence touche directement des enfants, mais cela a quelque peu brisé la chute amorcée par l'écrit. Hélas, je m'attendais à un drame dès la première phrase, ce qui, qu'on se le dise, n'enlève rien à la qualité générale du chapitre.
Ultime remarque, "Relâche là Grys. Tu m'as déjà pris ma petite fille." Ainsi qu'un peu plus bas, "là" devrait être "la" plutôt, non ?

Merci pour ce moment, à plus tard !
Arod29
Posté le 18/04/2024
Merci pour ta lecture et ton commentaire.
Il y aura deux autres amusements avec le temps dont un qui fait débat! ;-) Je n'en dis pas plus! :-)
Tu as raison pour la note je vais la modifier. Merci encore.
A bientôt
Gardar
Posté le 27/03/2024
Incroyable ! Je suis à fond dedans merci beaucoup !
Petite coquille tu as mis *** entre deux mots au début.
Sinon vraiment bien. Dès le début je sentais le coup venir. Terrible !
Merci encore Arod29
Gardar
Gardar
Posté le 27/03/2024
Autre point, c'était pas très clair pour moi le fait qu'on est sauté des années. De plus, j'ai moins vu le côté un peu violent. Je pense que c'est parce que là c'est "justifié" alors qu'avant, c'était trop rapide pour qu'on comprenne bien les raisons. Une amélioration à mes yeux. La violence est de toute façon largement justifié ici.
Merci
Gardar
Arod29
Posté le 28/03/2024
Hello Gardar!
Merci beaucoup!!
Le côté "moins violent" vient surtout du fait qu'il n'y a pas vraiment besoin d'en rajouter quand un enfant est concerné.
Concernant le temps, j'aime jouer avec dans ce roman. Tu n'es pas au bout de tes surprises à ce niveau. Il y a une surprise à un moment. Je n'en dis pas plus! ;-)
Merci en tout cas pour ta lecture et tes commentaires qui me font très plaisir!
Sifoell
Posté le 24/06/2023
Rebonjour,

Pffffiou, tu ne ménages pas Loup... J'aime beaucoup ce saut dans le temps où Loup est resté auprès de Dwenn, mais les "quelques jours pour se remettre" se sont transformés en quelque chose de plus long et certainement plus agréables. Le temps de se construire une famille, et vivre un peu dans leur bulle, peut-être hors du temps.

La scène de l'attaque est terrible...

Par rapport au "contrat magique" que Loup a contracté pour venger son père, et sa cicatrice qui saigne de nouveau, si longtemps après, je me demande vraiment quelle est la part "magique" dans ce contrat de vengeance. Est-ce qu'il a contracté une sorte de dette envers quelque chose, quelqu'un, son père peut-être ? Et comme il ne l'a peut-être pas vengé complètement (j'ai un doute, il me semble bien qu'en s'installant auprès de Dwenn, il laissait des "affaires" en suspens), est-ce qu'il n'y a pas quelque chose de supérieur qui vient lui rappeler ce qu'il doit faire ? Ce sont juste des hypothèses et je suis peut-être complètement à côté, ce qui ne serait pas grave :D
Arod29
Posté le 26/06/2023
Merci encore pour ton commentaire.
Ce saut dans le temps était prévu dès le début même si je ne savais si ça fonctionnerai. Il y a eu beaucoup de versions de ce chapitre. Toute la première partie a été rajoutée.
Par rapport à sa cicatrice, elle saigne de nouveau pour lui rappeler en quelque sorte que sa vengeance n'est pas finie et que la conséquence est la mort de Dwenn et Tyssy. Dans le cimetière, il fait un serment. Est ce son père qui le rappelle à l'ordre ou est ce une magie propre à lui-même? La question reste pour l'instant sans réponse! ;-)
Hortense
Posté le 06/06/2023
Décidemment tu possèdes l'art d'embarquer le lecteur. Nouveau chapitre, nouvelle ambiance tout d'abord familiale et apaisée puis les éléments perturbateurs se mettent doucement en place les uns après les autres jusqu'au dénouement final effroyable. Comme dit Claire : "j'étais pas prête pour l'ascenseur émotionnel", surtout après celui du dernier chapitre, mais ça fonctionne vraiment bien.
Tu sèmes des petits cailloux pour baliser un chemin, reste à savoir où nous conduira ce chemin. Mais j'ai confiance !

Juste une petite accumulation :
- La petite fille / dans la petite vallée / Les petites flammes ... :Répétitions de "petites" en peu de temps.
Un plaisir de te lire.
A bientôt
Arod29
Posté le 06/06/2023
Mille merci Hortense! C'était un chapitre très long et compliqué à écrire avec plusieurs versions. Donc je suis très heureux de voir que cela te plait! J'espère que la suite te plaira tout autant.
A bientôt.
Baladine
Posté le 18/04/2022
wow, mais j'étais pas prête pour l'ascenseur émotionnel, tu devrais prévenir !! Beau chapitre, j'aime bien toute la tendresse qui transpire dans le début.
Mes remarques :
- attention à ne pas oublier les virgules avant les apostrophes.
- Ses deux petits vinrent se blottir elle => contre ?
- les deux personnes les plus essentiels => essentielles
- le "petit homme" et le "colosse" ne sont pas très clairs, à un moment, je les ai confondus et puis je me suis dit, non c'est pas possible...
A très vite !
Arod29
Posté le 21/04/2022
Hello Claire!!
Merci! Je préviendrai la prochaine fois! ;-) Ça me fait plaisir que tu parles de la tendresse du début car c'est vraiment ce que j'ai voulu faire ressentir.
Et merci pour tes remarques!!
A bientôt!
Altaïr
Posté le 03/04/2022
Il pleuvait des cordes lorsque j’ai lu ce chapitre, si cela se reproduit pour la troisième fois ton histoire va me servir de baromètre 😂

« Un chapitre très compliqué à écrire que j'ai beaucoup modifié. Voici, j'espère, la dernière version. »
Ce chapitre est très bien écrit. Vingt années se sont écoulées mais cela n’empêche pas une bonne compréhension de l’action.
En revanche, si au cours de ton écriture tu as l’impression de ne pas avoir assez écrit je pense qu’il y a matière à développer ce chapitre, ou de quoi écrire un chapitre avant celui-ci décrivant un peu la construction du couple et de la famille qu’ils ont fondée, avant sa disparition (en 20 ans il a dû s’en passer des choses, même dans une cabane planquée au milieu des bois ...).
Mais peut-être fonctionne-tu de la sorte pour toute l’histoire : 1 disparition par chapitre, et que ajouter un chapitre qui ne respecte pas ce format détonerait ? La suite me le dira !

« — Ecoute moi bien car c'est la dernière fois que je te le dis. »
-> C’était tristement prémonitoire, la promesse faite plus tard à sa fille est déchirante d’autant plus qu’il fait également une promesse à son fils en toute fin de chapitre.

Coquilles et suggestions :
// Je ne regrette aucune des secondes que j'ai passé (passées) à tes côtés. // J'ai parfois l'impression de t'avoir enlevé à la vie que tu aurais du (dû) mener. // A mon avis ils ont été mangé (mangés) par un troll! // Si vous me faites des calins (câlins). // Ses deux petits vinrent se blottir (manque « contre ») elle. // Loup contempla un instant les trois personnes les plus essentiels (essentielles) à son existence. // La petite fille était assise dans son lit, ses jambes repliés (repliées) contre elle. // Ses cheveux sentaient la bruyère *** (les astérisques, c’est volontaire ou un oubli ?) d'automne. //

***
// De battante, le (la) pluie devint fine. // Au fil des années ses branches s'étaient déployées au dessus (au-dessus) // Ne t'inquiètes (t’inquiète) pas pour ça. // Non je ne m'inquiètes (m’inquiète) pas. // L'angoisse (« La peur » ? car « angoisse » utilisé plus loin) lui vrilla le ventre. // Sa respiration s'était accéléré (accélérée). // Ses vieilles armes l'avait (l’avaient) attendu, // Loup se retourna, le ventre tiraillé par l'angoisse (« la terreur » ou « la peur », pour éviter une répétition). // Les ailes du silence planaient sur la clairière et même l'inexorable temps semblait s'être pétrifier (pétrifié) un instant. //
* * *
A ce moment de ma lecture j’ai avancé phrase par phrase, de crainte de ce qui allait suivre ...
* * *
// tu aurais vraiment du (dû) épargner le quatrième. // Loup, les poings serrés, resta coi («Loup demeura figé - ou sidéré- , les poings serrés », il reste déjà coi quelques phrases plus haut). // La forêt pleurait. Leurs (Ses) sanglots lancinants // Tous deux regardèrent les deux corps, allongés sur la terre noire. Si paisible, si immobile (accord avec le pluriel s’il s’agit des corps). // ensuite viendrait (viendraient) les représailles, terribles et implacables. //

A bientôt !
Arod29
Posté le 05/04/2022
Salut Altaîr!
C'est Arod29 le baromètre! ;-)
Merci!
Je te rassure tout de suite, il n'y aura pas un mort par chapitre sinon au bout de 10 chapitres, il n'y aura plus personne. ;-)
Pour te donner une indication de ce que j'ai ajouté à ce chapitre, tu enlèves tout ce qu'il y a avant la partie de pêche entre Arcis et son père. J'ai pensé effectivement encore développer les 20 années mais vu le temps que j'ai passé sur ce chapitre. J'y reviendrais mais pas tout de suite! ;-)
Les astériques c'est volontaire.
Merci beaucoup pour les coquilles et toutes tes suggestions, je modifierais tout ça.
En tout cas, je suis particulièrement content que ce chapitre te plaise car il a vraiment été compliqué mais malgré tout gratifiant à écrire! Trouver le bon ton sans tomber dans l'excès. Bref merci!
Deslunes
Posté le 10/02/2022
Re,
J'ai été obligé de lire ce chapitre dans la foulée à la vue du précédent.
Il est fort, très fort ... Il va faire pleurer dans les chaumières. Que d'émotions, un chapitre très prenant.
Dwenn n'est pas Tyssy ?
En guise de réponse Loup cracha sur les doigts de l'assassin de sa fille. Le minimum aurait été qu'il lui tranche la main mais bon, c'est toi l'auteur !
Suggestions :
Ses cheveux sentaient la bruyère ***  d'automne. Pourquoi les ***
Ne t'inquiètes pas pour ça. - Ne t'inquiète pas pour ça. (impératif)
Loup resta coi. Et Loup, les poings serrés, resta coi.  Abasourdi à la place du second coi
Arod29
Posté le 11/02/2022
Hello!
Merci beaucoup!
Un des chapitres difficile à écrire. Il y a eu plusieurs versions. Je suis très heureux qu'il fasse son petit effet!
Dwenn= Tyssy? Ha ha ha ha...;-)
Pour la réponse de Loup, Dwenn est encore sous la menace d'un des sbires donc... Mais c'est marrant que tu parles de tranchage de main! Il y en aura peut-être un... ;-)
Merci pour les suggestions!
Edouard PArle
Posté le 02/09/2021
Hey !
Wow, chapitre très fort en émotions, mon préféré depuis le début de la lecture.
Comme tu as bien pris le temps d'exposer Dwenn et Tili plus tôt leur mort fait vraiment mal et on ressent la même colère que loup.
Embarqué à présent à 200 % !!
Quelques remarques :
"Serais tu" -> Serais-tu
"Comme si. Il s'interrompit" Peut-être mettre ... après "si"
"temps semblait s'être pétrifier un instant." -> pétrifié
"La main sur la bouche, les yeux clos. Loup laissa les visions de sa petite fille s'emparer de son esprit. Sa naissance difficile, ses premiers pas, son sourire, ses rires tonitruants. Tili respirait la vie." J'aime beaucoup le paragraphe avec les souvenirs de sa fille, ça donne du poids à sa mort et à la colère du père. Tu pourrais peut-être même le faire durer un peu plus ?
"tu aurais vraiment du épargner" -> dû
Arod29
Posté le 03/09/2021
Hello!
Merci Edouard! Ca me fait très plaisir d'entendre que l'exposition de sa famille en début de chapitre fonctionne bien car elle était complètement absente de la première version! Je l'ai ajouté dernièrement.
Merci d'avoir repéré quelques coquilles.
A bientôt.
Edouard PArle
Posté le 03/09/2021
Oui sans cela la scène aurait perdu beaucoup d'intensité.
A bientôt
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