6. Entre quatre murs et mille pensées

Par JFC

La nuit avait jeté son beau manteau de velours piqué d’étoiles scintillantes sur Yggdol.  Ephrem était dans sa chambre, occupé à rassembler ses affaires, afin de partir le plus tôt possible le lendemain. Très petite, la pièce ne contenait qu’un lit, sous lequel il rangeait pêle-mêle ses vêtements, et parfois quelques petits objets. Sa chambre ne laissait pas deviner ses goûts et activités favorites. Aucune décoration sur les murs, des draps et couvertures grises, des vêtements sans motifs avec très peu de couleur.

N’ayant jamais voyagé, Ephrem n’avait aucune idée de ce qu’il fallait emporter pour assurer une expédition agréable et sécurisée. Il se contenta donc de fourrer tout ce qui lui tombait sous la main dans son sac avant de s’estimer satisfait. Une fois terminé, il le posa au pied de son lit et s’allongea sur le dos, les bras croisés derrière la tête. C’est à ce moment que Mélusine entra dans la pièce.

— Tu veux que je t’aide à préparer tes affaires ? proposa-t-elle avec douceur.

Ephrem lui adressa un sourire et lui montra son sac du bout du pied, fier de lui.

— Merci, mais c’est déjà fait, répondit-il.

Mélusine haussa un sourcil derrière ses lunettes aux montures vertes finement travaillées. Son regard se posa sur le petit sac, qu’elle trouvait bien modeste pour un voyage qui pouvait durer plusieurs semaines. Au mieux !

Depuis l’histoire de son père sur la venue des parents d’Ephrem à Yggdol, elle n’arrêtait pas de penser que celui-ci allait peut-être les quitter définitivement. Il avait de bonnes raisons pour cela. Cette pensée l’attrista, et elle savait qu’il en était de même pour leur père, qui s’était empressé de s’enfermer dans sa chambre.

— Dis, demanda la jeune Elfe en entortillant une mèche de cheveux, ça te dit que je te raconte une histoire ?

Mélusine avait pour habitude d’inventer les aventures de héros invincible qu’elle racontait à Ephrem, qui les écoutait toutes en bon spectateur. Elle s’assit sur le lit, proche de lui, et commença l’histoire de Fairway, l’Elfe invulnérable ! Elle voulait faire plaisir à Ephrem en lui racontant son récit. En même temps, elle serait obligée de se concentrer, et ainsi elle oublierait sa peine. Du moins le temps que durerait l’histoire de Fairway ! Ephrem ne prononça aucun mot et ne pensa à rien pendant tout le temps que dura l’aventure de ce héros, qui n’avait peur de rien.

Une fois terminée, Mélusine se leva, bâilla, s’étira, puis conseilla à son frère d’aller se coucher s’il voulait être en forme pour sa propre aventure le demain. Elle se pencha ensuite vers lui et l’embrassa sur le front, avant de quitter sa chambre d’un pas léger. Elle n’était plus visible aux yeux d’Ephrem, qui ferma ses yeux en pensant qu’il ne tarderait pas à faire de magnifiques rêves, peuplés de personnes heureuses de le voir, lui, le fils prodigue. Au bout d’un certain temps cependant, il comprit qu’il n’arriverait pas à dormir. Il se demandait comment ses parents réagiraient quand il le verrait. Que penseraient-ils de lui ? Comment lui-même allait réagir quand il les reverra enfin, après tant d’années. Que devrait-il leur dire ? Les questions se bousculaient dans sa tête, l’une remplaçant l’autre, avant même qu’il ait le temps d’imaginer une réponse.

Comme diversion à ses interrogations, il chercha à ses rappeler du visage de ses parents. Il avait cinq ans la dernière fois qu’ils les avaient vus.

— Je devrais m’en souvenir ! s’étonna-t-il en fermant ses yeux pour se concentrer. Ça ne fait pas si longtemps !

Il passa un long moment, sans succès, à essayer de trouver ne serait-ce qu’un détail. Sans s’en rendre compte, il s’était endormi, les bras croisés, avec, sur le visage, ses sourcils froncés, comme d’habitude.

 

Dans sa chambre chargée de livres du sol au plafond, Mélusine se posait également des questions. D’abord elle se demanda ce qu’on pouvait bien ressentir quand on se retrouvait dans une situation pareille à celle d’Ephrem ! Comment se sentait-on quand on était entouré par des êtres différents de soi ? Ephrem aura-t-il envie de revenir une fois qu’il aura retrouvé ses véritables parents et qu’il sera entouré de ses semblables ? Dans sa tête aussi les questions se bousculaient, mais en imaginant Ephrem en train de voyager, de découvrir le monde avec ses proches, la jeune femme fut envahie par la jalousie et l’envie. Elle était sans doute l’Elfe la plus curieuse d’Yggdol, et elle se rendit compte qu’elle voulait également découvrir le monde en dehors de celui-ci. Devant cette injustice qu’elle ressentait malgré elle, elle étouffa un cri dans ses épaisses couvertures vertes. Lasse, elle s’assit, enleva ses lunettes, les observa un instant, puis fut frappée par une idée qui de son avis était l’évidence même ; accompagner Ephrem dans son voyage !

— Oui ! chantonna-t-elle en se voyant déjà parcourir le monde à la découverte de ses innombrables merveilles. Je suis sûre que papa n’y verra aucun inconvénient si je lui annonce que j’accompagne Ephrem. De cette façon, il sera sûr qu’il nous reviendra. Nous pourrons veiller l’un sur l’autre, et en plus je pourrai satisfaire ma curiosité. Oui ! répéta-t-elle encore, tout excitée en se laissant tomber de tout son long dans son lit moelleux.

 

De sa chambre, Selfyn entendit les bruits que faisait Mélusine, ce qui eut pour effet de le retirer de son léger sommeil. La perspective de voir Ephrem partir l’inquiétait beaucoup, mais il savait qu’il reviendrait.

— Il l’a promis, avait-il murmuré en fermant ses yeux pour accueillir le sommeil, qui cette fois ne vint pas.

Au lieu de songes, c’était le visage fin et délicat d’une belle Elfe qui traversait son esprit. Il voyait ses yeux pétillants remplis d’amour, et ses minces lèvres étirées par un éternel sourire.

— Toi aussi tu me l’avais promis ! susurra le vieil homme d’une voix cassée. Qu’avais-tu de si urgent à faire dans le monde des Humains. Helistia avait-il réellement besoin que tu nous quittes ?

Selfyn pensait dorénavant à sa femme, ce qui compliqua encore davantage son sommeil. Alors qu’il tournait et se retournait sans cesse dans son lit, sans s’en rendre compte, sa respiration se faisait de plus en plus profonde.

Il glissait vers le sommeil.

À la tête de son lit, un étrange symbole s’illumina un court instant dans l’obscurité de la chambre. Une voix douce parla alors à Selfyn dans son esprit ! Cette voix, résonnant dans sa tête telle des échos dans une grotte, lui disait de la laisser partir. Le vieux sage eut à peine le temps de comprendre ce qui se passait, qu’il tomba dans un sommeil profond.

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