Il faisait un temps magnifique ! Pas de nuage dans le ciel, les oiseaux chantaient, le soleil baignait tout Yggdol de sa lumière bienfaitrice et un vent frais et léger soufflait. Le temps lui-même semblait approuver et motiver le voyage qu’Ephrem et Mélusine s’apprêtaient à entreprendre.
— Mélusine ! s’étonna Selfyn voyant sa fille habillée de pied en cap. Que fais-tu accoutrer ainsi ?
Surexcitée depuis la veille, Mélusine avait très peu dormi. Dès l’aube, elle s’était levée pour se préparer à son voyage d’accompagnement et de découverte. Elle avait chaussé de petites bottes vert kaki qui disparaissaient sous une longue jupe plissée vert pomme, terminée par des ondulations élégantes. Pour le haut, elle avait opté pour un corsage ajusté couleur émeraude, complétée par une veste sans manches au col épais, légèrement pourpre. Sur ses cheveux blonds, elle avait posé un large chapeau de paille tressé jaune, qui la faisait ressemblait à un tournesol.
La jeune Elfe remarqua l’air désapprobateur de son père et cessa de ranger dans son sac les quelques livres qu’elle avait décidé d’emporter avec elle.
— Hé bien papa, répondit-elle soudain mal assuré, j’ai décidé d’accompagner Ephrem jusqu’au village de ses parents. Tu es d’accord bien sûr ?
Dans un coin de la pièce, Ephrem se tenait debout, les bras croisés, observant, le cœur léger, ce qui se passait. Depuis qu’elle lui avait annoncé, le matin même, avec un sourire rayonnant, qu’elle ne comptait pas le laisser partir à l’aventure sans elle, il s’était un peu apaisé. Cependant, l’atmosphère qui régnait désormais semblait annoncer un possible bouleversement dans leurs plans.
— Tu ne peux pas l’accompagner, Mélusine ! gronda Selfyn.
— Mais papa ! supplia-t-elle. On ne peut pas laisser Ephrem partir seul. Qui sait ce qui risque de lui arriver !
— En l’accompagnant, tu penses lui assurer une meilleure chance ? lança-t-il, avec un ton plus moqueur qu’il ne l’avait voulu. Et toi, qui veillera sur toi ?
Mélusine fixa Ephrem, comme pour l’inciter à dire quelque chose. Celui-ci, pris au dépourvu, sentit comme un coup de fouet sur sa peau, et décroisa subitement ses bras en essayant d’articuler quelque chose :
— Je pourrais… sans doute… bafouilla-t-il penaud… je crois… oui…
Le jeune homme se ratatina devant le regard assassin de sa sœur, un peu déçu de ne trouver qu’un maigre soutien.
— Ephrem à une bonne raison de partir, je serais un monstre si je l’empêcher d’aller à la rencontre de ses parents, expliqua Selfyn. En ce qui te concerne, en revanche, je ne discerne aucune justification pour te permettre de quitter Yggdol !
— Je te l’ai déjà dit, vociféra-t-elle, je veux être sûr qu’il ne lui arrive rien.
— Tu as pensé à tes élèves ? l’interrogea Selfyn. Que comptes-tu faire d’eux ?
— Il ne sera pas difficile de me trouver un remplaçant le temps que je revienne, répliqua-t-elle.
— C’est non ! conclu Selfyn, buté.
— Donne-moi au moins une bonne raison, rugit-elle en redressant ses lunettes.
L’image de sa femme passa en une fraction de seconde dans son esprit, et il se souvint de ce qu’il avait entendu la veille, avant de sombrer dans son sommeil :
— Laisse-la partir, avait susurré la voix.
Allait-il la laisser partir comme il avait laissé partir Enithya ? Rien ne semblait pouvoir le faire changer d’avis, jusqu’à ce qu’il entende de nouveau :
— Laisse-la partir.
Selfyn et Mélusine écarquillèrent leurs yeux. La jeune Elfe était contente de voir qu’Ephrem venait enfin à son secours. Quant à Selfyn, il ne savait plus quoi penser ! Était-ce un hasard ?
— Laisse-la partir, reprit Ephrem, suppliant. Laisse-la m’accompagner. J’ai besoin d’elle près de moi. J’ai peur de ne pas m’en sortir si je reste seul.
Mélusine observa Ephrem avec un sourire radieux.
— Veilles-tu sur nous ma chérie ? Se surprit à penser Selfyn. Ton âme est-elle retournée auprès d’Origine ? Ou alors je deviens tout simplement fou !
Le vieil homme, fatigué, observa sa fille, encore si jeune. Elle avait vraiment l’air décidée. Fermant les yeux, le vieux sage acquiesça en soupirant.
— Pas de doute, s’écria-t-il, je deviens fou !
Emportée par sa joie, Mélusine se précipita dans les bras de son frère, et le serra si fort que sa colonne en craqua.
— Il faudra que j’en informe le Conseil, maugréa Selfyn. Ils risquent de ne pas apprécier même, si je leur dis que ce n’est que pour quelques jours.
Mélusine sautait de joie dans la pièce, entrainant Ephrem dans son sillage.
— Bon, approchez-vous, leur demanda Selfyn d’un ton conspirateur. J’ai des renseignements à vous transmettre concernant votre voyage. Ephrem, je pensais que tu me demanderais le nom de tes parents, et le nom du lieu où tu es né ! lui reprocha-t-il en souriant.
Le jeune homme, pris de court, réalisa que ces informations lui étaient effectivement inconnues ! Mélusine, de son côté, pensait que leur père en avait déjà parlé à Ephrem à un moment où elle-même n’était pas présente. Elle avait d’ailleurs prévu de questionner son frère à ce sujet une fois en route. Curieuse, elle s’approcha de Selfyn, imitée par Ephrem. Tous deux se placèrent près de leur père, prêts à l’écouter avec attention.
— Ta mère s’appelle Trud et ton père Joch, révéla-t-il. Ils sont originaires, comme toi, de Luctès. C’est un petit village juste à l’entrée du royaume d’Isbergue. Pour l’atteindre, vous devrez d’abord traverser le royaume de Lognis, à l’est.
— Je sais papa ! s’impatienta Mélusine. On peut y aller maintenant ?
— Une dernière chose, insista Selfyn en fixant intensément sa fille. Évitez de vous faire remarquer. Surtout toi Mélusine. Je ne suis pas sûr que les Humains portent les Elfes dans leur cœur. Un surplus de prudence ne pourra pas vous nuire.
— Je ne suis plus une gamine ! rétorqua Mélusine en se redressant.
Ephrem se releva à son tour, et contempla la petite querelle entre sa sœur et son père adoptif.
— Merci, chuchota-t-il la tête basse.
— Merci ! répéta Selfyn surpris. Mais pour quelle raison mon garçon ? Pour te laisser aller à la recherche de ton identité ? C’est tout naturel, voyons.
— Pas seulement pour ça, clama le jeune homme. Merci d’avoir fait de moi ton fils, alors que je ne suis pas un Elfe.
— Elfe, Humain, ou autre, quelle importance. Je ne vois que le cœur. Et le mien est rempli de fierté pour toi.
Ephrem, sentant ses yeux picotés, tourna sa tête pour qu’on ne remarque rien. Selfyn en fit autant, et contempla le temps splendide à l’extérieur.
— Vous devriez vous mettre en route maintenant. Avant que je ne change d’avis, les menaça-t-il.
Ephrem et Mélusine étaient désormais en route pour leur premier voyage. Selfyn, les regardant s’éloigner, observait leurs silhouettes devenir de plus en plus petites. Avec un pincement au cœur, il répétait en boucle les mêmes mots pour se rassurer :
— Ils reviendront, ils reviendront…