Anna

Chapitre 8 – Anna 1942

 

Anna s’était réveillée bien avant l’aube, sans raison apparente. La maison était encore plongée dans l’obscurité et le silence. Elle resta un moment allongée, les yeux fixés au plafond, puis se résigna à se lever.  

 

Dans la cuisine, elle trouva Jeanne, déjà attablée et une tasse de café fumante entre les mains.  

 

— Tu es debout tôt, remarqua Jeanne sans lever les yeux de son journal.  

 

— Toi aussi, répliqua Anna en se servant une tasse.  

 

— Moi, c’est l’habitude. Toi, c’est autre chose.  

 

Anna s’installa en face de sa sœur et souffla sur son café. 

 

— Je n’arrivais plus à dormir, répondit elle.

 

— Tu devrais essayer. Une fille qui dort mal, c’est une fille qui réfléchit trop, et une fille qui réfléchit trop finit toujours par faire des bêtises.  

 

Anna esquissa un sourire, mais ne répondit pas. Jeanne n’avait pas tort.  

 

— À ce propos, reprit Jeanne en fixant Anna. J’ai croisé la mère de Nim hier. Elle semblait… préoccupée.  

 

Anna baissa les yeux sur son café.  

 

— Nim est préoccupée, aussi.  

 

— Tout le monde l’est, rétorqua Jeanne. Mais il y a une différence entre la peur normale et… autre chose.  

 

Anna savait ce que sa sœur voulait dire. Elle-même sentait que quelque chose n’allait pas. Nim avait changé. Depuis leur dernière rencontre, il y avait eu dans son regard une lueur étrange, une détermination fiévreuse qui l’avait mise mal à l’aise.  

 

Mais elle n’eut pas le temps d’y réfléchir davantage.  

 

Des pas précipités résonnèrent dans l’escalier. Margot apparut dans l’encadrement de la porte, les cheveux en bataille et encore en chemise de nuit.  

 

— Il fait froid, se plaignit-elle en s’asseyant à table.  

 

Jeanne lui tendit une tartine.  

 

— Mange, ça te réchauffera.  

 

Margot mordit dans son pain et observa ses sœurs.  

 

— Vous parliez de quoi ?  

 

— De rien, répondit Anna trop vite.  

 

— Vous avez des secrets ?  

 

Jeanne eut un sourire amusé.  

 

— Si on en avait, on ne te le dirait pas.  

 

Margot fit une moue boudeuse, puis se concentra sur son petit-déjeuner.  

 

Anna jeta un regard à Jeanne. Elles n’avaient pas parlé, mais elles s’étaient comprises. Jeanne savait qu’Anna était troublée ces derniers jours, mais elle ne posait pas de questions. Pas encore.  

 

— Tu vas au marché ce matin ? demanda Jeanne.  

 

— Oui, et je dois aussi passer à la librairie.  

 

Elle vit l’ombre d’un froncement de sourcils sur le visage de sa sœur, mais Jeanne ne dit rien.  

 

Margot, elle, ne se préoccupait pas de tout cela.  

 

— Tu peux me ramener des chaussons aux pommes de la boulangerie ? demanda-t-elle en terminant sa tartine.  

 

— Je verrai, répondit Anna avec un sourire.  

 

Elle se leva, attrapa son manteau et sortit dans le froid du matin.  

 

---

Les rues de Bruxelles étaient animées en cette fin de matinée. Les étals du marché regorgeaient de légumes, de pain, de quelques morceaux de viande. Rien à voir avec les restrictions imposées aux familles juives. Anna le savait, et cette pensée la mettait en colère. Contre ses lois, contre les allemands, contre les belges et contre elle même.

 

Elle acheta quelques provisions et s’arrêta devant la petite librairie de la rue de l’Étuve.  

 

De l’extérieur, tout semblait normal : des livres empilés dans la vitrine, une enseigne poussiéreuse. Mais c’était ici qu’elle devait récupérer quelque chose.  

Elle entra, faisant tinter la clochette.  

Le libraire leva les yeux.  

 

— Vous cherchez quelque chose en particulier ?  

 

Anna hésita.  

 

— Un livre sur l’histoire de France.  

 

Il hocha la tête et disparut derrière une étagère. Quelques instants plus tard, il revint avec un ouvrage relié de cuir.  

 

— Celui-ci devrait vous intéresser.  

 

Elle le prit, feuilletant rapidement les pages. Un petit papier dépassait légèrement. Elle le glissa discrètement dans sa poche et paya son livre avant de sortir.  

Dehors, elle sentit son cœur battre plus fort. Elle marchait vite, comme si le fait de s’éloigner rendait ce qu’elle venait de faire moins dangereux.  

 

Une fois chez elle, elle s’enferma dans sa chambre et déplia le billet.  

 

"Demain, 19h. Café des Arcades. Demandez Paul."

 

Paul.  

 

Le nom revenait depuis quelques jours. Murmuré. Suggéré. Maintenant, il devenait une réalité.  

 

Elle referma les yeux un instant. Était-ce un piège ? Une erreur ? Ou la première étape vers quelque chose de plus grand ?  

Elle inspira profondément. Peu importe. Elle irait.  

 

---

 

**Bouton d’Or,**  

 

Il y a des matins où tout semble encore normal. On boit un café, on discute avec ses sœurs, on va au marché. Et puis, il y a ces moments où quelque chose change, imperceptiblement, mais irrémédiablement.  

Aujourd’hui, j’ai pris un livre. Et entre ses pages, j’ai trouvé plus qu’une histoire.  

J’ai trouvé une porte.  

Demain, je vais l’ouvrir.  

Si le monde me le permet, je t’écrirai encore.  

 

A.

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Reglisse000
Posté le 04/03/2025
J'adore toujours ! Je me demande si Nim, Anna et Chloé vont bientôt se revoir ...
Bravo pour les conversations, elles font très réalistes, tout en restant littéraire !
Plume_jasmin
Posté le 04/03/2025
Merciii (⁠^⁠^⁠)(⁠^⁠^⁠)
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