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Par Rachael
Notes de l’auteur : _____
Arthen passa la soirée dans un brouillard de confusion. Heureusement, sa mère n'était pas là ce soir : il n'aurait pas pu la regarder sans trahir son trouble. Il expliqua à sa grand-mère qu'il se sentait un peu fiévreux, prétexte pour monter dans sa chambre. Ses pensées tournaient en rond dans son cerveau ; au bout d'un moment, il avait tellement mal à la tête qu'il se figura qu'elles se cognaient aux parois, comme des oiseaux affolés heurtant en plein vol des vitres closes.

Il se doutait confusément depuis longtemps que son père était un Spatial. Il l'avait imaginé très tôt, probablement à des mots ou des réflexions de sa famille quand on le croyait trop jeune pour comprendre. Il ne s'en souvenait plus vraiment aujourd'hui. Mais là, la réalité était trop énorme pour qu'il réussisse à en faire le tour. Est-ce que son père était vraiment l'inventeur des vaisseaux qui traversaient la galaxie en quelques heures ? Comment un tel homme pouvait-il seulement exister ?

Par moment, tout cela lui semblait si invraisemblable qu'il rejetait tout en bloc, décidant qu'ils s'étaient illusionnés, Djéfen et lui. Mais ensuite, il revoyait le visage de Kaelán, ses yeux bleu foncé en amande, comme les siens, et surtout le petit losange sur son cœur.

Djéfen avait d'ailleurs clos toute discussion en assénant :

- Bah, une telle ressemblance, ça ne pouvait pas être un hasard.

- Tu trouves... qu'il me ressemble ? avait murmuré Arthen

Djéfen avait fait afficher à l'hôte une photo de Kaelán à douze ans. La similitude était évidente : mêmes yeux en amande bleu foncé, mêmes cheveux noirs en bataille, même air déluré, même sourire figé et pourtant charmeur devant l'objectif.

- On va plutôt dire que c'est toi qui lui ressembles, mon gars... avait-il rigolé. Arth, je te présente ton père ! Ouaouh, un tel héritage, ça en impose...

Quelques heures plus tard, Arthen ne savait toujours pas si « ça en imposait », parce qu'un mot surtout tournait en boucle dans sa tête, un mot qui lui faisait grincer des dents, empourprait ses joues de honte et emplissait son esprit de consternation. Télépathe ! Ici, cela sonnait comme une condamnation, le signe d'une tare sans appel. Les paths, depuis des siècles, servaient de laquais aux nazgars. Se découvrir télépathe à l'adolescence, c'était perdre son humanité.

Le garçon sentit l'effroi l'envahir. Est-ce que cela ne risquait pas de lui arriver, à lui aussi ? Que ferait-il, s'il devenait « différent » ?

- Ne réfléchis pas trop, lui avait intimé son ami, laisse les choses reposer. Demain, il sera temps d'en reparler.

- Facile à dire, Djef ! Toi, tu as un père normal. Comment pourrais-tu te mettre à ma place ?

Le garçon finit par s'endormir, épuisé par les émotions. Il rêva, ou plutôt cauchemarda qu'il se transformait en enfant-loup, avec une grande queue et des oreilles pointues qu'il n'arrivait pas à cacher. Curieusement, cette métamorphose terrifiante lui remit la cervelle à l'endroit. On n'en était quand même pas là ! Au réveil, il avait retrouvé son optimisme, et était décidé à demander des explications à sa mère, mais pas avant d'avoir appris tout ce qu'il pouvait sur ce père présumé, grâce à la machine de la villa...

 

****

 

Dans les jours qui suivirent, les deux garçons passèrent encore du temps devant les écrans, à consulter les archives des Spatiaux.

Arthen s'apaisa quand son ami lui déclara qu'en règle générale, il fallait deux télépathes pour en engendrer un autre. Il avait très peu de chances de devenir comme son père.

- Même un nazgar, ajouta Djéfen avec assurance, aura des enfants parfaitement normaux avec une humaine.

Arthen se demanda d'où il tirait toutes ces connaissances. Il pensait quant à lui jusqu'ici que les nazgars n'étaient pas des humains, même s'ils leur ressemblaient, et ne pouvaient donc pas avoir de descendants avec l'un ou l'une d'entre eux. Djéfen balaya ses objections d'un geste péremptoire :

- C'est l'hôte qui m'a renseigné, Arth. Les nazgars et les paths sont des humains hors normes, mais ce sont des humains. Ils peuvent engendrer des enfants avec des humains ordinaires.

- Oui, mais c'est une machine nazgare, Djéf, qui te garantit qu'elle ne te raconte pas des fables ?

L'autre se troubla ;

- Les machines ne mentent pas !

Arthen s'esclaffa :

- Non, mais ce sont des humains ou des nazgars qui décident de ce que disent leurs machines.

Djéfen répondit avec humeur :

- Crois ce que tu veux, si tu ne me fais pas confiance !

Arthen fronça les sourcils, surpris par la réaction épidermique de son ami.

- Désolé, j'ai tendance à être un peu sensible sur le sujet, en ce moment... se justifia-t-il.

Ils se regardèrent, et Djéfen fit une mimique d'excuse et de compréhension. Il sembla sur le point de dire quelque chose de plus à Arthen, mais se contenta finalement de pointer du menton les écrans :

- Bon, par quoi on commence ?

Ils consultèrent ensemble tout ce qui concernait Kaelán Oguenki dans les archives des Spatiaux. Cela faisait beaucoup de choses : il était mêlé à tout ce qui s'était passé d'important dans les dix années précédant l'arrivée des Spatiaux. Sur le plan scientifique, économique et social !

Au travers des informations qu'ils découvraient, ils se firent aussi une idée de la vie dans la grande sphère humaine de la Fédération et des planètes associées. Quarante-cinq planètes étrangères, colonisées par l'homme, habitées chacune par des millions ou des milliards d'humains ! Dont un petit pourcentage de télépathes...

L'arrivée des Spatiaux sur la terre à cet instant précis de leur histoire n'avait rien de si ahurissant. Elle n'était que l'aboutissement logique de l'énorme saut technologique qu'ils venaient d'accomplir en inventant le moyen de se déplacer instantanément dans toute la galaxie. Et tout cela, ils le devaient essentiellement à une seule personne.

Impossible de juger cette personne-là à l'aune des critères ordinaires. Impossible également de blâmer Oanell pour ce qu'elle avait fait ou pour ce qu'elle cachait. Ce matin, au petit déjeuner, il l'avait regardée avec un étonnement mêlé de respect. Quoi qu'il puisse penser - et il ne savait toujours pas que penser - elle n'avait pas choisi n'importe qui. Face à ce père en dehors des normes, face aux enjeux de sa venue, le garçon se sentait insignifiant et dépassé.

Il avait débarqué ici, avec toute la technologie et la puissance de sa civilisation ; pourtant, quelqu'un ou quelque chose l'avait effrayé au point de le faire fuir la terre. Rien qu'en y pensant, Arthen était terrifié. Terrifié, mais résolu à comprendre !

Ce fut Djéfen, une fois de plus, qui dénicha une piste.

- Comment peut-on savoir ce qui s'est passé après l'arrivée des Spatiaux sur la terre ? avait pesté Arthen. Leurs archives sont antérieures.

- Si on interrogeait les archives nazgares ? Elles doivent bien en parler, elles ? Si on réussit à les décrypter...

Les archives nazgares n'étaient pas structurées avec méthode, comme celles des Spatiaux, aisées à consulter. Elles se présentaient sous la forme d'une collection d'exposés individuels peu organisés. Un nazgar pensait son récit pour l'hôte de sa maison, qui le transmettait dans une bibliothèque partagée entre tous les domaines.

De ce que la machine enregistrait, seule une retranscription vocale parvenait aux enfants, débitée de l'intonation monocorde du synthétiseur. Le reste, enregistrements sensoriels propres aux nazgars, comme les émotions, ou les odeurs, était perdu pour les lecteurs humains, rendant les anecdotes bien fades.

Néanmoins, ces chroniques reconstituaient le fil des visites des Spatiaux à de nombreux domaines nazgars, comme Djéfen le fit apparaître avec des recherches chronologiques. Tout n'était pas consigné, parce que les nazgars maîtres des domaines ne rentraient des informations que quand cela leur chantait, mais on voyait quand même que les Spatiaux avaient entrepris de prendre contact avec les nazgars. Ceux-ci les avaient ignorés pendant longtemps, pour la simple raison que les Spatiaux leur avaient envoyé des télépathes « ordinaires ». Tout cela transparaissait des récits de plusieurs maîtres, qui mentionnaient avec condescendance des étrangers télépathes cherchant à les approcher. Mais ensuite, le ton changeait, les nazgars parlaient des visiteurs avec plus de curiosité. Ceux-ci leur avaient enfin trouvé un interlocuteur digne d'attention. !

Il ne leur fallut que quelques minutes de plus pour tomber sur le nom de l'émissaire que les Spatiaux avaient finalement choisi pour discuter avec les nazgars. C'était Kaelán Oguenki !

 

 

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Olga la Banshee
Posté le 07/02/2018
Rien de particulier à dire si ce n'est que c'est toujours aussi bien !
Rachael
Posté le 07/02/2018
Merci !
EryBlack
Posté le 06/11/2013
Aaaah, peut-être que je commence à avoir une idée de l'identité du nazgar... Mais imperspicace comme je suis, t'as pas de soucis à te faire, je me trompe sûrement xD
je me souviens que lors des premiers chapitres, j'avais du mal avec le terme "nazgar", j'avais pas bien compris ce que ça voulait dire. Mais maintenant il est absolument bien admis dans l'histoire, parmi les autres mots, je le vois même plus ! Et ça c'est fort, comme JK Rowling et ses elfes de maison, tu as inventé une "créature" qu'on finit par "admettre". Je sais pas si c'est très clair ce que je dis, il est tard, mais en tout cas, sache que j'aprécie toujours autant et que je me mets tout de suite au prochain chapitre !
(Sympa quand même, l'idée qu'Arthen deviendra un télépathe... Ca a l'air de le terrifier, mais quel champ de possibilités ça ouvrirait *-*) 
Rachael
Posté le 06/11/2013
A force de lire tes compliments, Ery, je vais finir par ne plus pouvoir mettre de bonnets tellement je vais avoir la grosse tête (et l'hiver c'est bien utile les bonnets !)... C'est trop gentil tout ça ! (*_*)
Pour le nazgar, ca doit être ma conviction qui déteint, parce que je suis tellement dans mon histoire que j'y crois totalement... Bon, tu me diras plus tard si tu avais vu juste pour le nazgar... quand on saura... (chapitre.... non je ne dis pas ! vous ne m'aurez pas si facilement)
Oui en effet, Arthen trouve ça très effrayant, parce que les télépathes sont vraiment des pariahs, et qu'il ne veut pas être rejeté par les gens qu'il aime... Je suis d'accord avec toi, ça ouvrirait des tas de possibilités, mais ne compte pas sur moi pour spoiler. D'ailleurs peut-être que je ne sais pas encore ( niarf, niarf !!)
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