Carnet N°4 : Au-delà de la Nature Humaine

Notes de l’auteur : Notes de l’auteur : Ce n’est pas la nature humaine qui est mauvaise. C’est l’histoire qu’on raconte à son sujet qui l’est.

Depuis toujours, on entend cette phrase, glissée comme une évidence : "C’est la nature humaine."

On l’utilise pour justifier la guerre, la violence, la cruauté, l’égoïsme. Comme si le mal était inscrit dans nos gènes, inévitable, immuable. Pourtant, à chaque fois que je l’entends, je ressens un malaise. Non pas parce que je refuse de voir les horreurs commises par l’humanité, mais parce que cette explication est trop simple. Trop commode. Trop paresseuse.

Si l’on accepte que la "nature humaine" est fondamentalement mauvaise, alors à quoi bon essayer de s’améliorer ?

À quoi bon chercher la paix, la justice, l’empathie ? Ce fatalisme est une prison dont j'ai ouvert les portes le jour où j'ai décidé de comprendre l'être humain et son environnement.

Lorsque j’étais avec les Yerenis, un enfant s’est approché de moi. Il avait huit ans. Il m’a tendu une pierre qu’il avait trouvée, comme s’il m’offrait un trésor. Il ne me connaissait pas. Je n’étais ni de sa famille, ni de son village, ni de sa culture. Alors pourquoi ce geste ? Par nature ? Par bonté innée ?

Non. Parce qu’il avait grandi dans un environnement où le partage était la norme, où offrir faisait partie de l’apprentissage. Il n’avait pas appris la peur de l’étranger, ni la méfiance envers les autres comme avait pu me l'enseigner ma mère.

L'enfant ne naît pas avec des instincts de haine ou de violence. Il apprend ces comportements. Il les observe. Il les intègre, parce qu’ils deviennent des outils pour survivre dans un contexte donné. S'il se montre violent c'est pour sauvegarder sa vie.

La "nature humaine" ne serait donc pas inscrite dès la naissance, mais plutôt une page blanche qui se remplit au fil des années.

Ceux qui pensent le contraire prétextent l’Histoire comme argument. Peu importe l'époque, l'Homme pille, tue, fait la guerre, se réduit en esclavage et commet d'autres atrocités depuis la nuit des temps.

Mais l'Histoire est un miroir déformant. On dit qu'elle est écrite par les vainqueurs. Mais elle est aussi écrite par ceux qui ont intérêt à maintenir certaines croyances. L’idée que "l’homme est un loup pour l’homme", comme le disait Hobbes, est une citation que l’on répète sans cesse, comme si elle était une loi universelle. Mais même les loups ne sont pas des monstres sanguinaires. Ils vivent en meute, protégés par des liens sociaux forts. Ce que l’on appelle "nature humaine" est souvent un reflet déformé des sociétés humaines : des systèmes où le pouvoir, la compétition et la peur dominent.

Lors d’un de mes voyages en Asie, j’ai visité un orphelinat. Les enfants y vivaient dans des conditions difficiles. Certains étaient violents entre eux, d’autres fermés, méfiants. Mais ce n’était pas parce qu’ils étaient "mauvais". C’était parce qu’ils avaient grandi dans un environnement instable, sans sécurité affective. On m'avait proposé d'adopter l'un d'entre eux. Tenzin le plus turbulent.

Gêné d'avoir refusé, j'ai été prendre de ses nouvelles quelques années plus tard. Il avait été adopté par une famille aimante. Il est devenu méconnaissable : souriant, empathique, curieux. Sa "nature" avait changé. Ou plutôt, elle avait été révélée différemment.

Mais il y avait aussi Anya, une autre enfant de cet orphelinat. Contrairement à Tenzin, elle n’a jamais été adoptée. Elle est restée dans cet environnement difficile, sans figure parentale stable. Pourtant, lorsqu’elle est devenue adulte, elle est revenue pour travailler dans ce même orphelinat, aidant d’autres enfants à surmonter les épreuves qu’elle avait connues.

Cela m’a fait comprendre que l’être humain n’a pas une essence fixe. Il est malléable. Il s’adapte. Et parfois, même dans des environnements hostiles, il y a des graines qui parviennent à germer entre les fissures du béton.

Certes la violence a toujours existé. Mais c'est comme la maladie. Ce n’est pas parce qu’un phénomène est fréquent qu’il est "naturel" ou inévitable. La violence est souvent une réponse à des frustrations, à des peurs, à des inégalités. C’est un symptôme d’un déséquilibre dans l’environnement.

On trouve des sociétés humaines qui ont vécu des siècles sans guerre. Des peuples où le concept de propriété privée n’existait pas, où la coopération était la clé de la survie. Si la violence était inscrite dans nos gènes, ces sociétés n’auraient pas pu exister.

Hannah Arendt a parlé de la "banalité du mal", une expression popularisée à propos des crimes commis pendant la Seconde Guerre mondiale.

Mais pourquoi ne parle-t-on pas de la banalité du bien ?

Chaque jour, des millions de personnes ont des gestes de solidarité, de compassion, de générosité. Pas pour la gloire. Pas par intérêt. Juste parce que c’est ce qu’elles considèrent comme normal.

Lors d’une tempête en Afrique, j’ai vu des inconnus risquer leur vie pour sauver des personnes qu’ils ne connaissaient pas. Sans réfléchir. Sans attendre de récompense. Certains y verront un acte héroïque ou exceptionnel. Mais pourquoi ne dirait-on pas que c'est humain ?

En 2011, lors du tsunami au Japon, des milliers de personnes ont partagé nourriture, abris, et soins, sans qu’aucune autorité ne l’exige. Pas de héros dans des capes. Juste des humains.

Cette "nature humaine" est un sujet qui me tient à cœur, car je l’avoue : il fut un temps où moi aussi, je croyais que l’humanité était condamnée à la violence et à l’égoïsme. C’était plus simple de penser cela. Plus rassurant, paradoxalement. Parce que cela signifiait qu’il n’y avait rien à changer, rien à espérer. Mais voyager, observer, écouter. Cela m’a forcé à revoir mes certitudes sur bien des sujets, comme le libre arbitre, l'Amour ou la nature humaine.

Elle ne serait pas un état figé, mais une potentialité. Nous portons en nous la capacité d’aimer et de haïr, d’aider et de détruire. Ce qui fait la différence, c’est ce que l’on cultive. L’environnement n’est pas juste un décor. C’est le jardinier invisible de nos comportements.

La nature humaine n’est donc pas mauvaise. Elle est adaptable. Elle est influençable. Elle est complexe.

Et c’est là sa véritable beauté.

Et si au lieu de demander "Pourquoi l’humanité est-elle si mauvaise ?", nous commencions à demander : "Quels environnements mettre en place pour fabriquer le meilleur de nous-mêmes ?"

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