Chapitre 1

Notes de l’auteur : CW : religion

La tour du centre-ville s’élève au loin comme un doigt d’honneur dirigé à tous ceux qui essayent de survivre dans cette cité. Entre ses murailles, il est impensable de croire qu’elle pût abriter la vie, qu’elle pût assister à des naissances ou qu’elle pût enterrer les âmes pour reposer en paix. Cette ville est démoniaque, animée par une force qui méprise les hommes, les femmes et les enfants, voire qui ignore tout des émotions. Elle n’a pas plus d’empathie à écraser un être humain que ce dernier en a, à piétiner un insecte. 

Athéna contemple l’horizon déchiré, assise sur le rebord de sa fenêtre. En contrebas, elle observe les premiers survivants réveillés se hâter sous l’aurore incarnat. L’un sort le troupeau de bétails de leur enclos, l’autre vérifie l’état des cultures verdoyantes tandis que le dernier se dirige vers les écuries. Athéna reconnaît de son perchoir la chevelure grisonnante d’Olivier. Elle fait volte-face avant de sauter sur le sol de son appartement. Elle attrape son débardeur pendu à l’armature de son lit, enfile son pantalon treillis et passe son sac autour de son épaule gauche. Elle jette un dernier coup d’œil derrière elle puis elle ouvre la petite porte de la salle d’eau pour vérifier qu’elle n’a rien oublié. Elle aperçoit ses cheveux charbons frisés arrivant à mi-nuque, ses yeux grisâtres, ses traits fatigués et sa carrure musclée dans son miroir. Elle détourne le regard de son reflet, un rictus de dégoût déformant son visage, avant d’éteindre le plafonnier.

 

Dans les couloirs de l’ancienne université, les salles de classe servant aujourd’hui d’habitat ont encore volets et portes closes. Athéna traverse seule les couloirs saluant de la tête les quelques voisins qu’elle croise à cette heure si matinale. Elle trottine dans les escaliers, dévie à gauche, esquive un chargement de nourriture, regarde à travers une fenêtre, repère Olivier et pousse les lourdes portes vitrées. La chaleur assèche sa gorge et épaissit ses cheveux alors que la pénible lumière du soleil se reluit sur son front. Ses pieds soulèvent la poussière des chemins de terre salissant ses lourdes bottes militaires. La voyant arriver au loin, Olivier plante sa pelle dans le sol puis il sort un morceau de tissu pour essuyer la sueur qui perle sur son front. Il lui adresse un sourire sincère qu’elle ne lui renvoie pas, elle qui préfère lui tendre la main. Il la serre avec vigueur et entame la conversation :
 

« - Je ne te pensais pas capable de te lever si tôt, taquine Olivier.
- J’ai un service à te demander, répond-elle. »

Le jardinier fronce les sourcils intrigué par une demande aussi sérieuse. Athéna n’a pas fermé l’œil de la nuit, car elle n’a pas cessé de réfléchir à une solution à son problème. L’estomac serré et la bouche sèche, elle préférait, à cet instant, partir en poussière que de vivre cette journée. Ses yeux contemplent les cailloux écrasés sous ses chaussures plutôt que d’affronter le regard de son interlocuteur. Elle relève la tête, inspire pour prendre un peu de courage avant de se lancer :
 

« - Tu vas à la fête, ce soir ? questionne-t-elle rhétoriquement. Je peux garder tes enfants, si tu le souhaites. »

Un sourire amusé feint le visage d’Olivier. Il plaque sa main sur ses sourcils pour cacher sa vue des rayons du soleil afin de mieux l’observer..
 

« - Je croyais que tu me demandais un service. Là, tu me rends plutôt un service. »

Elle se balance sur ses semelles, de marbre, ne souhaitant guère en dire davantage. Le jardinier claque des doigts comprenant les intérêts à passer une soirée avec ses deux démons.
 

« - Tu ne devais pas voir Marc pour ton mariage avec lui ? demande-t-il. »

Athéna écoule un silence approbateur. Elle ne cache pas son impatience vis à vis de la réponse qui se fait tarder. Il pose une main sur son épaule puis lui fait un clin d’œil. Habituellement, elle aurait fait comprendre à ces phalanges qu’elles n’ont rien à faire sur sa peau, mais Olivier est une exception. Un poids libère son abdomen en comprenant le langage implicite de son ami.
 

« -  Vas-y, conclut-il. Tu demanderas à ma femme les clés. Je ne veux pas être complice de ce tête à tête. Je sais que tu n ’aimes pas les hommes.
- Pas de cette manière, rétorque-t-elle. »

Elle tourne les talons après un bref remerciement pour se diriger vers la rotonde. Athéna sait pertinemment qu’elle ne pourra pas échapper à sa destinée maritale. Elle l’a déjà repoussée dans des délais plus que raisonnables pour les bonnes sœurs de la chapelle. 

Elle croise un petit groupe d'enfants sortant en courant au grand désarroi de leur mère les suivant de près. Athéna s’étonne toujours de contempler son campement construit comme une bulle irréelle dans la fin du monde. Il suffit de lever la tête au-dessus des murailles pour apercevoir la ville détruite, fantomatique, se faire dévorer par la nature et la bestialité. Le « No Man’s Land » comme ils l’appellent, Athéna sait qu’elle ne pourra pas y échapper non plus. La fin du monde s’est peut-être déroulée il y a deçà une décennie, elle n’apprécie toujours pas affronter ce qui se trouve là-bas. Le courant frais à l’intérieur de la bâtisse circulaire la sort de ses appréhensions. Quelques gardes des murailles déjeunent sur les tables disposés un peu partout dans ce grand carrefour et des têtes blondes jouent dans le parc en son centre. Elle se met à flâner en voyant l’innocence coincé entre ces barrières pour enfant. L’un d’eux tient en sa main un robot miniature qu’Athéna a trouvé dans une école élémentaire.

 

L’un des nombreux chemins s’élançant de la Rotonde amène à la chapelle, une ancienne bibliothèque reconvertie en lieu de culte. La façade, toute de verre édifiée, se pavane de symboles religieux, de mosaïque et de statues en bois. Il émane de cette bâtisse une lueur constante alimentée par des cierges et autres bougies. Athéna ouvre les portes et ses narines s’imprègnent de l’encens flottant dans la bâtisse. Elle se tient immobile sur le pas de l’entrée toujours impressionnée par la prestance qui s’en dégage. Les bibliothèques ont été ordonnées, les ouvrages, triés ou brûlés. Les chaises se convertissent en banc pour une assemblée, une estrade a été construite pour les messes et les autres cérémonies. De l’autre côté, une palissade en bois accueille les vœux des croyants. Ils sont enroulés dans des petits tubes accrochés de maigres ficelles. Au pied du mur, les pratiquants déposent diverses offrandes pour le Divin. Athéna sort de sa contemplation et commence à gravir l’escalier pour se rendre au premier étage. Là-bas, elle trouve des box de travail, des petites pièces insonorisées faites de vitres, où l’on peut voir des personnes venir se confesser aux bonnes sœurs.
 

«  - Vous voulez enfin vous confesser ? »
 

Athéna reconnaît sans hésitation cette voix féminine cassée par une ancienne vie de tabagisme. Elle ne se retourne pas et elle décline de la tête l’offre de Sœur Dominique.
 

«  - Nous avons tous notre lot de péchés à avouer à notre Divin, relance-t-elle.
- Je préfère garder ma vie de l’ancien monde pour moi, décline Athéna.
- Je ne parle pas uniquement de l’ancien monde. »
 

Athéna s’empêcher de soupirer, retient sa respiration avant de couper court à la conversation.
 

«  - Vous vouliez me voir ? »
 

Sœur Dominique hoche de la tête. Elle replace sa tunique avant d’inviter Athéna à la suivre. En passant près des cierges, elle s’en saisit d’un encore allumé pour embraser la mèche de ceux dont leur flamme s’est évanouie. Elles traversent les vestibules de confession pour atterrir à l’arrière du bâtiment dans une pièce à l’abri des regards. La porte n’a aucune prétention comme si elle essayait de faire oublier ce qu’elle cache derrière elle. À l’intérieur, une table en bois de chêne s’accompagne de quelques fauteuils luxueux. Des bougies chaleureuses illuminent l’endroit où flotte une légère odeur de pin. La religieuse s’assoit à sa place avant d’inviter sa disciple à prendre la siège en face d’elle. Athéna s’exécute, colle son dos au fond de sa chaise et attend patiemment la réponse à sa question.
 

« - Nous avons un devoir envers notre Divin, commence Sœur Dominique. Celui de respecter sa volonté de procréation et de bâtir une nouvelle ère plus fertile à notre humanité. »
 

Athéna ne répond pas et un rictus sur ses lèvres trahit son dégoût.
 

«  - Par conséquent, j’espère que votre mariage avec Marc portera ses fruits. »
 

Un silence suit un faux sourire amical chargé en réalité de menaces et de sous-entendus. De marbre, l’intéressée ne fait qu’acte de présence et elle ne s’oppose pas à la tradition sans jamais la valider non plus. L’inquiétude lui picote les doigts qu’elle se met à triturer pour faire passer la sensation désagréable. Athéna sait qu’elle n’a pas été convoquée pour si peu et elle reste muette appréhendant la suite :
 

«  - Vois-tu, soupire la religieuse. Je pense qu’il nous envoie une nouvelle épreuve pour notre communauté. L’un de nos frères nous a quittés lors d’une des missions d’éclairage, il s’est fait contaminé par un point d’eau. »
 

Les nouvelles journées apportent toujours leurs lots de mauvaises nouvelles et lorsqu’Athéna se fait convoquer ici, il n’est jamais rare d’apprendre la perte d’un de ses camarades. Habituellement, les pertes proviennent d'accidents plus graves, d’embuscades de la faction ennemie ou un nid d’infection piégeant les survivants en leur sein. Cependant, il est plus rare d’entendre que l’eau puisse encore contaminer des individus sains tant tout le monde alimente une phobie pour cet élément si commun. Sans vouloir connaître l’identité de l’homme, elle ressent un frisson parcourir son échine la mettant dans une position inconfortable. L’idée qu’il erre sans but dans les rues de la cité métamorphosé en l’une de ces créatures répugnantes lui donne la chair de poule. C’est le sort le plus sordide réservé à ceux qui osent encore respirer entre les frontières de cette ville et Athéna prie intérieurement à une mort rapide et indolore.
 

«  - Tu le remplaceras demain, conclut-elle. Vous partez vers l’Ouest pour explorer le centre-commercial.
- Qu’est-ce qui mérite une entrevue ? s’inquiète Athéna.
- Le bâtiment a servi d’hôpital de fortune lors de l’explosion de la pandémie. Je voudrais néanmoins voir la possibilité d’en faire un poste avancé pour contrer l’avancée de nos ennemis. »

Athéna se souvient de la semaine cruciale jusque dans les moindres détails. Les hôpitaux ont été surchargés en une journée et la ville, placée en quarantaine la nuit même. Les militaires avaient pris possession des rues et la catastrophe inévitable s’était abattue comme un ras de marais. Personne n’avait réussi à contrôler cette cascade démoniaque et tout le monde y avait perdu quelque chose. Les cris, les explosions et les incendies, tout lui paraît si proche et si lointain. Elle expérimente ses souvenirs détachée de son propre corps car ces derniers sont trop à vifs pour être ressassés sans traumatisme. Le centre-commercial s’était construit en une immense cocotte-minute n’attendant que d’exploser. Aujourd’hui, le lieu ressemble à un immense sarcophage de béton, de verre et d’acier troué, tailladé et démoli par les bombardements. Athéna le sait, l’infection aime se tapir dans l’ombre, tissant sa toile sur les murs pour piéger des humains crédules. Elle éclaircit sa gorge pour chasser la sensation amère de sa bouche sèche et de son estomac nouée. Elle n’a pas écouté les dernières directives de sœur Dominique trop préoccupée par la mission du lendemain. Elle quitte la salle sous les directives de la religieuse avant de descendre les marches, déconnectée de la réalité.
 

La chaleur ne la frappe pas et des sueurs froides lui grimpent dans son dos. Cela fait bien longtemps qu’elle n’a pas risqué sa vie dans le No Man’s Land. Entourée de ces murailles et de ces cultures, elle regarde peut-être pour la dernière fois le bâtiment religieux qui l’a toujours accepté en son sein. Athéna prit une dernière fois celui ou celle qui veut bien l’entendre puis vient le temps où elle se détourne laissant son destin entre les mains de cette ville aliénée.

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IDreaming
Posté le 16/06/2024
Bonjour Gaalylelo,
Je trouve pour ma part l'univers de ce livre assez inquiétant.
En effet, il n'y a pas beaucoup de description,ce qui accentue le coté mystérieux. Est-ce que c'est voulu ?
Je suis aussi intriguée par le mariage d'Athéna avec Marc. La façon dont les phrases sont tournées laissent penser qu'Atnéna ne voulait pas vraiment se marier...
A par ça, je trouve votre style original et l'histoire assez prenante.
Merci pour cette lecture !!!
IDreaming
CM Deiana
Posté le 02/10/2021
Bonjour,
Je commence cette lecture en faisant des recherches de romances queer. Je suis aussi un fan de post-apo, ce qui tombe bien.
J'aime beaucoup le monde que tu nous décris, très angoissant, comme s'il était sur le point de s'effondrer totalement.
Je remarque cependant des phrases des fois un peu longues, je pense qu'il s'agit de ton style et que je m'y habituerai à la lecture.
J'ai noté quelques petites erreurs d'orthographe, les même que celles citées par lea premier·ère lecteurice.
Ne pas citer les ennemis nourrit l'imagination : autre groupe d'humain ? Monstres ? Humains transformés ? Comme nous ne savons pas ce qui attend Athéna, c'est d'autant plus stressant !
Merci pour cette lecture.
Gaalyleo
Posté le 02/10/2021
Hey !
Merci beaucoup pour ton retour ! :D
Oui, j'écris des phrases assez longues, j'évite au maximum que ces dernières deviennent lourdes. D'un côté, ça rajoute à une ambiance de contemplation qui se marie bien avec le post-apo (de mon point de vue).

Malheureusement, l'orthographe est vraiment mon plus gros point faible. J'ai beau relire des dizaines de fois, il en reste toujours ! Une séance de correction est prévue dans pas si longtemps pour que j'essaye d'éliminer toutes celles qui ont été oubliées.

En tout cas, merci pour ton commentaire. Ça m'aide beaucoup autant pour voir ce que j'ai à améliorer que de voir ce qui plaît aux lecteur.ice.s

J'espère que tu trouveras ton bonheur dans la suite !
akasdraawr
Posté le 06/09/2021
Coucou Chaarly ! Déjà, j'espère que tu vas bien

J'ai commencé le récit et pour le moment je ne suis pas un poil déçue ! Je trouve que tes descriptions sont vivantes et puissantes : on sent que c'est clair pour toi et que tu visualises correctement tes environs. C'est super nice d'ailleurs d'avoir un peu de tous les sens qui rentrent en jeu ; d'ailleurs j'ai beaucoup aimé le passage sur l'encens, l'odeur de pin dans le bureau etc… ça ajoute une couche de visualisation que j'adore !

J'aurai une petite remarque à faire sur le dialogue entre la supérieure Dominique et Athéna (super nom au passage <3) à cet instant-là :

- Le bâtiment a servi d’hôpital de fortune lors de l’explosion de la pandémie. Je voudrais néanmoins voir la possibilité d’en faire un poste avancé pour contrer l’avancée de nos ennemis. »

Je sais pas si tu souhaitais avoir du suspense pour le nom de tes ennemis, mais j'imagine qu'ils se font forcément nommer. Je trouverai ça plus naturel de parler du nom de leurs ennemis plutôt que de dire "nos ennemis". Sauf si, bien sûr il y a d'autres raisons, telles que le fait qu'on ne doive pas en parler ou autre chose x).

En tout cas, je trouve que tu amènes rapidement les informations mais le lecteur n'est pas le moins du monde surchargé. Le brouillard s'écarte un peu pour nous faire découvrir la surface de l'univers sans trop en dévoiler, ça attire de fou pour connaître la suite !

Pour les potites fautes d'orthographe, je les liste comme ça ce sera plus clair :
- ras de marais s'écrit raz-de-marée
Dans le dernier paragraphe :
- le bâtiment religieux qui l’a toujours acceptée en ajoutant un E
- Athéna prie une dernière fois (prier avec un E à la fin)
- vient le temps où elle se détourne, laissant (je pense qu'ajouter une virgule est nécessaire)

Voilà, je t'ai demandé un peu tard pour les fautes donc j'ai que vers la fin, mais c'est déjà ça je pense <3

Globalement, j'ai beaucoup aimé ce chapitre : il est vif malgré l'atmosphère épaisse et chaude qui s'en échappe. On apprend juste ce qu'il faut pour ne pas nous frustrer et pour nous donner envie de continuer, c'est très bien équilibré ! Bravo pour ce chapitre !J'ai hâte de lire la suite <3
Gaalyleo
Posté le 06/09/2021
Hey !
Je te remercie beaucoup pour ton retour qui fait chaud au cœur.

Pour le dialogue avec Sœur Dominique, tu soulèves un point sur lequel j'ai hésité pendant de longues minutes (sans hyperbole). Sur le premier jet, elle explicitait le nom des ennemis pour apprendre par ce biais l'appellation au lecteur. Néanmoins, quelque chose clochait puisque dans le camp, personne ne les appelle par leur vrai nom mais par un diminutif péjoratif. Sauf qu'étant de la Chapelle, je trouvais ça malvenu que Dominique utilise ce terme. De plus, l'idée que les ennemis ne soient catégorisés uniquement par le fait qu'ils sont des ennemis (pour les déshumaniser) me plaisait plus. Surtout que cette idée viendra se placer en contraste avec ce qui est véhiculé dans le deuxième chapitre. Ça me permet aussi d'en parler plus longuement dans la suite directe en révélant leur appellation. C'est donc pour ça que j'ai préféré mettre "ennemi".

Merci pour ton retour (surtout les fautes d'orthographe, tu ne sais pas à quel point ça m'aide). J'espère pouvoir continuer à te faire voyager à travers ce récit !

Encore merci beaucoup :D
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