— Allez Sofiane, bon retour chez toi. On fête les sept ans de mon petit frère chez mes parents demain, j’ai intérêt de me rentrer !.
C’est ainsi que Thomas, jeune homme de vingt-deux ans, salua son nouvel ami, à la fermeture du bar dans lequel ils avaient passé toute la soirée.
Rentrer seul, à pieds, ne lui avait jamais posé de problème, il avait une carrure suffisamment dissuasive. Pourtant, après quelques minutes à arpenter les rues pavées, il sentit une présence dans son dos. Il tourna la tête discrètement et put voir deux hommes se rapprocher de lui. Instinctivement, il accéléra le pas. Dans le doute, il bifurqua au premier croisement mais c'est à ce moment là qu'un troisième homme surgit en face de lui, l’empoigna et le projeta au sol. Il fut vite rejoint par ses deux comparses, qui plongèrent à leur tour sur Thomas. Ce dernier tenta de riposter, mais l’un d’eux le releva et l’immobilisa pendant que les deux autres le passaient à tabac. Sans un mot d’explication, un couteau fut sorti et le jeune homme, poignardé à plusieurs reprises. Ceci fait, l’un de ces agresseurs, muni d’une seringue, la lui planta dans la nuque puis ils laissèrent leur victime agoniser sur le sol.
Les pompiers arrivèrent quelques minutes plus tard, alertés par le voisinage que le bruit avait réveillé. Dans l’ambulance qui le conduisait à l’hôpital, Thomas perdit conscience à plusieurs reprises et dans ces moments-là, le jeune homme voyait une lumière intense qui lui brûlait les yeux.
— Je…Je…
— Ne dit rien, garde tes forces, lui intima un secouriste.
— Je ne sais pas pourquoi, articula-t-il tout de même difficilement.
— Tiens le coup. Mauvais endroit, mauvais moment, voilà tout.
Une fois à l’hôpital, Thomas fût prit en charge par l’équipe qui les attendait de pieds fermes.
L’agitation régnait autour de lui. Il se sentait partir, il avait mal, sa vision était trouble.
— Pas comme ça, pas comme ça, je veux pas mourir comme ça, se dit-il avant d’être aspiré et de voir au-dessus de lui encore une fois cette énorme lumière.
Il entendit au loin un long signal sonore et des voix :
— On le perd, on le perd, vite, massage cardiaque.
Pendant ce temps, au dessus de lui, il semblait y avoir aussi d’autres personnes:
— Il ne veut pas revenir celui-là dis-donc, recommence !
« Le retour du prisonnier 2.5.2 a échoué, veuillez reprendre la procédure »
Cette forte lumière s’éloigna et il ressentit encore une aspiration à lui donner le tournis. Il ouvrit les yeux pour voir les médecins à nouveau penchés sur lui.
— Il revient, il revient mais c’est juste ! entendit-il.
— Ses constantes ne sont pas bonnes, il replonge !
Un mal de tête s’empara de Thomas alors qu’il sentait son corps partir. L’air venait à manquer et cette lumière, encore elle, qui l’aspirait.
— C’est finit cette fois, entendit-il au loin.
La lumière lui brûlait les yeux, mais il n’y avait pas que cela… Ce mal de tête.
« Prisonnier 2.5.2 en cours de reconstitution »
Pris de panique, il tenta de bouger la tête, mais celle-ci était maintenue par une sangle.
— Bouge sap ou you biscornu, lui dit-on.
Il pouvait maintenant reconnaître la lumière, c’était le néon d’un bloc opératoire. Peu à peu, il reprit conscience d’une partie de son corps et réalisa qu’il était attaché sur une chaise médicale. Il ressentait des picotements dans ses membres inférieurs alors il baissa les yeux du mieux qu’il put pour constater avec horreur qu’il n’avait plus de jambes.
— Ah ah ah, j’adore voir les revenants au moment où les nano-insectes les reconstituent, c’est toujours un grand moment ! regarde celui-ci. Fallait pas désobéir, entendit-il.
— Marcel, tu lui as mis la puce de synchronisation linguistique? Sinon en plus, il va rien comprendre.
— C’est fait et elle fonctionne depuis 35 secondes exactement.
— Super. C’est la pause. On y va le temps qu’il se finisse.
— Bonne idée. À tout à l’heure… Ordure de traître, lui lança-t-on.
Le jeune homme perdit conscience à nouveau, et même à son réveil, il était toujours dans un état second. Il réalisa tout de même cette fois que la chaise médicale sur laquelle il se trouvait était elle-même à l’intérieur d’un tube plastique. Il baissa les yeux et vit ses pieds, ce qui le rassura.
Doucement, le cylindre l’entourant se souleva et Thomas pu ressentir la présence de plusieurs personnes derrière lui.
— Où suis-je, que se passe-t-il ? Je suis mort ? Je suis en enfer, c’est ça ? demanda-t-il péniblement.
— T’entends ça Marcel ? En enfer ! Ils en ont de bonnes les revenants.
— C’est quoi l’enfer Bernard ? Un autre centre de re-calque ?
— Mais non, tu sais bien, avant les gens croyaient qu’en mourant ils allaient dans un endroit horrible s’ils n’avaient pas été bons dans leur vie.
— Entre nous Bernard, ils étaient bien cons avant, hein ?!
— Oh oui Marcel. Surtout que si on suit leur logique, tous les humains du XXe et XXIe siècle doivent être dans leur enfer. C’est à cause d’eux qu’on est plus sur le sol. On a vu ça en transmission de mémoire.
— Non mais sérieusement, que se passe-t-il, répondez moi, détachez moi, gémit Thomas qui reprenait peu à peu ses forces.
— Oh là ! On change de ton, pas d’ordre avec nous, si tu es là, c’est que tu as trahi la Mère Planète, alors profil bas prisonnier 2.5.2, intima l’un des deux hommes en se plaçant devant lui.
Il put alors voir un homme, la cinquantaine, en tenue de travail, qui s’approcha pour lui libérer la tête des sangles.
— Je ne comprends rien. On m’a agressé dans la rue et j’étais à l’hôpital. C’est une erreur, détachez moi, répéta Thomas tout en tentant de s’extraire de ses liens.
— Oula Bernard, je le trouve bien agité, déclara le deuxième homme resté, lui, derrière le siège médical.
— Moi aussi Marcel, moi aussi. Au dodo prisonnier 2.5.2.
Marcel s’empara alors de la tête de Thomas pendant que Bernard lui injectait un tranquillisant qui l’endormit aussitôt. Lorsqu’il ré ouvrit les yeux, un autre homme était penché sur lui.
— Il se réveille, venez lui détacher la tête, lança ce dernier.
Sa vision était encore un peu floue, mais Thomas sentit qu’on lui libérait également le bas du corps. Il constata ensuite qu’il avait changé de pièce. Celle-ci était également blanche, mais plus petite et avec une table près de lui.
L’homme lui faisant face tendit un verre d’eau qu’il s’empressa de prendre.
— Bonjour Tanneguy, je suis votre pacificateur d’esprit, monsieur L’Hermite. Je suis là pour m’assurer que votre réadaptation se fasse bien.
— Non mais vraiment, il-y-a méprise, je le dis depuis tout à l’heure. Je m’appelle Thomas.
L’homme devant lui garda le silence quelques secondes.
— C’est normal ce qui vous arrive. C’est très courant lors d’un réveil.
— Un réveil ?
— Tanneguy, vous avez été condamné pour trahison envers notre Mère Planète.
— Je le répète, je m’appelle Thomas, rétorqua le jeune homme en rendant le verre d’eau à son interlocuteur.
— Votre vrai prénom est Tanneguy et les anciens vous ont condamné à l’illusion. Thomas n’a existé que dans votre tête et vous n’avez jamais bougé d’ici, annonça froidement son interlocuteur, tout en saisissant le verre.
— Qu’est ce que c’est que ces conneries, une caméra cachée ? s’énerva Thomas en essayant de se lever du fauteuil.
— Je ne sais pas ce qu’est une caméra cachée, mais je suis justement là pour vous aider à reprendre de bons repères dans notre société. Et surtout vous devez rester calme ou bien mes deux amis ici présents se chargeront de le faire pour vous, finit L’Hermite en désignant du doigt deux hommes au fond de la pièce.
Thomas comprit alors qu’il devait changer de tactique.
— Vous dites que j’ai été condamné à l’illusion ? demanda-t-il.
— C’est cela, l’illusion du XXIe siècle. Le temps où nous étions encore des barbares, irrespectueux de notre Mère Planète. Avoir l’impression de vivre là-bas a été votre punition. Pendant un an.
— Un an ? En quelle année sommes-nous maintenant ? interrogea Thomas.
— Oui, un an d’hibernation en quelque sorte. Pour les crimes les plus graves, les illusions sont poussées à trois ans au moyen-âge.
Actuellement, Nous sommes dans la centième année d’amour de notre Mère Planète.
Thomas resta silencieux.
— Si l’on reprenait le calendrier archaïque des barbares, nous serions en 2200.
Le jeune homme ouvrit la bouche, mais aucun son ne put sortir suite à cette nouvelle. Voyant sa détresse, L’Hermite reprit :
— Les anciens vous laissent une seconde chance, c’est merveilleux.
— C’est cela oui. Qui sont ces anciens exactement ?
— Bien. Vous reprenez des forces on dirait. Je vais montrer quelque ch…
L’homme ne finit pas sa phrase, car une femme entra dans la pièce. Vêtue en blanc, elle n’adressa la parole à personne et se retroussa les manches.
— Ah oui, la ponction, nota L’Hermite.
— Quelle ponction ? s’inquiéta Thomas.
Son interlocuteur et la femme se regardèrent. Elle soupira.
— Maudit revenant, maugréa-t-elle.
Sans délicatesse, elle prit le bras de Thomas et se munit d’une seringue.
— Attendez, mais qu’allez vous faire, je ne veux pas, protesta le jeune homme.
— L’ancienne méthode, vraiment, vous n’avez pas honte ? s’indigna L’Hermite.
— Ordre d’en haut, se justifia la femme.
Thomas la poussa alors d’un violent coup de pied et bondit du fauteuil. L’Hermite était si stupéfait qu’il ne bougea pas, à l’inverse des deux autres hommes qui tentèrent de l’attraper, mais il était redevenu rapide. Thomas parvint à atteindre la porte de sortie et s’engouffra dans un long couloir au bout duquel se trouvait une autre porte. Il entendit cette dernière se déverrouiller, alors, il s’engouffra dans le passage, bousculant ainsi la personne prête à entrer et arriva dans un énorme hall vitré. Tout autour de lui, se dressaient d’énormes building de verre. A chaque palier se trouvaient des jardins suspendus regorgeant d’une nature luxuriante. Ces constructions étaient en cercle autour d'une place avec en son centre un énorme chêne.
Entre deux immeubles, Thomas pu aussi voir une sorte de tube positionné à l'horizontal et qui semblait faire le lien entre chaque structure.
Cela ne ressemblait à rien de ce qu’il avait pu voir jusqu’à lors. Il en resta pétrifié, où était-il ?
Ses questionnement laissèrent le temps à ses poursuivants de le rejoindre et il fut plaqué au sol puis ramené dans la pièce initiale. Là, l’infirmière lui fit une prise de sang, sans ménagement.
— Où sommes-nous monsieur L’Hermite ? C’est un cauchemar, je vais me réveiller, supplia le jeune homme.
— Vous venez de vous réveiller, au contraire, ici c’est le progrès, l’avenir et surtout, l’harmonie avec notre environnement. Vous êtes dans la cité des vents, répondit l’homme.
— Je n’appartiens pas à cette cité, laissez-moi repartir, supplia Thomas.
— Tanneguy, vous êtes né ici, vous ne vous en souvenez pas, voilà tout. Vous allez très vite réaliser votre chance d’avoir été sorti de l’illusion, comme bien d’autres avant vous. Laissez-moi vous aider, je suis là pour cela. Je vais vous expliquer notre fonctionnement et vous allez vite vous réinsérer.
— Pourquoi cette prise de sang ?
— Pour vérifier que tout va bien.
— Qu’ai-je fait de mal pour être condamné ?
— Je n’ai pas accès à cette information.
— Menteur, grogna Thomas en tentant de se défaire de ses liens.
— Si vous le prenez ainsi… Sédatez-le, ordonna L’Hermite aux deux gardes près de lui.
— Non, non, non, hurla Thomas tout en essayant de résister à ceux qui le maintenaient pendant que l’infirmière lui faisait une injection.
Mais c'était trop dur, il perdit connaissance, encore.