Chapitre 1. Le voyage tant attendu

Par Yuneya

Onze ans plus tard…
— Tu es sérieuse ?! — s’exclama Clara en posant brusquement sa tasse sur la table, faisant frissonner le liquide qu’elle contenait.
Sara leva les yeux au ciel, s’appuyant sur la table de ses coudes.
— Mais, qu’est-ce qui ne va pas encore ?
— Tu sais que je ne peux pas la laisser partir, — la voix de Clara tremblait. — Ce n’est pas une simple promenade ! C’est trois semaines dans l’océan ouvert !
— Clara, pour l’amour du ciel ! — s’exclama Sara en gesticulant. — Tia n’est plus un enfant ! Elle a presque quinze ans !
— Et alors ? L’âge ne la protégera pas si quelque chose se passe…
Sara se renversa avec irritation dans le dossier de sa chaise.
— Oh, combien de temp encore, vais je entendre la meme chose ? « Si quelque chose se passe, s’il y a une tempête ! » Tu vis dans cette peur depuis deux ans Clara !

Clara se tendit.
— Tu ne comprends pas…
— Je comprends tout, je compatis pour ce qui est arrivé à Patrick, mais, Clara, tu ne peux pas la garder enfermée dans une bulle de verre éternellement. — Écoute, tu recevras régulièrement de nos nouvelles, — poursuivit Sara pour la convaincre, — nous sommes au vingt et unième siècle, quand même ! Je fais des voyages d’affaires sur ce paquebot depuis cinq ans, naviguant ici et là, et, comme tu le vois, je suis toujours en vie.

L’argument de sa sœur semblait irréfutable, mais la décision n’était pas facile à prendre.. D’un côté, les rêves de sa fille, de l’autre, ses propres peurs. Clara n’avait d’autre choix que d’admettre que sa sœur avait raison.
— D’accord, comme tu veux ! — dit-elle en fronçant les sourcils, — Par contre ! Tu me promets que tu assurera avant tout sa sécurité absolue et que tu resteras toujours près d’elle. Si jamais je perds le contact avec vous, sache que je soulèverai tout Marseille en armes, et toi ensuite ! Au sens littéral du terme !
— Je suis au courant, tu n’as pas besoin d’entrer dans les détails ! — répliqua Sara, visiblement agacée.
— Et encore, — ajouta Clara, — ne surcharge pas ma fille de travail ! Les vacances d’été doivent rester quand meme des vacances !
— Ne fais pas de moi un monstre, pour l’amour de Dieu ! — s’exclama Sara, vexée.

Pendant ce temps, Tia, qui écoutait en secret derrière les portes du salon, ressentait une pointe de honte face à cette affaire, mais ne pouvait s’empêcher d’être prête à intervenir si jamais la tante échouait à convaincre sa mère. Cependant, en réalisant que tout s’était déroulé comme il se devait, elle comprit qu’elle devait se réjouir. Elle devrait bondir de joie, et pourtant, la grande et élancée fille aux cheveux châtain foncé, coupés en carré se regardait dans le miroir, serrant fermement la chaîne autour de son cou et faisant lentement tourner un petit médaillon en forme d’étoile blanche aux reflets chatoyants. Quelque chose comprimait sa poitrine.

Elle s’approcha de la fenêtre, le regard perdu sur l’horizon. Là-bas, bien au-delà de sa maison, s’étendait la mer. Profonde. Sombre. Comment ne pas éprouver de crainte en s’aventurant là où son père avait disparu ?
Tia inspira profondément. Elle ne le dirait ni à sa mère ni à sa tante. C’était sa peur, et elle la vaincrait elle-même.
— Je vais y arriver, — murmura-t-elle.
Pourtant, ses doigts tremblaient lorsqu’elle lâcha le médaillon. Tia, après tout, n’avait jamais navigué sur l’océan ouvert ; elle n’avait même jamais pris le large sur une simple barque.

Malgré l’ancienne croyance selon laquelle la présence d’une femme à bord porte malheur, son père avait promis, pour l’avenir, de l’emmener sur son navire. Mais, comme il s’avéra, pour provoquer un naufrage, la présence d’une femme n’était pas nécessaire. Tia refusait encore d’y croire. L’épave du « Horizon » et son capitaine n’avaient jamais été retrouvés. Et peu importait que deux ans se soient écoulés ! Elle croyait fermement qu’elle le reverrait et qu’ensemble, ils vogueraient encore sur les mers. Seul un problème subsistait : Tia dissimulait soigneusement sa peur de l’eau, et cette phobie, hélas, ne cessait de grandir depuis la disparition de son père.

Chaque fois qu’elle se trouvait près de la mer, son cœur battait plus fort et ses mains devenaient moites. Tia en avait assez de ces sensations et savait pertinemment qu’il était temps de faire quelque chose. Elle devait se rendre dans un lieu où elle pourrait vaincre sa peur et, bien sûr, quoi de mieux qu’un véritable voyage de croisière ? Elle n’en parlerait ni à sa mère ni à sa tante, de peur que son rêve de croisière ne s’évanouisse. Ses amies la traitaient d’imprudente : « Quel genre de rêve est-ce que de vaincre ses peurs ? Qui se jette dans le danger ? » Mais, malgré leur avis, Tia était persuadée que c’était le meilleur remède, et sa tante était exactement la personne qui ne lui laisserait aucune minute pour céder à la peur.

A vrai dire,Il y avait encore une autre raison...

Même s’il est insensé de croire aux contes de fées… Tia désirait ardemment se rapprocher de son père – on dit que la mer écoute, qu’elle est vivante. Peut-être lui révélera-t-elle quelque chose à son sujet… Il semble qu’elle ait pris trop à cœur l’une des histoires qu’elle avait récemment lues, celle d’une petite fille qui se transforma en monstre marin en croyant en ces merveilles, avant de disparaître soudainement. On raconte que cela s’est réellement produit, et la dernière fois qu’on la vit, c’était près du rivage, il y a une dizaine d’années, comme si, de temps à autre, elle revenait jeter un regard nostalgique sur sa maison natale. Cette histoire avait profondément ému son âme. Peut-être parce que cette fillette avait été contrainte de vivre une vie qu’elle n’avait pas choisie, ou peut-être parce qu’elle lui ressemblait, très probablement parce qu’elle avait perdu ses proches et rêvait de les retrouver, tout comme Tia espérait revoir son père… et pourtant, croire aux contes de fées reste insensé ! — se répétait-elle inlassablement.

Pendant que les sœurs discutaient des détails des préparatifs du voyage autour d’une tasse de thé vert parfumé, Tia aperçut une nouvelle brochure sur la table. Des lettres dorées sur la couverture brillante proclamaient : « Nous vous invitons à un voyage de croisière à bord du plus grand paquebot, ‘La Perle’ ». La fillette aimait étudier toutes les brochures de croisière de A à Z que leur apportait la tante chaque année, surtout pour leurs thèmes variés qui changeaient à chaque fois. Aujourd’hui, en parcourant le programme, Tia fut agréablement surprise. Cette année, sur le paquebot, se tiendrait pour la première fois un événement unique et de très grande envergure, qui, semble-t-il, ne se reproduira probablement plus jamais.

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