Un voile sombre du ciel nocturne, parsemé de myriades d’étoiles scintillantes, s’étendait au-dessus d’une paisible bourgade côtière. Une brise fraîche agitait doucement les rideaux aux fenêtres, apportant avec elle l’odeur saline de la mer et le murmure des vagues. En ces instants, il semblait que le monde tout entier s’était figé dans une sérénité absolue, et rien ne pouvait troubler cette idylle, si ce n’est le doux clapotis de l’eau. Le long du rivage, telles des lucioles, des lueurs scintillaient dans de douillettes chaumières. Personne ne se doutait que, pour une jeune fille paisiblement endormie dans l’une d’elles, le Destin tissait déjà sa toile fantasque, prêt à changer sa vie à jamais.
L’heure du déjeuner était son moment préféré. Comme à son habitude, Alice se tenait sur le seuil de sa petite maison en bois, attendant avec impatience son père. Il ne manquerait pas d’apparaître sous peu pour lui apporter quelque chose d’intéressant, car il n’était jamais revenu sans un cadeau et une nouvelle histoire fascinante — tantôt amusante, tantôt effrayante, parfois absurde — mais elle les attendait comme un miracle. «La mer est vivante, — disait-il souvent, — il suffit juste de savoir l’écouter». Et Alice écoutait, absorbant chaque mot de son père comme une éponge, lorsqu’il la conduisait vers le littoral.
Thomas aimait faire des petits cadeaux à sa fille. La dernière fois, il lui avait offert des coquillages d’une beauté extraordinaire, et dans l’un d’eux, la fillette avait découvert une petite perle. Et il y a une semaine, il était revenu avec un petit anneau orné d’une pierre de la couleur d’une vague marine.
— On ne peut obtenir cela qu’en le rachetant à l’océan pour sa princesse, dit-il avec un sourire.
Enfin, elle le vit : Thomas revenait par le chemin habituel, coiffé de sa casquette de pêcheur favorite. Mais quelque chose n’allait pas. Il ne marchait pas d’un pas lent, mais presque en courant, le visage rayonnant de joie, et il tenait dans ses mains un petit seau d’eau ainsi qu’un panier en osier usé, rempli de poissons. En entrant dans la maison, il déposa soigneusement toutes ses affaires sur le sol et serra sa fille contre lui. Ses yeux brillaient.
— Alice, où est maman ? Il faut que je lui montre quelque chose d’urgent !
— Il me semble qu’elle est dans la cuisine, répondit la fillette, confuse. — Papa, que se passe-t-il ? Ça va ?
— Oh oui, ma chérie, tout va merveilleusement bien ! Oh, j’ai complètement oublié ! Regarde ce que je t’ai apporté !
Thomas présenta un petit seau qu’il rapprocha d’elle. Alice jeta un coup d’œil à l’intérieur. Au fond, à travers l’eau, elle distingua de minuscules tentacules et les yeux les plus charmants qu’elle ait jamais vus. La fillette voulut y glisser son doigt pour effleurer cette mignonne créature, mais Thomas détourna doucement sa main.
— J’ai oublié de te prévenir, dit-il, «bien que le petit poulpe semble inoffensif, il ne faut pas le toucher». Son dos bleu est le signe certain qu’il est venimeux. Contente-toi d’admirer ton nouveau compagnon de loin.
— Tu veux vraiment que je le garde ? s’exclama Alice, étonnée.
— Oui, pour quelques jours, et ensuite nous le rendrons à l’océan, d’accord ?
Thomas savait que sa fille adorait ses histoires et aimait la mer, même si elle désapprouvait la pêche. Pourtant, pour l’instant, il ne pouvait nourrir sa famille que de cette manière.
— Tu ne croiras pas, mais il s’est lui-même accroché à toi, parole d’honneur ! Je ne l’ai même pas attrapé !
— Comment ça ? demanda la fillette, plissant un œil, incrédule.
— Alors que je relevais les filets, j’ai remarqué qu’un petit poulpe s’était attaché à eux. Je voulais le rejeter à la mer avec une branche, mais il s’était agrippé et refusait de se détacher. J’ai donc décidé d’y insérer la branche dans le seau — c'est seulement à ce moment-là qu'il s'est détaché. Je n’avais jamais vu un truc pareil ! Habituellement, les poulpes sont très craintifs, et celui-ci semblait vouloir être recueilli. J’ai compris qu’il fallait d’abord te le montrer.
— Donc, tu l’as simplement pris, et c’est tout ?
Alice n’en revenait toujours pas.
— Je crois, qu'il savait probablement que tu serais ravie de le voir.
La fillette regarda de nouveau dans le seau. Le petit poulpe paraissait désormais plus calme et la dévisageait avec curiosité.
— Et où allons-nous le garder ? Il a besoin de plus d’espace !
— Ne t’inquiète pas, il y a un tonneau d’eau de mer derrière la maison. On peut le mettre là pour l’instant. Tu sais, dit doucement son père, — je suis sûr que ce petit bout porte chance!
— Pourquoi ? s’étonna Alice.
— Parce qu’il est apparu au moment même où je relevais les filets, et il y avait encore quelque chose de très intéressant.
— Ah bon ? la fillette ne put se contenir. — Raconte vite !
— Tu sauras tout au dîner, sourit Thomas, effleurant délicatement le bout de son doigt sur le nez d’Alice, — et moi, je dois aller voir maman.
Le soir tombait déjà. Thomas avait transféré le poulpe dans le tonneau, et maman avait préparé le dîner pour trois en appelant tout le monde à table. Le chef de la famille décida de commencer la conversation en annonçant une nouvelle réjouissante.
— Mes chères filles, commença-t-il d’une voix légèrement tremblante d’émotion, — aujourd’hui est un jour spécial. Il me semble avoir trouvé quelque chose de précieux. Cette trouvaille pourrait changer notre vie pour le mieux. Si je ne me trompe pas, c’est un artefact très ancien ! Demain, je l’emmènerai pour expertise. Si mes suppositions se confirment, la récompense devrait être, pour le dire poliment, fort intéressante.
Alice n’en revenait pas. Son père avait trouvé quelque chose de vraiment précieux !
— Papa, montre-moi ! s’exclama-t-elle avec impatience.
— Non, ma chérie, répondit doucement maman. — Nous avons décidé qu’il serait plus prudent de cacher la trouvaille jusqu’à demain, avant que papa ne la montre à l’antiquaire. Allons plutôt dîner.
Après le repas, Alice fut très contrariée de ne pas avoir pu jeter un œil à cette chose si mystérieuse. Elle se précipita dans sa chambre. Longtemps, se retournant dans son lit et tentant de trouver le sommeil, elle ne parvenait pas à apaiser son imagination débordante, toutes ses pensées étant tournées vers l’artefact. Elle savait qu’au matin, elle n’aurait plus aucune chance de le revoir — son père partirait bien avant son réveil — sa veut dire que l’unique occasion de l’observer était “maintenant”. Doucement, Alice se leva. Après avoir attendu environ quinze minutes sur l’escalier, elle finit par entendre le ronflement venant de la chambre parentale. Prudemment, veillant à ne faire aucun bruit, la fillette descendit et s’approcha d’une commode. C’était le seul endroit où son père aurait pu poser l’artefact, puisqu’il n’y avait plus d’endroits clos dans la maison, excepté la cuisine. Tirant lentement la porte de la commode, elle s’immobilisa — le vieux bois craqua traîtreusement dans le silence, mais le battement de son cœur semblait promettre de réveiller ses parents plus vite que ce grincement. Dans la lumière tamisée des réverbères qui filtraient à travers la fenêtre, Alice sentit la présence d’un objet enveloppé dans un tissu et l’en retira délicatement. Serrant la trouvaille contre sa poitrine, elle s’assit par terre, posa le paquet sur ses genoux et se tut, écoutant les bruits de la maison. Dans la pénombre, il était difficile de distinguer quoi que ce soit. Mais rien ne pouvait désormais l’arrêter.
Le paquet n’était pas lourd. On y percevait quelque chose de ferme. La fillette commença à dérouler lentement les lambeaux de tissu, un par un. Posant l’étrange objet noir sur ses genoux, — il scintillait magnifiquement sous le clair de lune, lisse et glissant, tandis que sur le dessus se dessinaient les restes d’algues enroulées. Elle fit tourner cette énigmatique babiole dans tous les sens, essayant de comprendre de quel côté elle s’ouvrait, mais en vain. Exaspérée, elle poussa un soupir, et le laissa accidentellement tomber sur ses pieds. À cet instant, à l'intérieur de l'objet, quelque chose fit un déclic et se déplaça brusquement sur le côté. Alice poussa un cri — non pas à cause de la lueur du métal fin qui avait étincelé sous le clair de lune, mais à cause de la douleur. Sa jambe se mit à brûler comme si elle était en feu. La fillette n’eut le temps de rejeter l’artefact de côté et se trouva incapable de bouger. La coupure était minime, et aucun sang ne se voyait, mais la douleur… d’où venait cette horrible souffrance paralysante ?! Horrifiée, Alice fixa ses jambes, tandis qu’en dehors, l’obscurité s’épaississait, les nuages noirs masquaient tout le ciel étoilé et le clair de lune peinait à percer.
Les yeux fermés par la douleur insupportable, elle tenta de respirer calmement… mais, lorsqu’un fort vertige la submergea, Alice s’affaissa sur le sol froid.
Quelques instants plus tard, la fillette ouvrit les yeux, ressentant une certaine faiblesse et une sécheresse dans la gorge. Pourtant, elle éprouvait… quelque chose d’étrange. Il semblait que ses jambes ne lui appartenaient plus, comme s'il y en avait... PLUS ? Sa tête se brouilla, et des taches sombres se mirent à flotter devant ses yeux. Face à cette vision effrayante, elle fut pétrifiée d’horreur, une terreur qui transperça tout son corps — là où devaient se trouver ses jambes, huit longs tentacules luisants, recouverts de minuscules ventouses, se tortillaient. Sa respiration s’arrêta, comme si une main invisible lui avait serré la gorge, et son cœur battait, résonnant de coups sourds dans ses tempes. La panique s’empara d’elle. Le désespoir la submergea en une vague, faisant couler des larmes d’horreur.
En un instant, la douleur explosa en elle comme une vague glacée de terreur.
Elle sentit sa colonne vertébrale se courber, comme si ses os fondaient et se remodelaient. Sa respiration devint saccadée, sa poitrine se serra de peur, et un mot résonnait dans son esprit :
— Non… non, non, non !
La pièce autour d’elle sembla se rétrécir, et l’air se remplit d’un murmure profond, appelant, pénétrant jusqu’au cœur de son esprit.
— Alice…
«J’ai cru entendre», pensa-t-elle, mais bientôt le murmure se fit plus fort.
— Viens à moi… tu es à moi…
Alice ressentit une force irrésistible l’attirant vers la mer, tel un aimant.
Elle tenta de se lever, mais ses nouveaux membres ne lui obéissaient pas. Ses doigts s’allongèrent, et sa peau se couvrit d’une étrange pellicule lisse. Elle ferma les yeux. «Ce n’est qu’un cauchemar. Elle va se réveiller à tout moment», se dit-elle. Pourtant, la douleur brûlante dans tout son corps prouvait que tout était bien réel. Dans la pièce, un fracas se fit entendre — quelqu’un venait de se réveiller. «Les parents !»
D’un ultime effort, elle saisit l’artefact et, sans réfléchir, se précipita vers la fenêtre. Ses nouveaux membres agissaient plus rapidement qu’elle ne pouvait en croire ses yeux. D’un saut brusque, Alice se retrouva sur le rebord, et sans se retourner, elle se jeta dans l’obscurité. Mais, ne remarquant pas un vieux tonneau dans un recoin de la maison, elle heurta ce dernier en se précipitant, le renversant. Le fracas fut semblable à celui du tonnerre, l’eau du tonneau jaillit dans toutes les directions, projetant une petite créature, enroulée, sur l’herbe. Pourtant, Alice n’y prêta aucune attention.
En un clin d’œil, elle se mit à ramper sur le sentier qui menait à l’océan. Quelque part, l’un de ses tentacules continuait de lui brûler intensément. Dans la nuit, en évitant la lumière des réverbères, Alice tremblait de peur ! Elle n’avait pas peur de la nuit, mais était terrifiée par elle-même, espérant que personne ne la découvrirait dehors dans un état aussi affolant. Elle se cacherait derrière l’un des gros rochers du rivage, celui où son père l’emmenait souvent — il n’y aurait sûrement personne à cette heure. Elle attendrait quelques heures, la douleur s’atténuerait, et elle redeviendrait normale, rentrerait chez elle et oublierait tout comme un terrible cauchemar. «Si seulement tout cela n’était qu’un rêve !» traversa son esprit désespéré. — «Mais les rêves ne sont jamais aussi… aussi réels», pensait-elle, serrant l’artefact de plus en plus fort dans sa main.
Alice se dépêchait, mais rampait toujours lentement — chose compréhensible avec de si énormes tentacules ! Cependant, dès qu’elle sentit le sable doux sous ses pieds sur la plage, ceux-ci la portèrent presque d’eux-mêmes. Soudain, elle eut l’impression que quelque chose rampait sur elle, et la panique s’empara encore davantage d’elle. Mais lorsqu’elle vit que le petit poulpe du tonneau s’était accroché à elle, un sentiment de soulagement l’envahit. Se cachant derrière le plus gros rocher qui la dissimulait entièrement, et cherchant à reprendre son souffle, la fillette tenta de se calmer, ne pensant qu’à une seule question : qu’est-il donc arrivé ? Elle n’avait pas encore vraiment compris. Le petit poulpe s’était hissé sur son épaule et l’observait. Alice oublia son petit compagnon durant son chemin, sa gorge étant sèche, et, voyant qu’il se sentait de la même manière, elle décida de faire ce qu’elle devait.
— Il est temps pour toi de rentrer, dit-elle à contrecœur au petit être, — je vais t’aider.
Alice déposa délicatement la créature dans la paume de sa main, la maintenant pour permettre à la vague de reprendre son enfant. Elle ne voulait pas se séparer de cette charmante créature — désormais, elle ressentait en elle un lien particulier, jamais éprouvé auparavant, et semblait comprendre ses sentiments. Il avait perdu sa famille et refusait de s’éloigner, redoutant la solitude.
— Que ferons-nous maintenant ? Sa voix se brisa. — Je ne peux pas revenir… qui m’aidera ? Maman et papa… ils auront peur de moi. Moi-même j’ai peur de ce que je suis devenue ! Des larmes coulèrent sur ses joues. — Et si je restais à jamais un monstre ?
Le petit être, comme pour la consoler, l’enlaça de ses tentacules.
— Je suis avec toi, lui parvint-il.
Soudain, des cris se firent entendre du côté des maisons. Il semblait qu’on la cherchait déjà, voire qu’on l’avait aperçue. Les voix se rapprochaient, et le cœur d’Alice se figea d’horreur. En proie à la panique, scrutant autour d’elle sans savoir où fuir, elle se figea, prête à fermer les yeux face aux réactions des gens… mais soudain, elle entendit de nouveau cette voix douce et envoûtante de l’océan.
«Alice… viens à moi…» murmuraient les vagues. «Ici, tu seras en sécurité. Je te révélerai tous mes secrets… mes trésors.»
— Mais… j’ai peur, murmura-t-elle d’une voix tremblante.
«N’aie pas peur, enfant. N’est-ce pas de cela dont tu as rêvé ? Explorer mes profondeurs, découvrir mes merveilles.»
— Mais… qu’en est-il de papa ? de maman ? Je ne peux pas les abandonner ! Je ne pourrais pas… murmura-t-elle à travers ses larmes.
«Ils ne pourront pas t’aider, Alice… ils ne pourront pas. Seul, je suis le seul à pouvoir t'aider.»
Les voix des gens se rapprochaient de plus en plus. Alice se souvint des paroles de son père : «Écoute la mer — elle est vivante…» Maintenant, elle comprenait cela comme jamais auparavant. Il n’y avait plus d’autre issue : soit on la retrouvait, et elle n’osait même pas imaginer ce qui suivrait, soit elle répondait à l’appel de l’océan, mais alors elle devrait vivre loin de la maison familiale et de ses parents. Les larmes coulaient sans relâche, et son cœur était alourdi par une inquiétude oppressante et une douleur lancinante. Elle n’était pas prête… non, elle ne l’était pas.
— Je… je reviendrai, murmura-t-elle, comme pour se promettre à elle-même et à ceux qu’elle aimait. — Je reviendrai, c’est certain ! Et cet artefact maudit ne fera plus jamais de mal aux gens, je le promets.
Avec ces mots, elle jeta un dernier regard en direction de la maison et aperçut Thomas qui courait en criant le nom de sa fille. Hélas, lorsqu’il arriva à l’endroit où se tenait, à l’instant, sa petite Alice, il ne vit qu’une énorme trace d’une forme inhabituelle, s’étendant dans les vagues froides et agitées de l’océan, tandis que, sur leur surface, quelques tentacules disparaissaient rapidement sous l’eau.
À suivre...
- nous-sommes-nous et des répétitions de ce styles
- des erreurs d'accent
et quelque erreurs de "s" a la fin des mots au pluriel mais j'ai apprécié
venez lire mon livre aussi c'est Les cendres de la rébellion
bisouus