Chapitre 1 - Mise au point

     Dans la région de Zorrèce, chez les Kalokas.

Ce matin au marché du village d’Eybure et comme souvent, tout le monde requerrait l’attention du conciliateur-dynaste. On cherchait à le remercier ou à l’attendrir. On lui offrait quelques produits, lui faisait la discussion. Même si Paskhal Agape était connu pour son jugement impartial, les Kalokas aimaient montrer leur admiration pour leur Élu.

_ Tenez Paskhal, vous prendrez bien un peu de pain que je vous offre de bon cœur ! s’écriait une des marchandes.

Autour de lui, les étals s’étendaient sur l’ensemble de la place centrale jusqu’à l’allée principale bordée de maisons en pierres. Comme chaque samedi, il y régnait une ambiance de fête où la bonne humeur se mêlait aux odeurs sucrées. Les légumes débordaient des tables et les fruits venaient colorer le tableau tandis que les gros pavés irréguliers qui dessinaient le sol demandaient que l’on soit attentif à l’endroit où l’on posait ses pieds.

Habitués, Paskhal et sa famille arrivaient à se frayer un chemin dans ce fouillis. Cependant, bien qu’il fût souriant lors de sa balade, Paskhal était préoccupé. Ses moindres pensées étaient dirigées vers sa fille, Manon. Cela faisait plusieurs jours qu’il voulait avoir une discussion avec elle, mais il avait toujours dû repousser. Paskhal était un Élu qui faisait souvent passer le bien de sa communauté avant le sien ou celui de sa famille, et les dernières affaires qu’il avait eu à traiter en urgence avaient retardé cette entrevue.

_ Après le marché, nous pourrons enfin parler, avait prévenu Paskhal à l’intention de Manon.

Âgé de quarante-cinq ans, l’Élu des Kalokas avait l’esprit vif et le sens de la répartie. Son physique élancé et athlétique faisait encore rougir les femmes. Seuls quelques rides au niveau de ses yeux et des cheveux blancs apparaissant sur sa chevelure de jais, venaient trahir son âge. Ses cheveux arrivant aux épaules, toujours attachés en queue de cheval, et sa barbe naissante contrastaient avec son allure de dandy et d’orateur respecté.

Manon, qui se tenait en fin de cortège, était le contraire de son père. Une fille réservée et solitaire qui préférait avoir la tête dans les livres ou le corps en vadrouille sur sa bicyclette plutôt que de se mettre en avant ou de se mêler des affaires des autres. Pourtant, c’était cela sa destinée. Un jour, bien qu’elle ne le voulait pas, elle prendrait la place de son père. Manon avait déjà seize ans et, même si c’était très rare, comme son père, elle serait l’Élue des Kalokas. Paskhal en était certain, même s’il n’était pas forcément d’accord avec ce choix, il n’y pouvait rien.

C’est un rôle qui aurait surement mieux convenu à ma benjamine, songea Paskhal en marchant près de cette dernière.

Toujours aux côtés de son père, la cadette imitait Paskhal à serrer des mains à tout va. Si Endza ne pouvait être la future Élue, elle souhaitait suivre les traces de son père et devenir conciliatrice. Ses parents avaient approuvé ce choix, elle était faite pour ça. Paskhal pouvait, au moins, se rassurer pour l’avenir de l’une de ses filles. Soucieux, il partagea ses appréhensions avec sa femme qui marchait juste derrière lui.

_ Manon a beau m’adorer et m’admirer, elle ne se confie pas à moi, avoua Paskhal.

_ Notre fille est simplement secrète, met-la en confiance et ça lui passera, le rassura Hestia en souriant aux commerçants qui l’a saluaient.

Très discrète et renfermée, ladite adolescente ne partageait, en effet, ses pensées qu’avec son frère ainé Arthur et sa sœur adoptive Solenne. Physiquement, Manon était un parfait mélange de ses deux parents, hormis ses longs cheveux bruns légèrement bouclés qu’elle n’avait pas hérités d’eux. Elle avait les yeux verts de son père et son physique élancé, mais la peau très pâle et les taches de rousseur de sa mère.

Depuis que son frère s’était marié et avait donc pris son indépendance, il était rare de voir la famille se balader ensemble. Pourtant, en ce jour de marché, ils étaient tous là. Hestia donnait la main à sa fille cadette qui ne cherchait qu’à attirer l’attention des commerçants en battant des cils, tandis que les inséparables Manon et Solenne marchaient loin derrière, très silencieuses. En apparence, seulement. Devant, Arthur et sa femme Marie s’occupaient de leurs jumeaux sans se préoccuper de Paskhal.

_ Je crois que Père va parler à Manon, chuchota Arthur.

_ Il serait temps ! Avec tout ce qu’il se passe à la capitale, elle doit se préparer ! affirma sa jeune épouse en rangeant le contenu de son panier.

L’ainé ne pouvait pas s’empêcher de s’inquiéter pour sa sœur. En effet, bientôt on demanderait à Manon d’être prête à prendre le rôle d’Élu, et Paskhal devait la former pour pouvoir lui céder sa place. Cependant, une fois la transmission faite, leur père éteindrait sa propre énergie et en mourrait, quelques années plus tard, pour que son successeur ait les pleins pouvoirs. Tout cela n’aurait lieu que dans quatre ans, mais Arthur trouvait sa sœur trop jeune pour penser à cela. Il n’avait jamais vu ce rôle comme une bénédiction, mais comme un fardeau. Un poids bien trop lourd qui nécessitait de prendre la vie de leur père pour diriger le peuple.

_ Au contraire, je pense que Manon devrait faire profil bas. Cela fait tant d’années que nous vivons loin des humains. Maintenant que le conseil Ministériel s’intéresse à nos affaires, je ne suis pas sûr que ce soit le bon moment pour ériger une future Élue avec un don si rare, reprit le rouquin tout en se rongeant les ongles.

_ C’est sûr, les humains n’aiment pas les télépathes, mais personne ne sait réellement ce dont ta sœur est capable. Manon n’est peut-être pas si puissante qu’on le suppose, le rassura Marie après avoir inspecté sa liste de course.

_ Si c’est le cas, elle devra se montrer intelligente et ne pas effrayer les humains, plus qu’ils ne le sont déjà. Nous n’avons pas besoin de rentrer en guerre contre eux, ils se méfient déjà assez de nous comme ça.

Son entourage ne connaissait pas vraiment les limites et la portée de ses capacités. Seulement, depuis toute petite Manon possédait un don rare de télépathie. On savait qu’elle pouvait lire les sentiments de son entourage et les influencer, mais rien de plus. Elle, qui était née en décembre, quatre mois après la naissance et l’adoption de Solenne, avait toujours su calmer sa sœur chaque fois qu’elle pleurait. On n’avait jamais connu d’enfants dotés d’autant d’énergie si jeune. À l’époque, Paskhal avait même demandé l’avis de ses confrères. L’Élu des Physés et celui des Hylés avaient alors conclu que Manon serait surement la prochaine représentante des Kalokas. Une énergie si forte avait été ressentie chez cette enfant, qu’ils avaient convenu qu’il fallait veiller avec attention à son développement. D’ailleurs, personne ne savait comment une télépathe pouvait apprendre à se servir de son don si jeune, la maitrise de pouvoir demandant de la maturité.

_ Je n’aurais jamais cru devoir m’inquiéter de la puissance d’un Élu, rajouta Marie.

_ Maintenant que son don a refait surface, mon père va l’aider à l’apprivoiser. Ensuite, au moment de l’intronisation, Manon devra gagner sa place d’Élu sans étaler tout son savoir. Nous n’avons pas besoin d’attirer plus les regards humains sur nous, conclut Arthur en se frottant les cheveux pour évacuer son anxiété.

En effet, les Siréliens, mais surtout les Kalokas, vivaient entre eux depuis près de trois siècles. Or, les relations avec les humains étaient de plus en plus compliquées depuis l’arrivée au pouvoir des derniers ministres. Eux qui tentaient soi-disant de souder les peuples, n’avaient fait naitre qu’encore plus d’oppositions. Pour le bien commun, le ministre de la Protection des peuples et des territoires avait mis son nez dans la politique Sirélienne. Il voulait que les dons soient de nouveau utilisés au service des humains, et cela n’avait pas plus aux Siréliens qui avaient pris depuis bien longtemps leur indépendance. À partir de là, la méfiance régnait entre les territoires et chaque action sirélienne était montrée du doigt avec crainte et mépris.

Manon arpentait le marché en trainant des pieds quand elle repensa à son enfance. Elle revoyait son père tout faire pour la protéger, surtout d’elle-même. Petite, il limitait ses utilisations d’énergies pour qu’elle n’ait pas à pâtir de ce qu’elle ne contrôlait pas encore. En grandissant, l’angoisse de ses parents l’avait poussé à taire ses facultés grandissantes, et elle s’était abstenue de leur confier quoique ce soit sur l’évolution de son don. Depuis ses six ans, elle n’avait donc plus jamais fait de démonstration de son pouvoir. C’était comme si elle avait étouffé au plus profond d’elle. Aujourd’hui, si son père voulait lui parler c’est parce que sa télépathie avait refait surface. Elle, qui regardait de loin les commerçants s’agiter, se sentait étrangère dans cette foule. Heureusement, dans ces moments, la présence de sa sœur était toujours là pour la rassurer.

_ Ne t’inquiète pas. Père ne va pas te gronder, il s’inquiète juste pour toi. Cela fait dix ans que tu n’avais plus montré aucun signe de ton don, c’est normal que vous en parliez maintenant qu’il sait que tu l’as utilisé récemment, la tranquillisa Solenne à travers son telsman tout en ignorant les commerçants qui l’alpaguaient.

_ Personne ne sait réellement de quoi je suis capable, même pas toi ou Arthur, souffla Manon à son tour dans son amulette Kalokas.

En réalité, Manon n’avait jamais totalement arrêté d’utiliser son pouvoir. Par peur et par manque de pratique, elle utilisait sa télépathie que sur ses frères et sœurs et Arthur et Solenne étaient les seuls à en être conscient. Pourtant, souvent, sans le vouloir elle lisait les pensées de toutes les personnes qui l’entouraient, amis ou inconnus. Elle n’aimait pas cela, se sentant coupable et voyeuse, mais n’arrivait pas toujours à ignorer son don. Cependant, elle ne s’était jamais servie de la télépathie pour interagir avec quelqu’un d’autre que Solenne ou Arthur. Depuis ses six ans, Manon avait tout fait pour qu’on oublie qu’elle était télépathe. Jusqu’à la semaine dernière du moins.

_ Tu n’es pas obligé de tout lui dire, surenchérit Solenne.

_ Tu as eu une prémonition, comprit la télépathe tout en croquant dans une pomme qu’on lui avait tendue.

Manon paraissait calme lors de sa balade sur ce marché. Toutefois, son telsman était en pleine discussion avec celui de Solenne. Dans leurs amulettes siréliennes, elles débattaient de la marche à suivre. Comme sa sœur adoptive, Solenne était une Kalokas. Douée de prophétie, elle avait souvent des intuitions qui lui venaient. Elles se manifestaient plus au moins au quotidien, ou lors de rêves dits prémonitoires déclenchés par certaines phases lunaires.  Parfois, c’était des pensées si abstraites qu’elle doutait pouvoir les attribuer à un réel don de clairvoyance. D’autres fois, comme aujourd’hui, Solenne se montrait sure d’elle.

_ J’ai la sensation qu’il faut que tu continues à te cacher encore un peu, même avec Père, déclara Solenne. 

_ Lui non plus ne devrait pas en savoir plus sur mon don ? l’interrogea la brunette, soucieuse.

_ Plus tu développeras tes pouvoirs, plus tu auras des ennuis. En revanche, je ne saurais dire pourquoi, mais j’ai le sentiment qu’une découverte approfondie de ta puissance mettra notre Père dans une position instable, confirma la prophétesse dans son telsman.

_ Je te fais confiance dans ce cas. Je ne l’embêterais pas avec mes tourments, conclut Manon à voix haute cette fois.

Après la discussion avec sa sœur adoptive, Manon se posa seule sur un banc établi à l’écart de la place, à la limite d’un champ. Elle adorait ce paysage. Devant elle, les trois petits monts la regardaient. Recouvertes de bruyère, les Monéyiéres l’apaisaient tandis que derrière elle les commerçants commençaient à débarrasser leurs étals. Elle se retourna pour adresser un au revoir à son frère tandis qu’il regagnait sa maison. À ce geste, elle entendit son père conseiller également aux autres de rentrer pour qu’il puisse lui parler.

Les épaules découvertes de Manon commençaient à rougir sous le soleil de ce début d’été. Il faisait déjà chaud, même en matinée et Manon n’avait pas choisi une place à l’ombre pour se mettre à l’écart. Après un dernier mot d’encouragement de Solenne, Manon prit son courage à deux mains pour inviter son père à la rejoindre sur le banc. Si l’adolescente n’était pas bavarde, elle n’était pas lâche pour autant. Elle devait parler avec son père, et elle le ferait du mieux qu’elle le pourrait. Une fois qu’il eût rejoint sa fille, Paskhal passa son bras sur ses épaules comme pour l’apaiser. Plus jeune, il avait souvent regardé ces montages avec ses enfants, à ce même endroit. Il scruta Manon et son visage tendu, mais avant qu’elle n’ait pu tourner la tête pour le regarder à son tour, le paysage autour d’eux se transforma.

Au milieu de la chaine des trois monts, un grand cratère, mais surtout un grand silence les entourait. Manon s’était figée. Elle se retourna totalement vers son père, mais il n’était plus là. Elle était seule, crispée et soucieuse.

_ Pourquoi tout n’est plus que poussière et fumée ? s’alarma Manon d’une voix empreinte d’anxiété.

Une larme coula sur sa joue, mais elle avait compris. Manon leva les yeux au ciel pour fixer la pluie fine de poussière qui lui tombait dessus. Après avoir fermé les yeux et pris une grande inspiration, elle expira d’un coup tout son souffle.

_ Et tout est redevenu normal, se réjouit Manon en ouvrant les yeux.

_ Décidément ! plaisanta son père dans un rire nerveux de contentement.

Sa fille avait compris et déjoué son charme, et ce plus vite qu'il ne l'avait cru. Paskhal avait le don de créer des illusions mentales sur toute personne qui l’entourait. Seul lui pouvait y mettre fin aisément. Manon avait cependant assez de maitrise pour les comprendre, ne pas paniquer et les arrêter elle-même. C'était signe d'une grande et forte activité cérébrale.

_ Tu n’es pas encore l’Élue, mais si tu peux déjà contrer mon don, c’est que tu seras bientôt prête, constata-t-il fièrement tout en resserrant nerveusement sa queue de cheval pour la énième fois. 

 Paskhal était connu pour son esprit malin et connaissant le tempérament secret de Manon, il était plus simple de vérifier l'éveil de ses pouvoirs en la testant plutôt qu’en lui parlant directement. Manon l'avait compris et même si elle ne voulait pas tout dire à son père, elle ne souhaitait pas non plus faire totalement semblant.

_ Pourquoi me montrer un paysage calciné ? demanda Manon en croisant ses bras sur sa poitrine comme pour se protéger du regard pénétrant de son père.

_ Pas un paysage calciné, ma chérie, répondit-il en regardant droit devant lui cette fois. Mais cette belle région qui subit une guerre.

Paskhal se décida enfin à regarder sa fille avec amour et à lui sourire franchement. En réalité, il avait les yeux brillants et la bouche crispée.

_ Manon, ce n'est pas une prophétie, mais malheureusement, ça reste envisageable.

Il avait beau lire de l’incompréhension sur le visage de sa fille, il se devait de continuer son explication. Après avoir dégluti et pris de profondes inspirations, il se lança enfin.

_ Tu as l'air d'avoir hérité d'un don immense, dont personne même toi ne semble connaitre les limites. Malheureusement, contrairement à il y a trois-mille ans, les humains n'ont plus l'air d'avoir besoin et encore moins l'envie d'être aidé par des Siréliens comme nous, insista Paskhal en lui prenant la main.

Manon regardait son père et le comprenait. Après tout, ce n'était surement pas pour rien que la plupart des Siréliens vivaient loin des grandes villes humaines. Surtout de la capitale. Elle lisait dans l'esprit de son père une peur très profonde qui la fît douter de sa capacité à le succéder. Cependant, son père n’avait pas fini de lui parler.

_ Ta mère me l'a dit, elle t'a senti dans son esprit quand tu as voulu la rassurer sur ton envie de partir continuer tes études à la capitale pour devenir professeur. Tu n'as pas utilisé les telsmans pour y parvenir, mais bien ton don de télépathie, conclu Paskhal en resserrant ses doigts sur ceux de sa fille.

C'était vrai, Manon s'était trahie avec sa télépathie. Elle aurait préféré continuer à se cacher et était déçue de s’être montrée imprudente en voulant rassurer sa mère. Quand elle avait annoncé qu'elle voulait devenir professeur pour tous et pas que pour des Siréliens, Hestia s'était effondrée. Savoir que sa fille, si sauvage et précieuse, voulait voir du pays et même étudier à la capitale était trop pour elle.

Hestia pouvait lire le passé de tous les objets et des personnes qu'elle touchait. Le passé uniquement. Toutefois, ça lui avait suffi pour voir suffisamment de gênes, d'incompréhension et d’intolérance chez les humains et savoir que la place de Manon n'était pas avec eux. Elle qui avait dû remonter le passé d’objets leur appartenant, principalement pour aider sur des enquêtes, avait lu leur xénophobie. De nos jours, beaucoup d’humains détestaient les Siréliens et souvent les Kalokas arrivaient en tête de liste.  Cependant, quand Manon voulut rassurer sa mère, Hestia avait senti sa peur s'envoler d'un coup. Puis les paroles de sa fille avaient résonné en elle. Elle s'était tournée vers elle et avait su. Ses pouvoirs avaient muri et elle devait prévenir son mari.

Ne t’inquiète pas, j'ai toujours été prudente. Je n'utiliserai aucun don sirélien en présence d’humains, avait soufflé Manon à sa mère, oubliant ainsi de cacher sa télépathie.

Manon cherchait ses mots, mais elle ne pouvait leurrer son père indéfiniment. Il en savait déjà trop pour qu’elle puisse feindre la surprise et l’incompréhension. Devant le fait accompli, elle devait assumer son erreur.

_ Oui, papa, se décida à répondre Manon. Je peux lire dans les pensées et comprendre vos troubles, rien de plus.

Manon mentait cependant. Elle pouvait agir sur les émotions et parfois même contrôler la décision ou le mouvement d'une personne. Toutefois, comme elle n'avait réussi que sur ses frères et sœurs, elle se gardait de le dire. Elle ne voulait pas effrayer ses parents d’avantage.

_ Tu as un don d’illusionnisme bien plus important que ma télépathie et tu as toujours su en tirer profit contre les humains, se défendit Manon avec agacement face au mutisme de son père.

_ Manon, je l'ai développé à mes vingt ans et j’avais été formé pour cela. Toi tu n'avais même pas un an que tu contrôlais déjà l'esprit de Solenne. Aujourd'hui, tu arrives à détecter mes illusions ainsi qu'à les briser sans aucune de mes leçons. Nous supposons aussi que tu as d’autres dons, depuis que ta petite sœur, Endza, nous a dit t'avoir vu bouger un objet par la pensée il y a maintenant dix ans, s’alarma Paskhal en resserrant encore son catogan nerveusement.

_ C'était faux ! s'insurgea Manon. Je ne suis pas télékinésiste, j'entends juste les pensées des personnes qui m'entourent. Quant à prendre le pas sur tes illusions peut-être oui, mais il était aussi facile de se douter que tout ne pouvait pas être réduit à l’état de cendres en quelques secondes sans explication.

Devant le regard réprobateur de son père, Manon rajouta un dernier commentaire.

_ Puis je n'ai jamais réellement su lire dans tes pensées. Tu m'es presque toujours opaque, au mieux trouble, chuchota l’adolescente en prenant sa tête entre ses mains.

Enfin, Paskhal obtenait ce qu’il avait voulu. Sa fille avait fait un pas vers lui. Maintenant, il était certain que le don de télépathie de Manon n’avait jamais cessé. Son pouvoir était là, à la surface et il ne demandait qu’à être pris en main. Paskhal hésitait à continuer cette discussion. Il ne savait pas quoi lui répondre, mais il se força à poursuivre bien que sa voix trahît sa nervosité. 

_ Je suis ravi que tu te confies enfin à moi, Manon. Tu n'as pas encore totalement développé tes pouvoirs en effet, je peux le sentir, mais il ne faut pas que tu le fasses. Pour le moment, c'est mieux ainsi. Plus tard, tu le feras de manière subtile, la rassura Paskhal.

Manon acquiesça. Elle n'aurait pas pensé être sur la même longueur d'onde que son père. Il n'avait plus l'air d'avoir peur. Or elle s'était toujours souciée de ne pas l'inquiéter. Comme elle, il voulait prendre son temps avec son rôle d'Élu.    

_ Je ne souhaite même pas devenir l’Élue, avoua la télépathe en triturant ses doigts nerveusement.

_ Parce que tu as peur de la fonction ? s’enquit avec émotion l’illusionniste.

_ Quand je serais intronisée, je devrais prendre ta place et donc, au fur et à mesure, ta vie. Je n’en ai pas envie, souffla Manon comme si cet aveu lui pesait depuis longtemps.

_ Oh, ma fille, je n’en suis pas ravie non plus, mais c’est ainsi, chuchota Paskhal en remettant les mèches de cheveux de sa fille derrière son oreille d’une main tremblante. Il te faudra rester discrète. En dehors de notre famille, personne ne doit savoir pour la croissance de ton don. On va travailler ensemble, en secret, pour découvrir l'étendue de ton pouvoir. Je le garderai pour moi, reprit le père ému.

Manon fronça les sourcils, elle n'avait aucune envie d’accroitre ses pouvoirs. Encore moins devant son père. Paskhal lut, là encore, le mécontentement sur son visage, mais il se devait d’insister.

_ Je ne veux pas que tu développes tes pouvoirs. Cependant, il faut les connaitre pour qu'on puisse cacher leur puissance lorsque la cérémonie des Élus viendra.

Son père avait raison. Manon voyait son don un peu comme un ennemi et il valait mieux bien connaitre ses adversaires.

‘‘Telsmans : Amulettes Siréliennes faites de métaux et de pierres semi-précieuses. Ce sont avant tout des connecteurs de pensées. Ils différencient les Siréliens des Humains en symbolisant l'énergie divine donnée par Namon, la mère fondatrice du Nouveau Monde. Ils servent à canaliser les pouvoirs, mais aussi à interagir entre toutes les personnes dotées de dons, comme un lien télépathique. Depuis leur création, chaque Siréliens en reçoit un à sa naissance. Chaque telsman est propre à son propriétaire et sa pierre se connecte automatiquement à lui, une fois la mise en contacte faite. La pierre et le métal utilisés représentent une famille de pouvoir précis. Le jaspe rouge et l'argent sont attribués à la famille des Physés. Ce clan est doué de guérison et maitrise la nature. Un telsman fait de cornaline orangée et d'acier représente le peuple des Hylés. Eux sont pourvus de pouvoirs de magnétisme et de fusion. Enfin, les Kalokas qui possèdent des capacités physiques et psychiques extraordinaires arborent des amulettes faites d'or jaune et de topaze impériale de la même couleur.  Quand un enfant nait de parents de deux tribus siréliennes différentes, on lui propose en telsman les deux choix possibles de famille de don. Son appartenance à l'un des peuples sera alors dévoilée par sa connexion à l'une des pierres. L'enfant aura donc hérité soit des dons de la famille de la mère, soit de celles du père.’’ 

Extrait d’une leçon sirélienne, inculquée en élémentaire.