Le désert s’étendait à perte de vue, un océan de dunes uniformes et trompeuses. Chaque crête balayée par le vent ressemblait à la précédente, et Zia sentait le doute s’insinuer en elle. Était-elle toujours sur la bonne route ? La chaleur l’écrasait, pesant sur ses épaules comme un manteau de plomb. Son souffle était court, sa gorge, râpeuse, et la douleur lancinante de sa jambe blessée la forçait à s’agripper au cou de Kamel pour ne pas glisser.
Devant elle, le prince inconscient pesait lourd, son corps ballottant au rythme des pas du chameau. Il était froid sous ses doigts, malgré le soleil accablant. Plusieurs fois, elle posa une main sur sa poitrine pour s’assurer qu’il respirait encore.
— Si tu crèves maintenant, tout ça aura été pour rien, murmura-t-elle d’une voix rauque.
Mais seul le silence lui répondit.
Un vertige la saisit. L’angoisse s’infiltrait en elle, plus insidieuse que la chaleur. Et si elle tournait en rond ? Elle n’avait jamais eu à retrouver son chemin seule dans ce désert impitoyable. Son regard erra sur l’horizon brûlant, cherchant un repère, une irrégularité dans cette mer de sable infinie.
Elle déglutit avec difficulté et fouilla dans la sacoche attachée à la selle. Ses doigts rencontrèrent le cuir rugueux de sa gourde. Elle la porta à ses lèvres et avala une gorgée d’eau tiède au goût de cuir tanné. Désagréable, mais vital.
Hésitante, elle versa quelques gouttes sur le visage du prince. Aucune réaction.
— Ne me lâche pas maintenant.
D’une pression sur sa mâchoire, elle entrouvrit ses lèvres et y fit couler un filet d’eau. Il en avala un peu, le reste glissant le long de son cou. C’était mieux que rien.
Elle rangea la gourde et se remit en marche, les paupières lourdes.
Puis, un détail capta son attention.
Un rocher noirâtre, à moitié enseveli sous le sable, se dressait à quelques dizaines de mètres. Son cœur rata un battement.
Elle le connaissait.
Le choc fut si brutal qu’elle crut un instant rêver. Mais non. C’était bien lui. Ce rocher marquait l’entrée du bouclier magique qui protégeait Taniar des regards extérieurs.
Un souffle tremblant lui échappa.
— J’y suis…
Elle donna un léger coup de talon à Kamel, qui avança sans hésiter. Devant eux, l’air ondula imperceptiblement. Seuls ceux qui connaissaient l’existence du bouclier pouvaient percevoir ce frémissement ténu, ce voile invisible séparant leur monde du reste du désert.
Elle s’y engouffra.
À peine eut-elle franchi la barrière qu’une violente décharge magique parcourut le corps du prince.
Zia sentit un choc traverser ses bras là où elle le tenait. Une sensation de brûlure lui remonta le long des muscles, lui arrachant un cri de douleur. Ses doigts se crispèrent sur lui par réflexe, mais la puissance du sortilège les força à lâcher prise.
Le corps du prince fut secoué de spasmes incontrôlables. Il glissa brutalement de la selle et tomba lourdement sur le sol derrière elle, juste à l’endroit où l’onde invisible du bouclier frémissait encore.
Zia tira aussitôt sur les rênes de Kamel, stoppant leur avancée. Son regard affolé se posa sur le prince, à moitié enseveli dans le sable, immobile.
Un crépitement bleuté courait encore sur sa peau, s’éteignant peu à peu.
Elle comprit aussitôt : le bouclier ne le reconnaissait pas.
Seuls ceux qui portaient le sang des habitants de Taniar pouvaient franchir la frontière en toute sécurité. Les autres, eux, étaient rejetés sans pitié… ou tués sur le coup.
Son cœur battait à tout rompre tandis qu’elle le fixait, allongé là, son corps tordu dans une position inquiétante. Il ne bougeait plus.
Un soupir agacé lui échappa.
— Là, c’est certain, il est mort, lâcha-t-elle avec sarcasme.
Mais un goût amer lui restait en bouche.
Laisser son corps ici était hors de question. Un cadavre aux portes de Taniar ne ferait qu’attirer des ennuis.
Elle n’avait pas le choix.
Dans un effort surhumain, elle glissa au sol. Dès que son pied toucha terre, une douleur fulgurante irradia sa jambe blessée. Elle serra les dents, s’accrochant à Kamel pour ne pas s’écrouler.
— Fais chier !
Elle arracha son bandage d’un geste sec. Le tissu était poisseux de sang, et sa blessure la lançait atrocement. Ignorant la brûlure, elle porta ses doigts à sa jambe et ensuite ceux ci teintés de rouge au visage du prince, traçant des marques irrégulières sur sa peau livide. Puis, méthodiquement, elle imprégna ses mains du même sang avant d’enrouler son bandage imbibé autour de son torse.
Le sort du bouclier reposait sur la reconnaissance du sang. Cela suffirait-il ?
Elle expira lentement, espérant que oui.
Ses gestes étaient devenus lents, incertains. L’épuisement la rongeait. D’une main tremblante, elle chercha dans une sacoche et en sortit une corde. D’un nœud rapide, elle attacha solidement les chevilles du prince à la selle de Kamel. Elle n’avait plus la force de le hisser sur l’animal. S’il survivait, il s’en remettrait.
Elle caressa le flanc du chameau.
— Avance, souffla-t-elle.
Kamel obéit, franchissant la barrière d’un pas mesuré.
Le prince ne fut pas rejeté. Son corps inerte glissa sur le sol rocailleux, rebondissant mollement à chaque aspérité du tunnel sombre qui menait à la ville. Zia ne s’en préoccupa pas.
L’obscurité du passage la fit frissonner. L’humidité contrastait brutalement avec la chaleur du désert, et l’écho des pas de Kamel résonnait contre les parois de pierre. Elle luttait pour rester consciente, chaque seconde alourdissant ses paupières.
Puis enfin, une lueur au bout du tunnel.
L’ombre recula, dévoilant un paysage familier.
Zia leva les yeux.
Taniar.
Les tours de pierre aux reflets dorés. Les ruelles animées. L’agitation du marché, les odeurs d’épices et de pain chaud…
Chez elle.
Un souffle tremblant lui échappa. Ses doigts lâchèrent la bride, son corps se relâcha.
— Taniar…, murmura-t-elle.
Ses paupières se fermèrent, et elle sombra dans l’inconscience.
Du coup, j'ai pas forcément de commentaire très pertinent à faire cette fois-ci, mais je vais quand même faire un petit coucou : j'ai trouvé que la phrase « un océan de dunes uniformes et trompeuses » était bien tournée (ça caractérisait bien les dunes) et le fait que Zia ait dû ruser un peu pour rentrer à Taniar (le contraire aurait été trop facile).
hâte de lire la suite ~