Chapitre 11

Par Notsil

La rivière n’était qu’à quelques minutes de vol, même si Nicoleï n’était pas sûr que le terme rivière soit approprié. Une rivière était facilement enjambable, non ?

— Les torrents sont plus petits, expliqua Axel. La rivière se jette dans un fleuve, et le fleuve dans la mer. Franchement, tu ne sais pas ça ?

Nicoleï lui coula un regard noir avant d’ôter sa veste.

— Tout le monde n’est pas « monsieur je sais tout », marmonna-t-il entre ses dents.

La plaine herbeuse se bordait d’un talus à l’approche des berges ; une plage de galets en facilitait l’accès. L’eau paraissait calme.

Nicoleï termina d’ôter son pantalon et se retrouva en sous-vêtements. Il frissonna. Le climat de Niléa était plus doux que celui de Massilia, pour un début d’automne, néanmoins il restait frais pour la saison.

Il s’approcha avec précaution de l’onde. Pas de mousse visible, a priori. Le courant devait être plutôt rapide. Méfiant, il ramassa une branche et la lança, avant de la suivre du regard. Ses impressions se confirmèrent. Bon, il lui faudrait être prudent, et ne pas s’aventurer là où il n’avait pas pied. Il aurait préféré connaitre la profondeur de la rivière, savoir s’il pouvait traverser sans se mouiller les plumes, mais il n’était pas vraiment là pour ça.

Axel s’était approché.

— Tu ne me fais pas confiance ? lança Nicoleï.

— Je ne connais pas les lieux. Je préfère rester sur mes gardes.

Nicoleï ricana.

— Si près d’une ville ?

— La ville a une enceinte de protection, objecta Axel.

Nicoleï haussa les épaules, fit un pas en avant. Par Eraïm ! L’eau était glacée. Enfin, il n’aurait pas besoin de se tremper entièrement, s’il s’agissait juste de rincer sa veste. Laquelle était restée bien loin. Il pinça les lèvres.

Maitre Kenog ne leur avait-il pas conseillé – ordonné – d’utiliser leurs pouvoirs au maximum ? Alors Nicoleï se concentra, tendit une main vers le tas de vêtements, visualisa qu’ils venaient dans sa direction. Un vent léger ébouriffa ses cheveux blonds, mais les vêtements ne bougèrent pas.

Alors il se concentra davantage, mobilisa toute sa volonté et son énergie. Par Eraïm, pourquoi ça ne marchait pas ?

Et puis soudain il reconnut cette énergie qui parcourait ses veines ; le linge bondit dans le ciel, explosa dans un tourbillon de vent, s’éparpilla en retombant sur le sol.

Axel éclata de rire. Furieux, Nicoleï lui envoya une bourrasque qui le fit tituber. La joie d’avoir réussi fut contrariée quand il aperçut son compatriote irrité à son tour. Un souffle de vent le bouscula ; Nicoleï fut contraint de reculer. Son pied glissa sur une pierre : il agita vainement les bras pour retrouver son équilibre, en pure perte.

La morsure de l’eau glacée le saisit et il hoqueta. Paniqué, il bondit hors de l’eau, chercha à s’envoler avant de réaliser que ses plumes trempées rendaient tout vol impossible. À quatre pattes, il pataugea jusqu’à la rive, sa poitrine se soulevant à un rythme effréné alors qu’il claquait des dents.

Axel s’élança vers lui, se confondit en excuses, le tira sur l’herbe. Incapable de parler, Nicoleï ne sentait que le froid qui l’envahissait.

— Je vais faire un feu, tu es glacé !

Axel agita les mains, et des flammes réconfortantes montèrent bientôt de l’herbe – en même temps qu’un épais nuage de fumée noire. Nicoleï se décala pour ne pas respirer la fumée et tendit les mains vers la chaleur.

Petit à petit, ses tremblements cessèrent.

— Merci, articula-t-il.

Axel se laissa tomber près de lui avec un soupir.

— Le Vent me glisse entre les doigts. C’est tellement frustrant !

— Il m’obéit mieux si j’agis par instinct, dit Nicoleï. Mais je dois réfléchir et du coup… rien ne va. Attends… où sont mes fringues ?

Axel eut un vague geste de la main.

— Quelque part en aval.

— Eraïm ! Pourquoi n’es-tu pas allé les récupérer ?

— Parce que tu grelottais ? rétorqua Axel, acide. Dès que tu te sentiras mieux…

Nicoleï se redressa avec effort, se remit debout tout en frictionnant ses bras.

— Prends ma veste, proposa Axel.

Nicoleï faillit refuser puis se ravisa. L’air était plus frais, en altitude. Il s’habilla rapidement, conscient qu’Axel brûlait de prendre les airs.

— Survolons la rivière, nous devrions trouver des traces, proposa Nicoleï.

— Espérons que tout n’ait pas été entrainé sur le fond, surtout.

Axel étouffa les flammes et Nicoleï envia sa maitrise. Pourquoi ne contrôlait-il pas le Vent aussi bien ?

Les regrets ne le mèneraient nulle part. Il prit les airs à sa suite, s’efforça de ne pas songer à quoi il ressemblait. Voler en sous-vêtements ! Il redescendit, suivant Axel. Les Massiliens avaient une vue perçante, mais avec la végétation qui envahissaient les herbes par endroit, la visibilité restait faible. Puis Axel pointa le bras. Nicoleï descendit dans une spirale avec douceur, frissonna quand ses pieds nus touchèrent le sol. Pourquoi ses bottes s’étaient-elles aussi envolées ?

Dans un repli du fleuve, au milieu des roseaux, Nicoleï repêcha sa veste et l’une de ses bottes. Il la retourna, déversa l’eau boueuse. Magnifique.

— Tu veux que je te les sèche ? proposa Axel.

Il devait encore se sentir coupable pour offrir ainsi ses services.

— Si tu me les brûles, tu me donnes les tiennes.

— Marché conclu.

Nicoleï essora sa veste un maximum et la confia à Axel, qui venait de faire apparaitre une flamme en main gauche.

— Je vais chercher le reste pendant ce temps.

— D’accord. Sois prudent !

Nicoleï renifla. Il était toujours prudent ! D’un vif battement d’ailes, il gagna les cieux. L’air y était plus frais mais voler était tellement plus agréable que marcher ! Il s’adonna avec plaisir à quelques acrobaties. Enfin seul ! Pas de Messager pour lui dire quoi faire, pas d’Axel pour le surveiller. La liberté. Il n’avait pas réalisé à quel point elle lui manquait. Vivement qu’il passe ses deux Barrettes et devienne Émissaire ! Il ne comprenait pas pourquoi Axel trainait autant. La supervision par un Messager était loin d’être une partie de plaisir. Peut-être que s’il s’appliquait à maitriser son pouvoir, le Messager Ishim lui confierait d’autres missions en solo ? Après tout, il fallait bien qu’il s’entraine.

Nicoleï réalisa qu’il avait perdu la rivière de vue. Jurant,  il se laissa glisser sur un courant pour faire demi-tour, paniqua en ne voyant toujours que du vert. Il battit des ailes pour reprendre de l’altitude. L’avantage d’être un ailé, c’était qu’on pouvait bien mieux se repérer de là-haut. Orein était cette énorme masse à main gauche, et il percevait un fin ruban bleu qui la contournait. Il piqua vers l’aval, laissant la cité derrière lui. La végétation était dense sur les rives, l’obligeant à s’approcher. Plaqué sur un rocher, il distingua un vêtement noir : son pantalon ! Il l’attrapa au vol, l’essora de son mieux. S’il trouvait sa deuxième botte, maintenant… ce serait parfait. Il savait pourtant que ses chances seraient plus faibles. Plus lourde, elle aurait moins de chance d’être entrainée à la surface. Il pataugea un long moment sur la rive, cherchant les coins au courant plus calme. Nicoleï allait abandonner quand il mit la main sur l’objet tant convoité. Enfin !

Bon, le cuir était détrempé, mais avec un peu de chance, il le graisserait assez pour le récupérer. Il n’avait plus qu’à rejoindre Axel, et patienter le temps qu’il sèche ses affaires. Serrant précieusement ses possessions contre sa poitrine, Nicoleï remonta la rivière pour rejoindre l’endroit où il avait laissé Axel.

Il se posa perplexe, près du cercle noirâtre qui trahissait la présence d’un feu, approcha sa main. Les cendres étaient encore tièdes.  Sa veste et son autre botte étaient là, presqu’entièrement secs. Nicoleï fronça les sourcils.

Pourquoi Axel n’était-il pas là ?

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