Chapitre 11 : Douleur du passé

Par Lucinda

La nuit était oppressante. Comme chaque fois, je suis là, au même endroit, piégé dans ce rêve qui ne semble jamais vouloir me laisser. Dix ans que ça dure, dix longues années à revivre encore et encore ce moment.

Une femme, une vampire, apparaît dans l'obscurité. Ses cheveux blonds volent autour d’elle, et son sourire est aussi séduisant que dangereux. Elle s'approche de moi, ses yeux brûlant d'un désir que je connais trop bien. Elle murmure des paroles douces, promesses de plaisir et de douleur mélangés. Chaque fois, je ressens cette même tentation, ce même frisson à l’idée de la toucher, de succomber. Mais à peine mes doigts frôlent-ils sa peau que tout change. L’obscurité m'engloutit d’un coup. Son visage disparaît, remplacé par une noirceur totale, comme si le monde s’effondrait autour de moi. Le silence est brisé par des voix, des murmures qui deviennent des cris, me cinglant de reproches.

« Tu n’es qu’un monstre, Ethan... »

« Tu détruis tout ce que tu touches... »

Je serre les poings, essayant de fuir ces voix. Mais elles me pourchassent, elles se rapprochent, envahissant mon esprit. Des visages apparaissent, flous et indistincts, mais leurs regards sont remplis de haine, de déception.

« Tu ne mérites pas d'être Alpha... »

Le sol sous mes pieds tremble, et je tombe dans un gouffre sans fond. Les voix deviennent de plus en plus fortes, me hurlant que je ne suis rien, que je n’ai jamais été rien d’autre qu’un être condamné. Puis vient le silence. Pas un silence apaisant, mais un silence lourd de jugement, écrasant. Je me réveille en sursaut, le souffle court, les draps trempés de sueur. Ce cauchemar... Il me poursuit depuis dix ans. 

Je me redresse dans le lit, le cœur battant encore à un rythme effréné. Je sais pourquoi ce cauchemar me hante. Mais je refuse d’y penser. Pas encore, pas maintenant. C’est une plaie trop profonde, trop douloureuse pour être rouverte. Dix ans… dix ans que je porte cette douleur avec moi, que je l’enterre sous les plaisirs passagers et les corps que j’enchaîne, espérant que le temps finira par effacer les souvenirs. Je me lève et traverse la pièce en silence. Je m’arrête devant la fenêtre, l’air froid de la nuit venant caresser ma peau. J’allume une clope et tire une longue bouffée, sentant la brûlure familière descendre dans mes poumons. Dehors, la ville est calme, presque morte. Le vide qui s’étend sous moi, du haut de ce cinquième étage, m’appelle.

Une part de moi, celle qui en a assez de souffrir, se laisse séduire par l’idée. Plus de cauchemars, plus de souvenirs, plus rien. Juste le silence, le calme, enfin. La paix. Je fixe le vide, tirant encore une fois sur ma cigarette, imaginant à quoi cela ressemblerait… la chute. Une seconde d’adrénaline, puis le noir, le néant. Est-ce que c’est ça, la solution ? Est-ce que c’est vraiment ce que je veux ? Mais une femme passe sur le trottoir. Comme d’habitude, elle attire mon regard, mais ce n’est pas une comme les autres. C’est Cheryl. Putain, qu’est-ce qu’elle fout ici, sur MON territoire ? Elle cherche à crever ou quoi ? Je descends, rapide. Pas besoin de me presser, elle s’arrête avant que je ne l’atteigne, elle m’a sûrement entendu venir de loin. Elle se retourne, une lueur dans les yeux. Triste, je dirais. Génial, voilà qu’elle va me balancer ses états d’âme. Franchement, c’est pas le moment.

— Ethan, je dois savoir...

Super. Encore ce genre de phrase. Comme si je devais me taper ses interrogations existentielles. Mais bon, je reste là, je l’écoute. Allez savoir pourquoi. Peut-être parce qu’elle a besoin de se vider la tête et je suis trop sympa, c’est ça. Ce que je ferais pour personne d’autre, pas même pour Lisa ou Tom.

— Pourquoi m’as-tu embrassée ? demande-t-elle, presque résignée.

Je soupire, exaspéré. Qu’est-ce qu’elle veut entendre ?

— En quoi c’est important ? T’as voulu m’embrasser, je t’ai embrassée. Voilà. Ça s’arrête là.

C’est logique, simple. Y’a rien d’autre à dire. Mais elle insiste, évidemment.

— Tu ne le voulais pas ?

Je hausse les épaules, détaché. Si, bien sûr que je le voulais. Mais lui dire ? Pour quoi faire ?

— Les baisers, c’est pour les gamines. Et vu que je peux rien faire de plus avec toi... je vais pas chercher plus loin. Satisfaite ?

Mensonge éhonté, bien sûr. Ce baiser m’a foutu un coup. Pas que je l’avouerai. Ça m’a plu, et ça m’énerve. Inhabituel, inconfortable. Ça me donne juste envie qu’elle parte… ou qu’elle reste. Merde, je m’entends même plus penser correctement quand elle est dans les parages.

— Je ne suis pas sûre de te croire, murmure-t-elle, comme si ça changeait quoi que ce soit. Mais si c’est ce que tu veux, alors je m’en vais.

— Ok, vas t-en.

Je la vois se raidir, son visage se fermer. Elle encaisse, comme si mes mots étaient des coups, mais elle ne flanche pas. Pas tout de suite, du moins. Cheryl reste là, silencieuse, le souffle court, et je sais que je l'ai blessée. Je pourrais m'en foutre, comme d'habitude, mais quelque chose me serre la poitrine. Elle me regarde encore une seconde, cherchant sans doute une autre réponse, quelque chose de vrai. Mais je ne lui donnerai pas ça. Pas maintenant.

— Ok, répète-t-elle doucement, presque pour elle-même. Je m'en vais.

Elle tourne les talons. Et c’est là que je devrais me sentir soulagé. C’est ce que je voulais, non ? Qu’elle parte, qu’elle me laisse tranquille. Qu’elle arrête de tourner autour de moi avec ses putains d’émotions que je ne sais pas gérer. Mais quand je la vois s’éloigner, je serre les poings. J’attends… peut-être qu’elle va se retourner, qu’elle va revenir, qu’elle va dire quelque chose, n’importe quoi. Mais non, elle continue de marcher, droit devant, et c’est moi qui finis par faire demi-tour.

— Putain... murmuré-je entre mes dents, irrité par ce mélange de colère et de regret qui monte en moi.

Je veux pas m’attacher. Je peux pas. Je sais ce que ça fait de perdre quelqu’un. C’est moi qui brise les cœurs maintenant. C’est plus simple comme ça, non ?

Je décide de me barrer et de filer vers notre refuge. Là-bas, y’a toujours du monde, de l’alcool et des salopes prêtes à se faire sauter sans poser de questions. Une routine. Comme je m’y attendais, elles sont toutes en chaleur, même si elles essaient de faire semblant de rester dignes. Mais c’est plus comme avant. Je suis l'Alpha maintenant, je dois garder un minimum de discrétion. Vie de merde ! En arrivant, ils me saluent tous comme s’ils me respectaient. Des hypocrites. Je sais qu’une bonne partie de ces types me détestent profondément, prêts à me voir m’effondrer pour prendre ma place. Mais je garde la face, reste de marbre. Des sourires forcés par-ci, par-là. Rien de plus. Pas besoin qu’ils sachent ce que je pense vraiment d’eux. Les filles, elles me dévorent des yeux. Certaines avec envie, d'autres avec dégoût, mais ça, c’est parce que je les ai déjà envoyées balader. Ou qu’elles n’ont pas apprécié d’être "la petasse d’une nuit". Elles s’imaginent quoi ? Que je vais les rappeler ?

Je m'installe au bar et commande n'importe quoi, du moment que ça cogne fort. L’alcool fait son boulot, et les heures défilent sans que je fasse autre chose que boire et fumer. Une soirée perdue, mais au moins, je suis tranquille. Demain, encore une de ces réunions avec les Anciens. J'imagine déjà la tête de Garry, son air désapprobateur quand je vais débarquer avec la gueule en vrac.

7h00

Je me glisse sous la douche, l'eau chaude me brûle presque. Ça m'aide à faire le vide, à effacer les pensées sombres. Devant le miroir embué, je passe une main pour chasser l'eau stagnante. Mon reflet me renvoie une image que je peine à reconnaître : mes yeux, d'habitude bleus, virent au gris, presque ternes. Et cette barbe… il serait peut-être temps que je me rase.

7h30

Petit déjeuner : un café noir et une clope, rien de plus. Je prends la direction de la salle de réunion. Sur la route, mes pensées s'égarent, et voilà que Cheryl refait surface. Je frappe le volant avec rage. Pourquoi ne peut-elle pas me foutre la paix ? Les grands buildings apparaissent devant moi, menaçants. Je n’ai aucune envie d’y aller. Je me bouscule mentalement.

8h00

La réunion commence. Garry est là, bien sûr, il m'attend. J'arrive à l'heure pile, pas de place pour le reproche, pas encore. Même si je sais qu'il aurait préféré que je sois là avec dix minutes d'avance.

La première demi-heure s'éternise. Une autre meute externe veut s'installer dans le coin. Qu'est-ce qu'ils ont tous à vouloir venir à Paris ? C'est moche, ça pue, et les gens ont toujours l'air de sortir d'une soirée trop arrosée. Après un débat sans fin, l’affaire est close : ils iront dans le 18 ème. Aucun loup-garou par là, juste un petit clan de vampires sans histoire.

Je soupire, mes muscles se raidissent. Tous les regards se tournent vers moi, attendant une réponse que je ne peux pas leur donner.

— As-tu parler avec Jenny ? Tu te souviens qu’elle doit devenir ta Luna demande Garry.

Je ne peux pas leur dire que je n'ai même pas cherché, ou pire, que ça m’est complètement égal. Ce n’est pas digne d’un Alpha.

— Oui, je lui ai parlé, mentis-je. Vous serez convié à la cérémonie en temps voulu.

— Une bonne chose ! s'exclame Victor, assis à côté de moi. Hâte de rencontrer notre nouvelle Luna.

Ils gobent mon mensonge, sauf Garry, bien sûr. Lui, il me connaît trop bien.

La réunion touche enfin à sa fin, et je veux filer au plus vite, mais il me retient avec ses questions.

— Je sais que tu ne lui a pas parle, Ethan, mais tu ne peux pas continuer comme ça, chuchote Garry.

— Vous m'avez tous forcé à être ce que je ne suis pas, ce que je ne voulais pas. Alors maintenant, j'ai pris cette responsabilité. Mais je ne prendrai pas celle d’avoir une vie d’homme marié bien dans ses baskets à temps plein, ce n’est pas pour moi, rétorquai-je.

— Écoute, Ethan, je sais que ça a été dur pour toi, mais ça fait dix ans maintenant. Il faut passer à autre chose et arrêter de te comporter comme un con.

Oui, tu as raison, je suis un con. Mais tu n’as pas idée de ce que je ressens réellement. Toi, et personne d'autre ne le saura jamais. Je décide de le planter là et de retourner chez moi. Seul.

Seul.
Le silence.

Je ferme les yeux sur mon canapé, l'esprit embrumé. Une idée me traverse l'esprit, comme un éclair dans la nuit. Je sais que je ne peux pas avoir Cheryl, mais il y a Jenny, cette fille qui rêve d’être ma Luna. Pourquoi ne pas lui proposer un deal ? Une solution simple. Je lui offrirai ce qu'elle veut, et en échange, elle m'épargnera de ce poids. Tout le monde sera content, elle obtiendra son rêve, et moi, je pourrai enfin goûter à la paix. C'est un arrangement gagnant-gagnant, non ? Une façade de normalité à maintenir, une distraction qui m’éloignera de Cheryl et de mes démons. Je me redresse, une lueur d'optimisme m’envahit, mais je sais au fond que ce n’est qu’un pansement sur une plaie béante. Qu’importe, il est temps d'agir. Je vais la contacter.

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