Chapitre 11 : Revenants - Pellon

Notes de l’auteur : Bonne lecture !

Deux heures après la mort de Livana, Twelzyn

Pellon

Cela faisait presque trois semaines qu’Ame était introuvable. Je ne m’en étais d’abord pas préoccupé, comprenant l’appel de ses responsabilités en une période si tendue. Ensuite, le départ de Tresiz avait distrait mon esprit. Dans les jours suivants, j’avais tenté par tous les moyens de retrouver la femme que j’aimais. Cependant, tous ignoraient où elle se trouvait, elle ne revenait jamais aux terrains d’entraînement. On arrivait seulement à m’indiquer qu’elle était au palais, occupée par des affaires importantes. L’inquiétude m’avait de plus en plus gagné : se pouvait-il qu’Ame me fuie ? Pire, qu’elle m’ait oublié ? Tant bien que mal, je repoussais ces angoisses irrationnelles, me distrayais en marchant dans les rues de la capitale.

Cependant, ce jour-là, l’inquiétude était devenue trop lourde à porter. Je n’arrivais plus à penser à autre chose qu’au visage de la guerrière dont j’étais tombé amoureux. Le souvenir des nuits qui avaient suivi la représentation à l’Arène me hantait : Ame avait-elle pensé tous les mots murmurés à mon oreille ? Si elle éprouvait ces sentiments à mon égard, pourquoi ne me donner aucune nouvelle ? Comme un fou, j’étais entré dans le palais en questionnant tous ceux que je croisais. J’étais si déterminé à retrouver Ame que j’étais prêt à aller voir la reine si cela était nécessaire.

Ma joie avait donc été sans limites quand une femme de chambre m’avait appris avoir aperçu Ame dans le jardin. J’avais traversé l’ensemble du palais à grandes foulées, ignorant l’animation qui régnait dans les couloirs. Peut-être aurais-je dû me préoccuper des chuchotements qui se répandaient entre domestiques, le nombre trop important de soldats mais je ne pensais qu’à une chose, une personne : Ame.

Enfin, je parvins dans l’allée crevassée qui traversait autrefois de magnifiques bosquets de fleurs. Seules quelques tiges desséchées avaient survécu à l’été. J’y poursuivis ma course effrénée, passant devant les écuries, les cabanes des jardiniers, parvins au pied des deux rangées d’arbres qui accompagnaient l’allée jusqu’au sommet de la colline. J’arrivai à bout de souffle en vue de la vieille tour où Tresiz et moi avions rencontré Afener. Une femme aux cheveux roux se tenait face au mur.

Un ouragan de joie et de soulagement me traversa en reconnaissant celle qui m’avait tant manqué. J’oubliai la fatigue et la sueur, courant encore plus vite. En approchant, je la vis avec horreur frapper de toutes ses forces contre le mur, y laissant une marque de sang. Il y en avait déjà plusieurs sur la surface du mur. Ame avait le visage baissé, les poings ensanglantés et frappa une nouvelle fois, ne voyant pas que j’arrivais. Alors qu’elle armait un nouveau coup, je lui attrapai le bras pour empêcher le coup d’atteindre la pierre.

Ame me repoussa violemment, comme folle, puis se dirigea à nouveau vers le mur. Son visage habituellement souriant était couvert d’un masque de rage et de tristesse qui me fendit le cœur. Je criai :

— Ame, c’est moi ! Pellon !

Enfin, mon amante se retourna, le visage figé dans une expression d’hébétude. Elle arrêta net son poing, comme si elle prenait seulement conscience de l’absurdité de ce geste. Cependant, sa détresse demeurait palpable et je vins l’entourer de mes bras. Ame se laissa étreindre sans un geste. Je lui caressai doucement le dos, les cheveux, me délectant de ce contact qui m’avait tant manqué. Je n’avais qu’une envie : la tenir dans mes bras pendant des heures et des heures. J’embrassai doucement sa joue puis murmurai :

— Je suis si content de te voir. Tu m’as beaucoup manqué.

Une nouvelle fois, Ame demeura coite. Ses bras demeuraient ballants contre sa taille, son corps figé. Elle avait l’air sonnée, comme si on venait de lui asséner un coup au visage. Que s’était-il passé pour qu’elle se retrouve dans un tel état ? Je finis par relâcher mon étreinte et fis un pas de recul pour la regarder dans les yeux. Son regard fuit le mien tandis que je demandai :

— Qu’y a-t-il, Ame ? Que puis-je faire pour toi ?

Après un long instant, quelques mots passèrent ses lèvres. Sa voix avait un ton rauque inhabituel :

— Rien. Laisse-moi seule.

Je pouvais comprendre ce besoin de solitude qui m’avait si souvent assailli dans ma jeunesse. Je lâchai les bras d’Ame et reculai encore un peu.

— D’accord. Je voulais juste te dire que j’ai décidé de rester vivre à Twelzyn. Si tu veux me voir, je vais bientôt aller habiter dans le coin de l’allée des Peintres, près de la place Dastic. Et si tu veux reprendre les entraînements, ce serait avec joie. Ils me manquent.

— Non, Pellon. Ce n’est pas possible. Je ne peux pas.

— Je sais que tu as beaucoup à faire en ce moment. Que la situation est difficile. J’attendrai le temps qu’il faudra. Et si je peux faire quoi que ce soit pour toi…

— Tu aurais dû rentrer dans l’Empire avec Tresiz. Je te remercie pour le temps que nous avons passé ensemble mais pour moi, tu n’étais qu’un homme comme les autres. J’en ai connu des dizaines avant toi et après toi, j’en connaîtrai encore des dizaines. Je ne veux pas de ton amour.

Je fis un nouveau pas en arrière, choqué par la violence des propos d’Ame. Ces mots allaient au-delà de mes pires angoisses, j’avais l’impression d’un cauchemar éveillé. Je ne reconnaissais plus celle avec qui j’avais tant partagé, celle que j’aimais tant. Et pourtant, c’était la même femme. Je me jetai à ses genoux, suppliant :

— Ame, si je suis resté ici, c’est pour toi ! Même si je suis un de tes cent amants, je veux vivre près de toi. Tu es la femme la plus extraordinaire que j’aie rencontrée de ma vie. Je t’aime.

Ignorant mes yeux humides, ma main tendue vers elle, Ame m’asséna à nouveau :

— Il y a des milliers de femmes dans ce pays. Oublie-moi.

Puis, comme si elle ne pouvait plus supporter l’image pathétique que je devais offrir, elle tourna les talons, m’abandonnant. Je demeurai seul avec ma désillusion, le cœur en miettes.

 

Lancé à pleine allure, Joyau me conduisait vers la Voie de la Poussière. J’étais allé chercher cette monture juste après ma discussion avec Ame. L’idée de demeurer à Twelzyn après ce qu’elle m’avait dit était devenue insupportable. Ma vie à Amarina n’avait plus de sens sans elle. Je devais retrouver Tresiz au plus vite. L’homme qui m’avait le premier depuis tant d’années appelé son ami avait plusieurs jours d’avance sur moi mais en chevauchant sans relâche, j’avais espoir de le rattraper dans la semaine.

Je tentais de garder mes pensées entièrement concentrées sur cet objectif. Penser à Tresiz, seul rayon dans un horizon trop sombre. Avec la perte d’Ame, j’avais réalisé que mes rêves d’un avenir heureux était des illusions. Que ce que j’avais cru de l’amour n’était que du plaisir charnel. Cependant, je n’y parvenais pas. Cette terrible désillusion avait réveillé en moi d’innombrables souvenirs douloureux. Mon passé que j’avais cru enfouir me frappait en plein cœur au pire des moments.

« Tais-toi où je monte ! » Malgré les cris de mon père, mes tentatives de réconfort échouent. Kevie continue de pleurer. Ma petite sœur n’en peut plus. Cela fait plusieurs jours que nous n’avons presque rien mangé, à cause de l’argent dilapidé par notre père. Nous ne pouvons même pas aller mendier dans les rues du village car une vague de froid mordant traverse la région. Chacun se cloître chez soi, près de la cheminée. J’ai dit à Kevie que ce n’était qu’un mauvais moment à passer. Que dès qu’il s’arrêterait de neiger, j’irais au village pour aller chercher à manger. Mais cette nuit, elle n’en peut plus.

Mon père crie une fois encore, brûlant de colère. Je sais qu’il a beaucoup bu avant de se coucher, comme presque tous les soirs depuis la mort de maman. Ses colères peuvent être dévastatrices, je dois absolument arrêter Kevie. Mais cette nuit, rien n’y fait. Ni les murmures, ni les gestes de réconfort, ni les supplications. J’entends le pas de notre père. Il monte sur l’échelle qui conduit à notre chambre. Si l’on peut appeler ainsi le grenier étroit où nous logeons. Il ouvre la trappe et nous regarde, les yeux brûlants de fureur. Après s’être hissé sur le plancher, il attrape brusquement le bras de Kevie, qui hurle de plus belle.

« Ta gueule, morveuse ! » Et comme Kevie continue, il la gifle avec un geste de bête force. Ma sœur est projetée jusqu’au mur. Elle se tait et sa tête retombe en arrière. C’en est trop. Toute la haine et le ressentiment, retenus depuis des mois contre cette homme qui nous maltraite, nous affame, nous insulte, s’échappent tout d’un coup. Alors que mon père a commencé à redescendre l’échelle, je claque violemment la trappe sur sa tête. Je n’ai qu’une envie : ne plus jamais voir son ignoble visage.

Il crie et j’entends son corps chuter lourdement au sol. Ma colère retombe brusquement pour céder place à l’inquiétude. Je vais voir Kevie. Ma sœur respire, ne semble pas avoir de blessure sérieuse. Je pousse un soupir de soulagement. Je n’entends toujours pas mon père se relever. Étonné, je finis par ouvrir la trappe. Mon père est allongé, la bouche entrouverte, une flaque de sang noircie par la pénombre autour du crâne. Il a dû s’évanouir. Je lui secoue l’épaule, espérant qu’il se relève. En vain.

Je murmure, parle puis crie. Mais aucune réponse ne vient. Le corps de mon père est immobile. Ses veines ne battent plus, sa respiration s’est tue. En haut, Kevie recommence à pleurer et je comprends enfin ce qu’il s’est passé. J’ai tué mon père.

Meurtrier. Parricide. Ces voix que j’avais tenté si longtemps de faire taire revenaient à la charge avec plus de virulence que jamais. La violence de ce souvenir cauchemardesque fut telle que j’arrêtais mon destrier. Je descendis de selle la respiration courte, le cœur battant, les tempes douloureuses. Meurtrier. Parricide. Je m’assis sur le sol dur, puis me recroquevillai contre mes genoux.

Nous chevauchons en riant sur le sentier boueux qui mène au village. Nous escortons le collecteur d’impôts impérial à travers les campagnes de l’Empire. Lagorn et Telwan se tiennent à mes côtés, ils rient. J’essaie de paraître aussi joyeux qu’eux mais ce voyage me laisse pensif. C’est la première fois que je reviens dans l’ouest de l’Empire depuis des années. Là où je suis né, où j’ai grandi. Cette terre dont j’ai été banni. Y revenir me refait penser à ce crime inexpiable, aux années d’errance qui l’ont suivi. Ces pensées-là, rien ne peut les chasser.

Nous arrivons devant une ferme. Un homme seul se tient devant l’entrée, on a dû le prévenir de notre arrivée. « Que voulez-vous ? » nous jette-t-il avant même que nous puissions mettre pied à terre. Le collecteur d’impôts lui répond avec froideur. « Prendre ce que vous devez à l’Empire. » « Passez votre chemin, je refuse de financer les guerres de la famille Oglion. » « Telle est la loi. » « Cette loi n’a aucune valeur, elle a été faite par des usurpateurs. » Ces mots sont de trop. Le collecteur nous hurle de procéder à la saisie des biens, d’utiliser la violence s’il le faut. Je souffle avec dépit. Depuis que nous sommes arrivés dans cette région, nous sommes accueillis avec une hostilité ouverte par la population. Ici, la plupart des gens sont restés fidèles à la famille Corbac, maîtresse de l’Empire avant la Grande Guerre. Leur pauvreté conjuguée à la dureté des impôts fait le reste.

Cependant, il y a plus que de la colère dans le regard du paysan. Il y a aussi de la haine. Je le vois avancer doucement vers nous, la tête baissée, comme s’il abandonnait. Il a la main derrière le dos et je comprends ce qu’il veut faire. Lorsqu’il se jette sur le collecteur d’impôts avec son poignard, je m’interpose. Je tire l’épée pour lui barrer la route et il vient s’y éventrer. Son arme lui tombe des mains, son corps s’agite de spasmes. Il me jette un regard de pure détestation avant de sombrer dans une douloureuse agonie.

Quand je retire ma lame et que son corps tombe, le sang sur mon épée me paraît une absurdité incompréhensible. J’ai tué. Un paysan à la vie difficile, qui peinait sans doute à nourrir les siens. J’ai tué pour sauver la vie d’un homme détestable chargé d’une mission déplaisante. Car l’homme a raison : si l’on vient chercher cet argent, c’est pour payer les guerres de reconquête menées par la famille Oglion. J’ai tué pour que l’on puisse continuer de tuer dans le sud. Le collecteur me félicite : « bravo soldat. » Mais je ne suis pas un soldat, je suis un meurtrier. 

Meurtrier, parricide. Ces voix étaient insupportables et rien ne pouvait les faire taire. Je tapai mon visage contre le sol dur mais même la douleur ne put prendre le pas sur elles. Mon nez commença à saigner, une bosse se forma sur mon front. Meurtrier, parricide. Je frappai le sol de plus belle, des coudes, des poings, des jambes. Cependant, cette débauche d’énergie était vaine. À peine avais-je commencé à me relâcher, épuisé, que les souvenirs m’assaillirent de plus belle.

Alenia Fedron monte sur les marches de l’échafaud avec toute la grâce d’une femme de son rang. Malgré la défaite, l’entrée des armées impériales dans sa ville à cause de la trahison de sa fille, elle regarde la mort droit dans les yeux. Les soldats qui devraient la traîner jusqu’en haut n’ont rien à faire, gardent même une respectueuse distance avec elle. Elle s’approche du bourreau sans crainte et défie la foule de son regard fier. Les réactions sont multiples mais la plupart des gens savent reconnaître le courage de la condamnée.

Sa fille se tient à côté de moi, l’air grave. Ledia se rend peut-être enfin compte du sacrifice qu’elle a consenti pour prendre le pouvoir. Traiter avec nous, ses ennemis, leur ouvrir les portes de Vicène, trahissant sa mère. Cependant, elle ordonne d’un geste dépourvu d’hésitation au bourreau de remplir son office. Sa froide résolution me fait réaliser que tout ce qu’elle m’a raconté était faux. Elle n’a pas livré Vicène pour la paix, pour libérer son peuple d’un siège interminable ou parce que sa mère était folle. Tout cela, elle l’a fait pour devenir dame de Vicène au plus tôt. Pour le pouvoir, rien que le pouvoir.

Si je n’avais pas soutenu Ledia, menant le groupe chargé de distraire la garnison, sa trahison aurait échoué. Sans moi, l’armée Oglion aurait fini par lever le siège, incapable de supporter un nouvel hiver aux pieds des murs. Vicène serait demeurée une cité libre. Alenia n’aurait pas dû mourir. Je la vois poser la tête sur le billot, la hache se lever. Je ne peux baisser les yeux au moment décisif.

Vidé de toutes mes forces, je demeurais allongé les bras en croix, seul au milieu des plaines. Incapable de lutter davantage, je laissai ma mémoire me mettre au supplice. Je revivais mes pires cauchemars et rien ne semblait pouvoir les arrêter. Et toujours ces voix entêtantes. Meurtrier, parricide. Je commençai à gémir. Ma voix brisée me parut pathétique.

Je l’ai fait. J’ai donné la clé des cellules de criminels à Seldon. Je l’ai cru naïvement quand il m’a dit vouloir visiter un membre de sa famille. J’ai cru que les années passées à le servir, son rang de grand prêtre, le rendaient intouchable. Mais il n’était qu’un traître, et j’ai trahi avec lui. À cause de moi, des dizaines de criminels notoires sont sortis de leurs geôles, massacrant les sentinelles. Ils se sont dispersés dans Tristomita et les campagnes alentour, où leur passage provoquera de nouvelles tueries. Par ma faute.

Cependant, ces morts innocentes à venir m’affectent moins qu’une seule autre : celle de Dulos. Le jeune soldat, rencontré plusieurs années auparavant, à notre retour de campagne, était mon ami. Il était l’amant de Lagorn et Telwan le traitait un peu comme son fils. En quelques mois, il avait fait de notre trio un quatuor. Et ma trahison a provoqué sa mort.

Lorsque Tresiz et Telbor sont venus en personne dans ma cellule pour m’offrir la grâce impériale, je n’en ai pas cru mes oreilles. Au nom de mes années à l’armée, de mon soi-disant exploit à Vicène, j’évitais la peine de mort. Tresiz me prenait à son service cinq ans, où je ne recevrais aucune solde en paiement de ma trahison. J’avais refusé une punition si douce après tout le mal que j’avais provoqué, après la naïveté dont j’avais fait preuve. Ils n’avaient pas voulu m’entendre.

Ce matin, Telwan m’a demandé de venir sur le rempart. C’est la première fois que je vais le revoir depuis ma trahison. Jusqu’alors, mes deux amis ont refusé de me retrouver. Je les comprends trop bien. En montant les marches qui mènent jusqu’en haut de la muraille, je me demande ce qu’il va me dire. Est-il possible qu’il me pardonne lui-aussi, au nom de notre amitié ? Je l’espère de toute mon âme. Je me demande si je saurais supporter son regard, assumer la mort de Dulos et toutes les tragédies provoquées par mon action.

J’arrive enfin dans la tourelle où nous devons nous retrouver. J’ai l’affreuse surprise de voir Telwan agenouillé, en larmes. Jamais il ne s’est montré si triste, lui toujours si discret au niveau de ses émotions. Avec horreur, je découvre ce qui cause son affliction. Lagorn pendu. Faiblement éclairé, son corps se balance avec lenteur entre les murs. Mon frère d’armes et meilleur ami n’a pu accepter ma trahison et la mort de son amant. Il a préféré rejoindre Dulos. Telwan hurle en me voyant « Regarde, ce que tu as fait, regarde ! »

Je veux pleurer, m’effondrer. Mais je n’y arrive pas. Je reste seulement immobile et amorphe, brisé de l’intérieur. Telwan arrête de crier, reprend avec une voix neutre « le Pellon que je connaissais aurait pleuré avec moi. Alors, mes trois frères sont bel et bien morts, je n’ai aucune raison de rester ici. Demain je partirai dans le sud. » Sa voix marque une légère pause puis il m’assène le coup de grâce. « J’aurais voulu ne jamais te rencontrer. »

Pour la première fois depuis de longues années, je revoyais avec une netteté parfaite le corps sans vie de Lagorn, son visage tordu, sa peau blanche et froide. Ses yeux morts étaient tournés vers moi et j’entendais sa langue prononcer de plus belle les mêmes mots : meurtrier, parricide, fratricide. Ce fut plus que ce que je pouvais supporter. J’étais incapable d’entendre une seconde de plus ces voix, de replonger à nouveau dans ce passé tourmenté, de supporter le poids de ma culpabilité.

En tâtonnant, je parvins à attraper mon poignard. Je le levai d’une main tremblante au-dessus de ma gorge. Les voix m’encouragèrent : ce geste j’aurais dû le faire des années plus tôt. Seul mon engagement à Tresiz m’en avait empêché. À présent, plus rien ne me retenait, plus personne ne m’attendait. Peut-être allais-je enfin pouvoir goûter à une forme de paix. Je baissai doucement la lame vers ma peau, au bord de ma pomme d’Adam. Elle mordit avec froideur ma chair, répandant un peu de sang chaud sur mon cou. Soudain, un cri bloqua mon bras :

— Pellon, arrête !

Ame. Je lâchai mon arme avec stupéfaction, me redressai doucement. Ma bien-aimée arrivait en cavalant sur une jument blanche, entourée d’un halo lumineux. Elle m’apparut comme un ange, seul être capable de me sauver. Je parvins à me mettre à genoux alors qu’elle mettait pied à terre pour me rejoindre. Ses cheveux roux volaient au vent, son regard perçant me fixait droit dans les yeux. Je ne pus retenir des larmes de soulagement : ma bien-aimée m’avait suivi.

Ame prit ma tête entre ses bras, me serra contre elle. Et d’une voix douce, me dit :

— Je ne pensais rien de tout ce que je t’ai dit. Je t’aime, Pellon. Quittons ce pays, cette politique dépourvue de sens. Je ne veux plus y vivre. Allons vers le nord ensemble.

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annececile
Posté le 12/06/2024
Tiens, la Voiliere a des remords? Je suppose qu'ils ne dureront pas trop longtemps. La femme forte et rebelle qui accepte malgre tout l'ordre de tuer son amie a perdu son interet pour la lectrice que je suis.

Je ne comprends pas trop pourquoi tu reproduis tous ces passages du passe de Pellon? Le preambule n'est pas inclus dans la suite du recit? Ce que je remarque, c'est que Pellon est ecrase de culpabilite pour des actions qu'il a du faire sous grande contrainte. Et il est tombe amoureux d'une femme qui tue avec plaisir, sans remord.

A la fin, on se demande si il a mis fin a sa vie, revant d'Ame car ce qu'elle dit ressemble a ce qu'il espere entendre, et non aux paroles de la Voiliere.
Je crains le pire pour la suite! :-O
Edouard PArle
Posté le 12/06/2024
Coucou Annececile !
Je n'ai finalement pas ajouté de flashbacks donc j'ai voulu en mettre ici, peut-être maladroitement.
Je comprends ton ressenti sur Pellon, il a beaucoup de culpabilité pour des choses dont il n'est pas coupable.
Ton hypothèse sur cette de chapitre est très intéressante.
MrOriendo
Posté le 27/02/2024
Hello Edouard !

Encore un chapitre d'une intensité incroyable. Je connaissais déjà des bribes de l'histoire de Pellon et de sa petite soeur, le meurtre de leur père et je savais qu'il avait le sentiment d'avoir trahi ses amis et sa patrie, mais le récit de la mort de Lagorn je l'ai trouvé glaçant. Décidément, tu n'épargnes pas tes personnages dans ce roman. Je sentais bien que Pellon portait une noirceur en lui, que son passé était lourd de rancoeur et de culpabilité inavouée, mais j'ai adoré la manière dont tu l'as utilisée à ce moment du récit pour le rendre vulnérable. C'était prenant, touchant et très bien écrit.

Si je peux me permettre un léger bémol, j'ai eu l'impression que tu passais un peu vite sur la scène où il retrouve Ame dans les jardins au début. Cette phrase en particulier, "Je pouvais comprendre ce besoin de solitude qui m’avait si souvent assailli dans ma jeunesse. Je lâchai les bras d’Ame et reculai encore un peu."
J'ai l'impression qu'il "baisse les bras" un peu trop facilement, il retrouve sa bien aimée après plusieurs semaines, elle est bouleversée, elle se mutile contre le mur, elle est en larmes, il lui manque des doigts et il ne le remarque même pas... Je ne sais pas, à mon sens il devrait insister davantage pour la protéger et savoir ce qui se passe avant de baisser les armes. Quant à Ame, elle vient d'assassiner son amie et s'apprête à briser le coeur de Pellon, je pense qu'elle pourrait être encore plus violente dans sa manière de le repousser. Là, elle lui explique froidement qu'elle ne l'aime pas et qu'il y a des milliers d'autres femmes en Amarina, mais ça s'arrête là. Dans un moment pareil, je m'attendais à voir Ame lui cracher ses mots comme une bile acide au visage, avec rage, comme si elle rejetait sur Pellon tout le dégoût vis-à-vis de LV que la mort de Liva lui inspire. Car si elle est aussi tourmentée d'avoir dû tuer son amie, c'est bien qu'elle éprouve des remords, de la tristesse et qu'elle se déteste de l'avoir fait. Dans ces moments, on a souvent tendance à rejeter toute sa colère sur la personne qu'on aime. Après, ce n'est qu'une suggestion, ça ne correspond peut-être pas au caractère que tu souhaites donner à ton personnage. Mais je pense que ça rajouterait encore de l'intensité à cette scène et de la profondeur à cette dualité incroyable que tu as construit chez elle.

Au plaisir,
Ori'
Edouard PArle
Posté le 07/03/2024
Coucou Ori !
J'avais originellement prévu des flashbacks à Pellon mais j'ai abandonné l'idée car ça aurait ajouté de la complexité et des persos là où il y en a déjà beaucoup. Faire ressurgir ce passé par bribes et notamment dans ce chapitre de confusion m'a bien plu.
Oui, tu as raison. J'ai ressenti aussi qu'il fallait davantage de colère et de violence. Je n'ai pas trop eu le coeur d'aller au fond au moment d'écrire je pense. Mais je te suis 100% sur l'idée.
Merci de ton comm !
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