CHAPITRE 12
Ils n'eurent pas à les poursuivre bien longtemps. Les véhicules s’étaient arrêtés quelques rues plus loin, dans une artère un peu plus large que les autres, la bloquant entièrement. Des hommes commençaient déjà à boucler le quartier, mais Sorc et Malisé profitèrent de la panique pour s’engouffrer tout de même et tenter de s’approcher de la source de ce branle-bas.
Sorc chercha quelle maison ou immeuble avait pu être touché, mais les pompiers ne se dirigeaient pas vers les habitations. Ils s’enfonçaient un à un dans une bouche d’égout.
― Reculez Monsieur, vous n’avez rien à faire ici, lui dit un homme en uniforme qui repoussa Sorc vers l’arrière des camions tout en déroulant un ruban de balisage.
Sorc recula puis se tourna vers Malisé.
― Donnez-moi ma cape, demanda-t-il.
― Vous voulez y aller ? Ils sont encore en train d’éteindre le feu.
― Les premiers instants sont les plus importants. Avant que la police n’arrive.
― C’est moi la police, dit Malisé, et vous ne descendrez pas.
― Effectivement, vous ne descendrez pas, les interrompit une rude voix familière.
Le capitaine Givre venait d’arriver sur les lieux, les sirènes de la police se mélangeant désormais à celle des pompiers en un capharnaüm assourdissant.
― Vous reculez encore et je vous interdis de descendre sur les lieux, ni maintenant, ni plus tard. Hop, hors de ma vue, dit-il à Sorc avant de s’engouffrer sous les rubans de chantier pour rejoindre les pompiers.
Sorc ne répondit pas et recula de quelques pas. Malisé le regardait étrangement.
― Désolée, finit-elle par dire. Le mieux est encore de partir. Vous ne vouliez pas visiter d’autres temples ?
― On reste là, répondit Sorc.
― Ici ? Il n’y aura pas grand-chose de plus à voir. Et n’attendez pas un debrief du capitaine Grive.
― Détrompez-vous. On reste ici. Croyez-moi ou non, je pense que le Capitaine ne va pas tarder à venir nous chercher.
Malisé eut une moue méfiante.
― Que savez-vous de plus que moi sur ce qu’il se passe en bas ?
― Rien, mentit Sorc. Mais ne trouvez-vous pas que cette fois, tout est différent ?
― Ce n’est pas le quartier riche, ce n’est pas une habitation…
― Ce n’est pas la nuit.
― Ce n’est peut-être pas en rapport du tout avec les meurtres alors ?
― Je crains que si.
― Qu’est ce qu’il vous fait croire cela ?
― Je le sens.
Sorc avait la gorge serrée. Il craignait ce qu’ils allaient découvrir. Il avait visité les égouts la veille et voilà qu’ils étaient en proie aux flammes aujourd’hui. Que n’avait-il su voir chez les Krats qui aurait dû l’alerter ? Et quelles empreintes avait laissé sa visite sur le cours des choses ?
Ils attendirent, Sorc refusant de s’éloigner.
Petit à petit, ils furent rejoint par des habitants du quartier venus se coller au ruban blanc par curiosité, tentant de comprendre ce qui avait pu provoquer un tel déploiement de pompiers et forces de l’ordre. Le temps s’étira pour Malisé qui piétinait et s’impatientait tandis que Sorc semblait toujours aussi imperturbable.
Puis enfin, et contre toute attente pour la policière, ils virent apparaître le capitaine Givre se frayant un chemin entre voitures, camions et attroupements pour venir les rejoindre.
― Monsieur Sorc, dit-il entre ses dents qu’il ne parvenait pas à desserrer, veuillez me suivre.
Il avait le visage tendu de ceux qui voyaient les événements prendre une tournure qui ne leur plaisait pas du tout.
Grive fit immédiatement demi-tour et s’éloigna à grandes enjambées, laissant Sorc soulever le ruban de sécurité pour que Malisé et lui puissent passer au dessous.
Ils descendirent par la bouche d’égout, passèrent de couloirs en souterrains et les craintes de Sorc se virent renforcées. Ils se dirigeaient bel et bien vers les territoires des Krats.
Vint la salle du trône, encore fumante, noire de suie. Son amas de ferraille noirci dont certains éléments avaient fondu sous la chaleur. Et à son sommet, les restes cramés d’un fauteuil que Sorc avait connu rouge mais n’était plus qu’une carcasse carbonisée sur laquelle était assis un corps râblé, sombre, contorsionné. Un cadavre dont la tête était étrangement allongée, les dents de devant beaucoup trop longues, dont les mains étaient minuscules et les doigts dotés de griffes. Dont la silhouette était prolongée d’une longue et grotesque queue de rat qui s’était recroquevillée dans les flammes. Dont le crâne calciné était auréolé d’une large couronne de divers métaux.
― Les monstres, c’est votre truc non ? Alors qu’est ce que c’est ? demanda sèchement Grive à Sorc.
― Ce n’est pas un monstre. Et je veux pouvoir explorer cette scène de crime autant que je le jugerai nécessaire.
― Du chantage ? Je peux vous faire arrêter pour obstruction à l’enquête.
― Qui fait obstruction à l’enquête de qui Capitaine ? Voulez-vous que l’on en discute avec vos supérieurs pour qu’ils nous départagent ?
La bouche de Grive se contracta en un rictus d’agacement.
― Cette scène-ci, mais toujours pas les précédentes, et vous restez sous surveillance constante lors de vos observations. Et vous me donnez vos infos d’abord. C’est quoi, ça vient de la zone ? demanda-t-il en pointant le cadavre du menton.
― C’est un Krat. Et je pense qu’il est né et a grandit en Ville.
― C’est quoi un Krat ? Et m’est avis que c’est pas originaire d’ici.
― Une espèce cousine du rat et de l’humain.
― On a ça comme cousins nous ?
― Oui. C’est une espèce complexe sans laquelle beaucoup de choses ne fonctionneraient pas dans votre Ville.
― Parce qu’il y en a d’autres ?
― Autant que vous avez de rats. Mais la plupart sont beaucoup plus petits et ressemblent vraiment à des rats. Seul leur roi ressemble à cela. Et certains soldats.
― Un peu comme une reine chez les abeilles ? demanda Grive.
― Si vous voulez.
― Et ils vivent de quoi ?
― Du commerce.
― Du commerce de quoi ?
― De tout. Et surtout des marchandises passant de la zone à la Ville, et vice-versa.
― Des ennemis connus ? demanda Grive.
― Ils vivent du commerce de tout, ils ont autant d’amis que d’ennemis. Mais de là à faire brûler le roi, non, je ne vois pas. Il a du se passer quelque chose de précis.
― Quel est le lien entre un roi des Krats et des hommes de quartiers riches ?
― Aucune idée, dut avouer Sorc. La drogue, peut-être. Je ne sais pas.
Givre grogna puis un silence s’installa.
Les équipes du Capitaine s’activaient déjà dans la pièce. En plus du roi, de nombreux cadavres de krats calcinés jonchaient le sol. Le feu avaient mangé leur fourrure et leurs petits corps laqués par les flammes reposaient pathétiquement dans les flaques qu’ils avaient tenté de rejoindre pour se sauver. Chacun était photographié, cartographié, sous toutes ses brûlures.
Sorc s’approcha du trône et ferma les yeux. Il respira profondément. C’est alors qu’il le sentit. De nouveau, mais plus frais encore. Des picotements dans le cou, une odeur de familiarité. Il y avait, ici aussi, de la sorcellerie dans l’air.
Il rouvrit les yeux et fit le tour de la salle du regard. Il contourna la pyramide de ferraille, en scruta chaque recoins. Non, ce n’était pas ça. Il se recula, fit le tour de chaque cadavre éparpillé. Rien non plus. Et pourtant, c’était là, il y avait quelque chose. Il ferma de nouveau les yeux et ouvrit tous ses sens à la détection. C’était furtif, discret, mais c’était bien là.
Pas sur le sol, pas sur les murs. Il suivit la trace, humant presque, tel un limier. Pas cette personne, pas cet objet.
Puis il le tint. C’était là, devant lui. Il ouvrit les yeux et rencontra avec surprise ceux d’une autre personne. Une jeune femme, en civil, qui s’était mêlée aux policiers. Usant de ses vêtements ensorcelés pour faire s’éloigner le regard des curieux.
Sorc n’était pas la seule sorcière de la pièce.
Intéressant ! Je me demande maintenant qi les traces de griffes étaient des traces de krat. J'imagine que non mais ?
Une deuxième sorcière ! Ah! J'aime quand un univers joue avec ses propres objets, c'est bien vu.
Le capitaine Grive est l'espace de quelques lignes devenu Givre. C'est une coquille, mais est ce que l'anagramme est voulu ? Givre ne peut être un mot sans connotation dans un tel texte :)
Je pense que ici la position de capitaine peut se comprendre, et en même temps, il pourrait laisser Sorc sur les autres lieux tant qu'à faire!
Allez, à bientôt et merci encore ! <3
Haha, je ne dirais rien pour les griffures !
Ha bah ça alors, Grive est devenu Givre ? Je ne m'en suis pas du tout rendu compte, hahaha, je vais aller corriger cela, d'autant que je n'avais pas du tout pensé à cet anagramme sur le moment : O
Oui le capitaine prend des décisions très tranchées, il cherche surtout à protéger ses scènes de crimes d'un individu qu'il considère comme un amateur/charlatan.
A bientôt et merci à toi ! : )
(Est-il vraiment nécessaire d’en faire un autre chapitre ? Le précédent est assez court.)
Il y a quelque chose de très satisfaisant à ce que Grive fasse appel à Sorc. Vu qu’on a suivi la sorcière dans les égoûts, qu’on sait ce qu’il y a là-dessous, on attend avec impatience le moment (et une crainte partagée avec Sorc) où le capitaine va venir le chercher. On sent ce dernier contraint, forcé, rageux, c’est très plaisant. Et pour autant, je trouve que ce personnage est très cohérent, on sent qu’il a ses valeurs, il veut que l’enquête avance, alors il va chercher la sorcière. Ça le rend plutôt sympathique. D’ailleurs, leur échange sur la scène du crime montre qu’il n’est pas si obtus. Je trouve même assez drôle la façon dont Grive s’accommode de ce surnaturel qu’il ne soupçonnait pas (« Des ennemis connus ? », ça m’a fait sourire). Je me demande si leur relation va évoluer vers une plus franche collaboration.
Mais Malisé sert à nouveau de faire-valoir, c’est un peu dommage. Finalement, dans le chapitre précédent et celui-ci, si elle n’était pas là, ça ne changerait pas grand-chose. Même si leur duo fonctionne et que le personnage est vraiment attachant.
Le fait que le roi des Krats ait brûlé est assez inattendu et crée un sentiment de suspens et d’effroi, très efficaces. « leurs petits corps laqués par les flammes reposaient pathétiquement dans les flaques » : c’est trop triiiste ! Belle formule et belle image, saisissante. La fin aussi est saisissante – youpi, une autre sorcière :-).
Coquillettes :
« je vous interdis de descendre sur les lieux, ni maintenant, ni plus tard » : la formulation ne fonctionne pas, parce qu’il faudrait une négation dans la première proposition (de type : je ne veux pas… ni… ni…).
« Petit à petit, ils furent rejoint » → rejoints
« Il a du se passer quelque chose de précis. » → dû
« en scruta chaque recoins » : recoin.
Bonne écriture pour la suite et à bientôt :-)
Ah, je suis contente si ce chapitre fonctionne. On tait resté un peut frustré avec les krats qui apparaissaient un peu vite, mais le fit qu'ils disparaissent si vite derrière ne semble pas augmenter la frustration.
Et oui, Grive n'est pas si insupportable que cela, je suis contente que cela se ressente.
Par contre tu as raison, Malisé est un peu faire valoir dans les derniers chapitres... l'importance qu'elle a dans l'histoire a un peu fluctué au cours de l'écriture, tout n'est pas toujours bien pensé en avance... il faudra sans doute rééquilibrer tout ça ^^"
Merci aussi pour le relevé des coquilles, je vais corriger cela.
A bientôt !