CHAPITRE 13

Par itchane


CHAPITRE 13



 

Elle avait les yeux foncés derrière de larges lunettes carrées, les cheveux couverts par la capuche de son sweat noir, et elle regardait Sorc, pétrifiée. Aucun d’eux ne bougea d’abord, mais Sorc prit la décision de détourner son attention pour ne pas attirer sur eux le regard des personnes présentent dans la pièce. Avec ses vêtements ensorcelés, la jeune sorcière avait réussi à se fondre dans la foule de pompiers et policiers entrés dans les sous-sol pour investiguer. Sorc fit mine de s’intéresser à l’un des cadavres de krat qui se trouvait à ses pieds. Se faisant, il s’approcha de sa collègue qui n’avait toujours pas bougé d’un pouce.
― Que faites-vous là ? demanda calmement Sorc toujours sans la regarder.
Mais la réponse ne vint jamais.
― Hey, vous êtes qui vous ? s’était écrié Malisé à l’adresse de l’inconnue, qui n’en attendit pas plus pour tourner les talons et s’enfuir.

Malisé fusa, courant derrière elle pour tenter de la rattraper. Le reste des policiers mit un peu de temps à réagir. Une personne sous cape ensorcelée, qui en poursuivait une autre sous vêtements ensorcelés, les cerveaux eurent un peu de mal à se mettre en branle. Grive fut le premier à réagir, suivit, enfin, de ses hommes.
Sorc ne bougea pas.
Si cette sorcière n’était pas trop mauvaise, et il n’y avait pas de raison qu’elle le soit, elle se sortirait sans problème de cette course poursuite.
Sa trace, par contre, serait perdue pour tout le monde, à commencer par lui-même.

Son cœur battait à toute allure, encore sous le choc de la rencontre. Qui pouvait bien être cette sorcière et surtout, que faisait-elle là ? Sorc avait trouvé sa trace sur le dernier lieu de crime et l’avait croisée sur celui-ci, quel pouvait être son lien avec les évènements ?

Au dessus de lui, le cadavre burlesque du roi des krats toisait Sorc. Dans cette pièce en sous-sol mal aérée, les odeurs de chair et fourrure brûlées s’ajoutaient à celle des eaux usées et étaient difficiles à supporter.

À nouveau, Sorc ferma les yeux, tentant de se calmer et de se reconcentrer. Tout d’abord, une mystérieuse sorcière qui s'intéressait aux scènes des crimes et avait visité ces lieux. Avait-elle usé de ses sorts ? Il lui semblait que non. Seul restait l’infime trace de magie laissée par ses vêtements ensorcelés. Elle s’était donc contentée d’observer, jusque-là en tout cas. Restait-il autre chose à découvrir ?
Malheureusement, Sorc n’était pas seul dans la pièce. Malgré la course-poursuite engagée dans les couloirs souterrains, plusieurs membres de la police scientifique étaient encore sur place, photographiant, prélevant, numérotant. Il tenta de faire abstraction des présences et des bruits, respira profondément. La tâche n’était pas simple.
Mais une fois de plus, il le sentit. Ce petit picotement, ce vestige infime de quelque chose. Quelque chose de nouveau, qui n’était pas l’ancienne présence de la sorcière mystère. Quelque chose de bien plus difficile à percevoir et qui lui échappait à peine tentait-il de se concentrer dessus. Une magie plus fine, plus impalpable. Il aurait besoin d’aide pour l'appréhender.
Tournant le dos aux hommes de Grive, Sorc mit la main dans sa sacoche et en retira une petite boîte carrée qu’il ouvrit précautionneusement. Au premier abord, elle paraissait vide, mais la sorcière posa sa main en couvercle sur le récipient avant de la soulever lentement. Sous sa paume apparut alors une myriade de minuscule pois colorés, voletant dans l’air. Reflétant la lumière des rares lampes de la salle, les particules scintillaient. Elles n’étaient pas plus grosses que poussière et se déplaçaient aléatoirement sous la main de Sorc. Soulevant son bras, la sorcière amena la cohorte devant son visage et souffla doucement dessus pour la disperser dans les airs. 
L’essaim flotta quelque temps au dessus de sa tête, il souffla à nouveau dessus pour les enjoindre à aller papillonner ailleurs. Les poussières restèrent quelques instants au dessus du sol, puis, petit à petit, un mouvement interne commença à distordre le groupe. Certains grains dérivèrent lentement vers le fond de la pièce, finalement suivis par les autres.
Sorc les accompagna, traversant la pièce, puis se figea. L’ensemble des particules venait de se poser délicatement sur le mur fermant la pièce, à l’arrière de l’amas de ferrailles servant de trône au roi des krats. Dans l’ombre de la pyramide de fer, la pierre brillait désormais de leur présence.
La sorcière s’approcha et tapota sur la boîte qu’elle tenait encore à la main pour les rappeler à elles. L’essaim quitta le mur et vint se ranger mollement dans le récipient. Sorc le referma et le rangea dans son sac.
À y regarder, le mur semblait tout à fait normal. Pas de fissure, un parement continu de pierres bien alignées, une surface uniformément rugueuse lorsqu’on y glissait la main. 

― Vous avez repéré quelque chose ? demanda la voix de Malisé dans le dos de Sorc.
Ce dernier sursauta.
Les policiers étaient revenus de leur course dans les souterrains.
― Vous l’avez attrapée ? demanda Sorc cachant son inquiétude.
― Non, elle nous a échappé, pesta Malisé.
Sorc en fut soulagé.
― Qu’est ce qu’il a ce mur ? reprit Malisé en pointant du menton le fond de la pièce.
― Il a que ce n’est pas un mur.
― Comment cela ?

Sorc aurait aimé être seul pour explorer ce qui était à venir. Mais il n’avait d’autre choix que de faire avec la présence de la police scientifique, de Malisé et même de Grive qui s’approchait lui aussi. Pouvait-il mentir et repartir sur ses pas, pour ne revenir que le soir venu ? Non, la situation était trop délicate et tôt ou tard la police découvrirait ce qui était à découvrir. Il avait enfin l’occasion de faire ses preuves devant le Capitaine, de peut-être s’en faire un allié, au moins temporaire. Cela vallait le coup de tenter quelque chose.
Alors Sorc marmonna. Dans un murmure que lui seul pouvait entendre, il récita une formule plus vieille que la nuit des temps. Une succession de sons biscornus, énigmatiques, qu’il susurait à la pierre, tandis qu’il la caressait de ses doigts.

Et d’un coup, le mur se fit ductile. La main de Sorc s’y enfonça, la paroi prit des plis étranges et la pierre disparut sur une vaste surface, laissant place à une large et fine toile qui se décrocha d’elle même pour retomber sur le bras de la sorcière. Derrière cette illusion ainsi levée, se trouvait une porte en fer.

― Poussez-vous, commanda le capitaine Grive.
Sorc et Malisé reculèrent.
Le policier sortit un gant de sa poche et le passa avant de se saisir de la poignée de la porte, qui résista.
― Verrouillé, dit-il.
― Si vous me permettez, osa Sorc.
Grive le regarda un instant, hésitant.
― C’est lui qui a trouvé la porte chef, se permit Malisé.
Alors Grive s’écarta de quelques millimètres, laissant Sorc se faufiler jusqu’au chambranle. La sorcière leva une fois de plus la main et, une fois de plus, chuchota comme pour elle-même une série de mots singuliers. Un lourd claquement métallique se fit entendre.
― J’entre en premier, dit Grive en repoussant Sorc sur le côté.

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Raza
Posté le 07/03/2025
Ohlala, deux mystères en un, tu nous mets dans un rythme accéléré!
Le nouveau personnage parait moins expérimenté que Sorc, je suis curieux de voir ce qu'il va se passer dans leurs interactions...
Je n'ai pas bien compris cette phrase :
Sa trace, par contre, serait perdue pour tout le monde, à commencer par lui-même.
Ou si je l'ai compris, je n'avais pas ses implications.
Merci et à bientôt !
<3
Erwel.le
Posté le 03/03/2025
Ah, que de mystères ! C’est très plaisant.

Est-ce que Malisé a vu la sorcière parce qu’elle porte, elle aussi, une cape enchantée ? Et/ou parce que Sorc lui a adressé la parole ?
A propos des traces de magie, si je comprends bien, Sorc parle de son exploration nocturne, sous forme féline, de la scène de crime ? Il aurait senti alors, à la fois la présence passée de cette autre sorcière, ainsi que celle d’une magie plus sinistre (celle des mages, booouhhh) ? Et c’est également le cas ici, dans la pièce des krats ?

J’ai hâte de faire la connaissance de cette autre sorcière. C’est assez amusant de savoir, avec Sorc, que les policiers ne vont pas réussir à l’attraper. « Le reste des policiers mit un peu de temps à réagir » : Ce paragraphe, au passage, est un peu lourd dans sa formulation, à cause de la répétition « un peu de temps », « un peu de mal » et de « réagir ».

Le petit essaim de particules vivantes est adorable. L’expression : « minuscule pois colorés », m’a d’abord fait voir quelque chose de plus gros, mais si je comprends bien, ce sont plutôt des points ?

La relation Sorc-Grive se dessine, je sens que le capitaine Grive devient un allié peut-être un peu contrariant (qui s’éloigne de « quelques millimètres » de la porte, quelle générosité :-D ). Leur dynamique crée un effet comique qui n’enlève rien à l’atmosphère tendue de la scène du crime.

Je trouve ça intéressant qu’on reste dans le point de vue de Sorc et qu’on puisse partager ses questionnements. La situation est complexe et l’on sent que la collaboration entre la Zone et la Ville n’est pas dénuée de risques. Que Sorc soit ennuyé par la présence de la police scientifique, qu’il hésite à partager ses trouvailles me semble juste et rappelle cette tension.

Coquillettes : « le regard des personnes présentent » → présentes
« Grive fut le premier à réagir, suivit, enfin » → suivi

Merci pour cette histoire. Je te souhaite bonne journée et t’envoie plein d’énergie pour la suite de l’écriture (et de la journée/ soirée/autre)  :-)
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