Dans la grotte secrète de la résistance,
Pendant l’entrainement des recrues pour la création de l’armée Kalokas..
Après avoir réussi à rentrer en contact avec les Lendemains sans Peur, la résistance se montra silencieuse. Suite à leur grande utilisation de leur radio, certains de leurs messages avaient été interceptés par la milice et le conseil ministériel. Ils devaient se montrer plus prudents, l’article de journal qui avait relayé leurs paroles leur avait servi d’avertissement. Heureusement, ils n’avaient plus besoin à présent de balayer toutes les ondes. Ils savaient comment et quand joindre Gaultier et ses acolytes. Pour le moment, sauf en cas d’urgences, ils n’échangeraient ensemble que deux fois par mois à des dates et heures précises. Les prisonniers des camps ne les avaient donc pas encore contactés pour les prévenir de l’arrivée des enfants Agape et de Vikthor. Le rendez-vous avait été fixé à la semaine prochaine. En attendant, la résistance se servait de la radio pour écouter les nouvelles décisions politiques et les avancés de Garnel Asage.
L’oreille collée aux haut-parleurs, Bénédit n’arrivait pas à croire ce qu’il entendait. Cela faisait déjà deux fois qu’il écoutait ces mêmes mots. Allaient-ils diffuser ce message en boucle ? Peut-être que ce serait nécessaire pour que l’ancien Élu des rouges en comprenne l’essence. Parce que pour le moment il n’y arrivait pas à y croire. Son frère, son meilleur ami, un homme si respecté, l’avait trahi.
_Pour quelles raisons fait-il ça ? Pourquoi ? chuchota Bénédit abasourdi.
_‘‘Ils ont agi sous les ordres d’un seul homme, Bénédit Karmir. Le même qui est à la tête de la résistance et qui vous appelle à combattre pour lui. Sachez que comme un lâche, il a abandonné son peuple pour se terrer dans le désert’’, répéta encore une fois le poste de radio.
Eux qui avaient toujours été amis, ils s’étaient aidés et soutenus depuis tant d’années. Paskhal avait même tenté de l’aider avec sa nièce, pourquoi se changement de cap si soudain. Pour Bénédit c’était à ne rien y comprendre. Il avait toujours été dépassé par les choix politiques, mais qu’un ami retourne sa veste, ça il ne pouvait le concevoir. Il ne l’acceptait pas.
_Le monde devient fou. Je n’y comprends plus rien, lâcha-t-il désespérément quand il entendit Sophya le rejoindre.
_Les nouvelles ne sont pas bonnes ? souffla la jeune fille en lui attrapant les épaules pour le réconforter.
Sans répondre, Bénédit augmenta le son de la radio. Encore une fois les mots de son ancien allié et amis se répétaient. Il avait l’impression de se prendre des coups de couteau encore et encore.
_Cela fait plus de vingt ans que nous nous connaissons. Te rends-tu comptes So’ ?
_Je n’ai jamais aimé les Kalokas et leur façon de se croire supérieur, mais là ça dépasse l’entendement… Comment peut-il sortir tous ces mensonges ?
_Il doit être manipulé… Avec la disparition de ses enfants, il a tellement souffert. On doit détenir quelque chose sur lui… le défendit Bénédit.
_Il n’y a rien qui puisse justifier une telle prise de décision. Il te déclare la guerre officiellement. Les Kalokas sont désormais nos ennemis, trancha la sœur Peyrache.
_Oh, mon enfant, ce n’est pas si simple. Tout n’est jamais noir ou blanc. Il y a du gris dans chacun et dans toutes nos prises de décisions.
_Peut-être que tu as raison… Enfin presque. Chez toi, je ne vois qu’un être lumineux. Aucune nuance de gris, même pas de beige ! Même ton visage te trahit, ricana l’adolescente en désignant les parties de son visage touchées par un vitiligo.
_Oh ! So’… Tu es bête…
_Oui, mais j’ai réussi à te faire sourire, c’est déjà ça, rétorqua-t-elle en le prenant dans ses bras. Bénédit, je suis désolée. Je suis attendue, je dois y aller, mais je t’en prie, ne reste pas seul ici.
L’ancien Élu acquiesça d’un mouvement de tête sans pour autant se lever. Préférant redonner son attention à la radio, il changea plusieurs fois de fréquences afin d’avoir d’autres informations. Aucune ne lui remonta le moral. Ses yeux bridés rivés sur le poste, il apprit pour les rafles que Kentronakan avait subies, ainsi que pour l’organisation d’une olympiade pour la création de la nouvelle armée Kalokas. Il ne savait pas laquelle de ces informations le rendait le plus malade. La bile lui montait aux lèvres. Maintenant qu’il avait passé le flambeau à Vikthor, il n’avait plus l’énergie pour se battre contre de si grandes injustices. Il sentait que sa force vitale le quittait et plus vite qu’il ne l’aurait imaginé. Cela ne faisait pourtant pas un an qu’il n’était plus Élu. Il avait encore quelques années avant de passer l’arme à gauche pourtant, il avait déjà l’impression d’avoir un pied dans la tombe. Ses pensées moroses formèrent petit à petit un poids sur ses épaules. Bénédit avait soudainement l’impression que sa cage thoracique était trop petite. Haletant, il avait du mal à calmer son esprit agité.
Et si j’étais passé à côté de ma vie… songea-t-il.
La douleur de la perte de Sonfà le frappa alors en plein estomac. Il ne peut retenir plus longtemps la bile qui lui montait à la bouche. Il était peut-être passé à côté d’une vie de famille, mais jusqu’ici il avait eu sa nièce pour se consoler. Lui qui n’avait jamais trouvé son âme sœur avait préféré restait célibataire par peur de fonder un foyer avec une autre personne. Marié, parent ou non, on ne pouvait éviter l’amour de son âme sœur à moins d’y être contraint. Bénédit n’avait donc jamais cherché à faire sa vie avec quelqu’un d’autre. Il s’était toujours vu en couple avec son âme sœur ou seul. Pas de compromis possible. Mais aujourd’hui, il se demandait s’il avait bien fait. N’était-il pas passé à côté de quelque chose ? Jusqu’ici, il avait comblé le vide en élevant sa nièce et en dirigeant les Physés. Mais maintenant qu’il n’était plus l’Élu et qu’il avait perdu Sonfà, que lui restait-il à présent ?
Bénédit s’essuya les lèvres du revers de sa manche après avoir lâché ce que son estomac se refusait à digérer. Blême, il s’obligea à prendre l’air. Il avait besoin de faire un tour de ronde. Ses animaux sauvages supportaient mal l’enfermement dans la grotte, ce serait l’occasion pour eux de sortir.
_Tomàs, je prends ce tour de garde. Je vais faire une ronde dans le désert. Cela me fera du bien, expliqua-t-il en ayant du mal à cacher son état.
Sans attendre de réponse, il ordonna à deux de ses aigles ainsi qu’à son ours Pim de le suivre. Il ne s’était jamais considéré comme leur maitre, plutôt comme leur confrère et leur présence le rassuraient. Il avait appris à grandir avec ce don depuis son plus jeune âge. Avec Sonfà, Vikthor et Sophya, ils étaient sa famille. Une famille composée de toute part, mais une famille quand même.
Bien que les températures avaient baissé, la région sableuse ne connaissait pas d’hiver. Pour se protéger du soleil et ne pas être reconnaissable, Bénédit avait emmitouflé son visage dans un turban beige. Paré dans sa tenue de la même couleur, il était presque invisible de loin. Ses aigles qui volaient au vent le prévenaient de toutes présences suspectes. Mais heureusement, le désert était vide. L’ancien Élu des rouges le connaissait de toute façon comme sa poche. Il avait appris ici à entrainer les animaux depuis son plus jeune âge. C’était leur terrain de jeux. Voir le désert briller ainsi sous le soleil de la fin de journée, lui redonna du baume au cœur. Rassuré par la compagnie de son ours et de ses aigles qui pouvaient repérer une proie à plus de deux kilomètres, Bénédit s’assit dans le sable encore chaud pour admirer le coucher du soleil sur les dunes. Pour lui, ce spectacle était des plus magnifique. Ce camaïeu de blanc qui passait à l’orangé face aux rayons du soleil couchant n’avait pas d’égal. Certains grains de sable scintillaient sous la lumière rasante, à ce moment précis c’était comme si que le désert était recouvert d’étoiles.
_Que c’est beau. Dommage que je sois seul à t’admirer encore ce soir, murmura Bénédit à l’intention de sa chère région.
Assis dans le sable, les jambes tendues et les mains en arrière, il s’amusait à creuser la dune de ses doigts. Les grains qui entouraient sa peau brune le rassuraient. Encore aujourd’hui, il était toujours subjugué par la beauté de ces paysages qu’il connaissait par cœur. Pourtant sa tête semblait divaguer ailleurs. Vers ses craintes, ses regrets, ses doutes et ses peurs. Vers Paskhal. Il ne pouvait pas s’empêcher d’y penser, même ici. À l’autre bout du monde, sa présence, leur amitié et sa trahison se faisaient sentir. Ce soir plus que tout.
Une fois le soleil couché, Bénédit ferma les yeux pour laisser ses pensées vagabonder seul. Peut-être qu’elles lui donneraient la réponse à toute cette histoire. Il écouta alors le vent tomber petit à petit sur la vallée. Il s’engouffrait soudainement dans les grottes puis ressortait pour soulever un peu de sable avant de se calmer et repartir à nouveau. Pour lui c’était comme une chanson, un leitmotiv rassurant. Mais ce soir-là, le vent semblait plus bavard que d’habitude. Il lui racontait des histoires, il lui rapportait des paroles et des secrets.
_Où es-tu ? murmurait le vent.
_Où êtes-vous ? répétait-il inlassablement.
Bénédit tendit l’oreille, mais le vent ne lui parlait pas vraiment. Il était toujours seul, toujours entouré par ses animaux uniquement. Pourtant il sentait une présence au fond de lui, un murmure presque inaudible. Une voix féminine qui lui demandait de l’aide. Certain qu’on essayait de lui transmettre un message, Bénédit se mit à faire le vide dans son esprit. Il se laissa porter par la brise jusqu’à pouvoir capter son essence même. Son esprit divagua longuement et il eut l’impression d’être emporté à travers tout le désert. Quelqu’un l’appelait, mais ils étaient trop éloignés pour s’entendre vraiment. Il savait juste qu’on le cherchait, mais pour qui, pour quoi ? Bénédit n’avait pas encore la réponse. Pourtant, il en était certain l’appel venait du désert, vers le sud. On avait besoin de lui.
_Bénédict, où es-tu ? lui répéta le vent.
_Je t’entends, lui répondit alors Bénédit à travers son telsman.
Comme s’il avait prononcé une formule magique, son amulette se mit à recevoir des milliers de pensées tourmentées. Il pouvait sentir le désespoir d’une personne, mais aussi sa joie qu’un message soit passé. L’ancien Élu se concentra pour préciser le contact et enfin faire le lien. Et tout d’un coup, la voix se précisa.
_Bénédit, où es-tu ? Je suis là… On arrive. Nous avons besoin de toi…
_HESTIA ? comprit-il secoué.
_Oui… c’est moi. Je suis là. Je te cherche…
_Mais pourquoi ? s’inquiéta le Physé. Paskhal est avec toi ?
_Non, je suis seule… Paskhal m’a trahi, il nous a tous trahis, sanglota-t-elle.
_Seule ? l’interrogea-t-il soupçonneux.
_Je l’ai lu… Il est derrière tout ça Bénédit. Il manipule tout le monde… Il a…
_Où es-tu ?
_A Kenzack.
_N’y reste pas, enfonce-toi dans le désert. Je t’y rejoins.
Sans réfléchir plus longtemps, Bénédit parti en direction de la première ville à la frontière sud de Yacuiba. Il prendrait le temps de prévenir Sophya plus tard, quand il aurait mis de la distance entre lui et leur cachette. Il savait qu’Hestia lui avait menti, elle n’était pas seule. Pourtant autant, est-ce que c’était un piège ? Il devait en avoir le cœur net. Sophya n’aurait jamais laissé cette chance à Hestia et de toute façon il ne pouvait pas se permettre de la mettre en danger. Les traits tirés, il avança inexorablement vers son ancienne amie de toujours. Guidé par ses deux aigles et la connexion de son telsman, il savait qu’il allait la retrouver, mais deux à trois jours de marche les séparaient. Secrètement, il espérait qu’elle lui apporterait de bonnes nouvelles, mais les premiers mots qu’ils avaient échangés ne laissaient plus aucun doute sur le comportement de Paskhal. Si Hestia avait réellement préféré trahir son âme sœur et le rejoindre, c’est qu’il était allé surement beaucoup plus loin que ce qu’il pouvait imaginer. Suivi de près par son ours Pim, il appréhendait cette rencontre et les révélations à venir. Autour de lui, le vent soufflait toujours. Il le poussait vers des secrets inconnus et de nombreux non-dits, Bénédit le sentait. L’ancien Élu le savait, quand il retrouverait Hestia sa vie changerait, mais il ne réalisait pas encore à quel point.