Martial tournait en rond depuis près de trente minutes dans son bureau. Quelque chose n’allait pas dans le dossier avec le couple Australien. Il n’avait pas reçu de réponse à son dernier mail et commençait à s’inquiéter. Ce dernier envoi datait déjà de quelques jours.
En temps normal, ce genre de dossier était traité quotidiennement, surtout au début, pour accrocher définitivement le client. En temps normal, on ne devait rien laisser au hasard, on se devait de consulter, vérifier, faire valider par le client chaque point du dossier avant d’avancer.
Avec Damien, ils avaient mis en place leur méthode à eux, plus communément désigné sous le nom de process interne MBA qui assurait un déroulement étape par étape.
Depuis le temps, leur méthode avait fait ses preuves et si un dossier n’aboutissait pas, ça n’était jamais à cause d’un dysfonctionnement dans leur méthode de travail.
Il rouvrit le dossier sur son mac, passa en revue les premières esquisses qu’il avait réalisées et relut les commentaires et suggestions qu’il avait annexés.
Stupéfait, il se jeta brusquement en arrière, ce qui fit basculer le dos de son fauteuil et manqua de le faire tomber à la renverse.
Etait ce possible ? Il n’en croyait pas ses yeux.
Le dossier qu’il avait sous les yeux semblait avoir était monté par un jeune débutant. Cela aurait pu être son œuvre mais trente ans auparavant, lorsqu’il était en stage.
Il se leva et fit à nouveau plusieurs fois le tour de son bureau ; il se passa la main sur la nuque ; il sentait les gouttes de sueur perler sur sa peau et déjà descendre dans son coup.
C’était impossible qu’il ait pu faire un travail aussi basique, manquant totalement de créativité, d’imagination et de réflexion.
Même sur le plan technique, il descella des erreurs, chose qu’il pouvait s’enorgueillir de n’avoir jamais faite durant toute sa carrière professionnelle. Dans le doute, il prenait toujours la précaution de se renseigner auprès de ses partenaires du bâtiment pour infirmer ou confirmer sa solution.
Comment se pouvait-il qu’il ait adressé ce projet à son client. Il se dit en lui-même que le résultat qu’il découvrait n’était en rien à la hauteur de ce que sa clientèle pouvait attendre de lui. Même un débutant dans le métier aurait fait mieux.
A l’idée de cette dernière réflexion, il passa ses mains sur son visage humide avec l’effroi du joueur d’échec qui sait qu’il va être mat au prochain coup.
Un temps, il se raccrocha à l’idée que c’était un mauvais coup dont il avait été la victime. On avait sûrement substitué son dossier original par un autre dossier.
« Les virus informatiques sont partout de nos jours » pensa t-il et les piratages sont quotidiens dans le domaine de la propriété intellectuelle ou industrielle.
Mais non, aucune attaque logicielle n’avait était détectée par son antivirus. Son ordinateur était protégé par un mot de passe que lui seul connaissait.
Il se rendit à l’évidence qu’il avait bel et bien envoyé ce dossier lui-même.
Il se rassit et rédigea un premier mail à ses clients pour s’excuser de l’envoi de ce projet qui d’ailleurs n’en était pas un, leur promettant qu’un dossier complet leur parviendrait dans la journée.
Il n’eut pas le temps de poursuivre plus loin ses réflexions ; la réponse à son mail fut quasi immédiate.
Les jeunes australiens fortunés avaient signé la mission avec un autre cabinet d’architecte…..formule de politesse et « bonne continuation » achevaient le mail assassin.
Dépité, Martial venait de s’allonger sur son lit pour essayer de reprendre ses esprits. Que lui arrivait-il depuis qu’il avait commencé ses expériences dans le passé.
Avait il 18 ou 48 ans ? Etait-il tout simplement en transition entre les deux ?
Perdu dans ses pensées, il n’entendit sonner à sa porte qu’au troisième essai de celui qui se tenait sur son palier.
D’un bon, il sauta du lit et se précipita pour ouvrir. Damien se tenait devant lui, une pizza et une bouteille à la main.
« Salut mon ami, comment ça va ? »
Découvrant la stupeur sur le visage de Martial, il enchaîna :
« La nuit a été courte, me semble t-il, tu as les yeux dans le brouillard. Allez raconte, je veux tout savoir, comment est-elle, comment elle s’appelle, où l’as-tu rencontrée ?»
« Ce n’est pas du tout ce que tu crois, j’ai travaillé toute la nuit sur un projet » s’empressa de répondre Martial.
Il n’avait pas terminé sa phrase que déjà il regrettait de l’avoir prononcée. La discussion allait venir tôt ou tard sur le dossier australien et ce serait la catastrophe assurée.
Pour faire diversion, il essaya de rebondir sur la question précédente.
« En fait , je vois une jeune femme. Je pense qu’elle est plutôt jolie »
« Si tu dis elle est plutôt jolie cela signifie très belle, n’est ce pas ?
« Non, non, en fait je ne sais pas , je ne l’ai vu que quelques fois, je ne veux pas aller trop vite avec elle »
« Donne-moi au moins son prénom »
A cet instant, Martial se rendit compte une fois de plus qu’il ne connaissait pas le prénom de celle avec laquelle il partageait récemment les moments les plus agréables de sa vie.
« Ecoute, je t‘en reparlerai mais rien de sérieux pour le moment, je préfère garder ça pour moi, pour l’instant »
« Toi, tu es vraiment toujours aussi pudique. Bon ok, on en reparlera. Fais-moi plutôt le point sur le dossier du siècle »
« Le dossier du siècle ? » s’enquit Martial qui sentait arriver la tempête.
« Ne me la fais pas à moi, s’il te plaît, on sait très bien toi et moi que tes deux homos ont les moyens de construire un château et qu’à nous deux on va leur faire un palace. Je fais comme chez moi si tu permets »
Il s’empara d’un tire bouchon dans la cuisine, pris deux verres à vin, fit sauter le bouchon et se servit. Il fit tourner le verre dans la lumière, porta le breuvage à ses narines puis à ses lèvres.
Après avoir fait rouler le nectar dans sa bouche il avala, laissa passer quelques secondes, fit claquer sa langue sur le palais avant de s’exclamer :
« Château Angelus, Saint Emilion, il fallait au moins ça pour fêter l’affaire du siècle. Alors how much, combien tu leurs as vendu ton savoir faire ?»
Martial sentit sa cage thoracique comme prise dans un étau. La douleur se faisait insistante malgré ses efforts pour décontracter le haut de son corps. Mais le mal ne passait pas le moins du monde. Il faudrait expliquer, se justifier, argumenter dès que la foudre aller frapper.
C’est Damien qui reprit la parole le premier:
« Montre-moi ce que tu leur as fait » lança celui-ci alors qu’il se jetait déjà sur le Mac de son ami et manipulait la souris pour faire disparaitre l’écran de veille.
L’ordinateur était passé en veille alors que le dossier n’avait pas était refermé. En un éclair, le document s’afficha à l’écran comme une bombe à retardement, prête à exploser au moindre mouvement.
Et c’est précisément ce qui arriva.
« C’est quoi ça ? Tu conserves de drôles de dossier ! Tu as trouvé ça où ?
En prononçant ces mots, Damien lisait machinalement le document qu’il avait sous les yeux.
Son visage se crispa quand il lut les références du dossier dans le bas de page. Perplexe, il n’osa pas questionner plus avant son ami sur l’origine ou l’utilisation de ce document tant ce dernier lui paraissait dénué de toute qualité professionnelle; il enchaîna :
« Ou as-tu placé le document original ? »
La réponse se faisait attendre, les secondes s’égrenaient et le silence commençait à peser. Une sorte de chape de plomb semblait s’abattre sur les deux amis.
« A notre succès ! » lança Damien en rapprochant son verre de celui de Martial pour le faire trinquer.
C’était la dernière tentative avant le déluge. Les deux hommes se tenaient debout, immobiles, proches l’un de l’autre, dans l’œil du cyclone.
Mais la tempête était inévitable
Je continu ma lecture avec plaisir. Le dernier rebondissement (le fait que Martial semble avoir envoyé un dossier de débutant sans s'en rendre compte) est vraiment réussi. Tu as très bien retranscrit son effroi, les conséquences que cela pourrait avoir sur sa vie professionnel.
Je ne reviens pas sur la forme du récit, il y a des maladresses qui pourraient être supprimées après une relecture, par exemple ce passage n’est pas très clair :
« A ces mots, son interlocuteur se gratta le menton puis se tira le lobe de l’oreille. Autant d’enthousiasme, aussi vite dans le protocole d’expérimentation ne lui plaisait pas vraiment. Mais il était hors de question qu’il freine la volonté de son patient de poursuivre. »
Et parfois tu as tendance à expliquer des points que l’on devine sans peine. Par exemple :
« Il prit son téléphone et appela son ami à Bordeaux. Se rendant compte in extrémis de l’heure, il voulu raccrocher, mais trop tard, la sonnerie avait retenti une première fois sur le portable de Damien.« Martial, ça va, que t’arrives-t-il à une heure aussi tardive de la nuit , tu as un problème ? »
=> Damien n’a pas besoin de dire « que t’arrives-t-il à une heure aussi tardive de la nuit ». On sait avec les phrases précédentes qu’il est tard et on anticipe son inquiétude car ce genre de coup de fil est très inhabituel de la part de Martiel
Je me suis faite quelques réflexions au fil de ma lecture :
- Je trouve que le retour Damien est quelque peu abrupt. Je m'étais dit jusqu'à présent que les deux amis avaient plus ou moins coupé les ponts (il lui pique tout de même sa femme), et d'un coup Damien revient comme si de rien n'était, sans trop prévenir, tout enjoué. Je pense qu’il faudrait motiver d’avantage le motif de sa venue. Par exemple lors de son coup de fil nocturne Martial lui dit que ça ne va pas, mais le regrette instantanément. Puis Damien insiste pour venir, histoire de renouer avec lui et de l’aider.
-Je reste un peu sur ma faim lors des passages où Martial voyage dans le temps. J'aimerais que ce soit un peu plus long, que l'on en apprenne d'avantage et que les liens avec la jeune femme soient plus fort :)
Voilà pour mes impressions, j’ai hâte de connaître la suite de l’histoire ! bonne continuations