À Erden, après les olympiades kalokas.
L’olympiade kalokas s’était achevée sur un air de fête auquel avait participé Garnel et Loris ainsi que les miliciens qui les accompagnés. Tout le monde était fier du courage d’Endza, l’enfant prodige de la famille Agape. La seule encore présente aux côtés de son illustre père. Pour la seconde fois, Endza voyait son portrait paraitre dans la presse. On y découvrait son exploit aux épreuves imaginées par le ministre de la Protection des territoires et de la Justice, on décrivait son don d’élasticité et sa combativité. L’article mentionnait également son cœur pur qui méritait, après être venu en aide à ses amis, de soulever l’épée de Zro.
_Tu as vu cette photo de toi ? Je vais garder l’article, cette force que tu as dans le regard en empoignant l’épée, commenta Nazar en lisant le journal.
_Depuis, j’ai de nombreux admirateurs ! Je crois que je suis photogénique, lui répondit la rouquine aux anges.
_Il faut dire que tu méritais amplement la victoire. C’est à croire que l’épée mythique des frères Sirel avait été créée pour toi !
_Je la porterais fièrement d’ici quelques jours. Les ministres veulent introniser notre armée à Kentronakan avant que l’on commence à conquérir les terres physées. Te rends-tu compte ? On va enfin découvrir la capitale !
_Oui, mais en attendant, nous avons une permission d’une journée. Et si nous parcourions la campagne à vélo comme chaque hiver ? Les routes sont fraichement déblayées, autant en profiter pour passer un moment tous les deux, lui proposa Nazar avec un sourire qui toucha Endza en plein cœur.
_Avec plaisir ! s’enthousiasma-t-elle en agrippant l’ancienne bicyclette de Manon, comme si cette dernière n’avait jamais existé.
Les deux adolescents partirent alors côte à côte pour vivre leurs derniers instants d’insouciances. Demain, ils quitteraient la verte Zorrèce pour la ville grise en laissant derrière eux leurs âmes d’enfants pour la combativité d’un soldat. Ils ne le savaient pas encore, mais ils allaient bientôt connaitre des heures sombres. Eux qui croyaient aux idéaux de leur Élu et en la pureté de leur combat, ne risquaient de connaitre que rage et désillusions. Mais ils avaient bien le temps de l’apprendre, en attendant Paskhal fût ému de les voir ainsi profiter de leurs derniers instants de libertés. Demain l’histoire les appellerait, demain ils quitteraient l’enfance.
Garnel quant à lui s’apprêtait déjà à partir d’Erden. Les trois jours qu’il avait passés aux côtés de Paskhal l’avaient déjà trop éloigné du pouvoir à son goût. Il n’aimait pas déléguer les prises de décisions aux autres ministres. Il avait besoin de mettre son grain de sel dans chaque rouage de la vie politique du Nouveau Monde. Il s’était élevé ainsi au rang de personnalité préférée, il n’allait pas changer de comportement maintenant. De plus, il se devait de préparer la venue de l’armée kalokas. Ils souhaitaient les accueillir en grande pompe pour qu’ils puissent connaitre l’amour du peuple humain. C’était une façon de leur donner un dernier moment de gloire avant de les envoyer au combat. Il remettrait l’épée de Zro, une seconde fois, face à la foule, mais sur la place du Trône de la capitale. Au même endroit où Loris avait exhibé la tête décapitée de Sonfà, il ferait parader la nouvelle protégée des Kalokas. Comme toujours, le ministre ganté avait le sens du spectacle. Pour l’occasion, il avait également prévu d’habiller la nouvelle armée avec des uniformes spécialement conçus pour eux par les Hylés détenus dans les Lendemains Sans Peur. Encore une belle ironie.
Entouré par ses plus hauts gradés lors de ce déplacement en terre kalokas, Garnel reçut la réclamation de l’un d’eux alors qu’il s’apprêtait à rejoindre son train.
_Monsieur le ministre, le Sergent Mandrin souhaiterez vous parler, annonça le milicien qui gardait la porte de sa chambre.
_Très bien, faites-le entrer.
Garnel, prêt à partir, avait déjà passé son long manteau noir à queue de pie ainsi qu’une écharpe pourpre. Pressé, il ne prit pas le temps de s’assoir pour accueillir le sergent.
_Bonjour Monsieur le Ministre.
_Repos, je vous en prie Sergent, rentrez-donc. Vous êtes un héros de guerre, à vous seul vous avez permis la capture et la déportation des tous les dissidents de Byan. Vous avez déjà mon respect, que puis-je faire pour vous. Répondit Garnel en faisant craquer le cuir de son gant droit.
_Monsieur le ministre, justement suite à ces états de service, je souhaiterais vous demander une faveur, commença le Sergent Mandrin en remarquant que son interlocuteur n’était ganté que d’une seule main. Je voudrais visiter Les Lendemains Sans Peur, acheva Louis en soutenant le regard de Garnel.
_Je m’attendais plutôt à une demande de permission, avoua-t-il avec surprise. Pourquoi vouloir aller en terre australe ? En plein hiver ce n’est pas la meilleure des destinations pour du repos.
_Je voudrais voir de mes propres yeux le fruit de mon labeur, mentit Louis. Nous avons envoyé trente mille personnes dans ces camps suite à nos opérations dans la région de Narnji. Personne n’a fait mieux que mon régiment. Si vous le permettez, je serais ravie de voir où et comment sont traités nos opposants politiques. Je mettrais enfin une image sur la finalité de mes missions.
_Je ne suis pas pour que mes officiers visitent ces camps et en parlent à tout va au tour d’eux. Ils ont été construits et pensés à l’abri des regards curieux, je souhaiterais que cela reste ainsi.
_Monsieur le ministre, le coupa Mandrin.
_Sergent, je n’ai pas fini. Ne m’interrompez pas, le reprit Garnel avec autorité. Mais au regard de votre rang, mais aussi de votre soutien sans faille, je consens à faire une exception. Rentrons ensemble comme convenu, vous partirez après que l’armée kalokas est été présentée au Nouveau Monde.
_Merci monsieur le ministre. Merci infiniment, répondit le milicien heureux de cette annonce.
Comme demandé, il sortit sur les talons de Garnel pour prendre le train avec lui. Rassuré par cet échange, le sergent Mandrin avait à présent hâte de visiter Les Lendemains Sans Peur. Contrairement à ce qu’il avait pu affirmer, il n’avait aucunement envie de voir le malheur de ces prisonniers. Au contraire, il voulait faire taire cette mauvaise intuition qu’il avait depuis l’arrestation d’Achot Anmegh et de Gaultier Kajut. Depuis, il n’arrivait plus à dormir, il avait besoin de savoir s’il était dans le bon camp. Il n’était plus sûr de se battre pour de bonnes raisons ni pour les bonnes personnes. Alors pour faire taire sa conscience et poursuivre son rôle de sergent, il voulait voir la vérité en face. Il en avait besoin, quelqu’un de son rang ne pouvait rester dans l’ignorance.
Quand leurs trains arrivèrent enfin à Kentronakan en fin de journée, le sergent voulut encore remercier le ministre d’avoir accepté sa demande. Il avait douté de réussir à obtenir une telle entrevue et au final Garnel s’était montré très conciliant. Les jeunes miliciens qui habitaient aux alentours de la demeure du ministre et qui lui servaient de garde personnel l’avaient pourtant toujours décrit comme moins docile. Lui qui n’avait jamais pu rentrer dans cette caserne où séjournaient les miliciens que dirigeait directement Loris, le chef de la milice, avait enfin goûté à la chance de côtoyer ses dirigeants. Touché par cette proximité soudaine, le sergent Mandrin n’en oubliait pas moins ses doutes. Mais il ne pouvait faire mentir le charisme du ministre ni son accessibilité. Malheureusement pour lui, Garnel avait quitté le train dès son arrivée en gare. Laissant derrière lui son frère et toute la milice, pour rejoindre son chauffeur privé et être conduit au conseil ministériel.
Sur place, Garnel ne prit le temps de saluer ses collègues qui préparaient la cérémonie future. Il demanda même à ce qu’on ne les prévienne pas de son arrivée. Le légendaire ministre à la main gantée ne voulait pas être dérangé. Il avait rendez-vous dans son bureau et il attendait ce moment depuis longtemps. Il devait s’entretenir avec une voix, mais avant d’allumer sa radio, il déballa minutieusement le colis qui lui avait été laissé sur son secrétaire.
Après avoir écarté les feuilles de soie qui protégeaient le contenu du carton, Garnel en sortit délicatement un tissu bleu marine. Il le porta directement à son nez en espérant ressentir le parfum de celle qui l’avait porté quelques semaines plus tôt. La cape qu’il avait offerte à Manon pour son dix-septième anniversaire semblait encore être habitée par sa fougue et une effluve divine. Le ministre passa alors ses doigts nus sur l’attache cassée du vêtement comme s’il regrettait la violence qu’avait subie Manon en l’enlevant. Il déganta ensuite son autre main pour se saisir du reste du paquet. Il en sortit la robe qu’il avait fait faire pour elle. Elle était toujours aussi majestueuse malgré la tache de sang qui recouvrait tout le buste de la robe. Garnel ne put cacher son émotion à la vue de cette toilette. Elle lui rappelait douloureusement son amour impossible et cette fois où il avait failli perdre la seule personne qui lui faisait oublier sa quête de pouvoir.
Mais le ministre ne pouvait pas se laisser aller à la nostalgie plus longtemps. Il plaça alors la robe sur le stockman qui accueillait normalement son manteau. Il n’avait pas encore reçu le buste de femme qui la mettrait plus en valeur, mais il souhaitait dès à présent l’exposer dans son bureau. Même si c’était une preuve de sa faiblesse, il voulait qu’elle lui serve de rappel. En posant son regard sur elle à chaque fois qu’il se placerait à son bureau, il se souviendrait de la fois où il avait failli tout perdre. Il se souviendrait à jamais de cet anniversaire où il avait perdu le contrôle de son frère, de cette fois où il avait préféré ses sentiments à son pouvoir, du moment exact où il avait compris qu’il devait se séparer de Manon. Cette robe était là pour lui dire que la femme qu’il avait enlevée, torturée, manipulée, mais qu’il souhaitait à présent protéger pouvait le détruire.
Après l’avoir placé comme il le souhaitait, Garnel regagna son bureau pour l’admirer puis se tourna enfin vers sa radio pour l’allumer. Il ne pouvait pas se permettre d’être en retard à ce premier rendez-vous. Tandis que le hautparleur grésillait, il attrapa la cape laissée sur son bureau et la plaça sur ses genoux telle une couverture rassurante.
_Il parait que vous souhaitez me parler, cracha soudainement le poste.
À ces mots, Garnel ferma les yeux comme s’il les avait attendus depuis des siècles. Ses mains nues resserrèrent leurs prises sur la cape. Il racla sa gorge en prenant soin de balayer les émotions qui pourraient le trahir pour parler d’une voix claire et posée.
_Oui, Manon. J’avais besoin de t’entendre, de te parler.
_Les nouvelles de mes gardiens ne vous suffisent plus ? Nos échanges autour d’une tasse de thé vous manquent ? le railla Manon avec aplomb.
_Je mettais habitué à tes remarques constructives et nos discussions passionnées. J’avoue que les emportements répétés de Loris ont tendance à me lasser. J’aimerais croire que ça te plaisait à toi aussi, répliqua Garnel dans un sourire.
_J’ai un bon souvenir des petits gâteaux qui nous étaient apportés lors de ces gouters, mentit la télépathe.
Elle n’aurait su dire pourquoi et encore moins se l’avouer, mais Manon apprécia cet échange. En réalité, elle avait aimé ces moments partagés avec Garnel. Elle avait appris à le connaitre et à le défier. Cela n’avait pas été désagréable d’en apprendre plus sur lui, de toucher du doigt sa soif de pouvoir et d’être au plus près de cette personne charismatique et si secrète. Elle le détestait, mais elle savait également apprécier son intelligence à sa juste valeur. Après tout, il n’était pas le pire des frères Agape. Il lui avait sauvé la vie. Elle s’en rappelait. Il l’avait épargné ainsi que Solenne, Arthur et Vikthor. Même s’il avait fait la promesse à la Déesse de ne pas en tenir compte le jour où elle devrait l’affronter, elle pouvait échanger avec lui en attendant.
_Je demanderais à ce qu’on t’apporte des gourmandises lors de nos entrevues dans ce cas. Une fois par semaine, cela te convient ?
_S’il y a de quoi manger.
_J’ai revu ta sœur, reprit Garnel. Elle va bien, c’est une Kalokas très douée pour son âge.
_Pourquoi l’as-tu vu ? l’interrogea Manon qui n’était pas censée déjà être informée de la création de l’armée kalokas.
Garnel s’employa à lui raconter tout ce qu’il s’était passé depuis son départ. La vérité uniquement, celle qu’il taisait aux autres. Il expliqua le meurtre de la ministre de la Justice. Il l’avait tué pour protéger son secret, il l’avait tué pour protéger Manon. Il ne le lui cacha pas. Il raconta ensuite comment il avait remis la faute sur la résistance pour pouvoir appeler Paskhal à l’aide. Sans le lui dire, Manon salua le discernement dont avait fait preuve son oncle. Même quand il se montrait impulsif, il retombait toujours sur ses pattes. Comme Gaultier le lui avait déjà dit après avoir écouté son discours à la radio, son père avait répondu présent et avait recruté des Kalokas pour montrer une armée sirélienne. Ensuite, Garnel en vint aux raisons concrètes qui l’avaient poussé à rencontrer Endza et au déroulé de ces olympiades. Heureuse d’avoir enfin des nouvelles de sa famille, Manon but ses paroles.
_J’ai créé une compétions où chacun devait s’illustrer par sa force, son courage et son intelligence. Ta sœur a fait preuve de toutes les qualités nécessaires au visage de cette armée. Elle était redoutable et en même temps touchante. Elle a gagné toutes les épreuves avec fairplay. Vous êtes fait du même bois, mais ça n’est pas frappant au premier regard.
_Nazar a participé lui aussi ? le questionna Manon émue.
_Ton favori ? Oui. Il la suivait comme son ombre. Il a toutefois brillé par son sacrifice. Il faut le reconnaitre, en plus de sa carrure, il a l’air d’avoir quelques atouts.
_Et mon père ?
_Tu veux encore entendre parler de lui après ce qu’il t’a fait, soupira Garnel avec mépris. Il a fanfaronné comme à son habitude. Il va bien, ses enfants n’ont pas vraiment l’air de lui manquer.
_Et ma mère ? Comment va-t-elle ? Comment vit-elle tout ça ?
_Hestia ? réfléchit Garnel en caressant la cape sur ses genoux. Elle n’était pas présente. Je ne sais pas où elle était, nous ne parlons pas de ces choses-là avec ton père.
_Elle n’était pas présente ? répéta Manon. Ma mère a toujours soutenu mon père quoi qu’il puisse dire ou faire. Elle lui tenait tête en privé, mais l’accompagnait toujours en public. Elle aurait dû être là ! s’inquiéta soudainement Manon.
_Elle n’y était pas. Je suis désolé… Je vais me renseigner pour pouvoir te donner des nouvelles la prochaine fois, promis-t-il sincèrement.
_Merci. Cela ne lui ressemble pas, il a dû se passer quelque chose.
Garnel accueillit ses mots avec gravité. Sur le coup, il n’avait pas fait attention à ce détail pourtant Manon avait raison cela n’en était pas un. Les âmes sœurs étaient liées. Peut-être qu’il s’était passé quelque chose entre eux ou bien que Paskhal préférait éloigner sa femme de leur complot, car elle avait déjà des doutes sur lui. Dans tous les cas, ce n’était pas bon signe que son frère ne lui en ait pas fait part. Garnel était bien placé pour savoir que les secrets cachés dans cette famille pouvaient anéantir leur quête de pouvoir.
_Tu te souviens du présent que je t’avais offert pour tes dix-sept ans ? reprit Garnel pour passer à un sujet plus léger.
_Cette magnifique robe et sa cape.
_Oui, cette cape. J’ai demandé à ce qu’on me la retourne. Elle ne pouvait pas rester parmi les autres guenilles des prisonniers.
_Que représente-t-elle pour vous ?
_Oh, mon enfant. C’est un présent divin. C’est même le seul vêtement que la Déesse a laissé sur terre. Un des quatre joyaux de Namon, expliqua Garnel en la portant à son nez.
_La cape bleu nuit qu’elle porte sur le portrait qu’on a fait d’elle dans le dôme du conseil, comprit Manon.
_Oui, elle-même. Sa large capuche en forme de voute était censée évoquer le ciel, de couleur sombre, c’est une sorte d’allégorie du cosmos. On dit qu’elle permettait à la Déesse de voler. Aujourd’hui, les Hylés utilisent ce symbole de capuchon dans leurs armoiries.
_Et quels sont les autres joyaux ? s’enquit Manon très intéressée par la teneur de ces propos.
_Son sceptre à tête de loup, que tu as déjà vu.
_Vous l’avez transformé en médaillon pour y cacher votre telsman, comprit rapidement la télépathe.
_Tout à fait. Lui aussi, il était caché parmi l’une des salles oubliées du conseil ministériel. Pour un ancien historien comme moi, c’est un véritable musée. La tête de loup symbolise la loyauté et la fidélité dont Namon a fait preuve envers les humains en leur donnant une seconde chance. Il évoque également les liens à la nature et l’importance de préserver notre planète. Naturellement, les Physés l’ont choisi comme blason, car comme le loup, nous sommes courageux, dignes, mais libres, reprit Garnel en marquant pour la première sa fierté d’appartenir à ce peuple sirélien.
_S’il permet de cacher votre telsman c’est ce que les restes de ce spectre sont toujours magique, vous ne pensez pas ?
_À ton avis ? Sinon pourquoi aurais-je tenu à le récupérer ? Il en va surement de même pour la cape. Je n’en suis pas certain.
Manon se rappela alors la sensation de puissance et de force qu’elle avait ressentie en la portant lors de son trajet jusqu’aux Lendemains Sans Peur. Peut-être que Garnel avait raison, ces restes pouvaient encore avoir du pouvoir.
_Et les deux autres ?
_Il y a le triangle de sélénite. Le même que Namon porte sur son front. On suppose qu’il a disparu avec elle. Il était l’emblème de la stabilité, mais traduisait également les aptitudes de la Déesse à diriger et à contrôler les autres pour le bien commun. Avec lui, elle pouvait lire et contrôler les esprits, mais aussi prévoir l’avenir, du moins en connaitre une partie. Comme tu le sais, cette figure symbolise ton peuple et votre détermination dont vous faites preuve physiquement et mentalement.
Manon ne répondit pas à ces dernières explications. Elle savait ce que cela impliquait. Elle avait en elle l’un des quatre joyaux de la Déesse. En effet, il l’avait aidé à communiquer avec les Yeghes, elle savait donc qu’il pouvait permettre d’accroitre son pouvoir de télépathie de façon exponentiel. Namon lui en avait fait cadeau avant de la renvoyer d’entre les morts. Contrairement à Garnel, Manon préféra ne pas se montrer transparente à ce sujet.
_Et enfin, nous avons la couronne de bois de cerf. Il semblerait que Namon soit également repartie avec. Il n’y a en tout cas aucune trace d’elle depuis son départ. Ses bois symbolisent la puissance, sous toutes ses formes. C’est également l’allégorie de la fécondité. La Déesse portait cette couronne pour traduire sa longévité à travers son peuple et leur descendance future, mais elle s’en servait également comme protection. Comme les bois du cerf, la couronne aurait le pouvoir de repousser les attaques et ainsi protéger ses futures enfants. Humains comme Siréliens, acheva le ministre.
_Il ne représente aucun peuple ?
_Non, malgré leur sexualité débridée, les humains ne s’en servent pas comme symbole. Ils n’ont d’ailleurs aucun blason. Il ne doit pas avoir d’emblème divin susceptible de les représenter, plaisanta Garnel heureux de cet échange.
_Merci pour ce cours d’histoire, répondit simplement Manon songeuse.
Elle sentait qu’il y avait matière à creuser. Elle détenait elle-même le triangle de Sélénite quand il voulait bien faire son apparition, elle connaissait les pouvoirs du médaillon de Garnel et avait ressenti une certaine puissance en portant la cape de Namon. Le dernier joyau devait bien exister et représenter quelque chose.
Peut-être que la Déesse cache jalousement sa couronne. Je me souviens des pierres qui scintillaient dans ses cheveux quand je l’ai vu au-dessus de moi après ma mort, mais je n’ai jamais pu distinguer sa couronne ou des bois de cerf, songea Manon silencieusement.
_Ravi que ça t’ait plu. Nous pourrions remettre ça une prochaine fois. Je t’apporterais des nouvelles de ta mère, je te raconterais d’autres histoires, proposa Garnel avec anxiété.
Un ange passa et Manon ne répondit pas. Il serrait de toutes ses forces la cape qui portait encore son odeur, comme si elle pouvait lui apporter du réconfort. Mais il attendait une réponse. Il savait que Manon était encore là, il entendait son souffle. Elle devait hésiter, mais après tout pourquoi elle accorderait du temps à l’un de ses bourreaux maintenant qu’il était loin.
Peut-être a-t-elle peur de ne pas pouvoir me dire non, pensa Garnel peiné.
_Tu as le droit de ne pas vouloir. J’apprécie nos discussions, mais je ne te forcerais pas. Tu es libre de m’écouter, pas de chantage. Je te ferais passer des nouvelles de ta mère par courrier si tu préfères, ajouta Garnel en tentant de contenir l’hésitation dans sa voix.
Il ne voulait pas montrer son émotion, mais il tremblait. Il était pendu aux lèvres de Manon, à sa décision, bien plus qu’il ne l’aurait cru. Bien plus qu’il ne l’aurait voulu.
_S’il y a des gâteaux, répondit simplement Manon avant de s’éloigner du poste.
Garnel l’entendit s’écarter du micro sans plus de cérémonie, mais il ne lui en tenu par rigueur. Elle avait accepté de continuer à lui parler, bien qu’elle n’était pas obligée, bien qu’elle aurait des nouvelles de sa mère malgré tout. Elle avait accepté. La larme qui coula de l’œil de Garnel trahit la profonde émotion qu’il ressentit en entendant ces mots. Encore fois, cette femme l’avait touché. Elle était sa faiblesse et un jour un des deux en payerait le prix. Lui comme elle en était conscient désormais.