Le samedi matin à la première heure, Lyra retrouva Jude dans le réfectoire. Les essais pour intégrer l’équipe de monte de Boidébène allaient se dérouler une demi-heure plus tard sur le terrain d’entrainement et une tension palpable régnait autour du jeune homme.
Au-delà même de son expression lugubre, c’était son accoutrement, tout en accessoires de cuir usé, qui attira son regard. D’autres élèves portaient des tenues similaires, plus ou moins abîmées. Il s’agissait de tenue d’occasion prêtées par l’école en vue des sélections, pas vraiment le genre qu’on permettaient aux élèves de porter lors des courses.
Parmi son attirail, Lyra remarqua un casque posé sur la table entre le panier de petits pains et les pots de confiture, des gants épais qui pendaient à l’une de ses poches, un plastron à la couture déchirée par ce qui ressemblait fort à une morsure de vouivre au vue de la tâche violacée qui maculait encore le cuir, des jambières qui avaient dû voir des jours meilleurs et des manchettes dont l’une avait été grossièrement recousue sur toute la longueur tant l’entaille qui la barrait était profonde.
Lyra essaya de se consoler en se disant que les autres étaient pourvu du même matériel usé, mais cela ne l’empêcha pas de sentir son estomac se nouer d’angoisse en prenant place à côté de son ami.
— Tu es sûr de vouloir tenter ta chance ? demanda-t-elle après avoir longuement observé Jude jouer avec ses œufs brouillés.
Ce dernier releva un regard vif sur elle.
— Tu ne m’en crois pas capable ? demanda-t-il avec une véhémence qui la surprit.
Lyra papillonna des yeux, troublée. Alors qu’il réalisait lentement l’injustice de son comportement et s’apprêtait à s’en excuser, elle répondit avec une douceur qui ne rendit que plus vive sa culpabilité :
— Je t’en crois très capable, au contraire. Mais je me demande si c’est vraiment ce que tu veux.
À son tour, Jude cilla.
— Comment ça ?
— Eh bien, tu ne sembles pas plus emballé que ça à l’idée de rentrer dans l’équipe, tu ne le fais que pour provoquer ton frère et peut-être aussi pour te prouver quelque chose. Je me demande si c’est vraiment sain.
Cette dernière phrase, elle l’avait prononcée dans un soupir où perçait une certaine inquiétude au moment de baisser les yeux sur sa propre assiette qu’elle avait à peine touchée.
Jude ouvrit la bouche, la referma. En fait, il ne savait même pas quoi lui répondre. Au final, il baissa les yeux sur ses œufs qu’il cessa de malmener.
— Tu as raison, avoua-t-il puisqu’il était inutile de faire semblant devant elle. Je n’ai pas envie de le faire.
— Alors pourquoi… demanda-t-elle aussitôt, mais il la coupa d’un geste de la main.
— Je n’ai pas envie de rentrer dans l’équipe, poursuivit-il sans oser croiser son regard. Mais il m’est encore plus douloureux de ne pas le faire.
— Ce que tu dis n’a aucun sens, fit-elle platement remarquer après une éternité de silence.
Jude émit un rire dont l’éclat n’atteignit pas ses yeux.
— C’est vrai, s’amusa-t-il avant d’engloutir d’une traite ses œufs, ça n’a aucun sens. Mais je ne crois pas que tu puisses comprendre, ta relation n’est pas aussi compliquée avec ta sœur. Et… vous n’êtes pas des garçons.
— Tu veux dire que seuls les garçons sont des idiots à l’égo disproportionné ? hasarda-t-elle avec une pointe de malice.
— En partie, répondit-il avec un demi-sourire.
Lyra fit la grimace.
— Peut-être pour les autres, mais tu n’es vraiment pas le genre à entretenir un esprit de compétition aussi vif que celui de tes frères, protesta-t-elle tout de même. Tu n’es certainement pas aussi fier que Jonas, ni aussi arrogant qu’August.
— Non, c’est pire, se désola Jude en se levant, je suis aussi malicieux qu’Oliver. Et manque de chance, c’est lui qui m’a tendu la perche.
— Une perche que tu aurais pu ignorer, accusa-t-elle en le suivant en dehors du réfectoire.
Lorsqu’ils sortirent dans le parc, la lumière chaude du soleil les ébloui. Jude prit tout de suite la direction du stade de l’autre côté du lac, son sac sur l’épaule. Lyra courut après lui. En parvenant à sa hauteur, elle poursuivit leur conversation :
— Tu n’es pas forcé de le faire, plaida-t-elle encore.
— Pourquoi cherches-tu tant à m’en dissuader ? demanda-t-il avec curiosité.
Lyra ouvrit la bouche, mais ne sut que dire. Jude s’était arrêté et attendait qu’elle développe. Finalement, elle soupira.
— Je ne connais pas grand-chose en course de vouivres, avoua-t-elle finalement, mais de ce que tu m’as dit, je n’aime pas ça. C’est dangereux, même si ce n’est pas en aussi haut niveau que dans une véritable arène.
Elle se mordit les lèvres et osa enfin braquer un regard soucieux sur lui. Un regard qui, l’espace d’un instant, fit vaciller les certitudes du jeune homme et sa détermination à réussir les essais.
— Imagine que tu te blesses ? Ça arrive souvent, non ? Vous avez beau porter ces protections, lâcha-t-elle en pointant l’étrange uniforme en cuir de dragon qu’il avait revêtu, vous n’êtes pas à l’abri d’une chute ou d’une morsure.
— Je croyais que tu avais foi en mes capacité de monte ? releva-t-il avec un sourire taquin.
— Bien sûr que j’ai foi en toi ! s’offusqua Lyra. Mais là n’est pas le problème ! As-tu seulement entendu ce que je viens de…
— Alors cesse de t’inquiéter, la coupa-t-il avec un sourire confiant. Je suis assez bon pour ne pas tomber de selle. Et pour éviter les coups.
Mais Lyra, au vu de la moue qu’elle faisait, ne paraissait pas convaincue pour un sou.
— L’orgueil précède toujours la chute, répondit-elle platement.
Jude eut un coup au cœur à ses mots. Il se mordit la lèvre. Il s’en voulait de l’inquiéter ainsi, mais il ne pouvait plus reculer. Ce n’était même plus vraiment pour réduire Oliver au silence qu’il le faisait. Il voulait se prouver qu’il était capable, lui aussi, de faire quelque chose. Même si ce quelque chose le ramenait inévitablement à une activité où ses frères avaient déjà excellé.
De plus, il y avait aussi les membres de l’équipe. Ils comptaient sur lui, espéraient sincèrement qu’il intègre l’équipe. Il aurait certainement eu beaucoup moins de scrupules à refuser s’ils n’avaient pas été aussi prévenants et gentils avec Lyra.
Sauf qu’ils l’avaient été, et que rentrer dans l’équipe c’était aussi un peu rembourser cette dette. Pas sûr qu’elle apprécie cette dernière remarque, cependant, songea-t-il en lui prenant délicatement la main pour la serrer dans la sienne.
— Je serais prudent, promit Jude en désespoir de cause. Alors s’il te plait, laisse-moi au moins essayer.
Lorsqu’elle braqua un regard anxieux sur lui, ce fut pour lui découvrir un air suppliant. C’était comme s’il lui demandait la permission, une petite bénédiction pour lui donner le courage de le faire. À sa détermination, Lyra comprit qu’il n’y avait peut-être pas que le défi lancé par Oliver qui le motivait. Alors, elle soupira.
— Très bien, capitula-t-elle et Jude exulta.
— Merci ! s’exclama-t-il en la serrant dans ses bras. Tu ne seras pas déçue, c’est promis !
— Tu ne m’as jamais déçue, affirma-t-elle très sérieusement.
Jude sentit ses joues chauffer mais détourna les yeux. Elle ne le savait sûrement pas, mais ces simples mots lui donnaient l’impression qu’il pouvait tout accomplir.
Lorsqu’ils reprirent la route jusqu’au terrain de course, ils ne s’étaient pas lâchés.
Les tribunes étaient immenses. Lyra y monta pour avoir une vue d’ensemble sur l’immense arène qu’elles formaient. Les membres de l’équipe, au nombre de quatre, étaient déjà en tenue et affichaient fièrement les couleurs de Boidébène. Lyra remarqua parmi eux leur capitaine Mike Powers, un sifflet à la main. Dès qu’il la remarqua, il lui sourit en lui faisant signe. Lyra lui répondit, un peu timide, et il reporta son attention sur les nouveaux venus.
En balayant les lignes de sièges, Lyra remarqua Evanore effondrée sur l’un d’eux, les coudes résolument posés sur ses genoux, le visage entre ses mains. Elle avait l’air parfaitement ennuyé à regarder l’équipe.
Comme sentant sa présence, elle leva les yeux et lui sourit.
— Je pensais bien te croiser, avoua-t-elle en l’invitant à s’asseoir à côté d’elle.
— Pas moi, avoua Lyra en prenant place à ses côtés. Que viens-tu faire ici ? interrogea-t-elle en posant les yeux sur le terrain.
Aucune installation n’était en vue, mais l’on pouvait voir dans le gazon fraichement coupé des stigmates d’anciennes courses creuser et noircir la terre.
Evanore poussa un long soupir.
— Tu ne l’a pas reconnu ? demanda-t-elle sinistrement. Remarque, avec son attirail, on peut difficilement faire autrement.
Puis elle pointa l’un des membres de l’équipe dont la tête était partiellement dissimulée sous une espèce de heaume en cuire.
— Viktor fait partie de l’équipe, lâcha-t-elle platement.
— Viktor ? s’étonna Lyra.
Elle plissa les yeux, mais ne parvint à le reconnaitre que lorsqu’il se tourna vers elles. Un grand sourire aux lèvres, il fit signe à Evanore qui le lui rendit avec une certaine mauvaise foi.
— Oui, Viktor, confirma Evanore en se rencognant dans son siège. C’est un grand amateur de courses. Il a réussi les sélections pour devenir ailier de l’équipe l’an dernier. Il en est très fier, mais ne va surtout pas lui poser trop de questions où tu en auras pour la semaine à l’écouter radoter.
Lyra opina, dubitative. La première fois qu’elle l’avait rencontré, Viktor lui avait plus semblé l’âme d’un scientifique que d’un sportif. Ma foi, si c’est ce qu’il aime, philosopha intérieurement Lyra.
— Ah, voilà les petits nouveaux, souffla Evanore, une joue dans une paume.
Lyra se pencha un peu sur son siège et découvrit une petite brochette d’étudiants vêtus de l’équipement de monte. Elle reconnut quelques élèves de leur promotion en plus de Jude, comme Otis Bells qui avait l’air on ne peut plus mal à l’aise dans son uniforme trop grand. Il y avait aussi des élèves plus âgés. Lyra fut assez surprise de découvrir des filles parmi les participants.
— Tout le monde peut participer aux courses, lui apprit Evanore, comme lisant dans ses pensées. Certaines équipes nationales préfèrent même engager des filles en tête de flèche. Comme elles sont plus légères et souvent plus petite, ça permet un meilleur aérodynamisme. Enfin, d’après les dires de Viktor. Je dois t’avouer ne pas trop m’y intéresser.
— Et les autres ? voulut-elle savoir.
— Les défenseurs sont plus souvent de grosses brutes, plus pratique quand il faut se jeter sur les autres et les gêner. Les ailiers, eux, peuvent être un peu de tout, même si le fait d’être grand et robuste est tout de même plus pratique pour défendre la tête.
Lyra opina, à la fois fascinée et un peu perplexe.
Mike Powers se tenait devant les potentielles nouvelles recrues, son sifflet bien en main. Derrière lui les autres membres de son équipe s’occupaient des vouivres que les nouveaux allaient monter, une pour chacun d’eux.
La sélection commençait par le choix des vouivres. Evanore expliqua à Lyra que l’affinité entre une vouivre et son cavalier était l’une des choses les plus importantes pour former une bonne équipe. Ainsi, les quelques participants qui se firent bouder par les créatures furent disqualifier d’office.
Otis Bells avait les larmes aux yeux au moment de s’en aller, sous les ricanements de certains de ses aînés.
— L’échauffement va enfin commencer, annonça Evanore en se redressant, l’œil bien plus alerte.
L’échauffement en question ne concernait pas tant les cavaliers que leur monture. Chacun des petits nouveaux se mit en selle sur la vouivre qui l’avait choisi. Les membres de l’équipe, à l’exception du capitaine, les imitèrent.
— À présent, vous allez me faire trois tours de terrain. Je ne veux ni attaque, ni gène, contentez-vous de tenir en selle et d’aller le plus vite possible. À mon coup de sifflet… Partez !
Dès le départ, un problème se présenta chez l’un des étudiants de dernière année. Lyra ignorait s’il savait ou non monter ou si le coup de sifflet avait simplement surpris la vouivre, mais cette dernière partit en chandelle et désarçonna son cavalier qui frôla la chute fatale avant que l’un des membres de l’équipe – Isaac ou Archer, elle n’était pas sûre – ne le récupère au vol. Les autres l’ignorèrent et partirent dans une course effrénée tout autour de l’arène.
Alors que le cavalier éjecté était éconduit et sa vouivre rattrapée, Lyra remarqua l’attention que Mike portait à la montre dans sa main.
— Qu’est-ce qu’il fait ? demanda-t-elle tout haut.
Evanore lui jeta un coup d’œil avant de reporter son attention sur la course.
— Il chronomètre leur course. La tête de flèche est un post assez prestigieux mais surtout très important. C’est elle qui met fin à la partie par son arrivée, il faut donc qu’elle soit excellente cavalière mais aussi très rapide.
Lyra reporta son regard sur les vouivres qui se talonnaient. Jude était en bonne position mais était bloqué par une élève plus âgée qui refusait de lui céder le passage.
— Oh fait, je voulais te demander, relança subitement Evanore. Tu en es où de la recherche du club ?
Lyra soupira.
— J’ai tenté ma chance auprès de certains hier, mais ça n’a pas été très concluant… avoua-t-elle tristement en repensant aux visages renfrognés voir même carrément dégoûtés qu’elle avait affronté. Il semblerait qu’être boursière est suffisant pour être refusée. Et toi ?
— J’ai intégré le club de Méca-chimie il y a trois jours, lui apprit Evanore en reportant son attention sur l’arène. Mon grand-père en a fait partie dans sa jeunesse.
— Et ça consiste en quoi ? demanda Lyra avec curiosité.
— On se réuni deux fois par semaine pour travailler sur nos inventions personnelles, que ce soit de la mécanique-magique ou de l’alchimie. Certains se réunissent même pour des travaux de groupes. Viktor, dit-elle en pointant son ami dans les airs, en est l’un des meilleurs mécamages. Après moi, bien sûr.
— Isla et Othello en font-ils aussi partis ?
— Évidemment ! Le professeur Alambic est le président du club et il s’est déjà lié d’amitié avec Othello.
Lyra balaya les tribunes du regard, songeuse.
— Pourquoi ne sont-ils pas là, alors ?
— Oh, Isla n’est pas une grande adepte des courses et Othello avait des devoirs en retard. Il était tellement accaparé par sa dernière expérience qu’il a oublié de travailler sur le devoir de potion.
Lorsque la fin du deuxième tour approcha, Mike se décala vers un panneau de contrôle et Lyra sentit que la suite ne lui plairait pas.
À côté d’elle, un large sourire égaya le visage de sa colocataire.
— Ça commence enfin.
— Quoi donc ?
Evanore ne répondit pas.
Au même instant, Mike tira sur une manette et des planches de bois jaillirent une peu partout sur la piste, certaines hérissées de piques, d’autres lançant des objets, tout à la fois tranchant ou explosif.
— Et là, ils font quoi au juste ? demanda Lyra en serrant nerveusement le tissu de sa jupe dans ses poings.
— Relax, ce n’est qu’un test de réflexe. Les installations pour l’entrainement ne sont pas mortelles.
— Parce que celles des courses officielles, si ? s’étrangla Lyra.
Evanore émit un petit haussement d’épaules évasif et Lyra décida pour de bon qu’elle détestait ce jeu.
En reportant son attention sur la course, la sorcière découvrit un véritable chaos. Un élève de troisième année avait chuté de sa vouivre en voulant passer dans un goulot piégé. Un autre de deuxième année se retrouva projeté contre une planche hérissée dont les pointes, heureusement pour lui, étaient en mousse. La fille qui gênait le passage à Jude se retrouva propulsée avec sa vouivre par une trappe traitresse que le jeune homme évita de justesse. Il fit une nouvelle embardée pour éviter une bombe fumigène qui lui explosa au visage et grimaça au moment de passer à travers le nuage coloré. Lyra l’entendit distinctement tousser, et au vu des yeux brillants qu’il plissait, il était évidant qu’il n’y voyait plus grand-chose.
Pourtant, et contre toute attente, il parvint à éviter les pièges suivants. Mike, qui le regardait faire depuis son poste d’observation souriait avec appréciation au moment d’abaisser un nouveau levier.
— Dernier tour ! hurla-t-il aux trois derniers aspirants.
Impossible de savoir si l’un d’eux l’avaient entendu, mais une chose était sûre, même si c’était le cas, aucun n’y prêta grande attention car les pièges qui s’étaient animé étaient d’autant plus dangereux.
Un banc de poisson mécanique s’élança sur l’un des participants, le forçant à faire embardée sur embardée jusqu’à ce qu’il heurte de plein fouet le mur qui était apparu l’espace d’un clignement de paupière. Assommé, il bascula de sa vouivre et fut cueillit par un membre de l’équipe.
Ne restait plus en lisse qu’une fille de troisième année, bien décidée à entrer dans l’équipe et Jude dont la grimace persistante indiquait qu’il était toujours aveuglé.
Ils étaient au coude à coude sur la dernière ligne droite quand de nouveaux pièges – mélange de mécanique enchantée et sortilèges en tout genre – les frappèrent. La fille glissa de sa monture alors qu’un jet d’huile l’atteignit en plein visage. Elle allait tomber quand Jude l’attrapa fermement par le bras pour la hisser sur sa propre vouivre. Le geste, bien que louable, lui valut un sacré retour de bâton quand, occupé à maintenir la fille en place, il ne vit pas arriver une porte qui s’ouvrit à son passage.
Un craquement sinistre parcourut tout le stade et fit grimacer Evanore. Lyra était debout, le visage livide.
Jude, toujours entier, passa en flèche la ligne d’arrivée. Mike éteignit son chronomètre avec un sourire ravi et vint tranquillement retrouver le jeune homme qui se posait, quelques mètres plus loin.
La fille, furieuse d’avoir échoué, glissa la première de sa monture et arracha son casque de cuir, libérant une crinière de boucles auburn aussi sauvage que celle d’Evanore. Elle était sur le point de matraquer Jude d’injures quand, une fois qu’il eut posé le pied à terre, elle poussa un profond soupir et lui tendit la main.
— Merci de m’avoir ramassé, dit-elle avec un mélange de reconnaissance et d’amertume. Tu m’as évité une belle chute.
Jude, d’abord un peu déconcerté et toujours à moitié aveuglé, finit par lui sourire et lui serra la main.
— C’était une belle course, répondit-il sans cesser de se frotter les yeux.
— Bon, eh bien j’imagine que ça veut que je suis disqualifiée, lâcha-t-elle en se tournant vers Mike qui les rejoignait.
— Navré Barb’, mais c’était bien joué.
Elle haussa les épaules.
— Je me consolerai en me disant qu’au moins, ma place ne m’aura pas filé sous le nez à cause d’un fils à papa.
Elle se tourna vers Jude et lui asséna une bonne claque dans le dos.
— Bien joué Kingsford !
Puis elle s’éloigna.
Au même instant, et à la grande surprise de Jude, Lyra fondit dans leur direction.
— Est-ce que ça va ? demanda-t-elle d’emblée.
— Euh… oui. Plutôt bien. Pourquoi ?
— Parce que t’as la gueule en sang, répliqua Evanore qui arrivait tranquillement derrière Lyra.
Jude cligna des yeux, un peu circonspect. Lorsqu’il porta une main à son visage, ses doigts lui revinrent maculés de sang.
— Oh, fit-il simplement.
— L’adrénaline doit encore jouer, lança Mike avec amusement. Ça n’est rien de grave, précisa-t-il face à l’inquiétude de Lyra. Il doit avoir le nez cassé, c’est tout. Mme Clair le réparera en un rien de temps.
— Belle course, au fait ! relança Evanore avec un sourire en coin. Et toi qui ne voulait pas t’y frotter.
Jude haussa nonchalamment des épaules.
— Et donc ? reprit-il en s’adressant à Mike alors que Lyra sortait déjà un mouchoir de sa poche. Je suis sélectionné ?
— Et comment ! s’exclama le capitaine. Sans le petit contre-temps avec Barbara, je suis certain que tu aurais pulvérisé le record de ton frère.
— Oui, parlons-en de ça, lança Archer en s’approchant avec un sourire, son casque sous le bras. C’était un joli sauvetage, mais si tu pouvais éviter pendant la course, ça nous arrangerait.
— C’est le job des ailiers de jouer les preux chevaliers, approuva Isaac avec amusement.
Puis tous deux vinrent serrer la main de Jude, l’accueillant avec une joie évidente.
— Bienvenue dans l’équipe Kingsford.
Jude, malgré lui, leur rendit leur sourire.
Le chemin du retour au château se passa d’une façon surprenante. Jude flottait sur un petit nuage. Lyra lui tournait autour comme la plus étrange des abeilles à lui éponger le nez alors qu’Evanore écoutait d’une oreille Viktor vanter les mérites de Jude lors de la course et leurs chances pour le prochain match.
— Vous n’avez même pas encore débuté l’entrainement, fit remarquer l’apprentie mécamage avec une grimace, et tu parles déjà de gagner le match ?
— Avec un talent pareil dans l’équipe, ce sera du gâteau ! insista Viktor.
Jude lui sourit, tout à la fois flatté et un peu embarrassé. Il n’eut toutefois par le temps de répondre car, à peine arrivé dans le hall, Lyra l’emporta d’autorité à l’infirmerie où Mme Clair se chargea de lui remettre le nez d’aplomb.
— Ça risque de piquer un peu, prévint-elle avant de tapoter une fois sa baguette de vivianite sur l’arête de Jude.
Un nouveau crac retentit. Au même instant, Lyra sursauta et Jude jura.
— Ça fait un mal de chien ! s’exclama-t-il, les larmes aux yeux.
— Mais au moins c’est de nouveau en place, philosopha tranquillement l’infirmière en donnant au jeune homme de quoi éponger le sang qui avait recommencé à couler.
Dès qu’elle rassembla ses affaires pour s’éloigner, Lyra se dépêcha de rejoindre Jude. La tête en arrière, il la laissa essuyer le sang dont l’écoulement commençait doucement à se tarir.
— Je n’arrive pas à croire que je me sois laissé manipulé comme ça, grogna-t-il.
— Arrête de dire n’importe quoi, le réprimanda-t-elle en écartant la main qu’il voulait porter à son nez, on sait tous les deux que tu as adoré monter.
Il ouvrit la bouche, la referma.
— Oui, bon… gargouilla-t-il du bout des lèvres.
— Et on sait aussi tous les deux que tu es très fier d’avoir intégré l’équipe.
Il fit la moue, elle lui donna une chiquenaude sur le front.
— Espèce d’idiot, se moqua-t-elle les yeux encore un peu humides.
Jude ne sut s’il devait rire ou s’excuser. À la place, il lui offrit un petit sourire.
— Vous pouvez y aller, les interpella Mme Clair en revenant vers eux. Il faudra juste que tu portes ça quelques heures, le temps que ça dégonfle un peu.
Jude regarda l’infirmière lui placer sur l’arête du nez une espèce de petit pansement qui diffusa une douce fraicheur dans ses chairs.
— Merci, sourit-il en se levant.
*
Le repas se fit dans une joyeuse débandade. À la table de Lyra et Jude, toute l’équipe de Boidébène s’était rassemblée pour célébrer la venue de leur nouvelle tête de flèche. À la fête se joignit rapidement Isla et Othello, ravis de pouvoir s’amuser avec eux ainsi que Barbara qui se révéla aussi impertinente et sympathique qu’Evanore.
Jude était aux anges, et pour une fois, il ne prêta pas la moindre attention aux regards braqués sur eux.
Quand la cloche sonna, tout le monde se sépara, retournant à leurs occupations respectives. Et alors qu’Evanore et ses amis retrouvaient leur atelier pour quelques expérimentations personnelles, Lyra et Jude se retrouvèrent au milieu du couloir du rez-de-chaussée, une liste de club potentiel à la main.
— Bon… fit-il avec hésitation. Quand faut y aller.
Le reste de l’après-midi, Lyra et Jude la passèrent à écumer le château à la recherche du club idéal. Et bien que les deux jeunes gens se soient attendus à essuyer de nombreux refus, ils ne s’attendirent pas à ce que toutes les portes se referment ainsi. Certains leurs rirent au nez, d’autre ne leur donnèrent même pas le temps d’ouvrir la bouche pour se présenter, d’autre encore prenaient un malin plaisir à leur faire miroiter un espoir avant de le leur ravir en riant.
À la fin de la journée, loin d’être découragé, Jude était furieux. Furieux qu’on ne laisse pas sa chance à Lyra uniquement parce qu’elle ne faisait pas partie de leur monde de privilégié. Parce que c’était là l’unique raison à tout ce cirque. Si Jude s’était présenté seul à la moitié de ces clubs, chacun se seraient fait un plaisir de lui proposer une place. Mais son amie, comme elle était boursière, se voyait refuser même le droit à la parole, comme s’ils ne la considéraient même pas comme un être humain.
Assis sur les marches du hall, les deux amis regardaient le soleil se coucher lentement sur l’horizon.
— C’est n’importe quoi, bougonna Jude en arrachant le sparadrap enchanté de son nez.
Il grimaça à peine avant de le faire brûler d’un coup de baguette. Lyra regarda la petite flamme s’effacer dans les rayons bas du crépuscule.
— On aura peut-être plus de chance demain, fit-elle doucement valoir.
Jude s’apprêtait à lui faire remarquer qu’il y avait peu de chance, mais en croisant son regard et son éclat fatigué, il ravala sarcasme et colère. Il était inutile de déverser sa frustration sur elle, elle n’y était pour rien.
— Tu as raison, souffla-t-il en regardant le ciel se parer d’étoiles, demain sera peut-être différent.
*
Le lendemain, les deux amis décidèrent de s’octroyer une grasse matinée bien méritée. Lyra la mit à profit pour répondre aux nombreuses lettres que sa sœur lui avait envoyé depuis la rentrée et y joignit autant de croquis que possible ainsi qu’une grenouille mécanique qu’avait confectionné Evanore pour elle. Lyra en avait été très touchée lorsque sa colocataire la lui avait présentée la veille au soir. Elle lui avait expliqué comment elle fonctionnait et joignit à sa lettre une petite notice avant d’emballer soigneusement le tout. Lorsqu’elle l’envoya, des étincelles tombèrent en petite pluie là où se trouvait sa lettre. Elle les regarda s’évaporer lentement avant de quitter la chambre où ronflait encore Evanore.
Lyra retrouva Jude au réfectoire pour un petit-déjeuner tardif. Sa mine était lugubre, bien loin de l’air joyeux qu’il avait arboré la veille après les essais. Le regard qu’il posa sur elle lorsqu’elle s’approcha était d’une tristesse sans nom.
— Prête pour une nouvelle manche ? demanda-t-il avec un faible sourire.
— Quand faut y aller, répondit-elle avec le même sourire.
Il ne leur restait plus que sept heures avant la clôture des inscriptions. Sept heures pour trouver un club pour les accepter avant que l’école ne les inscrive de force à un club au hasard.
— Tu sais, j’y ai réfléchi et on pourrait fonder notre propre club, lança platement Jude après un nouveau refus devant le club d’Art magique.
Jude barra consciencieusement leur nom sur sa liste avant de passer au suivant.
— Et quel serait son thème ? demanda Lyra alors qu’ils approchaient de la salle de lecture de la bibliothèque où se réunissait le club de Lecture – meilleur candidat pour l’instant.
— Vu notre malchance, on pourrait l’appeler le club des Poissards. Pour tous les rejetés du système ! s’exclama-t-il.
— Cela ferait un bon slogan, en effet, s’amusa Lyra. Mais je doute que le nom lui corresponde vraiment. D’ailleurs, que pourrait bien faire comme activité un club pareil ?
— Aucune idée… soupira longuement Jude en toquant à la porte de la salle de lecture.
Trois heures plus tard, les deux amis se retrouvèrent au point de départ, planté en plein milieu du hall du château, une liste froissée dans le poing.
— Bon, fit Jude en examinant cette dernière – il devait faire appel à toute sa volonté pour ne par la réduire en miettes tant la frustration était grande. Je crois qu’on peut en éliminer une bonne partie déjà.
— Le club de Lecture, celui des Amoureux des dragons, d’Astronomie, des Apprentis Oracles, celui de Méca-chimie et le club des Cœurs à prendre, énuméra Lyra.
— Tu oublies ceux des Potions et des Arts magiques, la reprit Jude.
— Eux aussi, compléta Lyra d’un hochement de tête. Ce qui nous reste…
— Très peu d’option… grommela Jude en fusillant sa liste des yeux. Rappelle-moi pourquoi pas les Arts magiques ?
— Nous n’aurions apparemment pas l’étoffe d’artistes.
— Potions ?
— Sierra en fait partie.
— Lecture ? soupira-t-il au désespoir.
— Ma tête ne revient pas à sa présidente qui s’avère être la grande sœur de la fille que tu as changé en souris après qu’elle se soit moquée de moi au collège.
Jude se rembrunit.
— Bon… il ne nous reste donc plus que le Bureau des pleurs et le club des Enquêteurs magiques.
— Je crois que le Bureaux des pleurs est complet, lui apprit sinistrement Lyra. C’était noté sur une affiche à l’entrée du réfectoire.
Jude poussa un profond soupir au moment de raturer son nom. Leurs regards se tournèrent vers le dernier nom de la liste. Leur unique espoir.
— On dirait bien que c’est notre dernière chance, souffla Lyra.
— Reste plus qu’à ne pas se perdre, philosopha Jude en levant les yeux vers le dédale de couloirs qui leur faisait face.
L'équipement usé je m'imaginais que c'était un truc hérité de ses frères. C'est bizarre que la plupart des élèves empruntent un truc à l'école, je m'imaginais que la plupart avaient leurs propres équipements flambants neufs, quitte à ne pas être sélectionné et que le matos reste dormir dans un placard pour le restant de ses jours.
"au vue de la tâche violacée qui maculait encore le cuir" => au vu
"les autres étaient pourvu du même matériel usé" => pourvus
Je trouve ça perturbant, un coup Lyra veut convaincre Jude de tenter sa chance quitte à faire comme ses frères, et un coup elle veut le dissuader d'essayer. C'est logique qu'elle lui conseille de ne pas prendre ses décisions en fonction de ses frères, mais du coup elle aussi, elle donne ses conseils vis-à-vis des frères de Jude (mon commentaire est vraiment tordu)
"la lumière chaude du soleil les ébloui" => éblouit
Mooooh ils sont tromignons
"ne va surtout pas lui poser trop de questions où tu en auras pour la semaine" => ou, sans accent
"elles sont plus légères et souvent plus petite" => petites
"furent disqualifier d’office" => disqualifiés
"contentez-vous de tenir en selle et d’aller le plus vite possible" => mais c'est un échauffement, c'est mieux de commencer progressivement (ou alors c'est vraiment vraiment un sport de grosses brutes ?)
Ou alors j'ai mal compris et l'échauffement a eu lieu avant
"— Parce que celles des courses officielles, si ? s’étrangla Lyra."
J'ai eu la même réaction, ça me fait penser à "oh tkt à Poudlard personne n'est encore mort au Quidditch"
"il était évidant qu’il n’y voyait plus grand-chose" => évident
"Ne restait plus en lisse qu’une fille de troisième année" => en lice
"une liste de club potentiel à la main" => potentiels
Mais l'équipe de vol sur vouivre ça ne compte pas comme un club pour Jude ?
"Ma tête ne revient pas à sa présidente qui s’avère être la grande sœur de la fille que tu as changé en souris après qu’elle se soit moquée de moi au collège." C'est trop mignon
J'avoue que j'aurais bien rigolé de les voir forcés à s'inscrire au club des cœurs à prendre.
Les enquêteurs magiques ? C'est quoi ce truc, un prétexte pour créer une intrigue ?
Mais sinon ils peuvent fonder un club qui va chercher des passages secrets
- alors, pour commencer, j'aime bien les noms de chapitre à rallonge, je les trouve amusants (et je suis quasi sûre qu'il existe encore plus long que celui-ci) (et si ça n'existe pas, alors je l'inventerai juste pour la blague)
- ensuite, pour ce qui est de l'équipement, je ne suis pas tout à fait d'accord avec toi, je m'explique : pour moi les protections pour les courses sont un peu comme les dossards qu'on te prête à l'école pendant le sport. Tu ne l'achète pas, l'école le fourni, et c'est un peu pareil pour les équipements de "premier essai" ainsi que pour les tenues "officielles" des équipes, ça fait partie des dépenses de l'école, Jude aura bientôt son propre uniforme aux couleurs de Boidébène.
- pour ce qui est de Lyra, c'est pas qu'elle encourage Jude à entrer dans l'équipe (du moins, ça n'est pas l'intention que je voulais donner), dans mon souvenir elle voulait surtout laisser aux garçons la possibilité de parler. Lyra est le genre à écouter les autres, qu'importe ce qu'ils ont à dire. Puis, elle ne connaissais les courses que de nom, ça n'a jamais fait partie de sa vie donc elle était surtout curieuse quand Mike est venue proposer la place de tête de flèche à Jude (je sais pas si c'est très clair). Mais tu as raison sur un point, elle n'aime pas voir Jude vivre et agir en fonction de ses frères, mais refuser d'écouter quelqu'un ou vouloir absolument entrer dans l'équipe par fierté, c'est aussi malsain l'un que l'autre, d'où le sentiment de contradiction que tu as pu ressentir, j'imagine (mon raisonnement m'a l'air encore plus tordu que le tiens..)
- pour ce qui est de l'échauffement... non, tu as bien compris XD les joueurs de foot font le tour du terrain pour s'échauffer, bah nos cavaliers montent direct pour tester le terrain (ils savent généralement déjà monter et c'est surtout les muscles de la vouivre qu'il faut échauffer)
- dans la mesure où je me suis complètement inspiré du Quidditch pour les courses de vouivres et leur dangerosité, ta pensée est totalement justifiée x)
- et non, les équipes de cavaliers ne sont pas considéré comme des clubs, sinon ce serait un peu le chaos puisque des élèves de toutes les années peuvent tenter leur chance, dont des élèves qui ont techniquement déjà intégré des clubs les années précédentes (j'espère que c'est clair ^^')
- je suis trop contente que tu trouve leurs interactions mignonnes ^^ et pour ce qui est du club des enquêteurs magiques, je peux t'assurer que ce n'est pas un prétexte pour une intrigue, plutôt un moteur supplémentaire puisque les membres du club aideront très fort Lyra et Jude dans la suite de l'histoire. Quant aux passages secrets... les Enquêteurs les connaissent déjà sur le bout des doigts ;) j'espère que tu les aimeras, ils sont directement inspiré du golden trio (mais seulement inspiré, il n'y a pas de Mme Je-sais-tout, ni d'orphelin à lunette sous l'escalier et le roux de la bande se trouve être une rousse)
- et enfin pour finir, un grand merci pour les coquilles ! C'est fou, j'ai beau me relire, j'en rate à chaque fois...
A bientôt ! :)