es rejoignent. Il portait un surcot de cuir, et une broche en forme de cheval donnait à son habit un ait solennel. Il semblait fatigué, mais pas épuisé, et aucune blessure ne semblait l'accabler. Le cheval, en revanche, n'était pas aussi frais, et sur ses flancs coulaient des flots de sueur. Son galop manquait de grâce et ses sabots frappaient le sol sans précision aucune.
Aaron avait fait donné l'ordre, entre temps, de monter le camp. Son ami le savait, la nouvelle l'avait déstabilisée. Il voulait réfléchir. De toute manière, le soleil n'aurait pas tardée à les obliger à s'arrêter, et même si Aryn aurait pu éclairer le sol de manière à ce qu'ils puissent quand même chevaucher, la fatigue que cela lui aurait infligée n'avait rien d'attirant.
D'ailleurs, songea il, l'emplacement en valait bien un autre. Une petite colline, pas très haute, qui dominait néanmoins la plaine, et dont le flanc ouest donnait, quelques centaines de pieds plus loin, sur le gouffre. Une herbe rase, qui même haute ne dépassait pas un pied, couvrait le sol. Une fois les tentes montés, et les tours de garde attribués, le messager disparus, et Aaron avec, dans la tente la plus au centre du camp, la plus grande. Les autres structures, qui s'éloignaient du feu central, abritait les quelques domestiques qui les accompagnaient, ainsi que les soldats les moins bien gradés.
Au milieu de l'agitation se tenait Aryn, qui observait les étoiles le plus calmement du monde, comme si rien n'avait perturbé sa journée. Le ciel, en cette nuit d'hiver, était piqueté d'étoiles scintillantes, qui n'étaient pas sans lui rappeler l'éclat des diamants sur un lit de velours mat.
Voici en tout cas ce que voyait la plupart des gens, mais chacun de la dizaine de mages qui l'accompagnait aurait pu vous le certifiez, il était tout sauf calme. La magie, autour de lui, vibrait et emplissait l'air, comme si son corps ne pouvait contenir sa propre puissance, et à mesure qu'il déroulait son sortilège, elle prenait forme dans l'air. Il cherchait quelque chose, et son esprit vagabondait hors de son corps, bien loin de son enveloppe charnelle. Le mage parcourut le royaume, en l'espace de quelques minutes, en long, en large et en travers, avant de réintégrer son corps, satisfait. L'exploit lui avait néanmoins coûté, et il chancela légèrement, avant de se reprendre. Il se sentait faible, comme si une part de son énergie, de sa vie, l'avait quittée. En quelque sorte, cela était vrai, car toute magie avait un prix, mais Aryn savait qu'il ne tarderait pas à retrouver sa force habituelle. Il récupérait vite, à la différence de certain mage.
Un mince sourire au visage, il se dirigea vers sa propre tente, devant laquelle deux gardes se tenaient, lances croisées. Un simple regard de sa part les fit décroiser leurs piques, et une fois à l'intérieur, il s'effondra dans un fauteuil. C'était, songea t'il, le bon côté du voyage quand on occupait une place aussi importante que la sienne. Même au fin fond des plaines désertiques qui bordaient les terres des Vifël, un certain confort restait accessible, et y compris sous la forme d'un meuble rempli de bouteilles de vin, ainsi qu'il l'observa d'un œil amusé.
Il se leva, non sans éprouvée une culpabilité, et se remplit distraitement un verre. Le bruit de la bouteille qui heurta le cristal lui apporta une certaine satisfaction, mais rien de comparable à la première gorgée qu'il prit. Il la savoura un moment, comme un assoiffé qui s'abreuverait à une source pure et claire. En tant que mage, il aurait pu étouffé sa soif par des moyens tout autres, mais si la magie simplifiait la vie, elle n'enlevait à personne le goûts des choses simples, de sorte que la plupart des mages appréciaient toujours boire un verre entre amis. Et même seul, dans son cas.
Il prit aussi le temps d'apprécier les autres gorgées, mais elle ne lui apportait plus le plaisir de la nouveauté. En un instant, il finit la coupe, avec une petite pensée coupable pour Aaron, qui depuis une heure déjà, devait écouter le rapport précis du coursier, et devait être en train d'organiser une réunion avec les autres commandants important qui l'accompagnaient à Torkys. Une dizaine d'hommes d'armes d'importance, en tout, dont le commandant de la première division des mages-guerriers de Sirgon et le général en second de l'ost royal. La réunion promettait d'être intéressante.
Soudain, une présence aux bordures de son esprit le fit sortir de sa rêverie. Tout en soupirant, il reposa sa coupe sur une table basse, et se cala dans son fauteuil.
Un instant plus tard, une voix retentissait à l'extérieur de la tente.
- Le général Aaron vous fait dire qu'il souhaiterait vus voir dans le tente de commandement, mon seigneur. Au plus tôt, je crois.
Le timbre de voix, exceptionnellement grave, ne pouvait appartenir qu'a Simar. Si grave, d'ailleurs, qu'Aryn qui l'avait vu pour la première fois au début du voyage, était certain de ne pas l'oublier.
Malgré cela, il soupira. Il savait que la réunion s'annonçait houleuse.
- Fort bien, dit lui que le retrouverais sous peu. Tu peu disposer.
Il rassembla ses pensées tout en tapotant de l'ongle le cristal du verre.
Deux minutes plus tard, les soldats à l'entrée de la tente décroisaient leurs lances.
En passant le long des tentes, il s'arrêta saluer un des mages de son escorte, tandis qu'un autre de ses collègues se dirigeait vers lui avec un air préoccupé. D'un sine de tête, celui ci lui fit signe qu'il voulait lui parler.
De la part de n'importe qui d'autre, pareil signe de tête l'aurait offensée, mais l'homme qui se dressait devant lui avait depuis longtemps gagné son respect. La plupart des gens s'accordaient à dire que les rumeurs qui couraient sur le seigneur Elnàn étaient absurdes, tandis que certains, dont il faisait partis, arguaient le contraire. Parce qu'ils connaissaient la vérité, ou par simple refus, peut importe. Ses amis savaient qu'en pleine bataille, il avait combattu seul non pas quarante, mais seulement trente-cinq Krìn. Les rumeurs en cela avaient peut être menti sur le nombre, mais son courage, lui, ne faisait aucun doutes.
Quand il approcha, Aryn put voir de plus près le revers de la médaille. Son visage était couturé de cicatrices, fines lignes blanches sur sa peau bronzée, et l'une d'entre elle, dont la guérison n'avait visiblement pas marchée, faisait de sa joue un simple amas de chair sur laquelle on apercevait encore la trace des coutures opérées à la va-vite. Il avait une voix rauque, et sa blessure l'empêchait d'articuler correctement. Néanmoins, il eut le mérite de na pas mâcher ses mots.
- Haut-Mage.
Ce fut sa seule concession à l'étiquette.
- As tu eu des nouvelles fraiches, Aryn ? La situation ne me dit rien qui vaille, et la coïncidence est trop énorme, tu ne trouves pas ?
Il eut un instant d'incompréhension.
- Quelle... coïncidence ?
- Le commandant de la première des fantassins royaux à l'habitude de raconter à tout le monde les derniers ragots de la capitale. Le roi à convoquée tout les ducs là bas, officiellement pour le rassemblement annuel, mais officieusement, c'était plutôt pour mettre une bride aux ambitions de certains. Ils étaient censés être à la capitale dans trois mois. Devine qui n'a malheureusement pas pu faire le déplacement ? A mon avis, Sirt se doutait de quelque chose. Il est resté à Torkys. Je pensais que tu le savais déjà.
Son visage devait paraître étonné, songea Aryn, mais sa cicatrice le rendait curieusement inexpressif.
- Enfin bref, de là à penser qu'il se doutait que la situation allait dérapée, il n'y a qu'un pas. Cette attaque, ne sort pas de nul part. Les raisons en sont bien plus profondes, je pense. Je n'aimerai pas être à la capitale lorsque le roi annoncera la nouvelle aux ducs. La situation risque de se tendre encore plus, si c'est possible.
Aryn s'efforça de ne pas laisser son visage exprimer le trouble qui l'habitait. La lanterne des nouvelles d'Elnàn éclairait la situation sous un tout nouvelle angle, et ce n'était pas forcément plus rassurant.
Il s'arrêta devant les soldats de garde, et lissa machinalement le devant de son pourpoint, avant d'entrer. Etonnamment, aucun silence ne suivit son entrée. Penchée sur ce que le mage supposa être une carte, bien qu'il ne la vît pas, un petit groupe d'officiers débattait à haute voix. Un seul lui jeta un regard, pendant seulement une seconde. C'était Aaron.
Un petit sourire se dessina sur les lèvres du mage, malgré la situation pour le moins tendue. Tant d'années passées à vadrouiller ensemble laissaient des traces ; son ami savait toujours, malgré qu'il ne possède pas la moindre goutte de magie, où il se trouvait. Il était pourtant certain de ne pas avoir fait de bruit.
Le temps qu'Aaron se penche et murmure quelque chose aux autres lui permit d'observer à loisir tout le monde. Une bonne vingtaine se tenait sous la tente, et aucun n'avait pris le temps de se changer. Ils portaient les mêmes vêtements que lors de la chevauchée. Certain parmi eux semblaient fatigués, ou déprimé par les mauvaises nouvelles, mais d'autres paraissaient au contraire revigorés, comme si l'occasion de décider de choses importantes les rendait capable de le faire de manière intelligente. Non pas, d'ailleurs, que ce conseil put avoir une réelle importance ; les vraies décisions se prendraient à Torkys, et si la situation dégénérait, seul la capitale déciderait des renforts à envoyer. Seul les idées et les propositions avaient leur place ici, mais l'action, elle, ne viendrait que plus tard. Aaron voulait probablement connaître l'avis de ses inférieurs avant de présenter ses recommandations à Sirt. Néanmoins, une chose le dérangeait dans tout cela. A cet instant, une voix le coupa :
- Si je puis me permettre, mon général, en quoi la présence du Haut-Mage Aryn est elle justifiée dans une réunion militaire ?
Tous s'étaient retournés vers lui.
- Qui voudrait tu de plus qualifié pour assister à cette réunion qu'un ancien mage guerrier ? Que quelqu'un qui a gardé les marches de l'est lors de la Nuit d'Andrinople ?
Mais le mage connaissait trop bien son ami. Celui ci était honnête, en tout cas avec lui, et il savait que son expérience militaire n'était pas la raison pour laquelle il l'appréciait. Il n'en avait pour ainsi dire aucune. Y avait il alors une autre raison, qu'il ne pouvait exprimer librement ?
De son côté, l'homme qui avait émit une objection s'était tu, manifestement pas convaincu. Visiblement, seul le statut de son interlocuteur le convainquait de ne pas exprimer ses objections.
- De plus, il serait intéressant pour la guilde des Mages de savoir dans quoi elle peut envoyer ses recrues, n'est ce pas ?
A contrecœur, l'autre acquiesça. En son for intérieur, Aryn souriait, impressionné par la manière dont on ami avait maté le vétéran. Quelque chose, cependant, le dérangeait dans la manière qu'avait eu son ami de formuler sa phrase. « Elle peut envoyer ses recrues » et pas « elle envoie ses recrues ». Son ami pensait il que la situation était susceptible de basculer ? De changer, de telle sorte qu'il faudrait à la Guilde fournir un encore plus lourd tribut à l'armée ?
D'habitude, les guerriers mages étaient réservés en grande partie pour défendre les montagnes de l'est, contre les spectres du désert, et seul une petite partie d'entre eux défendait le front du nord, où la valeur des hommes pouvait triompher sans le soutien de la magie. Aaron pensait il que des renforts de mage allaient devoir être nécessaire ? Auquel cas la situation devait vraiment être délicate ; la plupart des gens n'imaginaient pas à quel point une troupe de mage pouvait changer le cours d'une bataille.
Faute de disposer d'informations supplémentaires, il ne pouvait que supposer qu'Aaron souhaitait le prévenir de quelque chose, sans dire tout haut ses craintes. Ce simple fait suffisait à l'alerter, car son ami avait toujours eu pour tout ce qui touchait aux enjeux militaires un flair infaillible.
- Enfin qu'importe ! Nous ne sommes pas là pour nous disputer sur de menus détails. Ne vous y trompez pas, il ne s'agit là que de propositions et d'idées sur la façon de gérer cet affront, rien de plus. Je pourrais ainsi présenter un rapport au seigneur Sirt, si besoin est. Il pourrait ne s'agir que d'une attaque d'envergure mineure. Si le besoin s'en fait sentir, le Nord dispose de forces considérables, dont une partie non négligeables serait disponible immédiatement pour aller contenir la brèche.
Une fois la discussion engagée, toute la rancœur qu'il éprouvait à voir un mage assister à un conseil militaire sembla s'évaporer, et quand vint l'inévitable question de l'étendue des forces adverses, Aaron adressa au sorcier un discret signe de tête.
- Ils sont près de trois mille, de ce que j'ai put en voir. Rien n'exclut que des renforts soient en route pour leur prêter main forte.
A ces mots, tous se mirent à débattre à voix haute, chacun essayant de se faire entendre par dessus le brouhaha général. Le chiffre, en effet, pouvait effrayer. Le seigneur Sirt de Torkys, et son homologue de Lysie, pouvaient rassembler sous leurs bannières près de vingt milles hommes, mais ceux ci étaient dispersé sur des centaines de lieux et les rassembler prendraient du temps.
Aaron laissa les officiers débattre un moment, avant de les interrompre d'une voix forte.
- Quels est votre opinion à propos de cette attaque ?
A partir de là, Aryn se désintéressa légèrement de la discussion. La tactique et la stratégie n'avaient jamais été son fort et il ne comprenait pas grand-chose à la discussion à laquelle il assistait. Il se promit, une fois retournée à Niamar, d'étudier d'un plus près tout ce qui touchait aux enjeux militaires. Il se sentait, lui, plus à son aise dans les intrigues de cours, quand il s'agissait de nouer des alliances et d'en trahir d'autres. Bien plus à l'aise.
Au bout de ce qui lui sembla être une éternité, Aaron mit un terme à la réunion, en promettant aux officiers d'étudier leurs suggestions. Il accorda à chacun un mot, avant de se tourner, une fois la tente vide, vers Aryn.
- Désolé de t'avoir fait venir pour si peu. Mais à ta tête, je vois que tu as déjà deviné pourquoi. Si ont en venait là, il serait bon que les seigneurs de guerre et les généraux s'habituent à voir des mages participer à des conseils de guerre. Espérons qu'on n'en vienne pas là, sinon ca voudra dire que la situation est vraiment catastrophique. As tu trouver la réunion intéressante ?
Sa voix s'était faite moqueuse sur la fin, et un petit sourire étira les lèvres du mage.
- Si tu tiens vraiment à le savoir, sache que je préfère encore ça qu'assister à l'Assemblée des Guildes. C'est encore moins intéressant, et deux fois plus long.
Cette fois, ce ne fut pas un sourire qui étira les lèvres du général, mais un grand rire grave, qui retentit un instant avant de s'éteindre.
- Pour une fois, je pense que tu as le dernier mot. Il est trop vrai pour que je puisse y redire quelque chose. Encore que, la concurrence est rude entre l'Assemblée des Guildes et les parades de l'armée. Mais je suppose qu'au moins, les parades flattent l'ego, ce qui n'est sûrement pas le cas de tes réunions. Qu'est effet cela fait il de se devoir supporter l'incompétence des vieillards pompeux des autres guildes ?
Seul un rire troubla le silence, pour toute réponse. L'essence même de leur amitié, construite au fil des ans et des lames, y était contenue. Sauvage, indompté, mais aussi doux, et espiègle. Il était pur, fragile et parfait, comme un cristal qui vibrait dans l'air d'un matin d'hiver.
Aaron ne s'y laissa pas prendre. Les mages, souvent inconsciemment, usaient de leur magie pour embellir la moindre de leurs actions et pour susciter chez leurs interlocuteurs des émotions fortes. Une des raison pour laquelle, d'ailleurs, aucun mage n'avait jamais eu de mal à faire un bon mariage ni à faire bonne impression. Cela nécessitait tout de même un certain pouvoir, le général le savait, et cela s'émerveillait d'autant plus qu'Aryn le faisait souvent, parfois sciemment, d'autres fois non. Il savait qu'il avait devant lui un des mages les plus puissants de tout Sirgon, dont peut osait discuter l'habileté, et moins encore le pouvoir.
Il lui rendit son sourire, franc et direct. Il était parfaitement heureux.
Il avait finalement eut le dernier mot.
Quelque heure plus tard, alors que la lune, désormais haute dans le firmament, éclairait le camp de sa lumière, la garde fut relevée.
Les soldats prirent leur tour de garde en se croisant et en discutant.
Le jeune Erkin ne dérogea pas à la règle. Du haut de ses vingt-six ans, il regardait le monde avec une assurance que lui offrait son statut de lieutenant ; grand, fort, intelligent et plutôt beau garçon, il savait son avenir assuré. Pour autant, cela ne l'empêchait pas d'être exaspérer. S'assurer que ses hommes étaient bien relevés au bon moment n'avait en soin rien de difficile, mais la tâche, surtout en pleine nuit, était extrêmement irritante.
Lorsqu'il arriva pour vérifier que tout se passait bien, il eut un moment d'incompréhension. Il aurait du avoir en face de lui Andor, son camarade et assis sur le rocher, avec son éternel sourire narquois cela va sans dire, se tenait Sifro. Il s'avança vers lui en le saluant, avant de lui demander :
- Mais... ce n'est pas Andor qui devait monter la garde ?
L'autre eut un sourire.
- Si mais il a opportunémenteu envie d'aller se soulager, il y a dix minutes.
Erkin maudit le soldat en silence.
- Ca ne t'inquiète pas ?
Sentant probablement la colère de son supérieur, le soldat eut la bonne idée de paraître penaud et bafouilla :
- Non, lieutenant. Mais...
Erkin craqua.
- Espèce d'imbécile ! Va voir si il ne lui est rien arrivé.
- Oui mon lieutenant.
Il partit en courant.
Erkin s'assit sur le rocher qu'occupait son inférieur quelque instant avant avec un soupir de satisfaction. Un endroit ou s'asseoir, même aussi peu confortable que celui ci, suffisait à réduire son irritation.
Inquiet, Sifro cherchait dans l'obscurité une trace d'Andor.
Inquiet, non pas pour son camarade, mais à cause de la colère de son lieutenant, car il n'avait nul envie de se faire renvoyer de la garde.
Alors il cherchait. Et il ne tarda pas à trouver.
Les trace de son camarade s'enfonçaient loin dans la plaine, trop loin.
Il commença à s'inquiéter, que lui était-il arrivé?
Plus il avançait, plus il ne pouvait s'empêcher de ressentir comme une impression de malaise qui l'étreignait.
Après avoir parcouru plusieurs centaines de mètres, il commença à entendre des voix.
Plusieurs voix.
L'une des voix était celle d'Andor, il aurait pu en jurer. Il le reconnaissait à sa voix extrêmement aigue, dû à une blessure qu'il avait reçue des années plus tôt.
Les autres, ils ne les connaissaient pas mais elles étaient bizarres, sifflantes. Pas des voix humaines en tout cas.
Il s'approcha discrètement, en se déplaçant sur la pointe des pieds.
Alors seulement il se rendit compte que les voix se déplaçaient.
Vers lui.
Il se jeta derrière un buisson en priant pour que le bruit des voix couvre celui de sa chute. Il retint son souffle.
Le garde resta immobile ; au bout d'un moment, il recommença à respirer.
Après quelques minutes, il osa relever la tête, craintivement, de manière hésitante. Il jeta rapidement un regard par dessus le buisson... et resta bouche bée.
Andor se tenait là, à quelques dizaines de pas de lui, et il n'était pas seul.
Autour de lui se tenait un cercle de Krìn, qui l'entourait.
Sifro eut un hoquet de surprise et de peur.
Que faisait Andor avec ces monstres ? Peut être l'avaient il capturé ? Oui, ce devait être cela ; il devait aller sauver son camarade. Mais comment ?
A un contre six ou sept, il n'avait aucune chance et il n'avait surement pas le temps d'aller chercher de l'aide au campement.
Tandis qu'il réfléchissait, Andor parlait. Il parlait pour sauver sa peau, il marchandait.
- Laissez moi la vie sauve, s'il vous plaît. Chevrota Andor, la voix tremblante.
- Dis nous ce que tu sais, humain et peut-être aura tu la vie sauve.
Dis nous tous ce que tu sait.
- Pitié, laissez moi la vie sauve. Pitié.
- Parle !
Andor releva les yeux qu'il avait baissés et demanda, la voix flageolante :
- Que veut tu savoir.
- Tous se que tu sais sur l'armée royale, imbécile !
En entendant cela, Sifro revint à la réalité et se tourna vers eux.
- Elle dispose de ... trente-cinq milles fantassins répartie partout sur le territoire, mais surtout dans les montagnes, au nord et à l'est. Il y a avec eux quatorze mille cavaliers, seize milles archers et quatre milles arbalétriers.
Mais ils peuvent recruter d'autres soldats parmi le peuple en temps de guerre. Mais ce sont des chiffres approximatifs, je pourrais... vous en donner d'autres sous peu...
Le Krìn balaya d'un geste de la main la misérable tentative d'Andor pour sauver sa vie.
- Nos espions nous ont déjà appris ça, humain.
- Je vous jure que ...
- Que sais tu d'autre ?
Les larmes commencèrent à couler sur les joues d'Andor, ruisselant sur son visage de traître.
Le jeune garde, caché derrière la haie, écarquilla les yeux. Ces salauds avaient bien choisi leur coup. Andor, avant de monter la garde à l'extérieur avait été posté, en temps que soldat dans la garde du général, devant la tente de l'état-major. Il avait entendu toutes les discussions entre les officiers et le général !
Il commença à parler.
Sifro, spectateur, assistait à la scène qui se déroulait sous ses yeux incrédules. Quand il vit Andor dévoiler tous les détails du commandement de l'armée, il faillit craquer. La colère empourprait ses traits fins et il serra les poings pour se contrôler. Il hésitait.
Devait t'il se jeter sur son camarade pour le tuer avant qu'il ne dévoile d'autre chose ? Il n'en avait pas le courage.
Alors il restait là, impuissant, tandis que devant lui se jouait la ruine de Sirgon. Une seule et unique larme coula sur sa joue et il ferma les yeux pour interdire aux autres de baigner son visage.
Il ne vit pas la mort d'Andor.
Lorsqu'il rouvrit les yeux, les monstres s'étaient jetés sur le corps d'Andor et leurs griffes tranchantes commençaient à trancher les chairs du traître.
A cette vue, Sifro, qui était pourtant habitué aux horreurs de la guerre, eut un hoquet de dégout. Il était révulsé.
Toutefois, il savait que le temps lui était compté car les monstres, une fois terminés leur macabre besogne, ne manquerait pas de repartir et si ils le trouvaient, il ne donnait pas cher de sa peau. Il commença à reculer, discrètement, en faisant attention à ne pas marcher sur les nombreuses brindilles qui jonchaient le sol. Il reculait, mais trop lentement car les Krìn commençaient à s'agiter. La panique commença à le gagner, il ne pouvait aller plus vite sans risquer de faire du bruit.
Le destin lui força la main.
Il fit craquer une brindille.
Les Krìn se retournèrent brusquement, fouillant l'obscurité de leurs yeux avides. Quand il le vire, ils se mirent à courir vers lui. Sifro n'ut plus d'autre choix que de courir. Il se releva et détala telle un lapin poursuivi par un renard, foulant le sol de ses pieds, rapide comme l'éclair.
Cependant, la fatigue ne tarda pas à se faire sentir et ses mouvements, auparavant vif, se firent plus lent, et il ralentit.
Les Krìn eux, gagnait du terrain, et l'écart entre eux diminuait.
Le soldat, à bout de force, se retourna brusquement et quand il vit derrière lui, à peine cinquante pas, les Krìn, le désespoir, moteur puissant, lui offrit un regain d'énergie dont il se servit judicieusement.
Les monstres derrière lui s'arrêtèrent, sachant pertinemment le danger qu'ils couraient si les sentinelles les voyaient.
Quelques instants après, il arriva en vue du camp et des sentinelles qui montaient la garde, immobiles telles des statues de granit, veillant infailliblement sur la plaine qui les entouraient.
Il voulut passer devant elles, mais, des qu'elles le virent, elles l'arrêtèrent.
- Qui est tu ?
En temps normal, il n'aurait pas eu à répondre çà la question et il se serait bien trouvé une sentinelle pour faire une blague ou deux pour le dérider, mais maintenant, tout était différent.
- Sifro. Et ca fait des années qu'on se connaît, Feràn, pas besoin de m'arrêter comme un criminel.
La sentinelle eut un petit sourire peiné.
- Tu connais aussi bien que moi la procédure non ? Je suis obligé alors arrête de prendre cette tête là.
Il le lâcha sans douceur et retourna à sa garde de pierre.
Sifro se remit à courir, poussant son corps épuisé à la limite de ses capacités et arriva à la grande tente rouge dans laquelle dormait Aaron.
Deux gardes se renait devant la tente, surveillant les moindres mouvements alentour de leurs yeux infaillibles. Il s'arrêta devant eux et le passage lui fut barré par deux hallebardes que les soldats avaient barrés en travers de son chemin.
- Je souhaite voir le général Aaron. J'ais à lui transmettre des informations importantes.
- Le général Aaron a donné l'ordre de ne laisser passer personne.
Reviens demain.
Sifro essaya de garder un semblant de calme.
- Vous ne comprenez pas, je viens de...
- Reviens demain. Lui lâcha l'un des gardes d'une voix moins amène.
- C'est urgent !
L'autre garde s'avança et le saisit rudement avant de le pousser violement ; Sifro tomba dans la boue qu'avait laissé derrière elle la pluie qui était tombée au début de la nuit.
Il se releva et resta immobile devant les gardes et ceux-ci virent alors ses yeux.
Ils étaient d'un noir mat, billes d'obsidiennes sur un visage blême que le sang avait quitté. Il dégageait comme une aura de puissance, de pouvoir contenue.
Il se releva et resta immobile devant les gardes, les regardant fixement d'un regard qui soudain s'était fait menaçant et il parla :
- Laissez moi passez ! Je vous l'ordonne !
Mais plus que la transformation physique qu'il venait de subir, ce fut sa voix qui obligea les gardes à le laisser passer.
Elle avait des inflexions de pouvoir, un pouvoir ancien et puissant que rien ne pouvait arrêter. Elle claqua dans l'air, vibra comme une corde d'arc tendue et pénétra l'âme des sentinelles, les pliant à sa volonté de fer.
Ils se retirèrent et le laissèrent passer sans poser des questions que leur esprit malmené aurait été bien en peine de formuler.
À l'instant où il posa le pied sur l'épais tapis qui couvrait le sol, il reprit ses esprits. Il eut l'impression de renaître et il regarda attentivement autour de lui ; il ne savait pas où il était.
Bien qu'il apprécia certainement le spectacle luxueux qu'offrait la tente d'Aaron, il s'inquiéta, du moins au début, de se trouver dans un endroit sans savoir comment il y était arrivé.
Et d'un coup, tout lui revint et la nausée le gagna.
Il avait pourtant une mission à accomplir et il devait s'en acquitter au plu vite.
Il se trouvait à l'entrée de la tente et, de la où il était, il voyait le lit dans lequel Aaron sommeillait, ou du moins faisait semblant.
Des qu'il avait entendue quelqu'un rentré, ses vieux réflexes, encore aiguisée, l'avait réveillée et, s'il feignait de dormir, il n'en était pas moins attentif.
Il savait que personne n'aurait du entré sans que ses gardes ne le préviennent et, par conséquent, ce ne pouvait être qu'un assassin ou, mais il ne le savait pas encore, un garde qui avait bénéficié d'un petit coup de pouce du destin.
Il agrippa le manche de la dague qu'il gardait toujours près de lui et la sortit de son fourreau sans bruit car il savait que l'acier chanterait bien assez tôt.
Il se prépara mentalement ; au bruit, il savait où était l'assassin et il savait précisément qu'elle action effectuer pour le neutraliser.
Bouger au dernier moment pour esquiver un éventuel coup, se baisser pour éviter celui qui ne manquerait pas d'arriver, balayer le meurtrier, le priver de son arme et enfin, le mettre hors d'état de nuire, mais pas avant de lui avoir soutirer quelques informations.
Mais quelque chose l'alerta. Le bruit des pas aurait du être feutré, discret, mais celui était lourd, pesant comme si l'homme n'avait eu aucune raison de se cacher. Etrange, mais pas suffisant pour l'empêcher de prendre des précautions.
Alors qu'il se retournait lentement sur le coté pour offrir une cible plus petite en cas de coup, une voix s'éleva dans la tente.
- Mon général ?
Il se releva brusquement et reconnut devant lui un soldat. Il ne se rappelait plus son prénom, Sirno, Sifo, peut être.
Il réussit, par un quelconque miracle, à se composer un visage digne, mais sévère.
- Que fait tu là, soldat ?
- J'avais des informations à vous communiquer, mon général.
- J'ai donné ordre de ne laisser passer personne, hormis les officiers et le seigneur Aryn, hors tu n'est évidemment pas un officier et je connais assez mes amis pour les reconnaître, même dans le noir. Comment est tu entré ?
Tout en disant cela, il s'était levé et avait fait sonné la cloche qui appelait ses gardes. Il savait qu'ils arriveraient bientôt.
Le soldat, en face, paraissait gêné.
- Eh bien...
- Réponds.
- Je ne sais pas.
Aaron lâcha un petit rire, pourtant peu adapté à la situation.
- La plupart des gens, quand il entre par une porte, savent qu'ils sont entrés par là et non par la fenêtre, soldat mais visiblement vous n'êtes pas la plupart des gens.
Le soldat hésita, avant de choisir qu'il valait mieux répondre par l'affirmative.
- Je suppose que non, mon général.
Aaron, derrière sa façade de jovialité, commençaient à s'inquiéter. Non pas qu'il soit incapable de se débarrasser de son interlocuteur s'il s'avérait dangereux, mais il s'inquiétait plutôt du retard de ses gardes. Leur était il arrivé quelques chose ?
- Alors, que voulait tu me dire ?
- Eh bien...
Aaron l'interrompit.
- Sois concis. Je n'ai pas de temps à perdre.
- Oui mon général.
Et il raconta tout.
Avant que Sifro ut fini de parler, Aaron avait fini de se lever et avait commencé à passer à la hâte des habits.
Le soldat se détourna, gêné, mais Aaron l'interrompit.
- Continue.
Le soldat continua.
Des qu'il fini de parler, Aaron, qui c'était rassis sur son lit, se releva et sortit de la tente sans même prendre le temps d'attendre Sifro.
Lorsqu'Aaron sortit, un rayon de lune éclaira son visage que la colère avait empourpré et qu'un soupçon de peur avait finalement rendu blême.
Pourtant, il prit le temps, quand il aperçut ses gardes étendu aux sols, de se tourner vers Sifro. Une foule de pensée et de questions traversait son esprit tourmenté. Comment le soldat était-il passé ? Avait-il, comme tout semblait l'indiquer, assommer les deux gardes ? Ou c'était-il passé quelques choses de plus étranges ?
- Il va falloir que nous parlions, suis moi.
Et sans attendre de savoir si Sifro était derrière lui, il se mit à courir vers la tente d'Aryn. Il savait qu'à cette heure là il pourrait y trouver son ami, même si il dormirait probablement.
Il entra dans la tente après avoir laissés Sifro dehors, à côté des deux factionnaires qui montaient la garde sous la pluie battante.
Une aide de camp réveilla son ami, qui grommela et la chassa d'un geste de la main. Aryn se tourna vers son ami et lui lança, d'un ton agacé :
- Je suppose que, pour me réveiller à cette heure là, tu as de bonnes raisons.
- Un soldat qui montait la garde a donné des informations à des Krìn pour essayer de sauver sa peau, donc oui, j'ai de bonnes raisons.
En un instant, la tête d'Aryn passa de l'agacement à la circonspection.
- Tu es sûr ? Qui t'as donné ces informations ?
- Un soldat qui c'est introduit dans ma tente tout à l'heure. Je veux que tu lises son esprit pour me confirmer ce qu'il a dit.
- Je vois, laisse moi quelques instants et je lirais son esprit.
Aryn se leva, s'habilla rapidement avant de se tourner vers Aaron avec un petit sourire.
- Je suis a toi. Ou est t'il ?
- J'ai préféré le laisser dehors pour te parler seul à seul. Il ne vaut mieux pas qu'il croie qu'il se passe quelque chose d'important.
Aryn étouffa un petit sourire, de telles manières l'étonnaient de la part d'Aaron, ce n'étaient pas dans ses habitudes.
Le mage prit une grande inspiration et se calma. La magie nécessitait volonté, puissance et calme et, s'il ne manquait pas des deux premiers, le dernier lui échappait parfois en de telles situations.
L'esprit du soldat apparut, claire et vif dans l'éther ténébreux de la magie, et l'esprit d'Aryn s'en approcha.
L'âme du soldat néanmoins, dégageait, comme une étrange magie, qui suppurait de tous ses pores et il gardait la trace d'une étrange intrusion, comme si une entité l'avait envahi, lui donnant force et puissance.
Aryn essaya de forcer les barrières mentales qui bloquaient son esprit, sans succès. Il réessaya, son front se perla d'une sueur froide, glaciale comme la mort.
Aaron, à côté, commençait à se demander si il avait bien fait de demander cela à son ami. En temps normal, de telles actes magiques ne prenaient guères que quelques secondes à réaliser et cela faisait déjà un moment qu'Aryn avait arrêté de bouger. Il commença à s'inquiéter en voyant la sueur couler sur le visage concentré de son ami. Son bras se posa sur la garde de sa dague, qu'il avait passé à sa ceinture en s'habillant, signe de nervosité.
Il savait néanmoins son impuissance à tirer son ami des filets tentateurs de la magie et il s'assit sur l'un des fauteuils, attendant patiemment une réaction.
En vérité, celle-ci tarda moins à venir qu'il ne le craignait car le sorcier ne tarda pas à bouger.
A la mine que faisait son ami son ami, le guerrier comprit que quelque chose n'allait pas, et la réaction du mage, confirma ses impressions.
- Je crains de ne pas pouvoir t'aider. Je n'arrive pas à lire l'esprit de cet homme, il m'a été fermé par quelque chose.
Aaron, demanda, intrigué :
- Sais tu quoi ?
- Pas vraiment, en revanche, tu ferais de faire surveiller ce soldat, quelqu'un, ou plutôt quelque chose, l'a possédée.
Aaron poussa un grognement d'exaspération. Son ami avait parfois tendance à penser que tout le monde connaissait la magie aussi bien que lui.
- Possédé ?
- Il est possible, à condition de briser toutes ses défenses mentales, de posséder l'esprit de quelqu'un et de lui faire ce que l'on veut. Mais là, c'est différent, quand un mage envahit l'esprit d'autrui, celui dont on a prit possession ne fait rien de sa propre initiative.
Mais quand on est possédé, ce n'est pas pareil, le mage insuffle à celui qui est possédé une partie de son esprit, ce qui lui permet d'agir de sa propre initiative. Mais c'est dangereux, et difficile, je n'en avais jamais vu.
- Mais comment peut tu en être sûr ? Je ne veux pas le faire surveiller pour rien.
Aryn réfléchit un moment, avant de répondre.
- Ce serait trop long à expliquer maintenant, mais tu peux me faire confiance, je ne me suis pas trompé. Mais pour l'instant, nous avons d'autres chats à fouetter. Que ferais à leur place ?
Aaron savait de qui il parlait et répondit rapidement d'une voix que l'expérience avait rendu assuré, la voix d'un commandant.
- Ils ont deux possibilités. Soit il vont essayer de pousser leur avantage plus loin et nous attaquer rapidement, en jouant sur l'effet de surprise, soit il vont rejoindre le reste de leur troupe et rapporter leur informations. Le plus probable est qu'il renvoie l'informateur à leur camp pour le mettre en sureté et nous attaque.
Aryn se tourna vers son aide de camp et lui fit signe d'approcher.
Il se pencha vers lui et lui glissa un ordre à l'oreille.
Celui-ci partit sortit de la tente rapidement en criant des ordres dans tout le camp.
Aaron, intrigué, se tourna vers le mage :
- Les sens-tu approcher ?
Ils sortirent de la tente, observèrent le ciel sans nuage et se tournèrent l'un vers l'autre. Chacun d'eux savait, au fond de lui, qu'une tempête approchait, une tempête de sang, de meurtre et de folie. L'instinct d'Aaron le lui disait le lui susurrait à l'oreille, tandis que la magie le clamait à Aryn.
Ils restèrent silencieux en attendant la tempête.