Autant j'avais un plan et un projet autant le mettre en oeuvre n'allait pas être aussi simple. Je me voyais mal me présenter de la sorte pour embarquer sur un de ces mastodontes de fer. Surtout que je n'avais aucune compétence en navigation ou en tant que marin. Et puis, j'étais une femme alors c'était peut-être plus difficile d'embarquer. Je ne pouvais pas faire une navigation en solitaire car j'allais sans doute me perdre ou faire naufrage. Alors je ne pouvais pas faire autrement que de trouver un moyen de monter sur un navire.
En déambulant dans le port, je fini par trouver un grand voilier qui semblait faire office de bateau de croisière ou du moins utilisé pour le transport de passagers. Devant la passerelle se trouvait une pancarte avec les tarifs des billets. Il y avait des chiffres mais pas de symboles juste des images de pièces, de perles ou de coquillages. Je constatais que même le tarif le plus bas était trop cher pour moi. Je soupirai de dépit. Je pourrais m'embarquer clandestinement mais je risquais d'avoir des ennuis si je le faisais et je voulais éviter les problèmes autant que possible.
Alors que j'allais continuer mon chemin, une autre pancarte attira mon attention. En m'approchant je lu l'annonce suivante. Nous recherchons de la main d'oeuvre pour les cuisines et le service. Traversée gratuite en échange de vos services. Une traversée gratuite si je travaillais ? Je n'y connaissais rien à la restauration mais je n'avais pas d'autres options si je voulais prendre la mer.
J'entrais par la porte près de la pancarte. L'intérieur était plongé dans la pénombre. Dans la semi-obscurité, je distinguais un bureau de bois brut éclairé par ce qui semblait être une lampe à huile. Une odeur de renfermé planait dans l'air ainsi qu'une autre ressemblant à du tabac. Assis devant le bureau, un homme entre deux âges portant une chemise à carreaux de couleur sombre. Il avait un visage anguleux et mal rasé. Ses cheveux étaient longs et attachés retombant dans son dos.
– C'est pour du travail ? demanda-t-il d'une voix bourrue en levant la tête du livre qu'il lisait.
Je confirmais en hochant la tête. L'homme attrapa la lampe à huile et éclaira mon visage. Je clignais des yeux face à l'agression lumineuse tandis que je me faisais examiner de la tête aux pieds.
– C'est rare de voir une femme se présenter pour ce genre de boulot. Surtout aussi jeune. Mais pourquoi pas, après tout. T'as déjà travaillé sur un bateau ?
– Non, mais j'apprends vite, répondis-je.
– Pas besoin de compétences, juste de la rapidité, répliqua l'homme.
Il attrapa un stylo ainsi qu'un papier et griffonna quelque chose dessus.
– Tu serviras la troisième classe. Tu descends dans la cale et c'est à gauche. Tu commences tout de suite, dit-il en me tendant le papier.
Visiblement, il n'était pas bien regardant sur le recrutement. Pas besoin de CV, il suffisait de se présenter et c'était bon. Je ne savais pas ce qui m'attendais mais j'étais prête à tenter l'expérience.
En suivant les consignes du recruteur, je me retrouvais au milieu d'une gigantesque cacophonie. Derrière cette porte se trouvait une cuisine attelée à ce qui semblait être un cellier. Plusieurs personnes étaient en train de s'affairer à droite et à gaucher tenant divers ustensiles et caisses. Visiblement, une nouvelle traversée allait commencer au vu de toute cette agitation.
– Ah, une paire de bras en plus ! fit une voix dans mon dos.
Je me tournais vivement vers une femme assez costaude et vigoureuse portant un grand tablier à la propreté douteuse et aux cheveux courts. Elle faisait à peu près ma taille et elle paraissait être la cheffe.
– J'imagine que tu viens tout juste d'arriver, devina-t-elle en m'arrachant le papier que j'avais dans la main. Encore une novice, soupira-t-elle, ses yeux scrutant mon visage. Qu'est-ce qu'une jeune comme toi vient bosser dans un rafiot pareil ?
– Je veux voyager, répondis-je.
– Mouais, il y a d'autres moyens de prendre le large que celle-ci. Mais bref, ce ne sont pas mes affaires. Bon, c'est quoi ton nom ?
– Je m'appelle Cyane.
Autant utiliser ce nom vu que ça allait être mon identité dans ce monde. La femme hocha la tête.
– Ok, moi c'est Marlène. Suis-moi, je vais te montrer ce que tu vas faire. On peut dire que tu tombes à pic, on lève l'ancre ce soir.
Je lui emboitais le pas en slalomant entre les gens qui allaient et venaient.
– Vu que tu n'as aucune expérience, tu t'occuperas des légumes.
Elle me posa une énorme caisse de pommes de terre sous le nez avec un couteau.
– On commence déjà les préparatifs pour ce soir, me dit Marlène. Tu vas donc éplucher les patates. Il y a dix caisses comme celle-ci.
Corvée de pommes de terre ? J'avais l'impression d'être dans un récit de pirates. Mais je n'étais employée que pour quelques jours alors éplucher des légumes ne me dérangeaient pas particulièrement. J'attrapais le couteau et une pomme de terre et je commençais à la peler. Je sentis alors une présence dans mon dos et quelqu'un s'accroupit à côté de moi. Je vis alors une main griffue attraper une pomme de terre. Malgré moi, mon regard remonta le long du bras couleur caramel et je découvris ce qui semblait être un jeune homme à la longue chevelure sombre et bouclée. Néanmoins sa queue reptilienne et les cornes émergeant de sa chevelure trahissaient une nature autre qu'humaine. J'eus un mouvement de recul mais je me forçais à ne pas fuir. Mais c'était tellement étrange de côtoyer quelqu'un d'une autre espèce qu'humaine. Soudain, l'inconnu darda vers moi un œil jaune à pupille verticale.
– Toi aussi t'es nouvelle ? demanda-t-il d'une voix grave d'un ton neutre.
Je hochais la tête tout en continuant ma tâche.
– Super, au moins je ne suis pas le seul à être fraîchement recruté.
Il y eut un instant de silence avant qu'il ne reprenne la parole.
– Rassure-moi, tu n'as rien contre les gens comme moi ?
– Les gens comme toi ? répétais-je perplexe.
– Bah, je pense que tu as dû remarquer que je suis une chimère.
– Oui et donc ? dis-je comme si ce qu'il me disait faisait sens. Je me fiche de ce que tu es tant que tu me respecte.
Est-ce que le racisme existait ici aussi ? Manifestement oui. Intérieurement, je soupirais de dépit. Ce fléau était aussi présent dans un autre monde. Et peut-être même d'autres. Bizarrement, maintenant que je commençais à saisir un peu plus de choses sur Thalassea, j'avais moins envie de visiter. Néanmoins, je n'avais pas vraiment le choix non plus. Je jetais un coup d'oeil à la chimère qui semblait étonné avant de sourire, dévoilant ses dents pointues.
– Je crois que t'es la première personne qui se fiche du fait que je sois un hybride.
Il tendit vers moi une de ses mains.
– Moi c'est Sarkan et toi ?
– Cyane, dis-je en serrant sa main en prenant soin d'éviter les griffes pointues.
On continua notre tâche dans le silence pendant un moment. Puis Sarkan se remit à parler.
– Sinon, qu'est-ce que tu fais là ? Généralement, les femmes évitent ce genre de boulot comme la peste.
– J'ai besoin d'aller sur une autre île et je n'ai pas d'argent, répondis-je. Et puis, en quoi le fait que je sois une femme pose problème ?
C'etait la troisième fois quand même que l'on s'étonnait de ma volonté d'être sur ce bateau en tant que travailleuse. C'était si exceptionnelle comme choix ? Il y avait pourtant Marlène et aussi une femme à plusieurs bras et à queue de scorpion qui aider à porter des caisses et sans doute d'autres dans les diverses parties du navire. Comme si il comprenait mon cheminement de pensées, Sarkan me fournit quelques explications.
– Les rares femmes qui travaillent sont des cuisinières ou des porteuses chargées de la sécurité. Jamais elles ne font d'offices en salle. Surtout dans les parties les plus basses.
– Pourquoi ? demandais-je sans comprendre où il voulait en venir.
– Disons que les hommes ont parfois, voire même souvent, tendance à voir les serveuses comme de la chair fraîche et facile d'accès.
Sa dernière phrase manqua de me faire lâcher ma pomme de terre. J'avais été stupide. Je pensais naïvement qu'il ne pouvait rien m'arriver mais je m'étais lourdement trompée. Jurant intérieurement je me maudit pour ma bêtise. Et maintenant ? La raison me disait que je devais débarquer et trouver une autre solution. Mais en l'état actuel, je n'avais pas d'autres options. Ou alors je me trouvais un travail à terre puis je m'embarquerais plus tard. Comme si il lisait dans mes pensées, Sarkan m'en dissuada.
– C'est partout pareil. Tu peux te présenter où tu veux, tu resteras toujours une proie aux yeux des autres.
J'allais protester en arguant que je savais me défendre mais il fut plus rapide que moi.
– Tu voyages seule, tu es une humaine manifestement non armée et qui ne maîtrise pas la magie sinon tu aurais un rang te permettant d'embarquer même sans argent. Crois-moi que tu es sans défense et vulnérable. Ce sera simple pour n'importe quel tenancier de t'utiliser à sa guise. La seule chose qui compte pour ces personnes c'est de se remplir les poches peu importe les moyens et le bien-être des autres.
Il n'avait pas tort. Je n'avais aucun moyen de m'en sortir si je restais ainsi. Il me fallait soit une arme soit un compagnon de voyage.
– On fait équipe pendant la traversée ? proposais-je. Tu assures mes arrières et en échange je... peux te tenir compagnie ?
Je ne savais pas quoi lui proposer en échange. Ma proposition fit rire Sarkan qui posa son regard reptilien sur moi.
– Qui te dit que je ne vais pas te faire du mal ? demanda-t-il. Après tout, rien ne m'empêcherait d'être un prédateur.
– Si tu étais réellement un prédateur, répliquais-je, tu préférerais que je reste dans l'ignorance pour mieux m'avoir car je ne serais pas sur mes gardes.
– Je pourrais aussi justement te rendre méfiante pour être ton protecteur et ensuite en profiter.
– En effet. Mais ce ne serait pas te tirer une balle dans le pied en te comportant de la sorte ? Et puis, j'ai plus l'impression que tu cherches à te lier avec des personnes qui ne sont pas regardantes sur tes origines, je me trompe ?
Sarkan avait un esprit vif mais il ne me paraissait pas menaçant. Enfin, si j'enlevais ses attributs reptiliens et ses cornes. Je savais que les apparences pouvaient être trompeuses mais quelque chose me disait que j'avais rien à craindre de lui de ce côté-là. Sarkan resta muet un instant avant de sourire.
– Et tu as raison. Aller, marché conclu.
Je pense que je me pose trop de questions, mais je ne peux pas m'empêcher de me demander comment c'est possible qu'ils parlent tous sa langue. Enfin, à moins que ce ne soit elle qui parle la leur sans même s'en rendre compte ?
Je me demande aussi s'il n'y a pas des espèces qui sont respectées ou craint parce qu'elles sont justement féminines dans l'univers de Thalassea, comme les sirènes par exemple.
En tout cas ça donne matière à réfléchir et à approfondir dans les chapitres à venir.
(J'ai relevé quelques coquilles, une relecture sera intéressante pour corriger certaines syntaxes :) )