Chapitre 2 : Les cendres du départ

Notes de l’auteur : Voila la suite

Les cendres du départ

Les premières lueurs de l’aube peinaient à dissiper la brume qui enserrait les montagnes. L’air était chargé d’humidité, laissant sur la peau une fraîcheur agréable. Le chant lointain d’un oiseau nocturne, mélancolique et persistant, se mêlait aux bruissements discrets de la forêt qui s’éveillait. Le parfum frais des pins et des fleurs sauvages embaumait l’air, tandis qu’un souffle de vent portait une légère odeur de terre humide. La rosée perlait sur les fougères et les roches lisses du sentier escarpé. Thalixia avançait d’un pas hésitant, sa cape sombre collée contre son corps élancé. Ses cheveux noirs, tressés sur le côté de son visage, brillaient sous les premières lueurs dorées, et une mèche rebelle effleurait son visage pâle, marqué par une nouvelle détermination. La texture soyeuse de ses cheveux glissait contre sa nuque, et un fin bracelet de cuir orné de pierres rouges scintillait à son poignet, souvenir du passé.

Son cœur battait à un rythme précipité, chaque pulsation résonnant dans sa poitrine en écho au pendentif de métal noirci qui heurtait doucement sa peau. Le carnet de Kael, son père, était bien rangé dans sa sacoche. L’odeur du cuir vieilli et des pages usées s’en échappait, éveillant en elle une triste nostalgie. Lorsqu’elle le caressait du bout des doigts, elle entendait la voix grave de Kael, lui racontant les histoires interdites du monde au-delà des montagnes. Une brise soudaine apporta un peu de fumée et de cendres, un rappel amer de la nuit où tout avait changé à tout jamais.

Elle s’arrêta un instant au sommet d’une corniche surplombant le village. La brume, comme une mer blanche, noyait les toits gris. De la fumée timide s’élevait des cheminées, et au centre, le vieux gong semblait figé dans le temps, suspendu au milieu de la place silencieuse. C’était là que son père avait été arraché à elle. L’écho de son cri étouffé résonna dans son esprit. Son souffle devint irrégulier. Elle ferma les yeux, laissant le vent glacé lui caresser le visage, et inspira profondément. Une odeur âcre de suie et de bois brûlé lui emplit les narines, souvenir douloureux de la dernière nuit passée avec son père. Elle se rappela ses mains rugueuses sur les siennes, la promesse silencieuse qu’il n’avait jamais pu tenir.

-"Si tu dois partir un jour, ma fille, laisse la peur derrière toi."

La voix de Kael résonnait en elle, douce et ferme, comme un écho dans l’aube silencieuse. Une brise plus forte fit bruisser les aiguilles de pin.

Un bruit sourd attira son attention. Elle se plaqua contre un rocher recouvert de lichens. Son souffle se fit court. Deux villageois passaient en contrebas. Leurs pas craquaient sur les feuilles mortes, leurs voix basses portées par le vent.

-"Tu crois qu’elle va partir, elle aussi ?"

-"Elle n’a nulle part où aller. Les anciens veillent."

Leur ton mêlait crainte et résignation. Thalixia attendit qu’ils retournent au village, le cœur battant. Chaque mot pesait dans son esprit comme une pierre. -Ils ne comprennent pas. Ils ne savent rien. - Une brûlure discrète naquit dans sa poitrine, se diffusant lentement vers ses bras. La chaleur familière de son don — une promesse de puissance et de rébellion. Un souffle brûlant glissa sur ses paumes, imperceptible, mais porteur d’une promesse : bientôt.

Plus loin, un petit sanctuaire effondré se dressait au bord du chemin. Les pierres recouvertes de mousse portaient des symboles familiers. Kael l’y avait souvent emmenée lorsqu’elle était enfant. Il disait que ces ruines racontaient l’histoire d’un grand et fort peuple libre, avant l’arrivée des anciens. Un frisson parcourut son échine. Ses doigts effleurèrent une pierre gravée d’un dragon stylisé. Les contours rugueux semblèrent pulser sous sa peau, comme si la pierre avait un cœur. Une chaleur inattendue s’en dégagea.

- "Papa… je trouverai la vérité."

Ses paroles, murmurées dans le vent, semblèrent réveiller quelque chose. Le pendentif sur sa poitrine vibra légèrement, diffusant une chaleur réconfortante. Ses yeux se plissèrent. C’est donc vrai… songea-t-elle.

Le silence retomba, dense. Elle s'assit près du sanctuaire, les genoux repliés contre elle, son regard se perdant dans les ombres des montagnes. Les sons du matin — le murmure discret du vent, le clapotis d’un ruisseau lointain, le froissement des feuilles — formaient une mélodie familière. Pourtant, elle se sentait étrangère à tout cela. Pourquoi m’avoir protégée plus que les autres ? La question tournait en boucle dans son esprit.

Un hurlement lointain brisa le silence. Aigu, guttural, inhumain. Son sang se glaça. Était-ce un signe…ou un avertissement ?

Déterminée, elle se releva. La forêt se fit plus dense. Les arbres semblaient parler entre eux, leurs branches entrelacées formant des ombres mouvantes. Chaque pas dans cette nature sauvage était un défi. Le ruisseau glacé mordit ses chevilles, des ronces griffèrent ses mollets, et ses mains se couvrirent d’éraflures en escaladant des rochers abrupts. L’odeur terreuse des fougères écrasées emplissait l’air. Le chant d’un oiseau inconnu, perçant et presque plaintif, résonna dans le lointain.

Chaque épreuve renforçait sa détermination. Elle sentit son feu intérieur répondre, pulsant au rythme de son cœur. Les flammes invisibles en elle ne demandaient qu’à être libérées.

Puis, au détour d’un sentier, elle découvrit une clairière baignée de lumière dorée. En son centre se dressait une pierre noire, polie par le temps. La surface de la pierre était d’une texture rugueuse par endroits, lisse et glacée ailleurs, comme si elle avait été de nombreuse fois usée par des mains anciennes. Elle dégageait une froideur mordante qui semblait se propager dans l’air. Elle était gravée du même dragon stylisé que celui du sanctuaire. Mais ici, le dragon semblait différent. Brisé. Enchaîné. Sacrifié. Des fissures profondes parcouraient la pierre, suintant une chaleur sourde, presque vivante.

Le pendentif vibra violemment, brûlant presque sa peau. La respiration haletante, elle le décrocha de son cou et de façon étonnante, il se fixa à la pierre noire. L’air sentait le fer chaud et la cendre, comme si un feu ancien venait d’être rallumé.

"Un signe ? Un avertissement ?" murmura-t-elle.

Ses doigts hésitèrent avant de toucher la pierre. Lorsqu’elle effleura sa surface, elle sentit sa texture contrastée : rugueuse comme une écaille brûlée, puis lisse et glacée comme la surface d’un lac gelé. Une chaleur brûlante surgit sous ses doigts, puis une douleur fulgurante transperça son esprit, comme une flamme perçant la glace. Elle tomba à genoux. Un cri étouffé s’échappa de ses lèvres. Une brise soudaine se leva, soulevant sa cape, tandis que l’air vibrait d’une énergie latente.

Des images s’imposèrent à elle : un dragon enchaîné, hurlant sous un ciel d’orage ; des écailles sombres, lacérées, brûlantes au toucher ; des enfants, enfermés dans des cages dorées, leurs regards emplis de peur ; et les anciens, impassibles, leurs silhouettes noyées dans l’ombre. La douleur était vive, presque insupportable, comme si le feu et la glace luttaient en elle. Son esprit vacilla, partagé entre la lumière et l’obscurité.

Thalixia recula, haletante. Les battements de son cœur faisaient écho à un feu grondant en elle, un feu qui brûlait plus fort que jamais. Ce sont leurs secrets… et je les découvrirai.

Lorsque le calme revint, elle leva les yeux vers l’horizon. Au loin, les pics enneigés se découpaient sur un ciel gris. Les montagnes cachaient encore bien des secrets. Mais désormais, elle n’était plus seule. Son feu, brûlant et indomptable, veillait sur elle.

Avec un dernier regard vers la pierre noire, la sensation brûlante de sa texture encore sur sa paume, elle reprit sa marche. La flamme de la rébellion brillait dans son regard. Plus rien ne l’arrêterait.

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