Bertille récupéra illico le matériel d’archéologie, encore maculé de la terre ramassée sur l’île de la mairie, et rejoignit dans la cour une Isabeau qui, trépignant d’impatience, sautait littéralement sur place, et un Jimmy hébété qui ne comprenait visiblement pas ce qu’il faisait là avec ces deux hystériques.
Isabeau se saisit des outils que lui tendait Bertille et elle se mit à tourner sur elle-même comme une girouette.
- Par où on commence ?! demanda-t-elle, mi-indécise, mi-surexcitée.
Bertille contempla l’un après l’autre les platanes en carré qu’elle avait si souvent observés. Elle ne se serait jamais douté que l’un d’entre eux cachait un tel secret.
- Il aurait une marque distinctive, réfléchit-elle à haute voix. Comme le chêne d’Isabeau.
L’autre Isabeau acquiesça et s’élança vers l’arbre le plus proche. Elle en fit plusieurs fois méthodiquement le tour, scrutant l’écorce.
- Tu n’aurais pas une lampe de poche, Bertille ? Il n’y a pas assez de lumière pour des recherches.
Bertille courut à l’intérieur de la maison pour chercher une torche. Elle passa devant Jimmy qui, appuyé au mur de brique sous la fenêtre de la cuisine, semblait cette fois vraiment s’ennuyer.
En entrant dans la cuisine, Bertille se cogna à son père qui en ressortait. Celui-ci la regardait sévèrement.
- Qu’est-ce qui se passe Bertille ? Combien de fois t’ai-je répété que la maison n’est pas une piste d’athlétisme, tu peux marcher à l’intérieur, ça éviterait ce genre d’accident.
- Désolée, P’pa ! fit-elle en le contournant.
Elle poussa une chaise vers la gazinière, grimpa dessus et attrapa deux lampes de poche qui étaient posées sur la hotte. Sans prendre la peine de remettre la chaise à sa place, elle repassa à côté de son père qui occupait le pas de la porte et semblait vraiment en colère cette fois.
- Et monter sur une chaise avec tes chaussures aux pieds, tu trouves ça normal aussi ? demanda-t-il.
Il avait attrapé son bras et l’empêchait d’avancer davantage.
- J’avais besoin des lampes très vite, et…
- Et ça justifie de salir les coussins d’une chaise ? Ça attendra une autre fois. Pour le moment, tes amis rentrent chez eux et toi, tu fais tes devoirs.
Sur ce, il lui confisqua les lampes et sortit en trombe de la maison. Les larmes aux yeux, Bertille retira son manteau et ses chaussures. Elle se posta à la porte qui donnait sur la cour, attendant le passage de Jimmy et d’Isabeau.
- Il s’est levé du pied gauche, ton père ? chuchota cette dernière en regardant vers sa salle de classe. Il vient de nous dire de nous en aller et est parti s’enfermer dans la classe.
- Il a peut-être du travail, suggéra Bertille.
Isabeau fit une moue dubitative. Elle sembla sur le point de dire quelque chose, mais Jimmy l’interrompit :
- Bonne soirée, Bertille. Je rentre tout de suite, j’ai dit à Maman que je ne l’attendais pas.
- D’accord, répondit tristement Bertille. On reprendra les recherches en fin de semaine ?
- Ça marche ! approuva Isabeau. En attendant, essaye de voir quel arbre ça pourrait être. Mais fais ça discrètement, ç’a l’air d’embêter un peu ton père.
Bertille fronça les sourcils mais Isabeau n’en dit pas plus. Elle lui adressa un dernier signe de la main et se dirigea vers la porte avec Jimmy. Bertille les suivit à distance, se doutant bien qu’ils auraient besoin d’elle pour ouvrir la porte.
Elle percuta Isabeau qui revenait justement lui demander de l’aide à l’angle du mur du cagibi.
- Il n’y a que toi qui saches ouvrir ce verrou ? demanda cette dernière, essoufflée
- Non ! fit Bertille en se forçant à sourire. C’est juste une technique un peu particulière. Ça fait longtemps que Papa demande à ce que cette serrure soit changée, c’est vrai que ça serait quand même un peu plus simple…
Bertille actionna le levier du verrou.
- Sinon, dit soudain Isabeau. Si on ne trouve pas la clé du cadenas de la boîte, on pourra toujours…
- Non, trancha catégoriquement Bertille. On ne coupe pas le cadenas. Si Maman a caché la clé quelque part, c’est qu’il y a une raison.
Isabeau haussa les épaules et sortit derrière Jimmy. Bertille referma la porte derrière eux, tiraillée entre l’envie de découvrir ce qu’il y avait dans cette boîte et celle de résoudre proprement l’énigme posée par sa mère.
- J’ai trouvé l’arbre, lança Bertille sans préambule alors qu’Isabeau essuyait ses chaussures mouillées sur le paillasson.
Elles n’avaient pas jugé nécessaire d’inviter Jimmy pour l’après-midi. Il n’avait pas l’air très emballé par leurs investigations et de toute façon, il avait entrainement de foot le samedi.
Isabeau s’interrompit net, lui tendit le sac plastique contenant son matériel et recommença à frotter ses semelles. Sur ses lèvres s’était dessiné un grand sourire.
- Qu’est-ce qui te fait dire que c’est le bon ? demanda-t-elle cependant, secouant son parapluie trempé de l’autre côté du seuil de la porte.
Bertille haussa les épaules.
- Les seuls autres arbres qui sont dans la cour sont les quatre platanes, et à mon avis, si quelqu’un avait enterré quoi que ce soit à leur pied, ça aurait déjà été découvert depuis longtemps.
- Ça se tient, approuva Isabeau. Reste à savoir si quelqu’un, en l’occurrence ta mère, a réellement enterré quelque chose là.
Elle suivit Bertille dans la cuisine. Cette dernière montra tristement la fenêtre.
- Il pleut à verse.
- J’avais remarqué, répliqua Isabeau qui désignait son imperméable trempé. Regarde dans quel état je suis, et pourtant, je n’ai que la rue à traverser. Bon, c’est vrai qu’il y avait un petit peu de circulation…
Bertille soupira et enfila ses bottes, posées à côté de la porte qui donnait dans la cour.
- On devrait peut-être faire ça un autre jour ? suggéra Isabeau. Si tu n’as pas envie que ton père te gronde encore…
- Je m’en fiche, jeta catégoriquement Bertille. On y va.
Sur ce, elle ouvrit la porte et sortit en trombe de la maison. Isabeau passa le seuil à son tour et referma derrière elle.
Elle rejoignit Bertille qui déverrouillait l’entrée de son cagibi.
- Si ça se trouve, il n’y a rien.
- Il n’y a aucun autre endroit où ma mère aurait pu mettre cette clé, trancha Bertille. Et puis…il y a quelque chose qu’on n’avait pas remarqué. Tu te souviens quand je t’ai raconté que ce livre appartenait à ma mère ?
- Oui… répondit Isabeau d’un ton incertain.
- Elle a souligné des passages de l’histoire d’Harold et Isabeau, expliqua Bertille, tournant les pages. Ces passages qui racontent qu’ils ont choisi un arbre et ont…regarde.
- « Si un jour tu perds la clé, sache que je l’ai enterrée au pied de notre arbre. Elle ouvre bien des choses ; et avant tout, mon cœur, pour toi et pour toujours. » C’est bien joli, mais qu’est-ce qui te fait dire que…
- Et là, regarde : « Ne me quitte jamais, reste toujours auprès de moi. »
Isabeau fixa la page, interdite.
- Je ne comprends pas.
Bertille lui reprit le livre des mains, un peu déçue qu’Isabeau de comprenne pas très vite.
- « Elle ouvre bien des choses ; et avant tout… mon cœur ». Je suis sûre qu’elle voulait parler de sa boîte. Et l’indice que la clé est enterrée ici : « Ne me quitte jamais, reste toujours auprès de moi. »
L’air pas spécialement convaincue, Isabeau acquiesça.
- D’accord. Et ça veut dire que c’est lequel ?
Bertille reposa le livre pêle-mêle au milieu des coussins et quitta la pièce. Isabeau la suivit, suspicieuse.
- Je pense que c’est le vieux saule pleureur, conclut Bertille.
Elle pointait le doigt vers le coin de la cour où se trouvait sa classe d’allemand. L’arbre noueux régnait sur un promontoire de terre. Ses racines s’échappaient de la terre et nombreux étaient les élèves qui s’amusaient à en faire le tour pendant la récréation.
- Mmmh…, fit vaguement Isabeau.
Elle rabattit sa capuche. La pluie tombait toujours aussi fort. Bertille passa par la cuisine récupérer le sac d’Isabeau et ses propres outils de jardinage.
- J’ai piqué les affaires de jardinage de Tante Jo, de toute façon elle n’a pas la main verte.
- Qu’est-ce que ça veut dire ?
- Qu’elle n’aime pas entretenir son jardin.
Bertille trouvait Isabeau un peu bizarre aujourd’hui. Elle n’était pas aussi bavarde que d’habitude, elle ne croyait plus à ses théories. Bertille se dit que c’était sûrement la pluie, capable de rendre les grandes personnes maussades pour un oui ou pour un non, et Isabeau ressemblait de plus en plus à une grande personne dans certaines situations.
Bertille secoua la tête pour penser à autre chose et se mit à courir vers le saule pleureur, pourtant bien consciente que se dépêcher ne la mouillerait pas moins qu’y aller en marchant. Isabeau ne manqua pas de le lui faire remarquer lorsqu’elle la rejoignit sous le feuillage. Les branches fines dégouttaient dans la terre, formant de grosses flaques boueuses entre les racines. Isabeau soupira et étala son sachet plastique vide sur le sol avant d’y poser les genoux, ses outils à la main.
- Désolée qu’on ne puisse pas faire ça un autre jour, se justifia Bertille. Mon père est occupé pour tout l’après-midi avec les papiers de l’école. Je lui ai dit qu’il avait qu’à ne pas être directeur et il n’a rien dit.
Elle évacua l’eau entre deux racines avec son seau. Ses cheveux qui dépassaient de sa capuche étaient collés à ses joues et dégoulinaient dans son cou, mais cette fois, elle était sûre qu’il y avait quelque chose.
- Il n’a rien dit ? Il doit être terriblement occupé, alors ! remarqua Isabeau, pouffant d’étonnement dans son écharpe. Tu as eu raison de me téléphoner.
Bertille sourit à son tour. Enfin Isabeau se détendait. Il y avait vraiment quelque chose qui clochait dans son attitude.
Un long silence passa. Les seuls bruits autour d’elles étaient celui de la pluie et de leurs outils qui retournaient la terre. Bertille tenta à plusieurs reprises de poser la question qui lui brûlait les lèvres, sans qu’elle parvienne à sortir.
- On est au point pour la fête de l’école ? demanda Isabeau en tassant la boue collante en petit tas à côté d’elle.
Bertille fit non de la tête.
- C’est dans un mois.
- Dans quatre semaines depuis hier, corrigea Isabeau, concentrée sur sa tâche. Il faudrait réussir à faire une répétition par semaine en plus des répétitions générales, et…
- Oh là, oh là, du calme, tempéra Bertille en ouvrant grand les yeux. On ne commencera à répéter tous ensemble que la dernière semaine, de toute façon, quand l’estrade sera en place dans la cour.
- L’estrade ?! répéta Isabeau avec intérêt. Si j’avais su, j’aurais proposé de monter toute une pièce de théâtre…se lamenta-t-elle.
- C’est déjà pas mal, tout ce qu’on fait, remarqua Bertille. Et puis, tu pourras toujours revenir l’année prochaine, même si tu es au collège, pour nous aider à en mettre une en place…
À cet instant, elle sut précisément quel sujet causait tant de tort à Isabeau, et elle venait de sauter dedans à pieds joints. Isabeau baissa la tête et maintint sa bouche close. C’était peut-être la pluie, mais Bertille jura qu’elle avait les larmes aux yeux.
- Je ne serai plus là l’année prochaine, lâcha Isabeau.
Elle jeta rageusement une pelletée sur son pâté de boue.
Bertille sentit sa tête refroidir. Elle ne sut quoi répondre pendant quelques instants. Ça ne pouvait pas être possible. Isabeau était en train de lui faire une mauvaise blague.
- Ma mère revient du Japon. Et on part pour les Etats-Unis. Toutes les deux.
Cette fois, Bertille sentit vraiment qu’elle allait pleurer. C’était trop injuste. Elle réussissait enfin à se faire une vraie amie à l’école, et voilà qu’elle devait partir. Elle baissa la tête entre les racines et planta violemment sa pelle. Isabeau sembla surprise par son geste.
- Qu’est-ce qui te prend ?
Bertille s’immobilisa. Sa voix se fit plus agressive qu’elle ne l’aurait voulu.
- Tu es vraiment en train de te demander ce qui m’arrive ? Je suis triste que tu t’en ailles, c’est tout, reprit-elle plus calmement, espérant que les larmes qui roulaient sur ses joues se confondaient avec la pluie.
Isabeau lui sourit, visiblement touchée.
- J’aurais préféré rester. Tante Jo n’a pas beaucoup de temps à m’accorder, mais ma mère est encore plus occupée. Au moins, ici, j’avais quelqu’un avec qui passer du temps.
Bertille évita de lever la tête, craignant de croiser son regard. Elle dégagea un peu l’une des racines devant elle, et sa pelle heurta un objet dans un bruit métallique. Elle se redressa brusquement vers Isabeau. Le départ de son amie venait d’un coup de sortir de sa tête.
- Tu crois que…
- Oui ! s’exclama Isabeau en bondissant à ses côtés.
Je trouve qu’une ligne blanche entre la première et la deuxième partie du chapitre, ce n’est pas suffisant. Ce serait plus clair si tu donnais une indication de temps, comme le lendemain, quelques jours après, ou autre, pour situer la deuxième scène.
Ça ne fait pas si longtemps qu’Isabeau est arrivée. C’est triste qu’elle doive déjà partir et ça confirme l’impression que sa mère a tendance à la ballotter sans trop se soucier des conséquences qu’ont ces changements sur sa vie.
Coquilles et remarques :
— Elle ne se serait jamais douté que [doutée]
— pour chercher une torche [une lampe torche]
— Celui-ci la regardait sévèrement [Je mettrais « la regarda », parce que c’est au moment où elle vient de le bousculer qu’il a cette expression.]
— demanda cette dernière, essoufflée [Il manque le point.]
— Papa demande à ce que cette serrure soit changée [« demande que » suffirait et serait même préférable]
— il avait entrainement de foot le samedi [N.B . « entrainement » est la graphie rectifiée. La graphie classique est « entraînement ».]
— lui tendit le sac plastique contenant son matériel [« le sac en plastique » serait préférable]
— un peu déçue qu’Isabeau de comprenne pas très vite [ne comprenne]
— L’air pas spécialement convaincue, Isabeau acquiesça [L’air (…) convaincu ; comme dans les chapitres précédents.]
— et étala son sachet plastique vide [« son sachet en plastique » serait préférable]
— L’estrade ?! répéta Isabeau avec intérêt. Si j’avais su, j’aurais proposé de monter toute une pièce de théâtre…se lamenta-t-elle. [Deux incises pour une réplique, ça fait un peu trop et il ne me semble pas qu’on puisse dire qu’elle se lamente.]
Oui c'est bien triste mais c'est le lot de beaucoup d'enfants trimballés d'un bout à l'autre du pays (voire du monde). Au final en plus, ce sont eux qui s'adaptent le mieux ^^
Merci pour tout !