Chapitre 29

Notes de l’auteur : Bonne lecture !

Je m’enfonçai toujours plus profondément dans le monde des rêves. Je voulais mettre le plus de distance possible entre moi et les rêveurs d’Argencour. Porte après porte, je voyais les paysages défiler, plus merveilleux les uns que les autres. Mais je n’en trouvais aucun capable d’apaiser mon trouble.

Finalement, j’arrivai dans une immense forêt de bouleaux. Le rêve semblait lointain, je m’y enfonçai.

En marchant dans le bois, je repensai à Rhen, à son cauchemar. Je me demandais comment il allait, ce qu’il voyait, ce qu’il affrontait. J’avais la boule au ventre en l’imaginant aux prises avec Ciaran. Le Dieu des Cauchemars avait-il fini par s’en prendre à lui ? Ma famille volait déjà en éclat, alors sa prochaine cible devrait être…

Je secouai vivement la tête, repoussant toutes ces pensées qui m’assaillaient. La peur me semblait là depuis si longtemps maintenant qu’elle me paraissait comme une vieille amie.

Une légère brume m’entourait, donnant au bois une ambiance fantomatique. J’avançai, pieds nus dans cette terre poussiéreuse. Les feuilles des arbres semblaient comme du papier bruissant doucement dans une brise inexistante. Quel étrange endroit, songeai-je en regardant le ciel, si pâle à travers le feuillage. Je n’avais pas souvenir d’avoir traversé un rêve aussi… bizarre.

Tout paraissait étrangement différent de ce à quoi j’avais l’habitude. Il me semblait marcher depuis des heures, mais la forêt ne changeait pas. Je voyais toujours les mêmes arbres pâles, les mêmes racines de cendre. Le rêve ne m’avait même pas changée, me laissant errer pieds nus dans ma chemise de nuit.

Et aucune trace du moindre rêveur.

Il y avait quelque chose dans l’air… quelque chose qui ne présageait rien de bon, je le sentais.

J’attrapai la clé d’Asling à mon cou, prête à m’en aller quand je remarquai une tâche de couleurs dans cet océan monochrome quelques mètres plus loin. J’avançai prudemment et découvris le cadre d’une porte. J’en reconnus tout de suite la magie et fronçai les sourcils. C’était impossible, je n’avais encore invoqué aucun passage…

En m’approchant, je la remarquai différente de celles que j’avais traversée pour venir. Plus grande, plus colorée…

Comme celle que la clé avait ouvert ce soir-là… réalisai-je soudain.

Je m’apprêtais à repartir quand la porte s’ouvrit.

Sur Liam.

J’écarquillai les yeux, livide. Liam ? J’avais l’impression de nager en plein cauchemar. Mais que faisait-il ici ?

Mon frère regarda autour de lui, un peu perdu. Derrière lui, la porte se referma et disparut.

— Liam ?

Le garçonnet sursauta et se retourna. En me voyant, un large sourire illumina son visage et il se précipita vers moi pour se jeter dans mes bras. Sentir ses petits bras m’entourer me pétrifia. C’était réel, m’alarmai-je. Liam était vraiment là.

— J’ai réussi, Adaline ! J’ai réussi ! exultait-il sans remarquer mon trouble. Regarde, maintenant je vais pouvoir passer de rêve en rêve avec toi !

Je cillai, ses mots me ramenant brutalement à la réalité.

— Quoi ? M-mais, comment ?

Liam s’écarta, son sourire s’élargissant alors qu’il me montrait fièrement la clé dans sa main. En la voyant, je sentis mon cœur rater un battement. Je portais une main à ma propre clé. Impossible… soufflai-je en moi-même. Et pourtant…  

Aussi ancienne que la mienne, elle était faite du même argent aux gravures noircies. Sa tête, en revanche, n’arborait aucune constellation en diamants mais un petit croissant de lune en cristal aux pendeloques en forme de larmes. Sur son panneton, je découvris le même papillon gravé tandis qu’à sa tige brillait l’incantation pour appeler les portes d’Asling.

Je n’en croyais pas mes yeux.

— J’ai trouvé ça dans le grenier ! Elle fait apparaître des portes, comme tu m’as dit que tu faisais !

— Mais…

Le vent se leva brusquement. Son souffle balaya la brume à nos pieds, agita les branches dans un concert de bruissements et de craquements inquiétants. Une vague de murmures s’éleva des ombres du bois. J’en reconnus les chuchotements des cauchemars qui approchent et tirai Liam vers moi.

— Ne t’éloigne pas, lui dis-je gravement en regardant alentour avec inquiétude. Surtout reste près de moi, d’accord ?

— Adaline, c’est quoi ces bruits ? demanda-t-il d’une petite voix.

Liam se blottit contre moi, terrifié alors que les murmures s’épaississaient autour de nous. Puis l’obscurité s’abattit sur la forêt, comme un nuage de tempête masquant le soleil. Je serrai Liam plus fort contre moi.

— J’ai peur, Adaline… tremblait-il dans mes jupes.

— Tout va bien se passer, assurai-je en m’agenouillant devant lui pour le regarder dans les yeux. Tout ira bien, tu m’entends ?

Mais mon frère continuait de trembler.

— Liam, est-ce que j’ai déjà manqué à ma parole ?

— Non…

Je souris.

— Alors ne t’inquiète pas, mon ange, tout ira bien, je te le promets.

Je me relevai, plaçant Liam derrière moi, le cachant à la silhouette nébuleuse que je voyais se profiler un peu plus loin devant nous. Je la vis se relever et regrettai soudain de m’être couchée, de ne pas avoir surveillé Liam ces derniers jours, de ne pas lui avoir confisqué cette clé avant qu’il ne s’en serve.

Ciaran se redressa devant nous, ses boucles d’obsidienne masquant ses yeux si étranges. Sur ses épaules, son manteau de plumes de corbeau semblait onduler, comme s’il cachait des nuées de papillons de nuit qui s’agitaient furieusement sous ses vêtements. J’en eus la chair de poule.  

Un large sourire ornait ses lèvres pâles. Dans mon dos, Liam tremblait comme une feuille.

— Tout ira bien, dis-je à nouveau, serrant Liam contre moi. Tout ira bien.

Mais était-ce lui ou moi que j’essayais de convaincre ? Ça, je l’ignorais.

Je croisai le regard de Ciaran si sombre et maléfique.

— Je suis heureux de te revoir, charmante Adaline. Et le petit Liam a trouvé mon cadeau, s’amusa-t-il en regardant la clé que mon frère serrait dans son petit poing. Quel délicieux enfant, ses cauchemars sont toujours d’une telle… fantaisie. Je n’avais encore jamais croisé un être à l’imagination aussi fertile. Tout simplement fascinant !

— Laissez mon frère tranquille, sifflai-je entre mes dents.

Ciaran apparut soudain devant moi, si proche que nos souffles se mêlèrent. Derrière moi je sentis Liam retenir un hoquet de peur.

— Et pourquoi donc ? susurra-t-il avec un sourire mauvais.

La température chuta brusquement, me faisant frissonner. En regardant de côté, je remarquai un épais brouillard se lever autour de nous, blanchâtre, glacé. Ciaran m’effleura la joue, repoussant une mèche derrière mon oreille. Je serrai les dents, lui jetant un regard meurtrier.

— D’autant que ce petit… est loin d’être celui que vous pensez.

Il sourit et s’écarta de quelques pas. Je le regardai sans comprendre. Autour de lui, des papillons commencèrent à tournoyer.

— Que voulez-vous dire ?

Il eut un rire méprisant avant de disparaître. J’eus à peine le temps de cligner des paupières qu’il réapparut derrière moi, faisant sursauter Liam qui s’écarta d’un bond. Je restai pétrifiée alors que le Dieu des Cauchemars passait une main devant le visage de mon frère. Liam papillonna des paupières, puis s’effondra dans la poussière, inconscient. Je réprimai mon envie de me jeter à terre pour vérifier qu’il respirait encore. Je savais que Ciaran, qui se penchait de nouveau vers moi, aurait eu tôt fait de m’en empêcher, de me retenir et de se moquer de mon impuissance. Alors je serrai les dents.

En découvrant la poitrine de mon frère monter et descendre dans un rythme régulier, j’eus un soupir de soulagement. Il était en vie.

— Il est amusant de voir comme les mortels craignent les ténèbres… Dis-moi jolie Adaline, qu’arriverait-il si on apprenait que ton adorable petit frère n’est pas né sous l’égide de Typhon comme ton charmant grand frère ?

Ma bouche s’assécha.

— Quoi ?

Je me retournai d’un bond, mais le dieu s’écarta rapidement, un sourire mesquin aux lèvres.

— Savais-tu que seul un enfant des rêves peut se servir des clés de mon frère ?

Je me figeai, terrifiée à l’idée de comprendre.

— Et qu’est-ce qu’un cauchemar si ce n’est un mauvais rêve ? poursuivit-il l’air diabolique.

Je jetai un regard à mon frère, étendu dans la poussière. Mes yeux étaient grands ouverts d’horreur. Un enfant né sous la nouvelle lune… Mais, si Liam n’était pas un enfant du Dieu des Océans…

Les larmes abondèrent à mes yeux alors que je réalisais peu à peu.

Je secouai la tête.

— Non. Non, c’est impossible, dis-je fermement. Je refuse d’y croire.

— Refuse autant que tu veux, Adaline, me contra le dieu avec patience. Mais la vérité est ce qu’elle est.

Il eut un sourire moqueur.

— Dis-moi, jolie Adaline, maintenant que tu sais, aimes-tu toujours autant ton petit frère ?

Je blêmis. Le Dieu des Cauchemars éclata d’un rire mauvais avant de se détourner et de disparaître pour de bon.

Le silence s’abattit, presque plus oppressant encore que celui du manoir. La brume s’était envolée et les feuilles retrouvèrent leur calme.

Je restai planté là un moment, pétrifiée. Les mots de Ciaran ne cessaient de tourner en rond dans mon esprit. Un enfant de la nouvelle lune… Un enfant maudit… Un filleul de Ciaran. Impossible

Mon regard coula sur Liam, sur ce petit garçon si doux, si gentil et attentionné. Je m’approchai de lui, tremblante de tous mes membres et m’agenouillai. Je pris d’abord sa clé et l’observai longuement avant de la glisser dans ma poche. Puis je me tournai vers Liam et écartai une mèche folle de son visage. Il semblait si serein… Je le pris dans mes bras, caressai ses cheveux.

— Peu importe ce qu’il dit, murmurai-je en pleurant. Peu importe ce que tout le monde dit, peu m’importe quel dieu t’a vu naître, je ne laisserai personne te faire du mal, Liam… Jamais.

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