Je me tendis instantanément, prête à me battre. Mais Cirrus m’arrêta en posant sa main sur la mienne. Je le regardai, surprise, et il secoua la tête. J’abdiquai à contre cœur.
Neela plissa les yeux en nous regardant avant qu’un léger sourire ne se dessine sur son visage. Elle me regarda et prononça d’autres mots que je n’entendais toujours pas. Cirrus se contenta de la regarder, impassible.
Être en face d’elle était déjà bien assez pénible, mais il fallait en plus que je sois sourdre comme un pot. Comme si je n’avais déjà pas eu assez de mal avec elle sans être bouchée et empoisonnée.
Elle reprit et prononça d’autres mots sourds en regardant Cirrus. Elle s’attarda ensuite sur moi, comme si elle me posait une question. Comme je ne répondais pas, elle fronça les sourcils, perplexe. Je sentis le regard inquiet de Cirrus sur moi et je tournai la tête vers lui. Neela en fit de même avant de lui jeter un regard moqueur.
Mais qu’est-ce qu’ils pouvaient bien être en train de se dire ? Je savais que j’aurais dû continuer à apprendre à lire sur les lèvres.
Mais ce n’était pas ce qui allait apitoyer Neela. Elle continua à parler avec véhémence, mais alors que je me résignais à devoir continuer à regarder ses babines remuer sans raison, son regard se fit soudain plus dur. Elle se raidit et me lança un regard à haineux et méprisant en dégainant son arme.
Il ne m’en fallut pas plus. J’en fis de même mais Cirrus se glissa devant moi pour faire barrage de son corps. À la façon dont ses épaules remuaient, je devinais qu’il devait être en train de s’égosiller. Devant lui, Neela semblait plus en colère que jamais. Un sourire désabusé se dessina sur son visage. Elle me désigna du menton et Cirrus lui bloqua la vue de son bras. Je ne sais pas ce que Neela venait d’ajouter, mais Cirrus serra les poings en raidissant ses épaules.
Il prononça quelques mots et je vis Neela s’esclaffer. Elle commença à se rapprocher et leva son arme dans ma direction. Je compris alors que la discussion était close.
Je sentis le sol se dérober sous mes pieds et, en un instant, Cirrus et moi fûmes engloutis jusqu'à la taille par des sables mouvants. J’écarquillai les yeux, prise de court. Neela maniait aussi cet élément-là ? C’était une biflux* ? Il ne manquait plus que ça.
Toujours armée, elle ramassa le carnet de Maghla tombé à ses pieds. Un éclair d’émotion passa sur son visage alors qu’elle feuilletait rapidement les pages. Elle releva la tête, m'attrapa par le col de ma tunique et, en me rapprochant d’elle. Elle articula des mots, le regard noir.
Non loin de moi, Cirrus, pris de panique, se débattait avec force, mais il ne parvenait pas à se libérer de l’étreinte des sables mouvants. Je sentais mon corps s’engourdir, chaque mouvement devenant de plus en plus difficile.
Soudain, une douleur fulgurante traversa mon abdomen. Je baissai les yeux pour voir une lame rouge sang s’échapper de la plaie. Après quelques instants, je réalisai qu’il s’agissait en fait de mon propre sang. Je grimaçai et rencontrai son regard victorieux. Son petit tour vicieux avait eu l’effet escompté. Cette espèce de hyène maniait un autre élément : L’eau.
Et elle s’était servie de mon propre sang pour me transpercer.
La douleur me déchirait, mais je ne pouvais pas me laisser abattre. Il fallait que je m’éloigne d’elle. Elle n’avait pas utilisé cette technique lors de notre premier combat, et aujourd’hui, elle avait d’abord commencé par ses sables mouvants. Elle avait donc besoin d’être en contact avec direct pour agir.
Je tentai de me dégager du mieux que je le pouvais. Je plongeai mes mains dans cette boue visqueuse et tentai de créer une bulle d’air autour de moi pour me dégager. C’était une bonne idée. Et ç’aurait pu fonctionner. Mais j’étais beaucoup trop faible, je sentais ma concentration me quitter à mesure que j’utilisais mon Afflux.
Du coin de l’œil, je voyais toujours Cirrus s’agiter en essayant de me rejoindre. Il hurlait des mots qui ne me parvenaient pas alors que Neela me gratifiait de son sourire en coin caractéristique.
Fermant les yeux, je m’efforçai de sortir de là. Je me concentrai sur la terre qui m’engloutissait. Petit à petit, je sentis un lien se tisser entre moi et les grains de terre. Neela rapprocha sa main de mon visage en prononçant un dernier mot.
J’étais coincée.
Mais tout à coup, alors que je me sentais acculée, le sol vibra à nouveau. Les sables mouvants autour de moi se soulevèrent et fusèrent droit sur Neela. Surprise par cette démonstration inattendue de pouvoir, elle recula. Mais c’était trop tard. Elle fut frappée de plein fouet et s’abattit contre le mur plusieurs mètres derrière elle, un cri s’échappa de ses lèvres alors qu’elle se retrouvait sous les tonnes de terre.
En me dégageant des restes de sables mouvants autour de moi, je les vis, petit à petit s’éloigner de moi. J’approchai ma main du sol, et la terre grimpa doucement jusqu’à ma paume. Je fermai le poing, et la boue se durcit.
J'étais désormais capable de contrôler la terre.
Cirrus courut vers moi et m’attrapa par les épaules. Il criait quelque chose en baissant les yeux sur ma blessure à l’abdomen. Je crois qu’il était juste inquiet pour moi.
Il tourna brusquement la tête vers les amas de terre qui se mettaient à se déplacer. Nous n’en avions pas fini avec Neela. Elle se dégagea des décombres et braqua son regard virulent sur moi. Du sang perlait sur sa tête.
Je ne perdis pas de temps. Je posai mes mains sur le sol et projetai une bourrasque de terre et de poussière en direction de Neela. Elle tenta de parer mon attaque mais fut tout de même à nouveau propulsée contre le mur avec une violence inouïe, un cri de d’effort échappant sûrement de ses lèvres. Je ne lâchai rien et continuai à y mettre toutes mes forces.
Cependant, c’était ma première fois avec cet élément. Je sentis le sol trembler doucement, puis, brusquement, Cirrus se jeta sur moi. Un bout de plafond s’effondra et s’écrasa au sol, et ce n’était que le début.J e provoquai involontairement un tremblement de terre. Le sol se mit à vibrer avec une intensité croissante, des fissures se formant et s'élargissant autour de nous..
Neela, tentant de se relever, se retrouva désorientée par la secousse. Cirrus, profitant de la confusion me regarda avec une expression d'urgence.
— Jaïna, il faut partir, maintenant ! le vis-je articuler.
Tout à coup, dans un craquement assourdissant, le plafond s’écroula. D’énormes morceaux de plâtre et de bois cassé dégringolèrent. Des boîtes, des caisses et des meubles à tiroirs tombèrent de l’étage du dessus. Le plafond continuait à se casser et à craquer, et lorsque je levai la tête, je le vis se fendre juste au-dessus de nous. Laissant entrevoir des paires d’yeux luisantes qui se précipitaient sur nous.
Cirrus courut soudainement vers Neela et je vis cette dernière être plaquée au sol par quelqu’un. Des cheveux noirs balayèrent l’air. Ether me regarda en maintenant Neela au sol.
Les murs fragilisés tremblaient toujours et le plafond se fendillait. De la poussière blanche se répandait dans la pièce et je ne saisissais que des aperçus de l’action entre deux nuages de plâtre.
Cosmo qui courrait récupérer le cahier de Maghla.
Neela qui se dégageait d’Ether.
Les paires d’yeux des goules nous encercler.
Tout ce que je pouvais faire pour l’instant était éloigner ces horreurs. Je créai un barrage de feu autour de nous, mais en faisant ça, Neela saisit l’occasion et fit traverser plusieurs lames Feng à travers les flammes. Celles-ci volèrent droit sur Ether qui n’eut d’autre choix que de la relâcher pouf parer les lames restantes. Mais j’avais fini par comprendre les stratégies de Neela.
En tentant de ne pas aggraver la situation, je créai un barrage de pierres juste derrière Ether où des lames de fer s’écrasèrent. Etrangement, c’était assez instinctif.
Elle sursauta et me regarda, les yeux ronds. Je hochai la tête et elle en fit de même.
Au même moment, je vis une ombre passer derrière elle et mon cœur battit la chamade. Elle suivit mon regard alors que Neela se précipitait sur elle. Je courus vers Ether en hurlant. Sans aucune retenue, j’envoyai une bourrasque qui la propulsa par de-là les flammes. Je fus saisie par l’horreur de mon geste. Au moins tout autant que Neela.
Elle s’arrêta à mi-chemin pour me regarder, une expression incrédule au visage. Mais c’est ce qui lui valut cher.
Une goule surgit des ombres.
Une goule à l’apparence humanoïde. Je blêmis.
Ses cheveux blonds pendaient autour de son visage à l’expression tordue par la rage. Ses yeux étaient laiteux et du sang perlait depuis ses orifices. Son avant bras était couvert par le morceau de tissu de mon haut. Celui que j’avais utilisé sur Maghla.
Elle bondit à toute allure sur Neela, ses griffes acérées s’enfonçant dans sa chair. Son cri de terreur résonna même dans me oreilles tandis qu’elle était traînée dans les ténèbres par la créature.
Je restai là, à fixer l’endroit par lequel Maghla avait entraîné Neela, J’entendais mon cœur s’affoler dans mes oreilles aussi fort que des coups de tambour. Je remarquai à peine Cirrus s’approcher de moi. Il m’aida à me relever en suivant mon regard avant de reporter son attention sur moi.
Il parlait, mais je ne pouvais rien entendre. Mon monde était silencieux, étouffé par une barrière invisible. À travers le chaos, les flammes, la poussière et le plâtre, je vis Cosmo, le regard figé en direction de Neela et de la goule. Cirrus dû lui hurler quelque chose parce qu’il reprit immédiatement ses esprits et se précipita au dessus d’Ether, allongée au sol.
Soudain, mon regard se brouilla et je sentis Cirrus me rattraper.
Lorsque j’entrouvris les yeux, il me portait sur son dos. Nous traversions le temple en train de s’écrouler, et je crois avoir vu plusieurs goules carbonisées, en train de se décomposer. Devant moi, se tenait Ether. Une lueur dorée illuminait son dos alors qu’elle nous frayait un chemin en dehors de cet enfer tel un phénix surgissant des cendres.
Mes yeux se refermèrent. Lorsque je les ouvris pour la dernière fois, je voyais, au loin, le temple s’écrouler, dans flammes et archaïsme.
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Je me réveillai difficilement. J’avais l’impression que chacun de mes membres avait une conscience et que chacune d’entre elle était ivre. Le plafond de la chambre d’amis de Sacharias et Chelsea me salua, en même temps que le soleil qui m’aveuglait agressivement.
Je grognai en me passant une main fatiguée sur le visage avant de me tourner pour donner dos à la fenêtre. J’écarquillai les yeux lorsque je mon regard rencontra les yeux fermés d’Ether, qui dormait à côté de moi.
Après quelques instants, ses paupières remuèrent et elle ouvrit les yeux. Elle se redressa dans un bond en me voyant.
— Jaïna, tu es réveillée ? Attends, je vais chercher Sackarias et—
Je l’arrêtai alors qu’elle était sur le point de se relever.
— Pas tout de suite, dis-je en lui attrapant le poignet.
Elle me regarda et finit par acquiescer.
— Combien de temps est-ce que je suis restée inconsciente ? demandai-je alors qu’elle se rallongeait.
— Cinq jours. Chelsea et moi avons fait de notre mieux pour te remettre sur pied.
C’est vrai que je ne ressentais plus de douleur insupportable. En m’examinant, je remarquai les bandages qui entouraient mon corps. Elles n’avaient pas lésiné sur la momification.
Inconsciemment, je portai la main à mon oreille.
— Comment vous avez fait ça ?
Elle sourit.
— J’ai plus d’un tour dans mon sac.
Elle me fixa et son regard se perdit dans le vague quelques instants. Après ça, son sourire s’évapora, et elle reporta son attention sur moi.
— Pourquoi tu ne m’as rien dit, pour le poison ?
Elle garda un ton neutre, mais j’y perçus tout de même une pointe de reproche et de colère très bien dissimulés.
Je ne savais pas quoi répondre. Je haussai les sourcils.
Elle m’imita.
—…N’est pas une réponse, fit-elle.
Je soupirai.
— J’en sais rien, je… Je pensais gérer. Je ne voyais pas l’intérêt de le crier sur tous les toits.
Cette fois, elle se fâcha pour de vrai.
— Tous les toits ? M’en parler c’est le crier sur tous les toits ? sermonna-t-elle en fronçant les sourcils.
— C’est que…
— Et cet espèce d’imbécile de Cirrus, je croyais qu’il t’avait donné un antidote ? (Elle secoua la tête.) Dire qu’on a accepté de se séparer et que tu t’es retrouvée toute seule avec ces abominations.
Je tiltai et les images resurgirent. Les goules, Neela, Maghla, la secte, la relique, le temple.
— Qu’est-ce qui s’est passé après ? Comment est-ce qu’on est sortis ? Vous avez réussi à récupérer la relique ?
Une expression abattue se dessina sur son visage.
— On s’est fait doubler, déclara-t-elle. Il n’y avait de relique. C’était un leurre.
Je me redressai difficilement.
— Comment ça un leurre ?
Elle haussa les épaules en se mettant à ma hauteur. Elle passa sa main dans ses longs cheveux bruns.
— Quelqu’un savait où elle se trouvait, et je crois qu’il nous a devancés de peu. Il s’est servi de ces bêtes pour nous ralentir et s’en emparer.
Elle piqua ma curiosité.
— Qui ça, "il" ? demandai-je.
Elle marqua une pause.
— Mon père.
Je ne relançai pas. Je savais qu’elle poursuivrait.
Elle se frotta le menton, les sourcils froncés, en essayant de trouver comme formuler ses propos.
— Je crois qu’il a voulu se débarrasser des Nicolaïdes pour prendre leur place au sein Primedia, confia-t-elle.
Elle leva les yeux aux ciel, en se remémorant les évènements.
— Il me racontait souvent les exploits des Draatinga. En soulignant sans cesse que nous méritions mieux que la place qui nous était assignée. Son obsession pour le pouvoir était palpable dans chacun de ses discours. Et il rêvait de… voir notre nom gravé parmi ceux du Primedia, en se prélassant dans la gloire et l’influence que ça nous apporterait.
Ça ne m’étonnait pas, Heesadrul n’était pas simplement avide de pouvoir; il en était assoiffé. Il était bien le genre à voir le Primedia comme le sommet absolu, un trône sur lequel il devait s’asseoir à tout prix. Alors j’imagine qu’il ne supportait pas d’être rejeté, de vivre dans l’ombre de ceux qu’il considérait comme ses inférieurs.
— Pour lui, reprit-elle, une teinte de mélancolie dans la voix. Le pouvoir n’est pas seulement un moyen, c’est une fin en soi. Et il est prêt à tout pour l’atteindre, quitte à sacrifier son propre sang.
Je fronçai les sourcils, j’avais la sale impression que je n’allais pas aimer la suite. Ether s’éclaircit la voix en me regardant avec le plus d’indifférence que possible.
— Et le meilleur moyen de l’avoir est de mettre la main sur les reliques. (Elle baissa les yeux sur l’amulette qui pendait à son cou et passa le pouce dessus.) Il s’est mis à mener des expériences humaines, à partir d’une des reliques qu’il avait volées. Pour la dissimuler, et pour tenter de transformer des humains en créatures puissantes et serviles.
Je fermai les yeux et secouai la tête.
— Attends, les goules du temple ont été crées par Heesadrul ?
Elle hocha la tête.
— Il a crée des… "goules" comme tu les appelles. Il est possible que celles qu’on ait vues ne soient pas les siennes, mais—
— Je ne crois pas aux coïncidences, la coupai-je.
Elle acquiesça.
— Moi non plus.
Je baissai les yeux sur son amulette.
— Mais comment il a pu en créer à partir de cette relique ? Je croyais… qu’il fallait être comme Cosmo pour l’utiliser. Être un "gardien" ? lui demandai-je, incrédule. Et pourquoi te l’avoir laissée au lieu de la garder ?
Elle pinça les lèvres et prit une profonde inspiration.
— Parce que cette amulette n’est pas la relique.
Je grimaçai. Je ne comprenais plus rien.
— Tu as dit que tu avais la relique de Specter, si ce n’est pas ça alors où est ce qu’elle—
Je m’interrompis et écarquillai les yeux en étant saisie par l’horreur de ce que je venais de comprendre.
Ses puissants pouvoirs…"Sacrifier son propre sang", "Il s’est mis à mener des expériences humaines", "Cette amulette n’est pas la relique" et enfin, lorsqu’elle m’avait confié la vérité sur ces histoires, elle ne m’avait jamais dit avoir la relique de Specter; elle avait dit :
— C’est toi, la relique de Specter, murmurai-je.
Pour toute réponse, elle m’adressa un sourire contrit.
— C’est pas vrai, qu’est-ce que ce malade t’a fait ? soufflai-je.
Elle déglutit en s’efforçant de poursuivre.
— Il… m’a fusionnée avec la relique. Après tout… ce qu’on appelle une "relique" n’est qu’un objet auquel Dimiorgíus a insufflé son pouvoir. Je ne sais pas comment, mais mon père lui a juste changé de réceptacle. Je crois que cette amulette était le premier. (Elle passa la main autour de son cou, et après un bref instant d’hésitation, elle la retira.) Ma mère m’a demandé de toujours la garder près de moi. Qu’elle me protégerait, confia-t-elle dans un ricanement. Ironique, non ?
Elle resta quelques secondes silencieuse et je n’osai pas la troubler dans sa réflexion. Je n’osais pas imaginer ce qu’Heesadrul avait pu lui faire pendant toutes ces années, et tout ça pour quoi ? Pour une place au Primedia ? Pour le pouvoir ? Il avait fait passer toutes ces futilités avant sa famille ? Quel genre de déchet est-ce qu’il fallait être pour faire une chose pareille ?
— Le truc, continua-t-elle en me tendant l’amulette sans me regarder. C’est que pendant longtemps, je n’ai pas compris pourquoi il m’avait fait ça au lieu de se la garder. Ni l’intérêt de ses autres expériences humaines. Mais après avoir vu ce qu’il s’est passé au temple… (Elle haussa les épaules.) Certaines choses ont pris forme dans ma tête. En me fusionnant avec la relique, il a transformé mon corps et mon esprit, mais j’ai gardé mon libre arbitre, déclara-t-elle avant d’étouffer un rire cynique. Même si ça ne l’a pas empêché de me soumettre à lui. Je crois qu’il a essayé d’utiliser mon sang altéré pour créer une armée à ses ordres. Peut-être qu’il a modifié la formule en espérant des serviteurs loyaux et puissants. Mais au bout du compte, il n’a réussi qu’à créer que des monstres cannibales dénués de conscience.
Si Ether était capable de repérer la relique, et que les goules ont été crées à partir d’elle…
— Et elles peuvent l’aider dans son entreprise psychotique, conclus-je.
Elle soupira en se laissant tomber sur l’oreiller.
— Je suis vraiment trop stupide, grommela-t-elle.
Je me rallongeai à côté d’elle et me tournai pour la regarder.
— Tu ne pouvais pas deviner.
Elle leva les yeux au ciel et secoua la tête.
— Quand tu as des zombies dans ta cave aménagée en laboratoire clandestin, ça ne devrait pas être difficile à comprendre.
Je pinçai les lèvres. Il y avait plus perspicace, c’est vrai. Mais je n’allais pas l’aider en l’admettant.
— C’est ton père, lui rappelai-je alors qu’elle me regardait à nouveau. Ça change tout.
— Connu mieux comme père, marmonna-t-elle.
Elle avait grandi dans un environnement aussi toxique qu’anxiogène. Je ne pouvais à présent que comprendre la peur que lui inspirait Heesadrul. C’était évidemment un homme de pouvoir; et un homme tout court, ça le rendait déjà bien assez effrayant. Alors que dire, si on était obligé de partager son toit avec ce genre de personne qui s’avère en plus être notre géniteur. Je m’en voulais presque de l’avoir traitée de bourgeoise écervelée. Bon, je n’avais peut-être pas employé ces termes, pas plus que je les lui avais dit en face, mais c’était du pareil au même.
Je la regardais, allongée, le regard rivé sur le plafond. Ses cheveux d’habitude si soyeux me donnaient l’impression qu’elle ne les avais pas brossés depuis plusieurs jours. Sa peau était également pâle, est-ce qu’elle aussi, avait eu du mal à se remettre de notre escapade ? Ses vêtements, un vieux jean usé par la vie et un T-shirt beaucoup trop large lui donnaient un air débrayé.
Inconsciemment, alors que je la regardais et que mes pensées intrusives commençaient à pointer le bout de leur nez, je tendis la main vers elle et effleurai sa joue des doigts.
Elle sursauta. Lorsque la réalité de mon geste me frappa, j’esquissai un léger mouvement de recul, mais elle ne bougea pas. Alors, sans réfléchir, je tendis à nouveau la main vers elle et la posai contre sa joue. Cette fois, elle ne fut pas surprise, au contraire. Elle laissa tomber son visage sur le côté et appuya sa joue contre moi.
— On les récupérera, lui dis-je. Alors ne t’en veux pas, l’important c’est ce que tu fais aujourd’hui, ne regarde pas en arrière.
Elle me gratifia d’un léger sourire qui entrevit sa fossette et elle posa sa main sur mon avant bras.
— Merci d’être là.
— Tu ne m’as pas vraiment laissé le choix, répliquai-je en haussant un sourcil.
Cette fois elle me gratifia d'un large sourire amusé. Avant d’éclater de rire.