Chapitre 30 - Retrouver la lumière

Silha est à son chevet lorsqu’il ouvre les yeux. L’herbe est fraîche sous ses mains, le ciel clair est dégagé.

  • C’est pas l’heure de la sieste, debout. Allez, debout !

Il se redresse péniblement. Il ressent un poids au creux de la poitrine, une douleur ? Mais pourquoi ? Quelque chose lui échappe. Quelque chose de terrible. Il devrait s’en souvenir. Il sait que c’est important…. Mais Silha le secoue par l’épaule, la douleur s’estompe :

  • Bouge-toi ! Il faut y aller.
  • Encore ! Mais aller où ?
  • Là où…
  • Ah non ! Tu vas pas recommencer !
  • Laisse-moi finir avant de m’interrompre ! Il faut aller là où se boucle la boucle.
  • Encore une autre énigme. Je ne suis pas très doué avec les énigmes, tu le sais bien.
  • Ça, c’est sûr ! Même un âne comprendrait plus vite, lance-t-elle en riant.

Till, regarde autour de lui. Il n’est jamais venu ici, pas même dans ses précédents rêves. Il est entouré de montagnes à perte de vue. Ces montagnes sont dominées par une autre, si haute, que son sommet se perd dans les nuages.

  • On va là-haut, annonça Silha
  • Comment ça, là-haut ?
  • Till, fais un effort tu veux bien ?
  • Mais on y va comment ? À pied on en aura pour des jours !
  • Tu te rappelles pas ?

Silha écarte les bras et commence à courir vers le bord de la falaise. Till la voit soudain disparaître. Il l’appelle, inquiet :

  • Silha, Silha…

Elle jaillit brusquement dans un éclat de rire cristallin et monte, monte haut dans le ciel. À son tour, il s’élance. Il n’a pas peur. Rien ici ne peut lui arriver de mauvais puisqu’il sait voler. Il l’a déjà fait, c’est juste l’atterrissage qu’il maîtrise mal.

  • Attends-moi, crie-t-il.

La notion de temps est paradoxale dans les rêves, il peut s’étirer ou se rétracter à loisir. À peine le plaisir de renouer avec les sensations que déjà la montagne se rapproche. De plus en plus vite. De plus en plus concrète. L’atterrissage est à hauteur de ses craintes, catastrophique, et déclenche une nouvelle fois l’hilarité de Silha.

  • On ne s’ennuie jamais avec toi.

Till a déjà entendu ça mais il n’est pas certain que ce soit un compliment. Ils sont sur une esplanade en haut d’un escalier. Une femme vêtue d’une robe de voiles de pluie sous un manteau d’écume les accueille :

  • Je te salue, Silha, je suis heureuse de te revoir. Tes visites se font trop rares ces derniers temps, soit la bienvenue. Soit le bienvenu également, jeune Till, nous espérions ta venue.
  • Je te salue Syléa, Déesse des Eaux et de la Terre.
  • Je te salue Syléa, Déesse des Eaux et de la Terre, répète Till en s’inclinant maladroitement.

Torûk apparaît. C’est un homme de stature imposante, au regard de braise. Le cérémonial des salutations se répète.

Puis Torûk prend place dans un rocking-chair, sort une longue pipe de la poche de son veston à carreaux bariolés, la bourre, l’allume, tire une fois dessus et commence à se balancer.

  • Es-tu l’envoyé de ton peuple ?

Le ton est neutre. Ce n’est qu’une simple question. Till regarde Silha interrogatif. Elle hausse les épaules, c’est lui qui décide. Torûk précise sa pensée avec patience.

  • Tu es enfant des sables.
  • Le peuple de l’île m’a accepté comme un des leurs.
  • Le peuple des sables aussi t’a reconnu, la marque sur ta poitrine en témoigne.
  • J’appartiens à deux peuples, c’est la vérité et si j’ai longtemps lutté, je l’accepte à présent. J’ai le lien avec l’Île et je porte sur mon cœur l’empreinte du peuple des sables. L’une m’a recueilli, l’autre par mon père a risqué sa vie pour nous sauver. Je suis le maillon qui unit à jamais l’empreinte et le lien. Mon cœur ne veut pas choisir.
  • Alors, que désires-tu, jeune Till ?

Till réfléchit, il n’y a qu’une chose au fond de lui qu’il aimerait, s’il en avait la possibilité :

  • Réparer, je crois que c’est ça que j’aimerais.
  • Réparer ou effacer, enfant ?
  • On ne peut effacer ce qui a été, mais on peut réparer. Si on le veut vraiment.
  • Réparer l’histoire, murmure Torûk pensif.
  • Les erreurs de l’histoire.
  • Cet enfant est généreux, observe la Déesse. Il ne demande rien pour lui.

Torûk hoche la tête, arrête puis reprend son balancement, lâche quelques ronds de fumée qui viennent se lover autour de son cou. Il questionne à nouveau :

  • Nous nous intéressons à toi depuis longtemps. Depuis le jour de ta naissance. Connais-tu la légende ?
  • Je crois, en partie.
  • Lorsque le don fut ôté au peuple des Sables, Syléa en fut bouleversée. Elle plaida sa cause avec une telle conviction et versa tant de larmes que j’ai accepté d’adoucir la sentence : « puisque les hommes avaient fauté, les hommes devraient réparer. Seul le garçon qui scellerait l’union des deux peuples lèverait la malédiction ». Pour cela il devait avoir le lien et porter l’empreinte. Silha donna naissance à des filles et ses filles donnèrent naissance à leur tour à des filles, jusqu’à Hedda, ta mère. Les Torks plaçaient en toi de grands espoirs mais tu as disparu en mer. Silha venait souvent nous voir, elle était persuadée que tu étais vivant quelque part. Silha n’a jamais douté. L’éveil du lien lui a donné raison. « Elle » s’est manifestée, « Elle » a reconnu en toi un cœur pur et désintéressé. Ton sacrifice le prouve. « Elle » souhaite aussi la réconciliation. Nous respectons sa sagesse, « Elle » est l’Esprit bienveillant. « Elle » est le Guide. Aujourd’hui, Torûk pardonne à son peuple, transmet ce message.

Tout disparaît. Ils sont revenus à leur point de départ :

  • Qu’est-ce que ça veut dire Silha ?
  • L’empreinte s’est réveillée et les Torks ont retrouvé leur don.
  • Ah. Est-ce que c’est bien ?
  • Grâce à toi le désert va refleurir, déjà l’eau remonte dans les puits et si leur terre attire la convoitise, ils auront les moyens de la défendre. Alors, oui, on peut dire que c’est bien.
  • J’en suis heureux pour eux.
  • Tu dois y retourner.
  • Je ne reste pas avec toi ?
  • Mais non idiot, dit-elle en éclatant de rire, tu n’es pas encore mort !

 

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Edouard PArle
Posté le 13/11/2022
Coucou !
Intéressant ce rêve, je crois que c'est aussi un ajout ?
La chute est bien trouvée (=
Thill a de jolies répliques et démontre une nouvelle fois sa bonté. J'ai bien aimé celle-là en particulier :
"On ne peut effacer ce qui a été, mais on peut réparer. Si on le veut vraiment."
Je poursuis ma lecture...
Hortense
Posté le 14/11/2022
Bonjour Edouard,
Non, ce rêve n'est pas un ajout, mais le fait le le mettre à part lui redonne une vraie place. J'ai suivi les conseils lors de la réécriture et les rêves font l'objet de chapitres à part entière.
A bientôt
Baladine
Posté le 24/09/2022
J'aime beaucoup tes rêves (il y a souvent des pipes, dans tes rêves ^^) Voilà un sommeil réparateur, comme on les aime. J'espère que Elyane et Karlov vont guérir... allez, je vais voir !
Hortense
Posté le 03/07/2024
Ho j'ai honte de ne pas t'avoir répondu plus tôt. Un grand merci pour ta lecture et ton retour si positif !!!
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