Chaque anniversaire, on se réunit chez Lucien.
C’est lui qui a la plus grande maison d’entre nous et on passe une nuit blanche dans le skatepark.
Assit en haut d’un quarter-pipe, une pente ascendante se terminant à la verticale, Paul observait le grabuge qu’ils apercevaient plus haut en jouant avec son briquet. Lucien lui avait bien fait remarquer plus tôt que des intrus s’aventuraient près de leur skatepark, mais la conversation semblait s’être perdue dans les cris.
— Ouah ! s’exclama Pomme en montrant du doigt l’altercation. Elles vont se battre on dirait.
— C’est pas Ariane là-bas ? demanda Timothée, au plus calme.
Ses trois camarades tireurs restaient fixés, leurs oreilles tendues pour écouter l’engueulade. Bien sûr qu’il avait reconnu Ariane, sa dégaine était détectable au premier coup d’œil. Il pouvait deviner d’ici qu’elle ne s’était pas lavée depuis des jours, et leur rencontre du début du mois lui a laissé un goût amer dans la bouche.
— Ça à l’air sérieux, t’entends des trucs, toi ? chuchota Lucien à Pomme.
— Elle n’arrêtent pas de répéter “Ma Rose”, elles s’engueulent pour du jardinage ?
— Non. objecta la fille du groupe. Ariane n’a aucune autre passion que l’escrime, elle nous l’a dit.
— Ça ne veut pas dire qu’elle n’a jamais fait mumuse avec de l’herbe !
Lucien et Pomme se mirent à se battre pour savoir qui avait raison. Ariane avait toujours été la pire tireuse de leur club d’escrime. Ils n’avaient beau ne pas aller dans le même collège, il n’y avait qu’une seule équipe compétitive d’escrime dans le département. Le groupe se retrouvait toujours confronté à la débile, toujours prête à les laminer avec sa lame tout en les humiliant devant tout le monde. C’en était devenu si fréquent qu’Ariane a dut prendre un congé d’une semaine pour qu’elle fasse de la thérapie d’empathie.
Bien sûr, elle n’était devenue moins insupportable seulement lorsque le coach l’avait menacée d’exclusion quand elle avait fait pleurer Lucien quand il venait tout juste de rentrer dans le club. Depuis, ils avaient tous une dent contre Ariane, ça faisait des années qu’ils étaient obligés d’entendre l’ensemble du club chanter ses louanges, qu’elle serait la prochaine championne olympique, alors qu’il avait le même niveau qu’elle.
C’était bien plus impressionnant d’avoir une fille qui réussit.
Même le coach n’aimait pas son comportement, froide, sans filtre, incapable de compassion envers les autres. Mais elle gagnait tous ses bouts, et le club n’avait jamais autant brillé, heureusement que personne n’avait noté qui elle était lors de la rencontre nationale où elle l’avait humilié.
Et elle était là, insouciante, sans aucune pénalité, continuant de causer du mal autour d’elle. Paul reprit son briquet, et glissa son pouce sur la molette, produisant une flamme bleue et la plaçant au loin en dessous de la figure d’Ariane. Les flammèches s’élevèrent et semblaient brûler son ennemie de loin. S’il le pouvait, il irait l’humilier de la façon dont elle l’a fait. Pourquoi pas devant la fille qu’elle avait ramené dans leur repère.
— J’vais dire bonjour. annonça le garçon en se levant, puis glissant le long de la pente pour rejoindre le sol.
— Paul ! l’interpela Lucien. Ne crée pas de problème ! Sinon ma mère ne te laissera plus jamais dormir chez moi !
Le concerné se contenta de lui marmonner un “oui, oui”, puis un air frais souffla à côté de lui. Timothée l’avait rejoint avec sa nonchalance habituelle. Dans un sens, il pouvait ressembler à Ariane, mais c’était bien loin d’être le cas, son ami avait un cœur pur, et lui aussi, avait été élevé par une mère célibataire. Ils savaient autant l’un que l’autre la difficulté de grandir sans père, l’absence grandissante qui ne pourraient pas se remplir face à leur mort prématurée. Paul sait que Timothée ne le laissera jamais tomber, dans les meilleurs moments comme dans les pires. Ils se l’étaient juré, depuis leur premier bout ensemble, qu’ils se soutiendraient quoi qu’il arrivait. Son ami l’avait même hébergé après le burn-out de sa propre mère.
Il pourrait facilement l’appeler son meilleur ami.
Alors qu’il pouvait facilement entendre les protestations de Lucien au loin, sûrement parce qu’il peinait à descendre la pente. Quelle idée de se réunir tout le temps dans un skatepark disait-il, ils n’ont même pas de skateboard, roller, où le moindre matériel qui justifierais leur présence. Mais ses trois autres camarades appréciaient l’histoire tragique derrière sa construction et la hauteur qu’ils pouvaient avoir sur les autres, particulièrement plaisant lorsqu’ils pouvaient admirer tous les gamins se rétamer la gueule sur le goudron.
Paul prit une grande inspiration et se dirigea d’un pas ferme vers son ennemie de toujours, suivi de près par son acolyte, sûrement heureux de pouvoir participer à un peu de drama. Ils se glissèrent dans le dos de la petite fille brune, plus petite que lui, c’était sûr. Elle avait des beaux cheveux qui lui arrivaient aux épaules et portait un long mentaux violet, orné de fausse fourrure blanches aux extrémités. Ariane les avait déjà repérés, et les fixait avec intensité alors que sa camarade continuait de la réprimander.
— Tu racontes n’importe quoi ! Elle n’aurait-
— Salut tout le monde ! s’exclama-t-il en posant sa main dans le dos de la fille qui accompagnait Ariane.
— AAAH ! se mit-elle à crier, reculant d’un bond. Me touche pas !
Hein ? Elle est tout aussi fêlée qu’Ariane en fait ! rit Paul intérieurement. La petite avait des yeux violets, ce qui dérouta immédiatement les garçons.
— Attends, ne bouge pas, t’as les yeux de quelle couleur ?
— Ne ! Me ! Touche ! Pas ! feula-t-elle en se rapprochant d’Ariane, qui ne disait pas un mot comme à son habitude. C’est toi qui as des yeux bizarre !
— Du calme. soupira Timothée qui était arrivé dans son dos. On ne cherche pas les ennuis.
— C’est de l’albinisme oculaire, ce n’est pas gentil de se moquer. railla Pomme qui se posa contre lui, la mine hautaine.
Paul posa son ses yeux rouges, ou plutôt, blancs avec ses veines qui leur donnent une teinte rouge dans ceux glacials d’Ariane. Peu importe ce qu’il faisait, elle restait impassible, complètement déconnectée de la réalité.
— Je m’en fiche ! continua de pester la petite. Ne me touchez pas, point.
— D’accord, d’accord, calme-toi.
— On veut juste dire bonjour, discuter ! enchaîna Paul avec un petit sourire.
— Ouais, bien sûr, discuter. Au beau milieu de la nuit, dans un parc, avec des couillons qui ne connaissent pas l’espace personnel.
— Quoi ? Tu veux te battre petite ? rit Paul, sa colère montant dans sa gorge.
— Je ne suis pas petite ! reprit-t-elle, outrée au possible. T’es à peine plus grand que moi !
— Ce n’est pas moi qui piaille comme une gamine de CP !
— Oooooh ! s’exclamèrent en cœur Pomme, et Lucien fraîchement arrivé.
La petite devint rouge pivoine, son visage se tordant d’horreur avant que la colère prenne le dessus et qu’elle fit un pas en avant pour lui envoyer une baffe. Qu’il su, bien sûr, intercepter sans encombre. Paul sentait la peau douce du poignet de la fille sous ses doigts fermement agrippé dessus, il la tira vers lui.
— Colérique en plus !
— Lâche-moi ! s’entêta-t-elle en tirant, mais coincée par sa prise, elle n’avait aucune chance, il était plus fort.
— C’est toi qui as essayé de me frapper.
Il apercevait du coin de l’œil, Pomme parlant joyeusement à Ariane qui elle était fixée sur sa camarade en détresse, sans intervenir. Quelle lâche. pesta Paul. Son amie est coincée et elle se contente d’admirer le spectacle ? Elle est tellement stupide.
Un couinement détourna son attention, la petite qu’il avait attrapé avait maintenant les larmes aux yeux et tentait de s’arracher le bras pour lui échapper. Oh, wow, on n’a jamais eu autant de lâches d’un coup. C’est moi qui est attaqué mais c’est elle la victime ? Ariane sembla se réveiller aux bruits de détresse de sa camarade et se précipita vers Paul pour aller l’aider. Lui se contenta de desserrer sa prise et la jeune fille tomba en arrière, s’écrasant contre l’herbe humide.
Un flash d’une lame fusa devant ses yeux, Ariane avait un couteau suisse, et se précipita sur lui, le précipitant dans une chute alors qu’il tenter de bloquer son poignet d’une main, empêchant la lame de l'empaler.