Ariane pressa l’allure pour arriver à toute vitesse chez elle, monta les escaliers sans même ôter ses chaussures et débarqua dans la chambre de son petit frère. Celui-ci manqua de tomber de sa chaise de bureau quand il vit sa sœur se diriger vers lui, esquivant les affaires sales qui jonchaient le sol. Ariane agrippa les épaules du jeune blond qui lui ressemblait en tout point, à défaut d’être légèrement plus petit et qu’il ait les cheveux courts.
— Qui est Maï Rose ?
— Maï qui ? balbutia son frère.
— Maï Rose ! Petite, aux cheveux noirs, on est allé avec elle et ses parents au ski l’année dernière !
— Je ne vois pas qui c’est ! On n’est jamais allé au ski ! T’as le vertige t’es stupide !
Elle lui serra les épaules. Depuis qu’elle était revenu son frère n’avait jamais eu un comportement aussi exécrable. Ariane veillait toujours de le tenir à carreaux lorsqu’il était en sa présence, et maintenant le voilà qui l’insultait ?
— Lâche-moi ! Sinon je dis aux parents que tu sèches !
— Tu sais qu’ils s’en foutent ! marmonna Ariane. On est parti ! Avec ma meilleure amie !
— Mais t’as jamais eu d’amis ! vociféra Persée. T’as toujours été trop détestable pour être aimée par qui que ce soit !
La baffe partit toute seule, envoyant valser son frère hors de sa chaise de bureau jusque sur le parquet de sa chambre en désordre. Celui-ci ne prit pas une seule seconde de réflexion et se précipita sur sa sœur l’attraper par la taille et la renverser, tentant de lui assener des coups au visage, Ariane ne tardant pas à répliquer et lui griffer le visage alors qu’il essayait de lui tirer les cheveux. Il n’y avait rien qui aurait pu les arrêter, si ce n’était pour la voisine qui suspecta un cambriolage avec les hurlements poussés par Persée qui vint tirer les deux adelphes des griffes de l’un et de l’autre.
Ariane fut enfermée dans sa chambre. Seule, à nouveau. Parce qu’elle ne pouvait être que seule, parce que sans Maï Rose elle n’était plus rien, elle ne pouvait plus fonctionner comme un être humain adéquat, elle ne faisait que regarder le vide en attendant que le temps passe. Son soleil avait disparu, personne ne se souvenait d’elle, alors elle sera la seule à garder son souvenir et le ressasser.
Tout son comportement de la semaine : interrompre un tournois d’escrime national, attaquer une élève dans la cour et intimider un autre à l’infirmerie, sans compter l’agression de son frère, lui on valut d’être enfermée dans sa chambre. Pas forcément parce que ses parents la forçaient, non, mais parce que les médias ont eu vent de cette histoire et se sont précipités au bas de leur maison pour avoir la chance d’interviewer “la jeune amnésique traumatisée”. Auparavant, grâce à son statut de mineur, Ariane avait pu garder son identité secrète, mais on dirait que l’information avait été divulgué sur les réseaux par le biais d’une mystérieuse informatrice anonyme. Son adresse a été diffusée aux quatre coins de la France, et même, du monde.
En une semaine, l’entièreté des chaînes télévisions étaient rassemblés devant le portail, empêchant même son père de sortir aller travailler.
Sans le battement de sa montre, Ariane sentait le temps passer beaucoup plus vite… Mais au prix d’avoir des absences de temps. D’un coup elle mange avec sa famille dans un silence pesant, de l’autre elle était dans son lit à trois heures du matin en train de contempler le plafond de sa chambre.
Au moins, la nuit, la plupart des journalistes rentraient chez eux, mais ce n’était pas le cas de tous, les autres continuaient à attendre patiemment le moment où la jeune fille allait sortir de chez elle, ou passer à côté d’une fenêtre.
Dommage pour eux, Ariane avait déjà passé quatre mois à rester dans son lit sans rien faire, ils allaient attendre longtemps, ils finiront bien par se lasser. Tous ces parasites lui donnaient une bonne excuse pour ne pas aller voir sa psychologue qui clamait qu’il était plus important que jamais de parler de ses sentiments négatifs.
Ariane qui ne ressentait rien depuis des mois, en voulant vivre à nouveau se confronte à sa propre colère et regrets, dont elle n’arrivait pas à se débarrasser. Mais comment expliquer à quelqu’un d’autre que toute la colère qu’elle avait été liée au fait que personne ne se souvenait de sa meilleure amie ? Elle avait existé, car ses parents connaissaient son nom mais, il la prétendait morte. Le seul moment où elle avait frôlé la mort était lors de sa noyade dans le lac de leur maison familiale en campagne. Ariane ne voyait que cet évènement pour faire sens… Pourtant Maï Rose s’en était sortie, et elle l’avait accompagné tout au long de sa longue rémission où la jeune fille ne pouvait pas passer une journée sans pleurer de peur, Ariane était là, à lui tenir la main, pour qu’elle s’en sorte.
Mais rien, comme si rien de tout cela n’avait existé, comme si elle n’était pas au bon endroit.
Pas dans le bon monde.
Ariane essayait de ne pas trop y penser, Eleo a dit qu’elle attirerait dans un endroit qui ressemblait à l’image qu’elle dépeignait en traversant le miroir. Sauf que… Ce monde était bien la Terre, elle se trouvait bien en France… Ce monde était semblable au sien, mais il n’était pas identique.
Dans ce monde, ses parents s’aimaient sans faille, jamais le divorce ne leur avait traversé l’esprit. Ici, son frère n’avait pas peur d’elle, elle était harcelée à l’école et, le plus important, Maï Rose n’existait pas. Lorsqu’elle avait traversé le portail, la seule chose à laquelle elle pensait était la perte de sa meilleure amie, Ariane avait alors atterrit dans le jardin de ses parents.
Une faible croyance lui donnait espoir, celle que Maï Rose avait bien traversé le portail mais n’était pas arrivée dans la même dimension… Que sa meilleure amie avait pu retrouver ses parents qui la croyait vivante.
C’était un espoir auquel elle devait s’accrocher.
Sinon.
Il n’y avait plus rien.
Ses parents et son frère passaient de plus en plus de temps à l’extérieur, évitant les journalistes, tandis qu’elle passait ses journées à écrire les souvenirs de sa meilleure amie dans un carnet, pour ne pas oublier. Ariane passait de long jour seul, sans grand-chose à faire.
Les jours se ressemblaient, et elle ne voulait entendre aucun battement de cœur de la montre sur son poignet.
Quand la sonnette se déclenchait, Ariane ne prenait pas la peine de voir qui était derrière la porte. Elle sait que c’était un parasite qui voudra lui tirer des informations croustillantes pour son journal.
— Ariaaaaane !
Cette voix.
Ariane descendit prudemment les escaliers menant jusqu’à la porte, et après un instant d’hésitation et une deuxième vague d’agression de sonnette, elle ouvrit la porte. Là, sous ses yeux, les traits familiers d’une collégienne se dressa devant elle, un manteau lilas, orné de duvet épais sur les épaules qui couvrait son cou et remontait sur ses joues, un sac de la moitié de sa petite taille sur le dos. Les yeux violets sans expression de la jeune fille se figèrent dans les siens.
– Salut, j’ai fugué, je peux dormir chez toi ?