Les souvenirs sont comme des épines, qui,
voyant un témoin du passé nous plante l'échine.
Encore plus que quelques mètres, et elle sera dans le jardin magnifique des parents de Maï Rose. Ils étaient là ! La haie, beaucoup trop haute et grande que son père refusait de tailler pour laisser la nature reprendre son droit ! Les arbres dont les pétales roses couvraient l’herbe d’un nid dans lequel on voudrait s’y loger ! Le chêne d’où Ariane grimpait pour s’introduire discrètement jusqu’à la chambre de son amie, au point où elle laissait sa fenêtre tout le temps ouverte. Tout y était, même la petite voiture rose de la mère, recouverte de pétales, était garée devant le garage toujours fermé.
Tout allait bien, ils mentaient.
Ariane se précipita dans la haie, se faufilant entre les branchages qui lui fouettaient les bras et le visage. D’un coup net, elle s’arrêta à un embranchement pour creuser dans la terre molle avant que son index se heurte à une surface lisse et froide. Ses doigts épousèrent la forme de la sphère avant de la sortir de sa cachette : Le crystal. Plus petit que lorsqu’elle l’avait récupéré la première fois, mais toujours de la taille d’une bille au creux de sa main.
Cette petite sphère, c’était la seule certitude qu’elle avait de ne pas être folle, de ne pas avoir rêvé tout ce cauchemar. Personne ne pourra lui dire qu’elle était folle tant qu’elle avait encore de quoi prouver que son histoire était vraie.
Un bruit la fit sursauter, des exclamations joyeuses parvenaient jusqu’à elle et Ariane reconnut la voix de la mère de Maï Rose. Elle ne voulait pas sortir, elle allait donner à la mère de famille la peur de sa vie en surgissant des buissons comme une voleuse. Alors elle attendit patiemment de ne plus entendre aucun bruit avant de glisser la bille dans sa poche et sortir de la haie.
Ariane sentait la culpabilité l’accabler. Elle était revenue sans leur fille adorée. Les parents de sa meilleure amie l’avaient d'abord vue comme une très mauvaise fréquentation de leur fille à cause de son comportement froid et détaché. Mais depuis qu’elle avait aidé Maï Rose à sortir du harcèlement et surmonter sa peur d’être seule, ils l’adoraient. Elles étaient même parties en vacances au ski avec les deux familles, bien qu’Ariane fut incapable de descendre la moindre pente plus haute que dix mètres.
La jeune fille comprenait qu'ils ne soient pas venus lui rendre visite, quand elle était à l’hôpital, en salle d’interrogatoire, enfermée chez elle. Elle n’était qu’un rappel que leur fille, elle, n’était pas revenue à la maison.
— Hey !
Ariane sursauta, se tournant vers la voix. Le père de Maï Rose se tenait à côté de la haie et lui faisait signe de s’approcher. La jeune fille se sentit sous pression, n’arrivant pas à regarder le père de famille grisonnant dans les yeux. Il était toujours propre sur lui, bien habillé, vétérans de guerre, il avait un regard qui faisait peur, mais avait un cœur en or quand on prenait la peine de le connaître. Sauf que là, son regard était loin d’être bienveillant.
— Qu’est ce que tu fais sur notre propriété ?
— Je suis désolée Monsieur…
— Je t’ai posé une question, réponds.
Il ne devait pas savoir pour la sphère, personne ne devait le savoir. Elle n’avait pas parlé de magie à une seule personne. Enfin si, à sa psychologue, en feignant une blague.
— Pour me rappeler Maï Rose…
Ce n’était pas un mensonge, ni entièrement la vérité. Ariane se risqua à relever la tête pour croiser le regard d’Anh Minh qui avait l’air totalement horrifié par ses paroles. Pas dans le sens qu’elle aurait cru, il n’avait pas l’air triste, mais en colère.
— Comment la connais-tu ?
Hein ? Encore ?
— Monsieur Anh Minh… Vous ne vous souvenez pas de moi…?
— Bien sûr que je me souviens de la fille qui est revenue des kidnappings ! Rentre chez toi petite, arrête de causer des problèmes aux autres !
— Mais… Mais et Maï Rose ?
— Ma fille est mort ! Elle est morte il y a des années ! Ne prononce pas son nom. Dehors !
— Mais !
— J’ai dis dehors !
— Elle n’est pas morte !
— Si tu ne déguerpit pas de mon jardin dans immédiatement, j’appelle la police !
Le visage du père de Maï Rose était contorsionné dans une grimace de colère et de douleur, ses mains tremblaient. Ses yeux bleus emprunts d’une profonde tristesse qu’elle ne lui a jamais connu, ce qui la convainc de faire demi tour et rentrer chez elle, la tête baissée.
Quelque chose n’allait pas, elle ne savait pas encore quoi. Mais Maï Rose ne pouvait pas être morte il y a des années comme son père le prétendait. Ariane n’était pas folle, sa meilleure amie avait existé. Elle le sait. Tout le monde pouvait en témoigner et pourtant tous lui disaient le contraire.