Chapitre 2 : ...

Par Camice

Mon cœur s'enfonce dans les abysses sombres.

Comment faire taire cette douleur qui m'encombre ?

 

 

 

Ariane contemplait longuement le plafond.

Tic

Tac

Le temps n’avait jamais été aussi lent. Chaque seconde passée depuis son retour sur Terre était une longue torture dont elle ne sortirait jamais.

Parce que Maï Rose n’était jamais passée de l’autre côté.

 

 

Tic

 

 

Tac

 

 

En chaque seconde,

Chaque tintement de son horloge,

Était un rappel qu’elle avait échoué à la protéger.

Et maintenant, elle était morte, dans le meilleur des cas.

 

 

 

Tic

 

 

 

Tac...

 

 

 

Ariane passait chaque jour à retenir un cri qui la rongeait de l’intérieur. Se régalant de son envie de sortir, parler et vivre.

Ses parents, dans un effort pour la sortir de sa torpeur, ont tenté de la faire participer à des activités en famille, cinéma, balade au parc… Mais Ariane se contentait de se tenir là, apathique. Alors ils ont redoublé d’effort, ils l’ont emmené voir un psychologue, des groupes de soutiens, des médiateurs, des médecins, des magnétiseurs, des gourous.

 

 

 

 

Tic

 

 

 

 

Tac

 

 

 

 

Tout, ils ont tout essayé. Ses parents n’avaient jamais fait autant d’effort que maintenant, ils ne l’avaient jamais autant aimé que maintenant. Et pourtant…

Ariane n’avait jamais été aussi misérable.

 

 

 

 

 

Tic

 

 

 

 

 

Tac

 

 

 

 

 

Ariane se leva de son lit, s’habilla d’un sweat gris et s’en alla dans la salle de bain. Face au lavabo, les dalles froides sous ses pieds et le regard planté dans le miroir couvert d’un drap. A chaque fois qu’elle voyait un miroir, la culpabilité l’accablait, la clouant au lit quelques jours de plus. Au point que les professeurs, venus dans un effort de lui faire rattraper les cours, restaient convaincus qu’elle ne passerait pas l’année. Mais elle se sentait prête à essayer quelque chose.

 

 

Tic

Hier, elle rendait visite au petit con.

Tic

Aujourd’hui elle retournera en cours.

 

La jeune fille se dit qu’elle aurait dû commencer par essayer de revenir en cours. Si même humilier son rival ne lui avait procuré aucune émotion, ce n’était pas un monologue de sa professeure de mathématiques qui allait la stimuler.

 

Pourtant Ariane allait tenter.

 

Sa mère fut tellement surprise quand elle lui demanda d’aller en cours qu’elle ne posa aucune question et s’empressa de l'emmener avant qu’elle ne change d’avis. En un instant, elle était de plain-pied devant le collège, où de nombreux élèves rentraient, encadrés par un surveillant et un officier de police. Ils ont dû renforcer la sécurité après les enlèvements.

Quelle blaguesoupira Ariane intérieurement. Que vont-ils faire face à de la magie ? Tirer sur des marionnettes en pierres ? Ariane prit les devant et se fondit dans la foule de ses camarades de classe, capuche sur la tête.

– Ep ! Attends là !

Une main se posa sur son épaule et l’écarta de l’entrée.

– Où est ton carnet de liaison ? Et ton sac ? pesta le surveillant qui se stoppa en reconnaissant son visage. Ariane ?

La jeune fille se contenta de fixer avec apathie l’adulte inutile en face d’elle, ils voulaient vraiment l’empêcher, elle, d’aller en cours ?

– D’accord, tu peux rentrer, tu sais dans quelle classe tu es ? Bien, bien… Je suis content de te revoir parmi nous.

Il lui adressa un petit sourire, presque triste. Peut-être avait-il de la peine pour elle, qui, sans Maï Rose pour faire l’intermédiaire, ne pourra parler à personne ? Ou peut-être imaginait-il déjà la réaction de ses camarades de classe en voyant la seule survivante de ce massacre de retour dans leur collège ?

 

8h21

 

Ariane devait aller en cours, elle tenait à ne pas intervenir au milieu de la classe et avoir l’entièreté des regards parasites qui scrutaient ses moindres mouvements. Elle rejoint sa classe, passant plus ou moins inaperçue. Ou en tout cas assez pour que personne n’ose l’aborder, et c’était parfait ainsi.

 

8h30

 

Premier cours : mathématiques. Comme elle le redoutait, le discours de la professeure ne faisait pas passer les minutes plus rapidement, elle avait l’impression au contraire, que le temps ralentissait encore et encore, fondant et déformant l’espace, les élèves. Ariane était seule, la place à sa droite normalement réservée pour Maï Rose était vide.

 

 

Partout, elle était partout.

 

Même sans être là, elle ne pouvait penser qu'à elle.

 

Qu’à Maï Rose,

Qu’à ses rires,

Qu’à ses pleurs,

Qu’à sa mort certaine.

 

Une douleur aiguë s'empara de son cœur, son nez et ses yeux piquaient et Ariane sentit des larmes se former dans ses yeux. Non. Quand elle était venue en cours, ce n’était pas pour ressentir encore plus de misère qu’elle n’en avait déjà, c’était pour respirer à nouveau. Pourtant elle ne faisait que couler depuis qu’elle avait traversé ce maudit miroir.

 

– Ariane !

 

L’appel fut assez brut pour lui faire relever la tête et la sortir de sa torpeur.

– Je comprends que tu as vécu une expérience difficile, si tu te sens mal, va à l’infirmerie.

Ariane ne sut pas quoi répondre, parce qu’elle n'était pas celle qui répondait dans ce type d'événement. Maï Rose trouvait les mots justes qu’elle n’arrivait pas à formuler. Tous les regards étaient braqués sur l’animal de foire, celle qui avait survécu, celle qui avait eu de la chance.

– Ariane ? Tu as besoin de sortir ?

Arrêtez de me regarder !

– Ariane ?

Arrêtez !

Ariane se leva dans la précipitation, manquant de tomber immédiatement quand des fêlures noires vinrent tâcher sa vision. Elle se fit rattraper par un garçon de la table d’à côté, celui-ci indiquant à demi-mot qu’il guidera la jeune fille jusqu’à l’infirmerie. Ce n’était qu’une fois dans une pièce fermée, sombre et en petit comité qu’Ariane ne put respirer. Le délégué, dont le prénom lui échappait, l’accompagna pour qu’elle s'assoit sur un des deux lits de repos. Ils n’étaient que tous les deux, l’infirmière n’arrivant qu’à 9 heure, la jeune fille s’attendait à se retrouver à nouveau seule dans son malheur à contempler le plafond pendant que le monde continuait de tourner. Mais son camarade de classe s’approcha plus près d’elle :

 

– Personne ne va te faire du mal ici, la directrice en personne a parlé avec Béatrice, elle ne viendra pas t’embêter avec sa bande.

Béatrice ? répéta mentalement Ariane. L’admiratrice numéro une de Maï Rose ? De quoi il parle ?

– Comment ça… ? parvint à formuler la jeune fille après une longue minute de réflexion.

Le jeune garçon prit un air surpris, et parcourut la pièce du regard, son visage empreint d’un mal-être certain.

– Eh bien… Quand tu as disparu, il y a eu une enquête, et ils ont découvert qu’ils te harcelaient… Alors ils se sont fait réprimander en conseil de discipline.

Plus il parlait, plus il semblait lui décrire un scénario qui n’était jamais arrivé. Béatrice était profondément idiote et agaçante, c’était vrai, mais à aucun moment elle ne s’en était prise à elle, ou à qui que ce soit. C’était une gamine, pas une harceleuse.

– Je suis désolé de ne pas avoir agi plus tôt mais comme tu n’en parlais pas, on pensait que c’était un jeu entre vous… J’espère que ça ne t’a pas trop impacté… Mais elle ne recommencera pas, et si elle le fait, n’hésite pas à m’en parler.

Il termina sa phrase avec un air confiant, ses cheveux fins, noirs plaqués contre son crâne. Ariane resta silencieuse devant les affirmations du jeune homme. Peut-être que ça, c’était plus intéressant que battre le petit con.

– Qu’est-ce qu’elle a avoué ?

– Tu penses qu’elle n’a pas tout dit ? J’ai été au conseil en tant que témoin, mais il y avait quand même beaucoup de choses : Elle se moquait de toi, prenait des photos de toi pour les mettre sur les réseaux, elle t'isolait… On a précisé que c’était à cause d’elle que tu as terminé toute seule.

– Toute seule ?

Tic. ricanait l’horloge de l’infirmerie.

Un mauvais pressentiment s'empara de son cœur, ses mains crispées sur son jean, elle se risqua à demander :

– Et Maï Rose ?

Tac.

Ariane fixa le délégué avec le cœur battant et l’adrénaline gelant son corps d’effroi, prête à la réalisation. Lucien, car ce n’était que maintenant qu’elle se rappelait son prénom, fronça les sourcils.

– May Rose ? C’est qui ?

Tic.

Sans qu’elle ne puisse se retenir, les mots sortirent tout seul :

– Maï Rose ? La déléguée ? Ma meilleure amie ?

Cette fois, une grimace de pitié traversa le visage du garçon :

– Ariane… Tu as toujours été seule…

 

 

Tac.

 

 

– Tu mens. énonça Ariane, calmement.

– Pardon ?

– Tu mens ! explosa-t-elle. Menteur ! De quoi tu parles ?!

– Hein ?! Ariane calme toi !

 

La jeune fille se tenait maintenant debout, d’une tête de plus que le délégué, à quelque centimètre de son visage. Sa tristesse, son désespoir s'étaient transformés en rage. Comment osait-il parler de sa meilleure amie comme si elle n’existait pas ?!

 

– Je ne sais vraiment pas de qui tu parles ! Je me souviendrais si une fille avec un nom comme ça était à l’école !

– Elle existe !

– D’accord, d’accord ! Elle existe ! S’il te plait…

 

Lucien était dos au mur de l’infirmerie, le teint pâle, ses yeux bleus craintifs. Il ne la croyait pas, il ne faisait que dire ce qu’elle voulait entendre. Un claquement de porte suivi de bruits de talons résonna dans la pièce. 9h. L’infirmière était arrivée. Le délégué, sans même lui adresser une parole de plus, se faufila à côté d’elle et disparaît du côté du bureau de l’infirmerie, laissant Ariane seule dans la salle de repos, n’ayant qu'elle-même pour calmer sa colère.

 

 

L’infirmière ne tarda pas à s'immiscer dans la salle de repos pour tenter d’évaluer son état psychique. C’était comme écouter sa psychologue tenter de retirer des informations, elle continuait de parler seule alors qu’elle jouait le rôle d’un mur dans cette interaction. Ce n’était ni intéressant, ni utile de lui répondre.

– Comment tu te sens ?

Comme une envie de retrouver Lucien et lui en mettre une.

– Comment ça se passe à la maison ?

Des parents aimant ça changeait de d’habitude.

– Les investigations avancent ?

A moins qu’ils n’inventent la magie, ils resteront bloqués.

– Si tu as besoin de moi, tu m’appelles.

Toujours. Pour dire quoi ? Après tout ce n’est pas comme si elle avait été de la moindre utilité jusque-là. Tous ces gens qui s’acharnaient à être de bonnes personnes avec elle simplement parce qu’elle a vécu quelque chose d’horrible. De vrais hypocrites. Leur comportement la dégoûtait.

Ariane s’allongea dans un des lits et reprit son activité principale, celle de regarder le plafond alors que les minutes défilaient, aussi longuement que d’habitude.

Tic

Tac

Le son de l’horloge de l’infirmerie l’irritait. Sa montre, enrayée par le passage dans le miroir dimensionnel, ne s’était pas remis en route depuis. Ariane ne l’avait pas remis en route, c’était inutile, les minutes si précieuse qu’elle passait avant était maintenant une torture, elle n’avait pas besoin de se souvenir qu’elle était seule.

 

 

Tic

 

 

Tac

 

 

Quand est-ce que le son si familier et réconfortant s’était transformé en un compte à rebours oppressant, où chaque seconde lui retirait son souffle ? Ariane hésita un instant, puis se résolut à se lever pour prendre avec précaution l’horloge posée sur une commode, stoppant le battement de son cœur. Elle en avait vraiment besoin.

Ariane retourna dans le lit et ferma les yeux, tentant de trouver du réconfort dans ses rêves.

 

 

* * *

 

 

Quand Ariane s’était réveillée, elle n’avait pas besoin d’un quelconque mécanisme pour lui annoncer l’heure : 11h23. L’infirmière était venue pour qu’elle aille manger, histoire qu’elle ferme son bureau pendant la pause du midi, Ariane se retrouvait alors dehors, dans la cour de l’école, seule. A part le béton et les quelques arbres entourés de petits murets, il n’y avait pas grand-chose à faire.

Le coin qu’elle occupait habituellement avec Maï Rose était bien constitué de tout son groupe d’amis, dont Béatrice qui lui lançait quelques regards prudents. N’était-ce pas le moment idéal pour lui poser ses questions ? Ariane s’était décidée et se dirigea vers le groupe de collégien entourant Béatrice qui trifouillait ses boucles brunes qui lui arrivait à la nuque. S’arrêtant à moins d’un mètre de la jeune fille assise sur un banc. Les joyeuses conversations cessèrent en un instant, seule la reine du groupe prit la parole :

– Salut Ariane… Tu veux quoi ?

– Maï Rose ne te manque pas ?

Le visage de Béatrice se déforma en une petite grimace qu’Ariane n’arriva pas à décrypter… Était-ce de la colère ? De la tristesse ? De l’anxiété ?

– C’est qui ça ? Ton amie imaginaire ?

Du mépris, c’était du mépris. Qu’est-ce qu’ils ont tous à prétendre qu’elle n’existe pas ? gronda Ariane d’une colère sourde. Des éclats de rires se profilèrent dans le groupe alors que Béatrice lui adressait un sourire satisfait.

– Quoi ? Ton enlèvement t’a tellement tapé sur le crâne que tu t’es inventé une vie ?

Ariane aurait voulu la baffer, pour enlever cet air assuré de son visage rebondis, rajouter des larmes dans ces yeux cruels. Mais elle ne pouvait pas faire ça, Maï Rose lui en aurait voulu.

– Si tu es venu pour rester planté là et me gâcher le paysage, tu peux circuler hein.

Personne n’acceptera qu’elle la blesse mais… Ariane se pencha vers Béatrice pour lui attraper le col et la soulever, la collégienne se retrouvant debout de force alors qu’elle tentait de se libérer de son étreinte, ses pieds effleurant le sol. Elle était plus forte et bien plus grande, sa victime commença à paniquer, essayer de la frapper au visage mais Ariane attrapa son poignet de son autre main.

– Lâche-moi espèce de folle !

– D’accord.

Ariane jeta Béatrice avec force sur le sol, celle-ci se retrouvant sur les fesses et sa tête cogna le béton. La jeune fille se mit assise en se tenant la tête en geignant alors que tous ses amis étaient restés bouche bée de choc. Un premier se précipita aux côtés de la blessée.

– Béatrice, ça va ?

– Ariane ! Qu’est ce qui te prend !

Les autres se réveillèrent les uns après les autres, comme des abeilles auxquelles on aurait piqué leur reine. Un autre se précipita sur Ariane pour la pousser alors que le reste l’encourageait, ameutant la moitié de l’école pour former un cercle.

– Battez-vous ! Battez-vous !

Les hurlements joyeux des élèves, heureux de voir de la violence dans leur petit collège de campagne. Béatrice s’était relevée et faisait face à Ariane, une expression de colère ancrée sur son visage, les joues rouges de honte. La petite n’avait pas le choix de se battre, si elle voulait prouver à tout le monde qu’elle était plus forte que sa camarade de classe qui n’était revenue en cours que depuis 3 heures…

Béatrice se précipita sur Ariane pour lui mettre un coup, mais son poing ne rencontra que de l’air. Ce n’était pas une gamine qui allait réussir à la blesser. Les cris des collégiens étaient insupportables, elle ne comprenait pas comment ils pouvaient trouver ça intéressant. Elle esquivait sans peine les coups de l’autre qui se mit à crier de frustration quand elle n’arrivait pas à atteindre sa cible. Plus elle reculait pour esquiver ses coups, plus la foule se déplaçait avec elles, formant une masse informe dont les deux filles ne pouvaient pas s’échapper.

– Oh non !

– Les surveillants !

Les élèves se dispersaient pour ne pas se faire réprimander à encourager des combats dans la cour, mais Béatrice, n’ayant pas compris le message, continuait de s’acharner pour attraper Ariane. Avant d'elle-même se faire tirer en arrière par une surveillante bien plus grande et forte. Béatrice vociféra :

– Elle a commencé ! C’est elle ! Je vous jure que c’est elle ! Elle m’a prise !

– Mais oui, bien sûr, tu vas raconter ça à la directrice.

Lucien, le délégué, qui était sûrement celui qui avait ramené les surveillantes, se glissa à côté de la grande fille pour demander :

– Tu veux aller témoigner contre elle à la directrice ?

Ariane réfléchit, ce combat, lui avait procuré encore moins d’émotion que celui de la veille. Rabaisser une gamine n’avait rien de satisfaisant.

– Non, je rentre chez moi.

– Tu ne peux pas sortir, rit le délégué, nerveux. On n’a plus le droit de sortir comme on veut depuis… Depuis… Tu sais…

– Les enlèvements.

– Voilà…

– D’accord. confirma-t-elle tout en se dirigeant vers le portail.

– Où vas-tu ?

– Sortir.

Le garçon s’affola et partit à sa poursuite.

– Je viens de te dire que ce n’était pas possible !

– D’accord. répéta-t-elle, tout en grimpant sur le portail écaillé de peinture verte de l’école.

En un instant, elle était de l’autre côté, et regarda Matthieu entre les barreaux.

– Tu n’auras qu’à dire que tu ne sais pas où je suis.

– Attends !

– Au revoir. termina poliment Ariane avant de prendre la direction de chez elle.

– Ariane ! Revient ! Tu vas avoir des problèmes ! Tu ne peux pas faire tout ce que tu veux sous prétexte que tu souffres ! Un jour, ça va te retomber dessus ! J’ai vu ce que tu as fait à Béatrice ! Et je vais dire la vérité !

Mais Ariane n’écoutait pas, elle était trop loin.

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