Grenours adore les patates. Il te talonne comme un chiot entrainé par ses croquettes. À chacune des pommes de terre que tu lui tends, il affiche son contentement : Gloup, une d’avalée, il devient vert et doré. Gloup, gloup, une seconde et sa fourrure prend une teinte blonde. À se rythme, tu manques rapidement de provision.
- C’est ma dernière, tu es un véritable estomac sur pattes. Avec ton appétit insatiable, Je vais devoir piller un potager ou trouver un marcher à dévaliser.
- Coââ-coââ
- Moi aussi je suis affamé et j’ai toujours ce foutu pied de congelé.
Tu t’assois sur une pierre un moment pour malaxer tes extrémités. Slash, la langue visqueuse du colosse de poil s’aplatie contre ta joue et s’entortille à ton cou.
- Arrête ! je ne suis pas comestible.
L’appendice te remorque vers l’énorme bouche. Coââ-coââââââââaâ. Alors que tu te prépares à être avalé tout rond, Grenours te libère, plaqué à son museau. Son haleine est infecte, ses larges naseaux te reniflent bruyamment.
- Je ne comprends pas, qu’est-ce que tu attends ? Je ne suis pas assez mûre ? Tu es allergique au demi-humain ? Pourquoi tu ne me manges pas ?
- Coââ-coââ, répond Grenours en s’abaissant jusqu’au sol.
- Tu veux que je monte sur ton dos, c’est ça ?
- Coââ-coââ
Agrippé aux poils du monstre, tu cavales depuis plus d’une heure. Tu te laisses transporté à son gré, réfugié dans sa fourrure épaisse, bercé par le déhanchement régulier de ses pas. Ton esprit engourdi s’égare et tu sombres dans tes rêveries. Après tout, tu es comme cette bête, un hybride, animé par une source sacrée et mystique.
Impossible de savoir combien de temps et de kilomètres vous avez trotté. Il s’est arrêté à la limite d’un grand fleuve, bordé de blés sauvages flamboyant sous la lumière du soleil couchant. Sur l’autre rive tu aperçois un hameau d’une dizaine de maisons. C’est le parfum des cheminés poussé par le vent qui a attiré ton Grenours jusqu’ici.
- Il y a forcément un moyen de franchir cette rivière, tu vois ces chaumières ? Je parie que Leur greniers débordent de poissons séchés, de fromages… et de patates.
Encouragé par tes suppositions gourmandes, ton ami poilu s’engage lourdement à travers les foins en direction du cours d’eau. Splish, il s’enfonce dans la gadoue, splash, Il s’immerge, nage et remonte le courant en direction des habitations.
- Non, pas dans l’eau, je déteste l’eau ! Attention, tu ne peux pas te précipiter sur le village. S’ils t’aperçoivent, Les habitants vont se ruer sur nous avec des fourches et des torches et nous finirons tous les deux empailler au-dessus d’un foyer. Arrête-toi derrière ce bosquet là-bas.
Sur la berge Grenours rampe dans la vase vers les arbres, se secoue avec vigueur, gratte et tournicote pour se préparer un nid de feuillage. Toi, tu essores ta chemise détrempée, décrottes ton visage embourbé, débarrasses ta tête garnie d’herbage, craches la terre prise entre tes dents pointues et donne tes dernières recommandations :
- Écoute-moi, tu te caches ici sagement. Pendant ce temps, je nous trouve un truc à manger. Tu ne te montre à personne, tu m’as bien compris ?
- Coââ-coââ, répète le drôle de caméléon en adoptant la couleur de la broussaille.
- Tu es prodigieux !
Une auberge. Suspendu au portique, l’affiche de l’hôtellerie se balance en grinçant. « Les Trois Poulpettes ». Une forte odeur de hareng te chatouille le museau, c’est insoutenable, tu te faufiles sous une fenêtre aux carreaux embuées en te léchant les babines. Le menton collé à la vitre tu évalues tes options : tenter l’infiltration en douce par l’arrière pour chaparder un bout de poisson ou bien risquer une entrée banale par la porte principale en espérant ne pas trop être remarqué. Tu optes pour la banalité.
À peine entré, tu t’écrases le nez contre un paysan bedonnant ; tu peux dires adieux à la discrétion, l’homme te bouscule contre une table en t’insultant de tous les noms.
- Dé…désolé monsieur, je…
- Dégage de mon chemin Transmutant, Sale fiente de mage, retourne chez ton maitre.
L’homme quitte l’auberge en titubant. Les regards se sont fixés sur toi. Intimidé, tu t’inclines de honte et te retranches vers le comptoir. L’aubergiste se détourne, prétextant quelques bouteilles à aligner.
- Pardon, monsieur… monsieur ? J’ai faim, j’ai froid, je…
- Nous ne donnons pas l’aumône ici, va quémander la charité au temple.
- J’ai de quoi payer, réponds-tu en cherchant ta bourse dans ton sac de cuir.
- Alors tu payes, tu manges et tu fous le camp de mon établissement.
L’aubergiste t’a dépouillé de tes pièces de cuivres en échange d’une dégoutante giblotte verdâtre. Tu t’es installé tout au fond de la pièce pour ne pas déranger. Ce larron aurait mérité que tu lui dévalises tout son lardon. À quelques tables de toi, trois clientes discutent en te jetant des œillades indiscrètes : deux matrones curieusement identiques et une fluette encapuchonnée. Qu’est-ce qu’elles te veulent, tu n’as qu’une envie, terminer ton bouilli et poursuivre ta quête de nourritures. La svelte te fait signe, t’invite à prendre place en te proposant un banc. Tu hésites, elle insiste, tu flanches.
- Je suis Vikëllie, voici Valdery et Rascale, se présente la femme au regard bleu.
- Je suis… navré, j’ai oublié.
- Tu veux boire quelque chose Navrey ? une bière de Baldek ou un lait de poulpe béant ? C’est la spécialité de l’endroit. Aubergiste !
- Je ne suis pas Navrey… je suis navré… ah et puis zut, je ne veux surtout pas vous occasionner de problème, je ne devrais pas être ici.
- Détends-toi, répond Vikëllie, tout le monde mérite le même service. Aubergiste !
- J’y suis, j’y suis, vous désirez ? demande le tavernier
- Un lait de poulpe pour mon ami Navrey, ordonne-t ’elle.
- Euh… Je vous apporte ça immédiatement madame.
L’aubergiste te dévisage en s’éloignant, Vikëllie affiche un sourire satisfait.
- Tu vois, il suffisait de demander, dans la région, ils ne sont pas très accueillants avec les transmutants.
- Les transmutants ? questionnes-tu.
- Les trucs comme toi…
- Comme-moi ? qu’est-ce qui ne va pas avec moi ?
- Rien… à part quelques détails… à commencer par cette oreille mignonne qui ornent le côté gauche de ta tête… et tes yeux, celui-ci est marron et celui-là est en amande, émeraude, traversé d’une pupille de chat… et ce nez… c’est une truffe ? et là, ce sont des moustaches ? ah je viens de remarquer la subtilité… Tu as tout un côté du corps couvert de poils noirs soyeux… et une paluche à la place du pied gauche ! Tu es une espèce de satyre détraqué, mi-homme, mi-félin, rapiécé verticalement. L’ensemble est assez esthétique, mais pas très « humain ». Tu es un transmutant, un bâtard magique… La création occulte d’un transmutateur puissant. Je gage que tu une queue cachée dans ta culotte.
Tu te lèves et tu attrapes ton sac, choqué par la froideur de ses révélations. Elle éprouve franchement trop de plaisir à te déstabiliser et tu ne comptes pas rester là, à te faire torturer.
- Où crois-tu aller comme ça ? demande Vikëllie
- Je dois rejoindre mon ami.
- Malheureusement, tu vas devoir rester encore un peu avec nous mon minou.
Valdery et Rascale, les jumelles musclées, t’encadrent en posant leurs mains sur tes l’épaules et t’écrasent sur ta chaise.
- Qu’est-ce que vous me voulez ? Lâchez-moi !
- Pas avant de savoir où tu as déniché l’épée que tu portes à la ceinture.
- Je l’ai trouvé.
- Dits plutôt que tu l’as volé petit menteur ! Voilà une demande de rançon que j’ai trouvée, clouée à cette colonne, ce matin : « Cinquante pièces d’or de récompense pour qui ramènera l’épée du bailli Logan de Baldek ainsi que son voleur, mort ou vif ». C’est grassement payé pour un pauvre transmutant comme toi. Tu remarques, ils y ont barbouillé un horrible dessin supposé te représenter.
- Il l’a mérité, c’est un maniaque qui a tenté de m’attraper, avoues-tu.
- Ne t’en fait pas Navrey, nous n’allons pas te livrer à ce pervers. En échange, tu devras nous rendre un petit service.
Elles ont confisqué ton épée et t’ont escorté à une chambre de l’étage. Ligoté dans un coin de la pièce, tu observes les allées et venues des trois Kidnappeuses qui rassemblent le matériel nécessaire à leur machination.
- Il nous faut une perche de trois mètres, affirme Rascale.
- Qu’est-ce que tu veux faire avec une perche aussi longue ? demande sa sœur.
- Je ne sais pas moi, trouver des pièges et les déclencher.
- Tu vas la mettre où ton bâton, dans ton pantalon ? nargue Valdery.
- Arrêtez vos disputes, ordonne Vikëllie, rendez-vous utiles et lancez-moi la corde qui est sur le lit.
Elle bourre un grand sac à dos de divers objets et se penche sur toi. Derrière une mèche de ses cheveux charbon, tu remarques une oreille effilée. C’est une semi-elfe.
- Je suis comme toi…On m’a chassé de mon clan et rejeté. Victime du sang impure qui coule dans mes veines. Je compte te libérer, mais je dois m’assurer que tu ne vas pas fuir à la première occasion. Je cherche un cambrioleur… un voleur capable de s’infiltrer discrètement dans une résidence pour récupérer un objet qui m’appartient.
- Vous n’aviez qu’à me le demander, vous êtes complètement débiles de penser que je vais vous aider après m’avoir séquestré.
Elle caresse doucement le velours de ta joue gauche, te gratte derrière l’oreille, tu ne peux t’empêcher de ronronner.
- Dommage mon chaton. Je connais un transmuteur à même d’identifier l’archimage qui t’a muté… J’aurais cru que l’information pouvait t’intéresser.
- Pourquoi vous ne demandez pas à vos amies ?
- J’ai besoin de toi. Valdery et Rascale sont deux brutes très utiles lorsque la violence s’impose, mais elles n’ont pas ta grâce féline, ni ma vivacité d’esprit. Toi et moi, nous formerions une super équipe.
- Je n’ai chipé que cet épée… et des patates… et quelques pièces de cuivre… Je ne suis pas un voleur !
- Ne t’en fait pas pour ça, je suis confiante, tu seras à la hauteur. Je vais t’équiper et te payer généreusement…si tu refuses, je serai contrainte de trouver quelqu’un d’autre… et je devrai livrer la lame et son détrousseur au bailli de Baldek.
- J’imagine que je n’ai pas le choix d’accepter ?
- On a toujours le choix mon minet. Il s’agit de faire le bon.
(Permets-moi d’ouvrir une petite parenthèse au sujet du choix. Désolé, je sais je te dérange dans ta lecture. Lors de son changement de poste, Mon père avait deux options de ville : Chicoutimi ou Cap-Rouge. J’étais emballé à l’idée de déménager au Saguenay. On avait visité la maison, une superbe maison ancestrale de deux étages en brique rouge avec des colonnes en façade, en prime j’allais retrouver Mathieu, Jean-François, Guillaume, Ève-Marie, Élise, Nancy, Karine, Sébastien, Phillipe, Laurence, Olivier, Catherine : mes douze cousins et cousines. Tu peux imaginer ma déception en apprenant sa décision. Ce choix a été une grande fourche dans ma ligne de vie. S’il avait choisi Chicoutimi… Bye bye ma belle Nancy, adieu magnifiques enfants que j’aime tant. OK, J’arrête de te divulgâcher mon histoire et je reprends le récit… qui n’aurait jamais été écrit d’ailleurs)
Une baguette sertie d’un saphir bleu nuit. Selon Vikëllie, tu n’avais qu’à escalader le mur, passer par la fenêtre, traverser le corridor, t’introduire dans la première pièce à gauche et récupérer l’objet. Un incroyable plan foireux en cinq étapes. Te voilà fuyant, baguette en l’air, poursuivi par deux gardes armés jusqu’aux dents. Pourtant tout se déroulait comme prévu. Reprenons du début…
Caché, tu analyses le comportement des patrouilleurs. Tu en as compté quatre : deux pairs de sentinelles parcourant la rue à contresens. Vikëllie t’a assuré quel allait les neutraliser. Tu patientes. Première et deuxième rondes de garde, les guetteurs se croisent normalement. Troisième et quatrième passages, toujours rien, tu commences à trouver le temps long. Cinquième tour, les gardiens se sont rejoints, tu perçois une mélodie quasi imperceptible comme une berceuse enfantine. Un soldat s’arrête étourdit, s’adosse au bâtiment et s’effondre. Un second s’arc-boute sur son collègue et tombe endormi. Le troisième, se supporte à sa hallebarde et glisse comme un pompier à son poteau. Le quatrième, engourdi, lutte contre le sommeil, tente de soulever son épée aussi lourde que ses paupières et s’empile sur ses camarades.
C’est à toi de jouer, tu fonces vers l’édifice, Valdery te rejoint. Tu te hisses sur ses épaules et agrippes le colombage, sitôt fait, la guerrière retraite dans l’ombre d’une ruelle. Griffes sorties, tu grimpes pour atteindre la lucarne. Les battants sont fermés, c’est à la magicienne d’agir. Elle murmure quelques mots obscurs, le loquet de la fenêtre coulisse. Tu entrouvres un volet et te glisse à l’intérieur.
Tu parcours l’obscurité du couloir de ta vision perçante ; La voie est libre. Tu longes le mur jusqu’à la porte et y plaque ton oreille ; aucun son. Ta main tremblante joue avec la poignée ; l’entrée est verrouillée. Tu sors d’une pochette un jeu de pics et de crochets. Il y a trois heures à peine, tu t’exerçais au crochetage de serrure sur un coffret, guidé par Rascale.
- Cale bien ton crochet sur le mécanisme et tourne. Si ça ne vire pas, ajuste l’angle de ton outil, résonne la voix de ton instructrice.
Après avoir lâcher quelques jurons et versé plusieurs litres de sueurs, « Clic » le pêne bascule. Ultime étape du larcin, récupérer la baguette. Tu entre dans la chambre à pas feutré et tu détailles le mobilier : un grand lit à baldaquin, un long coffre poussé contre son pied, une armoire, une desserte, un bureau et une chaise à haut dossier devant un foyer impressionnant. Sans attendre, tu soulèves le couvercle de la malle : des chemises, des braies, quelques tuniques de femmes. Tes mains tâtent les plis, fouillent entre les tissus. Rien. Dans l’armoire alors ?
Atchoum ! Il y a une fille dans le lit. Atchoum ! Elle éternue et renifle de manière incontrôlée, s’assoie entre ses draps pour respirer. Aaa, Aaa…Tu profites de ses spasmes distrayant pour te faufiler derrière la chaise, Aaaatchoum !
- Gorik ? Gorikkkkaaatchoum !
Un serviteur surgit d’une porte dissimulée, un bougeoir à la main.
- Vous avez un problème mademoiselle ?
- Gorik, avez-vous fait entrer une bête à fourrure dans ma chambre ?
- Pardon, une bête ? Non madame, il n’y a aucun animal dans cette maison.
- Pourtant je vous a-a-a-assures que je le ressens. Il doit y être encore. Regardez dont sous ma-a-a couche… atchoum !
- Je vérifie immédiatement, obéit le valet.
Il fallait que tu tombes sur une princesse allergique aux chats. Vikëllie t’avait assurée que l’appartement serait inoccupé… et ce Gorik, le même type qui accompagnait le psychopathe à qui tu as piqué l’épée… tu es chez le bailli Logan de Baldek.
- Mademoiselle Lianna, votre coffre est ouvert… Vous avez omis de le refermer ? s’inquiète Gorik.
- Non, je suis certaine que le couvercle était abaissé à mon couché. Regardez ! je crois qu’on a fouillé l’armoire également. Vous croyez que le fureteur est encore dans la chambre ?
- Restez-calme, nous allons en avoir le cœur net.
Tu décèles le frottement d’une lame qui s’extrait de son fourreau… « Minou, minou où te caches-tu mon minou ? » Sur les murs, la chandelle projette l’ombre menaçante de l’investigateur qui avance doucement vers ta cachette. Tu te rapetisses, figé au siège. Allez, tu dois te ressaisir et sortir d’ici avec ou sans la baguette… La baguette ! Elle est là, sur le bureau, bien posée sur son pied, à un rebond de ta position.
Place à l’improvisation. Tu t’élances, attrape le bâtonnet magique et le pointe vers ton adversaire.
- Attention, un pas de plus et je vous transforme en crapaud, menaces-tu
- Intéressant, malheureusement, cette baguette ne possède pas ce pouvoir. Garde ! crie Gorik qui te maintien à distance en te menaçant de la pointe de son épée.
- Alors je vais la casser ! bluffes-tu en faisant courber l’objet magique.
- Beaucoup mieux, Sa puissance sera libérée et provoquera une déflagration qui nous tuera tous, avertit le valet.
Des gardes, alertés par le cri de leur maitre, rappliquent dans la chambre. L’un d’eux à une arbalète et prend le temps de la charger en riant sadiquement. Tu te postes derrière la chaise qui te procure une piètre couverture ; tu es cerné, les hommes t’entourent et te rabattent contre le foyer.
Une folie animal s’empare de toi, comme le tigre acculé par les chasseurs.
- Ne lui faites pas de mal, pleurniche la princesse.
- C’est l’épée de mon maitre qui balance à ta ceinture ? Je vois, tu es la petite chenille que nous avons croisée sur le chemin il y a quelques jours. Lâche la baguette, transmutant, ou j’ordonne à mes hommes de te trouer la peau, commande Gorik.
Contre tes mollets tu perçois un mouvement d’air, une bouffée tiède, provenant de l’âtre encore fumant. Sans réfléchir, tu t’engouffres dans la cheminée, te hissant et ramonant le conduit étroit, grattant furieusement pour t’enfoncer davantage dans le passage impossible. Tu te contorsionnes, pousses et repousses avec les pattes, remontant les quelques mètres débouchant sur le toit. Tu y es, un dernier effort et… Un grillage. Une foutu grille bouche la sortie. Tu tentes de la faire céder, mais elle est bien ancrée dans la brique.
- Ah ah, il est bien pris le félin. Rallumez-moi ce feu, nous allons le fumée ce gredin.
Sous tes pieds, on bat du briquet. Tu respires déjà le nuage piquant et suffocant du brasier. La chaleur est de plus en plus intense. Tu te démènes coincer dans cette fournaise maudite, espérant faire sauter la barrière. Mais il est trop tard…
Tu es mort.
Quoi? Qu’est-ce qui ne va pas, tu n’acceptes pas que le héros crève comme ça? Ah bien regarde dont, tu t’es déjà attaché à lui après seulement deux chapitres? Il n’a même pas de nom! Je n’ai jamais aimé ce concept dans les livres dont vous êtes le héros : après avoir lue des dizaines de pages, après avoir pris une série de décisions difficiles, tu tombes sur ce fameux paragraphe 13, finissant par « VOUS ÊTES MORT, RECOMMENCEZ AU DÉBUT ». Ils croyaient quoi les auteurs? Que j’allais me retaper tout le boucain… Eh bien non, je commettais l’inavouable, je reprenais ma lecture juste avant le choix fatale, déshonoré, torturé par « M. Loyal Bon » ma petite voix intérieure, qui m’accusait d’être un tricheur. Bon arrête de chialer, Je vais t’épargner cette honte éternelle. Ok, ce n’est pas très réaliste, mais on va dire que la grille à finalement cédée… ça te va?
Le grillage à « miraculeusement » cédé, tu t’aplatis hors de la colonne cracheuse de fumée, te laisse glisser le long de la toiture et finis pendouillant à la gouttière. Des cris s’élèvent dans la nuit. Tu te laisses tomber au milieu de l’allée au moment où deux gardes tournent le coin.
- On le tient, halte-là voleur !
Un carreau d’arbalète siffle et transperce ta cape voletante au-dessus de ton épaule. Il t’a manqué de peu. Tu empruntes une ruelle, te faufile entre les chaumières, saute une clôture et déboule le coteau en direction du fleuve où tu dois retrouver tes trois comparses dissimulées près d’un écueil.
Elles sont là. Bras croisés, Vikëllie observe les jumelles engagées dans la flotte jusqu’aux cuisses. Elles s’afférent à la mise à l’eau d’une lourde chaloupe.
- Allez les filles un dernier effort, Navrey devrait y être bientôt.
- J’y suis ! lâches-tu à bout de souffle.
- Fichtre, tu m’as fait peur, d’où sort tu comme ça ? tu es crotté de la tête au pied. Tu as la baguette ?
- Je l’ai… j’ai fui par la cheminée…
- Tu nous raconteras tout ça lorsque nous serons loin de la côte. Saute à bord !
- Mais… je dois rejoindre Grenours… je lui ai promis.
- Qui ? écoute moi bien chaton, tu entends les cris venant du village ? Ils te poursuivent. Ils vont courir les chemins à la recherche de tes traces, finir par les relever et te traquer comme un renard. La seule voie sécure est à bord de cette embarcation. Monte que je te dis !
Les rabatteurs ont rejoint la grève, leurs flambeaux s’étendent à la surface du fleuve comme des mains avides de choper les fuyards ; Par bonheur vous dérivez au large depuis longtemps, portés par le courant. Tu repenses à Grenours qui est seul et que tu as dû abandonnée.
Voilà, tu dois revenir à la réalité. Quoi? Tu préfères te noyer dans un monde imaginaire pour fuir ta vie ordinaire? C’est ta décision… vas au chapitre 6 espèce de lâche. Sinon refais surface un moment, respires une grande bouffée d’air insipide et lances-toi dans la lecture du prochain chapitre.