Chapitre 41 : Les cendres de Vanaheim


« Je connais ce royaume, je m'y suis déjà rendu. Vanaheim se trouve près d'ici. Là-bas, à quelques encablures. Vous verrez, à l'horizon, dans peu de temps. Il vous faudra être aveugle pour le nier. Regardez le ciel. Même en plein jour, certaines étoiles brillent lorsqu'on sait plisser les yeux. Plissez-les, levez la tête et vous verre la cour de Nott. Vanaheim se trouve juste en dessous.

— Il n'y a rien à l'horizon, constata Lokten, aussi laconique qu'à son habitude.

— Vous faites peut-être erreur, Loki. Il a raison.

— Les étoiles ne font pas d'erreur ! Elles n'ont cure des imbéciles qui se fient à leur placement ! Y connaissez-vous seulement quelque chose ?

— Le fait est qu'il n'y a rien.

— Taisez-vous !

— Loki, calmez-vous, il y a sûrement une explication.

— Il nous a perdu.

— Nous n'en savons rien Lokten. Un peu de patience. »

Les esprits s'échauffaient et l'horizon ne cessa d'être une ligne, effectivement, droite. Dans le ciel, l'étoile de Vanaheim brillait bel et bien : de cela, Sygn parvint à obtenir un consensus. Les constellations alentours confirmaient certes leur position dans le vaste océan, Loki disait vrai, enfin d'après une carte que lui seul connaît avait-elle nuancé sur la demande insistante de Lokten ; mais Vanaheim persistait à se cacher, et c'était là le nœud de la discorde.

Dans ce débat d'une stérilité prodigieuse, la plus grande force de Loki résidait en sa capacité à formuler une unique idée en dizaines de variations grammaticales manquant de perdre son adversaire. En revanche, celle de Lokten, et il en aurait bien pu gagner à l'usure, consistait en la répétition mécanique et monocorde du même argument. Loki en devenait fou. Sygn aussi et c'est d'ailleurs pour cette raison qu'elle scrutait la surface de l'eau, priant pour la plus infime irrégularité, un mirage, ou n'importe quoi qui put leur clouer le bec à tous les deux.

« Êtes-vous certain qu'il reste quelque chose du Royaume des Vanes ? demanda-t-elle, emportée par l'agacement.

— Il faudrait des millénaires à l'Océan pour l’engloutir ! Il ne peut pas avoir disparu, se renfrognait Loki. Il ne peut pas avoir simplement disparu, comme cela, c'est imposs...

— Il y a quelque chose. »

Depuis son perchoir sur la figure de proue, Lokten avait une vue bien dégagée. Il y avait quelque chose et ce quelque chose l'inquiétait. Dos rond, il reculait vers le pont, pareil aux félins faisant face à prédateur plus imposant. Sygn avança avec prudence en veillant à éviter les lattes qui craquaient facilement.

Sól quittait son trône et entamait sa descente quotidienne de la voûte céleste. Bientôt, il fondrait dans son propre reflet, mais en dépit de l'indiscutable ordinarité de ce spectacle, une drôle d'impression gagna Sygn. Quelque chose clochait. Toute une flopée de petites choses anodines, en réalité. D'abord, les voiles qui pendaient comme du linge. Plus de vent, pas la moindre petite brise pour les gonfler alors que depuis leur départ, les bourrasques les cinglaient. Et puis, leur ligne de flottaison devenue haute alors que le chargement n'avait pas changé depuis Nidavellir. Il y avait aussi les maigres reliefs des vagues qui ne s'écrasaient plus contre la coque mais qui la contournaient. Sygn se recula de quelques pas. Son sang ne fit qu'un tour. La fine pellicule d'écume ne les évitait pas. Au contraire, elle décrivait une immense spirale qui se refermait sur le Skidbaldnir. Ses jambes perdirent en consistance. Le Soleil se noierait bientôt dans son reflet et il emporterait le navire avec lui.

« Tu le vois, toi aussi.

— Nous sommes attirés par le fond, dit-elle d'une voix blanche.

— Ce n'est sans doute rien, une baleine, un banc d'orques qui nous aura pris pour une proie ou que sais-je, assura Loki avec détachement.

— C'est plus gros qu'une baleine.

— Ce ne sont pas de simples orques.

— Qu'inventez-vous encore pour me... »

Tout à coup, l'obscurité fut totale. Sól avait été avalé, brutalement, d'un trait. Il aurait pu tout aussi bien n'être qu'une flamme, éteinte d'un souffle, ou même ne jamais avoir existé. Penché sur le bord, Loki se roidit.

Lui aussi, venait de voir.

Dans la noirceur des eaux, un grand œil s'ouvrit, aussi ardent et sauvage que l'Astre qu'il venait de gober. L'Océan tout entier s'embrasa.

« Ne bougez pas. Restez calmes. »

Loin sous leurs pieds, là où même les dieux n'avaient osé s'aventurer, les abysses grondèrent. Une créature s'éveillait, quelque part. En s'étirant, elle déclencha une avalanche de vagues dont le déferlement ébranla le Skidbladnir. Sa quille tanguait dangereusement. Lokten tomba à genoux. De justesse, Sygn attrapa sa besace avant que toutes les pommes ne s'en échappent.

Et puis plus rien.

Rien que le silence et l'étrange immobilité de l'océan.

« Qu'est-ce que c'était ? demanda Sygn, devenue blême.

— Vanaheim s'est visiblement choisi un gardien, répondit Loki sans quitter les profondeurs des yeux. N'ayez crainte. Notre pavillon appartient à l'un de ses maîtres.

— Et s'il s'aperçoit que ce n'est pas son maître, qui est à bord ? »

Loki y avait songé, et c'est d'ailleurs pour cela qu'il n'avait pas encore jugé bon de fanfaronner. Tout à coup, une nouvelle secousse. Le pont se déroba avant de leur revenir brutalement dans les genoux. C'est tout le navire qui s'élevait et retombait dans l'eau, de plus en plus brusquement, de plus en plus profondément. Un cri strident déchira l’air frais. Le Gardien enroulait un bras visqueux autour de la figure de proue. Aussi massif qu'un continent, il émergeait des eaux sombres et incendiait le ciel du seul battement flasque de son œil unique. Les nuages le fuyaient. La lune se réfugiait dans son ombre. Nul ne pouvait se cacher à lui. Sa gueule béait sur plusieurs rangées de crocs aiguisés comme des lames. Ses bras couverts d'algues se refermaient sur la coque. Les lattes gémissaient. Toute la structure du navire craqua, squelette dont les os se préparaient à rompre dans le poing d'un titan.

Les vagues s'écrasaient sur le pont avec de plus en plus de violence. Elles le recouvraient. Le Kraken était dans le ciel, il était dans l'eau, autour de la coque, de la proue, et du mat. Il était partout où se portrait le regard. Son haleine putride avait remplacé le vent et son œil de feu, les astres du jour et de la nuit.

Prisonnière de son corps glacé, Sygn peinait à respirer. Elle s'était blottie sous les marches menant aux cabines, son sac serré entre ses genoux. L'eau ne cessait de monter. Les plus hautes vagues l'avaient déjà écrasée plusieurs fois.

« Qu'est ce que c'est ? Qu'est-ce que c'est ? »

Même depuis sa cachette, il n'y avait d'autres visions que celle de la gueule immense du monstre. Par la force de mille rameurs invisibles, le Skidbladnir se débattait mais il ne cessait de glisser vers l'obscurité dégoulinante de bile.

Lokten se précipita à ses côtés en criant des mots que Sygn n'entendit pas. Ou qu'elle ne comprit pas. Et puis, il fit de grands gestes pour lui désigner la silhouette qui progressait vers la proue, que les secousses ne ralentissaient pas plus que le brasier qui s'élevait des eaux. Sygn jeta un œil entre les marches. C'aurait dû être Loki. Mais ce n'était pas lui. Ce n'était pas sa chevelure rousse qui scintillait dans l'œil du Kraken mais celle, aciérée et épaisse, d'un dieu à la peau de bronze, dont les bras décrivaient d'amples figures. Une éblouissante lumière éclata. Semblable aux mailles d'un grand filet, elle prit la forme d’Inguz.

La rune de Freyr, reconnut Sygn. Torunn la lui avait enseignée. L'observer, baignant le ciel de sa lumière dorée, la gonfla d’espoir. Face aux ténèbres et au chaos, se dressait un rempart. Freyr est le plus fiable d'entre eux, disait Torunn. Il venait les sauver.

Le monstre ploya. Aveuglé par l'invocation, il poussa un râle terrible. Plaintif et caverneux. Son épiderme cloquait sous cette soudaine chaleur mais la rune ne connut aucune pitié. Elle se braqua davantage sur lui, maîtresse autoritaire et impatiente. Alors, avec toute la précaution que lui permettaient sa masse et sa douleur, le gardien déposa le Skidbladnir à la surface des flots et prit la fuite vers les abysses. L'océan étouffa ses nouvelles secousses tandis qu'il reprenait la douce teinte de la nuit.

Derrière une barricade de nuages, se dévoila une lune prudente dont les rayons d'argent sculptèrent la ligne inflexible de l'horizon. Mais après quelques instants, à l'Est, les contours de Vanaheim émergèrent enfin.

Les étoiles déroulèrent un sentier de lumière aux voyageurs épuisés. Sa délicate aura attira Lokten et Sygn hors de leur refuge et c'est pareils à des insectes hypnotisés par la lueur d'une flamme, qu'ils se joignirent à celui qui venait d'ouvrir la voie. A ses côtés, ils purent contempler le spectacle de l'éveil des forêts, des cascades et des vallées.

Loki avait retrouvé ses propres traits, porteurs d'un un air confiant. Sa fatigue n'échappait cependant pas à Sygn, qui avait noté le léger arc de sa posture et le tremblement de ses mains, soudées au rebord.

« Alors, nous y sommes, constatait Lokten.

— Cela vous apprendra peut-être à me témoigner davantage de foi.

— Vous avez été... très impressionnant, reconnut Sygn.

— Je vous ai impressionné ? Vraiment ? »

Loki avait paré la mort, elle n'avait rien fait. Évidemment qu'il l'avait impressionnée. La honte accablait Sygn et même le rictus taquin de Loki ne parvint à l'en détourner. Qui était-elle pour naviguer aux côtés d'un dieu ? Plus encore qu'un dieu, une force primale incarnée. Qui était-elle pour prétendre à sa compagnie ? Pour lui lancer de telles banalités ? Ses joues flambèrent tout à coup. Un nœud, au fond de son estomac, se resserrait. Des mots demeuraient coincés dans sa bouche et dans sa gorge palpitait une émotion brute. Même dans l'ombre de Siegfried, elle n'avait jamais eu l'impression d'être si petite. Impressionnant. C'est tout ce qu'elle avait trouvé à dire. Impressionnant. Bien sûr qu'il l'était, bien sûr qu'il le savait. Impressionnant.

« Autrefois, Vanaheim baignait dans une lumière perpétuelle et ne se cachait pas dans l'obscurité, déclara Loki sans quitter le littoral des yeux. Les Vanes exhibaient leurs trésors sans crainte et se réjouissaient de la venue d'étrangers avec qui ils partageaient leurs connaissances et échangeaient leurs richesses.

— Freyr ne vous en voudra pas d'avoir dupé sa sentinelle ? demanda Sygn.

— Ne vous en faites pas ainsi pour moi, répondit-il en grimaçant un sourire.

— Je ne m'en fais pas pour vous.

— Freyr m'adore.

— Si vous le dîtes.

— En vérité, c'est de sa sœur, dont je me méfie. Freya sera une chienne de garde bien plus redoutable que ce kraken borgne. »

 

Peut-être que la rencontre prochaine de la déesse ne s'annonçait pas si aisée, tout compte fait. Peut-être n'était-elle pas seulement l'idiote aimante, superficielle et naïve que toutes les histoires présentaient. Cela importait peu à Lokten qui n'avait d'yeux que pour le ballet des étoiles. Jamais il n'en avait observé de telles. A Nidavellir, les constellations disparaissaient derrière les fumées des cheminées ; mais ici, elles se dévoilaient, flottant sur un voile de brume. Pour les approcher davantage, il escalada la figure de proue et retrouva son poste au sommet de la tête sculptée. Depuis l'ouverture du plafond de sa cellule, la lumière du jour n'avait cessé de l'éblouir. En revanche, celle, douce et délicate, de la nuit le séduisait. Lokten aimait pouvoir la contempler sans avoir à quitter les ténèbres. Et bien qu'il se sût incapable d'attraper l'une de ces fées, il tendit la main vers le ciel, espérant y recueillir un peu de leur scintillante poussière.

« Celui-la ne ferait pas long feu devant les charmes de la Belle, grinça Loki.

— Est-ce vrai ? lança Sygn avec un peu plus de légèreté. Que tous les dieux et toutes les déesses sont au moins une fois tombés sous le charme de Freya ?

— Si ce n'est pas la vérité, ça ne doit pas en être très éloigné.

— Mais pas vous.

— Pas moi, en effet.

— Pourquoi ça ?

— Trop dangereux.

— Alors, elle vous effraie vraiment.

— J’ai vu ce que certains hommes et certaines femmes ont fait  par obsession pour elle. Vous l'avez vu avec Solveig. Ce n'est pas moi qui aie noirci son cœur mais le seul souvenir de Freya ne peut pas clamer la même innocence avec certitude. Je pense… J’ai connu suffisamment de prison pour m’éviter celle-ci. Lorsque nous arriverons, prenez garde à elle. Je suis sérieux, Sygn. Freya est une véritable sirène. Une sorcière, telle que Vanaheim en a peu connu. En cela, elle n'est pas très différente de sa sœur d'âme. »

L'approche des côtes plongeait Loki dans une singulière humeur. L'air faussement distrait, il se massait les poignets, marqués dans leur chair par le poids des chaînes.

Qui est sa sœur d'âme ? Sygn était-elle sur le point de lui demander. La réponse était évidente. Les ongles de Loki perçaient le bois. Alors se contenta-t-elle de déposer, sur ses phalanges blanchies, une main hésitante.

« Hante-t-elle toujours vos rêves ?

Loki ne répondit rien d'audible. L'évidence suffisait.

« J'en suis navrée.

— Ne le soyez pas. Ce fardeau n'est pas le vôtre.

« Je pensais au collier, confessa la sorcière.

— Je vous écoute.

— Savez-vous le souvenir que Freya a de Solveig ?

— J'ignore même si elle en a.

— Mais si elle l'a oubliée...

— Elle lui reviendra à l'esprit, assura Loki. Où vouliez-vous en venir ?

— Je me disais que... que ce n'est peut-être pas la meilleure chose à faire que de jouer avec les sentiments de la déesse. Le collier. Ne le lui offrez pas. Jetez-le quelque part. Ne lui rappelez pas un souvenir qui pourrait lui devenir douloureux.

— Le cœur de cette vieillarde est la dernière chose qu'il nous faut manipuler pour atteindre Freyr. Ça n'est pas difficile quand on sait sur quelle corde tirer.

— Ne pourrions-nous pas y parvenir avec des moyens plus... plus honnêtes ? Ne saurait-elle pas entendre notre cause ?

— Si votre premier souhait était l'honnêteté, il aurait fallu y penser à deux fois avant de faire route avec moi, railla Loki.

— Je n'ai pas eu vraiment le choix.

— Est-ce si pesant ?

— Nous nous exposons à la colère de la déesse.

— Non, pas nous. Moi, seulement. »

 

L'Aube de Vanaheim se souvenait des feux de la guerre. Ceux déclenchés par les agresseurs et ceux des bûchers funéraires. L'aube était rouge comme la braise encore vive, son soleil doré comme la flamme et ses nuages mouchetés par la cendre qui remplaçait le sable des plages.

Le Skidbladnir jeta l'ancre au pied d'une falaise aux parois ciselées. Autrefois, là où les autres continents hissaient des remparts de sable, de terre ou de roche pour repousser ceux venus des mers, les Vanes avaient façonné un escalier, une route guidant les voyageurs vers leur royaume. Un premier accueil, un signe de bienvenue pour les marins, les marchands, les aventuriers épuisés. Des siècles s'étaient écoulés depuis le dernier pied posé sur l'une de ces marches. La guerre avait tout vicié. Sa marque était partout. Désormais, l'escalier de la falaise ressemblait à un piège. En bas, s'agglutinaient les statues aux membres brisés. La douleur, emprisonnée dans leurs visages de pierres. Au travers de leurs yeux écarquillés, Sygn ressentait la détresse de leurs cœurs, elle entendait l'écho de leurs appels ; une mère cherchant son fils parmi les cadavres, un frère hurlant le nom d'une sœur, et derrière eux, une horde de monstres en armure. Ils s'étaient précipités, convaincus d'être sauvé par la mer. L'esprit de Sygn grouillait de souvenirs qui n'étaient pas le siens et qui flottaient, invisibles spectres, attendant d'être consolés.

Loki lui pressa l'épaule. Ne vous attardez pas ici. Aucun oiseau ne se chamaillait sur la plage, aucun crabe, aucune vie, que la couleur de charbon soumis à celle, ardente, du ciel. Seuls des coquillages vides témoignaient d'une vie, jadis, en ces lieux.

Par-delà les escaliers, les plaines étaient des déserts, jonchés d'étoffes déchirées, d'objets abandonnés à la hâte, d'ossements dépouillés de chairs. Un champ de bataille sur lequel aucun soldat n'avait péri. Seulement des hommes, des femmes, des enfants, des bêtes dont le seul vice avait été de susciter la jalousie d'un dieu abject. Les maisons calcinées ne furent jamais rebâties et celles qui avaient échappé aux massacres se laissaient choir. On n'entendit plus ni rires ni musiques. On ne vit plus les artifices des Vanes égayer l'obscurité, les soirs de fêtes.

La nature, à jamais meurtrie, avait longuement dépéri. Son agonie s’était étirée sur des décennies. Ce furent d'abord les animaux, ceux, qui volaient, ceux qui grouillaient, ceux qui nageaient, qui courraient. Plus de chants, de brames, de sifflements, de hululements, le jour et la nuit se confondaient dans leur silence endeuillé. Les herbes qui ne reverdirent pas. Les arbres ne firent plus de bourgeons. Plus de fruits. Plus de feuilles. Les arbres dont la sève sécha, dont l'écorce s'étiola et qui, lorsqu'ils finirent par rompre, ne laissèrent qu'une souche pourrie. Leurs descendances gisaient dans les feuilles mortes aux côtés d'oisillons tombés des nids. Les ruisseaux débordant de poissons marbraient désormais les sols comme des veines nécrosées sous une peau blême. La mort avait empoisonné la terre et son odeur putride émanait de tout ce qui avait autrefois vécu. Un vaste marécage stagnant recouvrait ce qui ne savait, jadis, tenir en place.

Odin avait fait tout cela.

Son spectre, dressé d'un casque pointu, annoncé par d'imposante bannière hantait tous les esprits en suspension. Sygn avançait malgré le vertige de toutes les visions entrechoquées. Les hurlements. Le sang qui souillait les mains des survivants et qui incrustait leur peau. La peine ancienne se fondait dans la terre mais une plus récente, plus vive et plus cruelle s'ouvrit.

 

Freya et Freyr devaient en avoir eu le cœur brisé. Loki avait encore à l'esprit les longues nuits passées en la compagnie de son amant, durant lesquelles il narrait les milles beautés de son royaume, fussent-elles l'œuvre des hasards ou des sortilèges de quelques courtisanes. Le chant des cascades et les conversations insouciantes de ceux qui se baignaient en contrebas, la détente des corps, le parfum des fruits dans les arbres et des confitures mijotées dans les cuisines, la douceur du soleil qui avait teinté sa peau, la caresse de la rivière que Freyr cherchait dans les cheveux de son galant. Il avait juré retrouver ses terres et d'y revoir pousser les blés. Asgard était si morne, même les trésors les plus somptueux ne le persuadaient du contraire.

Il avait dû être dévasté, en revenant ici.

« Pensez-vous que les Vanes soient encore ici ? »

Cette dévastation perturbait Loki, bien plus qu'il ne s'y serait attendu. Les mots de Freyr avaient décrit un paradis, ses caresses lui avaient donné une consistance. Il avait dû croire en une force primale, une invisible déesse qui aurait veillé sur ses enfants, sur les cultures, les forêts, les plaines et les rivières en son absence. Qui aurait balayé la cendre et nettoyé le sang dans l'eau. Qui aurait consolé les maux et repeuplé les cités et les villages. Aucun relai n'était venu. Tout était mort le jour où il était parti.

« Loki... et si ce n'était pas un bon endroit pour...

— Les Vanes sont encore ici. Si ce n'est pas l'espoir qui les garde sur ces terres, le deuil les occupera encore des années. C'est un endroit pour naître et renaître, disait Freyr. C'est un bon endroit. Vous verrez. Vanaheim a laissé ses côtes mourir pour que son cœur subsiste. J'en suis certain.

— Le Palais de Freya, n'est-ce pas ? Vous n'en démordez pas.

— Ne traînons pas. »

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