Chapitre 54 - Capitulation

Dans la citadelle Asage.

Il ne s’était passé que quelques minutes pendant lesquelles le temps s’était arrêté entre Manon et Vikthor, pourtant on aurait juré que tout s’était éternisé. Elle n’avait rien eu à dire, rien eu à faire pour que le ténébreux Élu pose finalement un genou à terre sans jamais la lâcher du regard.

_ Je capitule, finit par dire Vikthor en passant ses mains derrière la tête.

Il ne fallut que quelques secondes aux miliciens pour l’enchainer plus que de raison. À aucun moment, il ne protesta. C’était comme s'il avait su lire en elle. Il avait compris qu’il fallait qu’il abdique pour son bien à elle. On traina alors Arthur à l’arrière de la citadelle en l’amenant dans la tour. Les jambes cassées, il ne pouvait plus rien faire.

_ Ne lui faites pas plus de mal, je vous en supplie ! cria Manon en sortant de sa torpeur.

_ Pfff, lui répondit simplement son frère ainé comme s’il lui en voulait à mort.

Toutefois, trainé tel un sac à patates dans les escaliers, il comprit vite le désarroi de sa sœur. Garnel l’attendait en haut et à ses pieds Solenne avait l’air mal en point. Arthur n’eut pas le temps de s’inquiéter qu’on s’activât à la faire descendre.

_ Solenne !  C’était donc pour ça… sanglota Arthur.

_ Amenez-la à Vikthor comme promis et faites rentrer Manon dans sa chambre, ordonna Garnel.

_ Loris, veille sur celui-ci. Tu ne l’amoches pas plus !  On va trouver un moyen de l’immobiliser autrement qu’en le laissant ainsi, ordonna le ministre avant de descendre les escaliers à son tour.

Au pas de course, l’ainé Asage dévala l’escalier. Il avait donné l’ordre de faire rentrer Manon avant que sa sœur soit soignée, mais personne n’arrivait à la déloger de l’estrade où elle se tenait face à Vikthor. Garnel du se mettre entre les deux pour interrompre leur échange de regards. Ils étaient comme hypnotisé l’un par l’autre.

_ Manon, si vous voulez que Solenne s’en remette, il va falloir rentrer, argumenta Garnel.

L’adolescente acquiesça, comme si le prénom de sa sœur lui avait servi d’électrochoc. Libérée du regard pénétrant de l’Élu des rouges, elle avait repris ses esprits et suivit sagement les miliciens jusqu’à sa cellule.

_ À vous de jouer, soignez-la en bon chevalier-servant que vous êtes ! pesta jalousement Garnel.

_ Amenez-la-moi, lui répondit simplement Vikthor.

Les miliciennes qui la portaient s’exécutèrent alors pour déposer le corps presque sans vie de la jeune blonde. Les mains chaudes du jeune homme s’agitèrent alors avec précision au-dessus de son corps. Il répara chaque organe qui avait été endommagé. Il n’avait jamais vu ça, c’était comme si son corps avait lâché petit à petit. 

_ Qui lui a fait ça ? Que lui avez-vous fait ! s’offusqua le physé en achevant la guérison.

_ C’est lui, c’est Garnel… bredouilla Solenne qui reprenait ses esprits.

_ Je ne comprends pas, s’insurgea Vikthor.

_ Emmenez-le dans l’ancienne chambre de Solenne, ordonna Garnel.

_ Et pour Arthur ? Vous ne pouvez pas le laisser ainsi !

_ Arthur ? s’inquiéta Solenne.

_ Vous le guérirez quand nous aurons trouvé de quoi immobiliser ses jambes. Il restera, avec ses sœurs, ma garantie de votre coopération, lui expliqua Garnel.

Vikthor fut alors ramené dans l’ancienne chambre de Solenne. Trainé comme déchet, on ne l’avait pas ménagé. Peu lui importait, chacune des entailles, chacun des bleus qu’on lui avait causés disparaissait aussi vite.

_ On viendra vous chercher quand on aura besoin de vous. Les repas et les douches sont pris à heures fixes, en attendant, vous avez juste à patienter que votre heure vienne, expédia un milicien avant de refermer la porte de la cellule.

Les pieds et poings liés, Vikthor découvrait la petite chambre blanche et l’unique lit qui occupait l’espace. Le néon qui clignotait sans cesse lui donnait une bonne idée de ce qu’avaient enduré les filles jusque-là. À peine rentré, il examinait déjà toutes les possibilités qui s’offraient à lui pour s’évader. Rien ne lui apparut à l’esprit, à part une petite voix derrière le mur.

_ Elle est vivante, tu as pu la soigner ? chuchota Manon.

_ Il s’en est fallu de peu, mais elle est sauvée, lui répondit Vikthor dans son telsman.

_ Merci… Souffla Manon.

_ J’aurais préféré lui offrir la liberté pour son anniversaire, à la place d’une guérison, mais comment ça lui est arrivé ? se renseigna Vikthor en se collant contre le mur comme si ça allait l’aider à s’approcher d’elle.

_ Garnel n’est pas un humain. C’est un physé, mais contrairement à toi, il a le pouvoir de contaminer les gens, de les tuer par un simple geste de la main. C’est ce qu’il a fait à Sonfà…

_ C’est incompréhensible qu’un tel pouvoir puisse exister, commenta l’Élu en plaquant ses mains sur le mur qui les séparait.

_ Je crois que c’est une sorte de malédiction, continua Manon en se collant au mur à son tour comme si elle pouvait atteindre Vikthor elle aussi.

_ Une malédiction dis-tu ? Tu n’es pas la première à me parler de ce genre de destin funeste.

Si la future Élue des Kalokas et l’Élu des physés apprenaient à se connaitre gentiment et qu’Arthur retrouvait enfin sa sœur adoptive, d’autres en profitaient pour se chamailler. Les deux frères Asage n’étaient plus sur la même longueur d’onde. Ils ne se comprenaient plus.

_ Tu te rends compte qu’on est passé à deux doigts de la catastrophe ! s’emporta Loris.

_ Au final, tout s’est bien terminé, le rassura Garnel.

_ Je n’en suis pas certain, contrairement à toi. On ne devrait pas garder Manon plus longtemps. Elle a été enlevée pour te servir et mourir, rien de plus. Maintenant, tu ramasses tous les chats errants en plus. Arthur et Solenne ne nous servent à rien !

_ Solenne, c’est de ta faute si elle est là ! Comme le fait que leur mère a failli y laisser la vie ! Ne me remet pas tout sur le dos, car ça non plus ce n’était pas ce qu’on avait dit ! pesta Garnel.

_ Et Arthur ?

_ Il me sert à contrôler Vikthor également. Tu crois que je le laisse apprendre à connaitre Manon pour rien aussi ? Je n'en retire aucun plaisir de le voir la convoiter ainsi, mais plus il l’appréciera, plus il sera docile !  Tu te crois mieux que moi, pourtant toi aussi tu n’as pas tenu ta part du marché, gronda Garnel en pointant du doigt son cadet.

_ De quoi parles-tu ? J’ai fait tout ce que tu m’as demandé !

_ Ah oui ? Et où est Gaultier Kajut dans ce cas ? Il s’est mystérieusement volatilisé ! Son peuple est abandonné de tous et peine à faire travailler les mines et les forges ! On a besoin des réserves de sa région ! Sans parler de Bénédit Karmir ou de la sœur de Vikthor, là encore pouffe, ils ont disparu sauf que cette fois c’est avec près de la moitié de la ville de Mÿrre !

_ Nous allons les retrouver en nous servant de Vikthor, je te le promets ce n’est qu’un contre temps, se radoucit Loris.

_ Un contre temps ? Mais comment peux-tu avoir semé dans la nature des centaines de personnes… Il en est pareil pour Tomàs. Le Yeghe qu’il ne fallait surtout pas perdre, lui aussi tu ne le retrouves pas ! rajouta Garnel.

_ Si vous n’aviez pas laissé Manon agir, elle n’aurait pas pu l’aider à s’enfuir et on n’en serait pas là ! le coupa Loris

À ses mots, Garnel fit voler sa paume gantée jusqu’à la joue de son frère. La claque raisonna dans la salle du trône, mais Loris ne bougea pas. Son frère n’avait jamais levé la main sur lui, au contraire de leur père. La trace rouge qui resta sur la joue de Loris était un avertissement.

_ Ne t’avise plus jamais de me manquer de respect ! tonna Garnel.

_ Bien, ce sera tout dans ce cas ?

_ Vous en êtes où des arrestations des argentés ? La plupart se trouvent dans notre région, pourquoi il n’y a pas plus de convois que cela ?

_ Eux aussi semblent bien cachés finalement, mais on va les trouver, acheva Loris en tournant les talons.

L’attaque des deux amis avait au moins servi à mettre à mal la relation des frères Asage. Quand d’autres se rassemblaient pour survivre, d’autres s’éloignaient petit à petit. Les frères Asage ne pouvaient pas toujours gagner sans y laisser des plumes. Comme l’avait prédit Namon, Manon allait beaucoup souffrir avant de pouvoir se venger de Garnel, mais plus elle grandirait, plus elle gagnerait sur lui.