— Algaesias ?
— Laisse-le, il est en pleine transe.
— Tu crois qu’il le saurait si je lui dessine un truc sur la joue ?
Le Sicario s’approcha du Yagus suffisamment prêt pour sentir son souffle. Ses paupières restaient closes, mais ses lèvres se mouvaient, sans prononcer un mot. Le nez pointu d’Algaesias touchait quasiment le sien. Sa mâchoire carrée jurait avec ses traits fins. L’un des côtés de son visage portait la trace du prix à payer : écorché, brûlé, presque moisi même. Écrasés contre le dossier de pierre grise du trône, ses cheveux sombres glissaient sur sa nuque. Aussi inattendu que déconcertant, ses paupières se décollèrent, laissant apparaître ses pupilles : l’une scintillait d’un bleu océan et l’autre, s’abandonnait aux ténèbres. Surpris, Le Sicario se jeta en arrière, tombant et roulant jusqu’en bat des escaliers qui menaient au trône.
— Merde putain ! maugréa-t-il sous le rire incontrôlable de Niriel.
Son crâne, sans un seul cheveu pour amoindrir le choc, venait de s’éclater sur le sol, à l’endroit où Caelis décorait la carte du monde. Sa grande taille élancée, sa barbe parfaitement taillée, et ses yeux de fauves contrastaient avec sa maladresse et son indiscipline presque enfantine. La pièce, tout en cercle arborait des colonnes qui endossaient les emblèmes des Yagus, tout comme le dossier du trône qui montait à plusieurs mètres de haut. Les nombreuses vitres permettaient d’observer la cité d’Edenia et aussi loin que l’horizon le voulait.
— Sapias est avec Nevus, dans la cité des Elfes.
— On ne l’avait pas détruite ? s’étonna le Sicario.
— Eos leur a sans doute offert un nouveau foyer. Maudits Éternels.
— Métheùs l’a sûrement emmené passer la cérémonie des gardiens. Intervint Niriel.
Algaesias quitta son trône pour observer la cité à travers le mur de verre.
— S’il vient à Edenia, on a juste à l’attendre et quand il sera la.. BAM ON LE TUE !! gloussa le Sicario.
— Personne ne touche à un seul cheveu de Sapias.
— Quoi ? Mais..
— Niriel. Assure-toi que les gardes vérifient chaque marque de tous les Yagus essayant d’entrer dans la cité.
— Et si jamais ils trouvent ?
— Tu me préviens. Et tu le suis discrètement. Ils t’emmèneront directement chez les rebelles.
— Et..
— Tu les extermines. Aucun ne doit survivre. Mais, ne touche pas au jeune prince. Je le veux vivant.
Niriel se courba, la main droite sur le cœur, révélant un serpent en guise de marque. Puis elle posa ses doigts sur un des piliers, les briques se dispersèrent pour laisser entrevoir un escalier en colimaçon qui descendait.
— Niriel.
Elle se retourna.
— Penses-tu que ton fils saura faire le bon choix ?
Elle échangea un regard avec Algaesias. Le temps d’une légère analyse, pas pour réfléchir à la réponse, mais au sens de la question.
— Sapias n’est pas mon fils. Il est celui de Caelis. Peu m’importe son choix.
Elle entama sa descente, laissant les pierres reformer le pilier d’eux même. Soudain, une espèce de craquelure blanche apparut dans l’espace, en plein milieu de la salle. Elle s’ouvrit lentement, des mains agrippèrent le rebord pour s’y extraire. Un homme en sortie. Ou en tout cas, quelque chose d’humanoïde. Il était habillé d’une tunique rouge, serrée par une immense ceinture noire qui lui recouvrait presque l’abdomen. Sous sa capuche, on apercevait son visage orange à l’aspect rugueux, poreux, rocheux même. Malgré sa grande taille, Algaesias paraissait minuscule en face. Mais loin d’être déstabilisé par l’invité, il retourna simplement sur son trône, observant le nouvel arrivant avec intérêt tandis que le Sicario se cachait derrière.
— Gamu. Que me vaut cet honneur ?
— Ton comportement m’oblige à venir ici en personne.
Chaque mot qu’il prononçait provoquait un écho si puissant que la pièce en tremblait presque.
— Mon comportement ? Tu me surveilles ?
— Tu dois éliminer le jeune prince.
— Je ne le tuerais pas. Caelis le manipule comme elle m’a utilisé jadis. Tout comme moi, il n’a pas choisi cette vie !
Le ton d’Algaesias s’intensifiait. Il se rapprochait de l’éternel au rythme de ces mots, levant la tête, affrontant son regard sans peur. Puis il reprit d’une voix calme.
— Je veux qu’il puisse décider.
Gamu grogna, mécontent de ce qu’il entendait.
— Sapias deviendra plus puissant et il te tuera. Je me fous de ta misérable vie. Mais tu es le seul assez fou pour espérer abattre un éternel. Et je veux voir Caelis disparaitre.
— Si ma façon de faire te déplaît, alors élimine-le toi-même.
Il savait qu’un Éternel ne pouvait se permettre une telle chose.
— Une guerre entre Éternels est la dernière chose que tu souhaites, crois-moi.
Bien au contraire, pensa-t-il, ce serait le rêve absolu. Regarder ces abrutis s’anéantir entre eux. Ce serait l’extase. Mais ces fainéants ne bougeront jamais de leurs places divines. Ce devait être lui qui changerait les choses. Lui qui les détruirait.
— Pourquoi tu veux voir un des tiens mourir ?
Gamu agrippa l’air de ses deux mains, et l’écarta comme une feuille de papier pour ouvrir à nouveau le même passage qu’à son entrée.
— Si tu ne tues pas ce gamin, je trouverai un moyen de le faire moi-même. Je ne peux peut-être pas intervenir directement, mais quelqu’un s’en chargera.
— Sache que s’il meurt par ta faute, tu seras ma prochaine cible après Caelis. Peut-être même que je m’occuperais de toi avant.
L’éternel grogna. Cet être était différent des autres, il le savait. Mais s’adresser de cette façon à un éternel, sans trembler, sans hésitation, avec autant d’assurance faisait frissonner Gamu, aussi puissant et divin fût-il. Il écarta un peu plus son portail et y pénétra avant qu’il ne se referme sur lui-même. D’un geste violent, accompagné d’un hurlement, Algaesias serra son poing et l’élança vers l’avant. Un des piliers s’effondra et engendra un cri de surprise d’Elrim, le Sicario qui se cachait toujours derrière le trône.