Chapitre 62 - Sois mon complice

Dans la citadelle Agape.

L’enfant de décembre avait la faculté de trouver de la lumière dans les personnes les plus sombres. En discutant avec Garnel, Manon avait appris à le comprendre. Elle ne pouvait excuser toutes ses actions, mais elle voyait d’où c’était parti. Il avait raison, personne n’était tout noir, même pas lui. Son histoire l’avait touché, elle espérait que maintenant qu’il était au courant pour sa malédiction cela changerait les choses.

_ Comment as-tu réussi à convaincre Garnel de passer du temps avec moi ? se renseigna Andzrev en ouvrant la porte de la cellule.

_Je lui ai révélé que je savais que c’était mon oncle, avoua Manon par la pensée.

_Tu lui as dit ce que je vous ai montré ? s’inquiéta le vieux Kalokas.

_Non, j’ai fait passer ça pour un rêve de Solenne, le rassura l’adolescente.

_Manipulatrice, la cousine, la railla Andzrev à voix haute.

_J’ai appris du plus grand !

_Il se fait vieux, son cœur devient tendre et sa main tremblante, constata Andzrev en guidant Manon jusqu’à sa chambre.

_J’ai vu pour sa main gauche oui, qu’est-ce qu’il a ?

_Les miliciens disent qu’il a mal depuis votre altercation où tu as failli tuer Loris. Depuis, qu’il t'a touché déganté, il aurait des douleurs dans la main gauche. Un contact trop prolongé avec le portrait craché de la Déesse lui aurait brulé les ailes.

_Ils savaient tous pour le pouvoir de Garnel ? le questionna l’adolescente.

_La plupart oui et ils le vénèrent comme un Dieu pour ça. Le seul Sirélien unique, celui qui peut rééquilibrer les forces établies par Namon. Les autres, je dois leur effacer leur mémoire si Loris a un doute sur leur loyauté, expliqua-t-il en l’invitant à se poser dans sa chambre.

Cela faisait longtemps qu’elle n’était pas venue ici. Andzrev était de plus en plus mis à l’écart par Loris. Il ne l’avait jamais aimé, mais à présent, le chef des miliciens ne lui faisait plus confiance non plus. Au moins, ça laissait un peu de repos au Kalokas. S’il ne pouvait plus arpenter les couloirs avec son fauteuil roulant, il n’avait plus à côtoyer l’horrible Loris.

_Il m’aura fallu 30 ans pour découvrir ma vraie famille. Maintenant, tutoie-moi veux-tu ? s’enthousiasma Andzrev.

_D’accord. Tu souffleras quand tes 31 bougies ? voulut savoir Manon en s’asseyant sur le lit.

_En mai prochain.

_En parlant d’anniversaire, je vais avoir besoin de toi pour le mien.

_Je préfère te prévenir, je ne suis pas bon patissier, plaisanta le Kalokas.

_Moi, non plus, mais cela tombe bien j’aurais plus besoin de ton don de télépathie, lui sourit l’adolescente enthousiaste.

Elle avait besoin d’apprendre à se servir de son don. Elle ne pouvait pas compter sur celui d’Andzrev, car il était facilement manipulable par Loris et Garnel. En un claquement de doigts, son père pouvait activer son poison sur son fils et le rendre insoutenable.

_Tu veux réussir à rentrer dans la tête de Garnel, comprit Andzrev.

_Toi, tu ne le peux pas ?

_Toutes mes tentatives seront douloureuses. Je ne peux pas le faire sans m’en rendre malade. Puis mon père peut agir son mon corps à distance, quand il est énervé, je ressens sa haine s’immiscer dans mes veines. Il n’a pas besoin de se déganter avec moi, son poison est déjà dans mon sang et il réagit à ses ordres quand il est près de moi. Je peux agir sur Loris en revanche, avoua le télépathe.

_Je pense pouvoir résister à son don, précisa Manon.

_Oui, il se peut que tu arrives à lui tenir tête, si ce que disent les miliciens est vrai.

_Apprends-moi ! le supplia Manon.

_Nous allons essayer sur ces hommes. Tu ne dois pas lire que dans leurs pensées, tu dois leur donner une nouvelle idée ou chambouler leurs esprits, expliqua Andzrev.

Studieuse, Manon s’activa à prendre le contrôle des gardes devant la chambre de son ami. Elle l’avait déjà fait avec son frère, elle pouvait le faire avec eux après tout. Peu à peu, elle leur insuffla de petites actions.

_Très bien, bravo. C’est un bon début, commenta Andzrev. Maintenant, trouve un truc dans son esprit qui pourrait le faire venir jusqu’ici. Je peux utiliser un besoin qu’ils ont. Par exemple, je vois qu’il a faim et je lui mets en évidence ce fait pour qu’il aille où je veux. Je ne peux lui donner une nouvelle idée, mais je me sers de ses pensées et de tous ses souvenirs.

_Je n’ai pas besoin de m’y prendre ainsi. Je leur donne un ordre directement sans me servir de ce qu’ils veulent, ont besoin ou de leurs souvenirs immédiats ou lointains, précisa Manon.

_Tu veux dire que tu peux leur faire quelque chose qu’ils n’ont jamais pensé, voulu ?

_Oui, confirma la télépathe en faisant rentrer les deux miliciens dans la chambre pour qu’ils s’embrassent langoureusement devant Andzrev.

_Impensable. Je ne me base que sur leur ressenti, sur leur passé pour arriver à mes fins. Toi tu les manipules comme des pantins. Je peux mettre le désordre dans leurs pensées, leur faire oublier des choses, leur en faire imaginer d’autres, mais uniquement à partir de leur vécu. Je ne peux pas leur inventer quelque chose, contrairement à toi.

_Déshabillez-vous, ordonna Manon dans la tête des miliciens tandis qu’elle pouffait de rire.

_Hilarant, mais arrêtes avant qu’on se fasse prendre, la coupa le vieux Kalokas. Peux-tu leur faire oublier tout ça ?

_Je peux essayer, acquiesça Manon.

Sous les yeux ahuris d’Andzrev Manon s’activa à faire oublier aux deux miliciens cette petite parenthèse.  Elle ferma les yeux et s’employa à défaire les souvenirs qu’elle venait de créer. Elle était douée, peut-être trop.

_Mince, souffla Manon en ouvrant les yeux face aux deux miliciens hagards.

_Tu as effacé toute leur mémoire, constata Andzrev impressionné.

_On va se faire prendre s’ils ne redeviennent pas normaux, s’inquiéta Manon.

_Nouvel exercice. Ils font partie de ma garde rapprochée récurrente, je vais te dire ce que je sais sur eux. À toi, d’essayer de réintégrer ses souvenirs. Je vais t’aider en les diffusant autour de nous, la rassura Andzrev.

Manon vit alors leurs vies de célibataires endurcies, dévouées à la cause de Garnel et de Loris. Heureusement, ils étaient peu complexes et donc faciles à cerner. Manon s’employa à retisser ce qu’elle avait défait. Une par une, elle replaça les scènes, leurs passés qu’Andzrev lui diffusait autour d’elle.

_Ils s’en tireront avec quelques trous de mémoire, mais l’essentiel y est, je crois, déclara Manon.

_Tu n’as pas besoin de moi pour t’aider Manon. Tu dois juste prendre confiance en toi, ton père a brimé ton don parce qu’il en avait peur. Ses verrous ont sauté, tu as retrouvé tes pleines capacités maintenant. Tu dois juste apprendre à agir sous la pression, dans la précipitation et tu pourras t’en servir contre Garnel.

_M’en servir ici, ce n’est pas la même chose que sur le champ de bataille, acquiesça la télépathe soucieuse.

_Entraine-toi chaque jour sur les miliciens, de plus en plus. Tu devras le faire alors que tu es occupé à faire autre chose comme déjeuner ou te doucher. On ne doit pas voir que tu fais deux choses en même temps. Tu dois pouvoir manipuler sans être vu des autres, comme pour le Yeghe, reprit Andzrev.

J’étais en pleine possession de mes moyens à ce moment- là, songea Manon en pensant secrètement à la Sélénite.

_Aie confiance en toi. Tu es unique, tu as été choisi pour ça. Je ne sais pas si le moment est venu, mais je sais qu’un jour tu détruiras les frères Agape, surenchérit Andzrev.

_Comment peux-tu en être si sur ?

_Parfois quand je te vois, je vois la déesse dans ton sillage. Elle est là, dans ton ombre, dans ton aura. Elle te suit, je peux la sentir et l’entendre. Quand je t’ai vu dans ton petit village, j’ai su que je devais aider mon père à t’enlever comme il me l’avait demandé. C’était un mal pour un bien, un besoin nécessaire pour que tu deviennes celle qu’on attend. Je le sais et toi aussi au fond, déclara Andzrev.

_Très bien, je vais m’entrainer. Maintenant, je dois te partager des souvenirs de Vikthor, reprit Manon.

_Vous avez prévu de vous échapper et tu veux que je t’aide ?

_Oui, mais tu viendras avec nous. Namon m’a dit de te faire confiance quand je lui ai fait face. Alors, voici notre plan.

Manon lui expliqua l’idée de Vikthor d’attendre son anniversaire pour redemander une réunion de famille. Une fois qu’ils seraient tous les cinq, elle libèrerait tout le monde à l’aide de sa télékinésie puis elle occuperait, avec Andzrev, les miliciens pendant que Vikthor soignerait Arthur. Une fois Arthur de nouveau sur pieds, ils s’activeront à s’enfuir. Andzrev devait les guider jusqu’à la sortie la plus proche.

_Toi et moi, nous empêcherons les miliciens de sonner l’alerte, expliqua Manon.

_Vous voulez atteindre la forêt sans passer par la grande porte ? interpréta le télépathe.

_Oui, tu as une idée ? Arthur et Vikthor se chargeront silencieusement des miliciens s’ils sont trop nombreux et je dois empêcher Garnel de se douter de quoi que ce soit. Je dois lui faire penser à autre chose, je verrais.

_Les cuisines ont accès à une cour. Elle débouche sur l’arrière de la forêt, mais je ne vois pas comment vous allez me faire gravir la montagne avec mon fauteuil roulant.

_On s’engouffre dans les bois et on se dirige vers une bouche d’évacuation des eaux. Il ne doit juste pas pleuvoir sinon nous tenterons de passer par le manoir. Dans ce cas, nous ne pourrons pas nous échapper sans que Garnel l’apprenne, mais nous défoulerons nos dons jusqu’à la sortie, continua Manon.

_Espérons qu’il fasse beau, opina Andzrev.

_La ville est construite sur des milliers de souterrains, que ce soit à la sortie de la forêt ou à celle du manoir où ils sont plus larges, nous arriverons à nous engouffrer dedans. Il faudra abandonner ton fauteuil, mais Arthur te prendra sur ses épaules, conclut Manon.

Le plan reposait beaucoup sur Manon, mais il n’était pas infaisable. Après tout, Arthur et Vikthor avaient presque réussi à lui venir en aide. La citadelle Asage n’était peut-être pas si imprenable que ça quand on ne la sous-estimait pas. Andzrev approuva le plan. Il était touché que Manon le sollicite et veuille l’emmener avec elle. Après tout, il n’avait pas toujours été du bon côté de la barrière.

_Manon, je t’aiderais à réparer les erreurs de mon père et à rassembler humains et siréliens, lui promit le télépathe en la raccompagnant à sa cellule.

_Sans oublier les Nouveaux Enfants, ajouta Manon.

_Oh oui, mais j’ai déjà bon espoir pour eux, déclara mystérieusement Andzrev avant de la laisser.