Chapitre 7 : Le secret du père
Le vent soufflait avec force sur les cimes, faisant onduler les hautes herbes au bord de la falaise. Eron fixait l’horizon, mais son esprit restait fixé sur une seule image : ce bras.
Pâle, presque translucide sous la lumière filtrée de la forêt. Les veines sombres couraient sous la peau comme des rivières de ténèbres. Les doigts, griffus, figés dans un dernier spasme. Un membre abandonné, rejeté comme un reste de gibier insignifiant.
Il sentit un frisson lui parcourir l’échine.
Ce n’était pas un simple animal.
Ce bras appartenait à quelqu’un.
Il le savait.
Mais son père lui interdisait de poser la moindre question.
Les arbres noirs se dressaient autour de lui, silhouettes tordues par le vent nocturne. Le feu de camp crépitait à quelques mètres, projetant des ombres dansantes sur la terre sèche. L’odeur de viande grillée se mêlait à celle de la fumée et de la résine.
Eron était assis, immobile, les yeux rivés sur les flammes, perdu dans ses pensées. Son cœur battait plus fort que d’habitude. Il ne savait pas si c’était à cause du froid, de la fatigue… ou de la peur.
— Eron !
La voix rocailleuse de Garrick le ramena brutalement à la réalité.
Son père le fixait, un morceau de viande embroché sur un bâton à la main. Son visage était partiellement éclairé par les flammes, mais ses yeux restaient deux ombres insondables.
— Tu comptes rêvasser toute la nuit ? Viens manger.
Eron hésita. Il n’avait pas faim. L’image du bras sectionné hantait encore son esprit. Mais il se leva et s’approcha du feu, acceptant la nourriture d’un geste mécanique. Il mordit dans la chair brûlante, mais le goût n’avait rien de savoureux. Juste un mélange fade de suie et de cendres.
Son père mangeait en silence.
Le silence entre eux n’avait jamais été pesant avant. Pourtant, ce soir, il était presque insupportable.
Eron baissa les yeux sur la lame posée entre eux, son fil usé reflétant les lueurs orangées du feu. Son père l’avait aiguisée ce matin, avant leur chasse. Cette chasse qu’il ne comprenait plus.
Finalement, il brisa le silence.
— Père… pourquoi on les chasse ?
Il vit Garrick s’arrêter net.
— Qui ça ?
— Les… anomalies.
Son père poussa un soupir, baissant lentement son morceau de viande.
— Qui t’a parlé de ça ?
— Toi, répondit-il sans détour. Et j’ai vu… j’ai vu ce qu’on a laissé derrière nous aujourd’hui. Ce n’était pas un animal.
Il scrutait Garrick, espérant voir une once d’hésitation, un éclat d’honnêteté. Mais son père resta impassible, les traits figés comme une statue de pierre.
Un silence.
Puis un grognement.
— Tu poses trop de questions, Eron.
L’adolescent sentit une chaleur naître dans sa poitrine, non pas du feu qui brûlait devant lui, mais de cette colère sourde qui montait en lui.
— Tu m’as toujours appris à comprendre ce que je chasse, reprit-il en serrant les poings. Mais cette fois, tu me caches la vérité.
Son père le fixa enfin.
Son regard était dur, pesant. Comme un avertissement silencieux.
— Mange, lâcha-t-il enfin.
Eron sentit ses muscles se tendre. Il ne voulait pas lâcher l’affaire.
— Dis-moi au moins si tu fais ça depuis longtemps.
Le feu crépita doucement, projetant des ombres mouvantes sur le visage buriné de son père.
Puis, sans détourner les yeux, Garrick répondit d’une voix rauque :
— Depuis avant ta naissance.
Le cœur d’Eron rata un battement.
Il baissa lentement son morceau de viande, le regard vide.
Tout ce qu’il avait toujours connu… était fondé sur un mensonge.
— Alors c’est ça, notre métier ? Tu n’es pas un simple chasseur. Tu es un tueur.
Il s’attendait à une réaction vive, une insulte, un avertissement. Mais Garrick ne broncha pas. Il continua à le regarder avec ce même regard impassible, ce même masque de dureté.
— Ne parle pas de ce que tu ne comprends pas, finit-il par dire.
Un silence.
Eron sentit sa gorge se serrer.
— Alors explique-moi.
Mais Garrick ne répondit pas. Il écrasa simplement son morceau de viande dans la terre, se leva brusquement et s’éloigna du feu.
— J'ai chassé ces créatures toute ma vie durant, et j'ai toujours réussi à les avoir. La seule que je n'ai pas réussi a attrapé c'était il y a quelque jours, dans la forêt, une gamine est venue la rescousse de l'Anomalie. Maintenant va dormir.
Son ton était froid. Définitif.
Il disparut dans l’obscurité, le laissant seul avec ses pensées.
Eron resta un moment immobile, les flammes crépitant doucement devant lui. Son estomac se tordait d’un mélange de dégoût et d’incompréhension.
Son père cachait quelque chose. Quelque chose d’important.
Il fixa la nuit noire, un frisson glacé parcourant son dos.
Et il était bien décidé à découvrir quoi.
Sinon, toujours un très beau chapitre, rien à redire !