Chapitre 8 : L'épreuve du sang

Chapitre 8 : L'épreuve du sang

Le froid mordait la peau d’Eron alors qu’il avançait à travers les sous-bois, suivant son père et les autres braconniers. L’aube était encore loin, et seul le souffle du vent dans les branches rompait le silence de la forêt. La nuit était glaciale, figée, comme si même la nature retenait son souffle face à ce qu’ils s’apprêtaient à faire.

Garrick marchait d’un pas rapide, sans un mot. Depuis leur départ du camp, il ne lui avait pas une seule fois expliqué où ils allaient. Les autres hommes, silencieux et taciturnes, se contentaient de le suivre. Leur présence était oppressante, presque aussi pesante que la brume qui rampait entre les arbres, effleurant leurs bottes.

Eron serra les poings, crispé. Il avait appris à ne pas poser de questions. Pas tant que son père ne lui donnait pas la permission de parler. Il savait ce qui lui arriverait s’il le faisait. L’autorité de Garrick ne souffrait d’aucune contestation. Ses silences étaient des ordres. Son regard suffisait à faire plier n’importe lequel des hommes qui marchaient avec eux ce soir-là.

Après plusieurs minutes, ils atteignirent une vieille cabane à moitié dissimulée sous les ronces et les troncs morts. Son toit s’affaissait d’un côté, et des planches brisées laissaient deviner l’intérieur sombre et moisi. Tout autour, la végétation semblait l’avoir lentement avalée, comme si elle cherchait à faire disparaître son existence.

Garrick fit signe aux autres hommes de rester en arrière, puis il ouvrit la porte d’un geste brusque.

Une odeur fétide s’en échappa aussitôt, un mélange de sueur, de sang séché et de bois pourri. Eron eut un haut-le-cœur, une nausée soudaine qui lui noua la gorge. L’air était épais, lourd d’un relent de mort et d’abandon.

Il hésita avant d’entrer, mais son père posa une main ferme sur son épaule et l’y poussa. L’adolescent trébucha légèrement en passant le seuil, ses bottes raclant le sol de terre battue.

Dans l’ombre, quelque chose bougea.

Un enfant.

Il était recroquevillé contre un poteau, ses poignets enchaînés, son torse marqué par des écailles ternes et maladives. Son souffle était court, sifflant, chaque inspiration semblant être un effort douloureux. Son corps maigre tremblait sous la crasse et le sang séché.

Eron sentit son estomac se nouer, un frisson glacé remontant le long de son échine. Il aurait pu avoir son âge. Peut-être un an de plus, peut-être un de moins. Ce n’était pas une créature féroce, ni un monstre aux crocs acérés. Juste un garçon mourant, à la peau recouverte de plaques écailleuses qui trahissaient son sang hybride.

L’enfant releva difficilement la tête, ses yeux reptiliens d’un jaune délavé se posant sur lui. Il ouvrit la bouche comme pour parler, mais seul un râle rauque en sortit, une tentative d’appel à l’aide qui s’évanouit aussitôt dans l’air glacial.

Garrick s’approcha lentement et s’accroupit devant lui.

— C’est une anomalie malade. Il n’a aucune valeur.

L’enfant frissonna, sans comprendre les mots, mais son regard brillait d’une lueur instinctive, animale. Il savait. Il savait que ces hommes n’étaient pas là pour l’aider.

— Achève-le.

Les mots tombèrent comme une sentence irrévocable.

Eron sentit un frisson parcourir son échine lorsque son père lui tendit le couteau.

Le poids de la lame dans sa main était étrangement lourd. Trop lourd.

Il voulait détourner les yeux, refuser. Il voulait dire que ce n’était pas juste. Que ce n’était pas un monstre, juste un enfant, un garçon mourant qui n’avait même plus la force de fuir.

Mais le regard froid de Garrick le maintenait en place.

— C’est un monstre, pas un enfant. La voix de son père était tranchante, implacable. Fais ce qui doit être fait.

L’enfant haletait. Il tenta de bouger, mais ses forces le trahissaient.

Eron avala sa salive, son cœur battant à un rythme douloureux. Il pensa à ce qu’il avait vu la veille, au bras d’une autre anomalie aperçu à travers les branches. À cette étrange vision qui l’avait hanté toute la nuit. Des créatures qui ressemblaient à des humains, mais qui n’en étaient pas vraiment.

Son père avait raison.

Il raffermit sa prise sur le manche du couteau.

L’enfant ne luttait pas. Il n’en avait plus la force.

Eron plongea la lame dans sa poitrine.

Le corps de l’anomalie se tendit un instant, ses yeux s’écarquillant sous la douleur, puis il s’affaissa lentement, le souffle s’éteignant en un dernier râle.

Le silence retomba dans la cabane.

Un silence insupportable, écrasant, où seul le goutte-à-goutte du sang sur le sol brisait le mutisme des lieux.

Eron fixait le rouge sombre qui s’étalait lentement sur la terre battue. La lame de son couteau tremblait dans sa main.

Il sentit une main se poser sur son épaule.

— Bien.

Garrick ne souriait pas, mais Eron vit dans son regard cette lueur d’approbation qu’il cherchait depuis toujours.

Son estomac se tordit.

Il venait de devenir un chasseur.

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Reglisse000
Posté le 09/03/2025
Oh non ! C'est tellement triste pour Eron ! Franchement, j'adore comme tu as décrit, j'ai parfaitement vu la scène, bien que tu n'y as pas mis énormément de détail ( ce n'est pas une critique, j'ai beaucoup aimé cela )
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