Plus qu’une heure avant le couvre-feu, et pourtant, Lya balayait toujours les marches de l’arène. La fatigue lui pesait lourdement sur les épaules, chaque mouvement lui arrachait une grimace, et la peau de ses mains, rougie et irritée, semblait vouloir fusionner avec le manche du balai.
-Besoin d’aide, peut-être ?
La jeune femme sursauta et releva la tête brusquement. Avait-elle commencé à halluciner à force de répéter inlassablement la même tâche ? Ou bien était-ce simplement son esprit qui lui jouait des tours ?
-Je crois que le dragon a fini par lui voler son âme !
Elle plissa les yeux pour distinguer, à travers l’obscurité naissante, deux silhouettes s’approchant d’elle. Lorsqu’elles émergèrent enfin des ombres du crépuscule, son cœur se serra de reconnaissance. C’étaient ses coéquipiers.
-Qu’est-ce que vous faites là ?, s’étonna-t-elle.
-On vient t’aider, pardi !, lança Matthew avec enthousiasme en gravissant les marches à grandes enjambées.
-Mais… mais si Obscuda vous voit, vous risquez gros !, protesta Lya, alarmée.
-Tu croyais vraiment qu’on allait te laisser toute seule ?, répondit Archi, le regard sérieux. Nous sommes une équipe, Lya. Il ne faut pas que tu l’oublies.
Un flot d’émotions submergea la jeune femme. Ses yeux clairs se remplirent de larmes, et elle cligna plusieurs fois des paupières pour les retenir. Était-ce la fatigue ? La douleur ? Ou bien simplement la chaleur soudaine qui lui enserrait le cœur ? Peu importait la raison, une certitude s’imposait à elle : elle n’avait jamais été aussi heureuse qu’en cet instant. Elle n’était plus seule. Elle avait enfin trouvé des gens sur qui compter.
Ensemble, ils se mirent au travail, s’acharnant avec une détermination nouvelle pour rendre les lieux plus propres qu’ils ne l’avaient jamais été. Lorsque la nuit tomba pour de bon, Archi alluma des torches pour éviter qu’ils ne trébuchent dans l’obscurité.
-Enfin !, souffla Matthew en s’affalant sur une marche, le souffle court.
-Merci… Sans vous, je n’y serais jamais arrivée… , murmura Lya, sa voix empreinte de gratitude.
-Arrête un peu avec ça, grommela Archi en roulant des yeux.
-Ce qu’il veut dire, précisa Matthew avec un clin d’œil complice, c’est que tu n’as pas besoin de nous remercier ou de t’excuser tout le temps.
Au même instant, les cloches de l’école sonnèrent le couvre-feu.
-Merde !
Les trois amis échangèrent un regard inquiet.
-Comment on va faire pour ne pas se faire prendre ?, réfléchit Archi à voix haute.
-Il faut aller au bureau du directeur, déclara Lya avec assurance.
-T’es malade, princesse ? ,s’étrangla Matthew.
-Faites-moi confiance, venez, je vous expliquerai en route.
Sans un mot de plus, les garçons emboîtèrent le pas de leur camarade, longeant les murs avec précaution. Le silence régnait, uniquement troublé par leurs respirations contenues. Lya leur indiqua de s’arrêter à l’angle d’un couloir.
-Les surveillants font des rondes toutes les heures en partant du bureau du directeur, expliqua-t-elle à voix basse. Comme le couvre-feu vient de sonner, ils viennent de partir. C’est donc l’endroit le plus sûr de l’école pour l’instant.
-Il suffit de marcher dans leur dos, murmura Archi, impressionné. Très ingénieux, Lya.
-Merci, répondit-elle avec un léger sourire.
Alors qu’ils s’apprêtaient à passer devant la porte du bureau, un mouvement attira leur attention. Deux hommes vêtus de capes sombres se faufilaient dans la nuit. Instinctivement, le trio se tapit dans les buissons sous la fenêtre du directeur. Les inconnus toquèrent et la porte s’entrouvrit aussitôt.
-Rentrez, mes amis, les invita une voix grave.
-Talford, nous sommes venus dès réception de ta lettre.
-Vous l’avez bien brûlée, n’est-ce pas ?, s’inquiéta le directeur.
-Bien sûr…
Le trio tendit l’oreille, captant des bribes de conversation à travers la fenêtre entrouverte.
-On devrait partir, souffla Matthew.
Mais Archi l’agrippa par le col pour l’empêcher de bouger. Ses yeux luisaient d’un éclat déterminé. Il voulait en entendre plus.
-De quelle équipe s’agit-il ?, interrogea l’un des hommes.
-Le trio 3, répondit Talford.
Le sang de Lya se glaça. Un frisson parcourut l’échine des trois jeunes gens tandis que les adultes poursuivaient leur échange, inconscients de la présence des élèves tapie dans l’ombre.
-Talford, es-tu sûr de ce que tu avances ? ,C’est une affaire grave.
-Bien entendu que non ! Personne ne pourrait l’être !
Les visiteurs semblèrent soucieux.
-On parle tout de même de la prophétie d’Eohl…
-Ne prononce pas ce nom à voix haute, malheureux ! Tu veux nous attirer des ennuis ?
-Pardon…
Un silence pesant s’installa.
-Écoutez-moi, reprit le directeur d’une voix plus posée. Je ne sais pas ce qu’il en est exactement, mais j’avais besoin de vos conseils.
-Tu as demandé à la fille de se taire ?
-Oui.
-Et tu crois qu’elle le fera ?
Le directeur n'hésita pas une seule seconde à lui répondre.
-J’en suis persuadé.
-Et les autres ?
-Ils ne parleront pas non plus.
-Tu penses ou tu en es sûr ?!
Talford soupira, avant d'éluder.
-C’est Valma qui m’inquiète. Cette femme est incontrôlable.
-Avec tout le respect que je te dois, pourquoi l’avoir nommée professeure ?
-Parce qu’elle est la meilleure dans son domaine, c'est une légende… et à cause de sa famille.
-Bref, recentrons-nous. Vas-tu en parler au PC ?
Un silence s’étira avant que Talford ne réponde d’une voix lourde de conséquences :
-Non.
Les inconnus hoquetèrent.
-Si jamais ils découvrent que tu leur caches une information aussi capitale…
-Je sais ce que je risque. Mais je sais aussi ce qu’ils leur feraient subir si j’en parlais… Ce ne sont que des enfants.
Les visiteurs poussèrent un soupir résigné.
-Très bien. Nous respecterons ta décision pour l’instant. Mais si la situation dérape…
-Nous ne pourrons pas garantir notre silence.
Talford sembla soupirer une fois de plus.
-Merci… Je pense que nous avons mérité de boire un verre. Venez dans mon salon.
Les voix s’éloignèrent, et le trio, toujours caché dans les buissons, demeura figé, mortifié par ce qu’ils venaient d’apprendre.
-Vous pensez qu’on est en danger ?, murmura Matthew.
Archi inspira profondément avant de répondre, d’un ton grave et déterminé :
-Je ne sais pas… Mais il faut le découvrir avant que d’autres ne le fassent.
*****
Le trio 3 ne trouva pas le sommeil cette nuit-là. Affalés sur le canapé de leur dortoir, ils ressassaient les événements de la soirée, cherchant désespérément une explication à ce qui leur arrivait. Était-ce aussi grave que cela en avait l’air ? Étaient-ils réellement en danger ? Ou bien s’agissait-il d’une terrible méprise ? Ils voulaient y croire, mais plus ils retournaient la situation dans leur tête, plus l’évidence s’imposait : ils étaient impliqués dans quelque chose de bien plus grand qu’eux.
Aux premières lueurs de l’aube, alors que le couvre-feu venait à peine d’être levé, ils quittèrent discrètement le dortoir en direction de la bibliothèque de l’école, déterminés à trouver des réponses.
Avant leur départ, ils croisèrent Emrys qui sortait à peine du sommeil, ses cheveux encore ébouriffés.
-Vous allez où encore ?, marmonna-t-il d’une voix ensommeillée.
-Étudier, répondit Archi sans conviction.
Mais Emrys ne sembla pas l’écouter. Son regard se posa sur les mains de Lya, marquées par les heures de labeur de la veille. Un pli soucieux barra son front.
-Tu devrais soigner ça, souffla-t-il avec inquiétude.
Lya croisa son regard, surprise par son attention. Un instant, ils restèrent ainsi, à se fixer en silence, comme suspendus dans un moment hors du temps.
-Merci de t’inquiéter, Emrys…, finit-elle par murmurer.
-Bon, on y va, on se dépêche !, coupa Matthew en attrapant Lya par le bras, brisant leur échange.
D’un pas décidé, le trio arriva rapidement à une entrée voûtée, semblable à celle d’une cave. Lorsqu’ils furent à proximité, les grandes portes s’ouvrirent d’elles-mêmes, révélant un large escalier plongeant dans l’obscurité. Lya s’avança instinctivement, prête à descendre, mais Archi l’arrêta en lui saisissant doucement les poignets.
-Avant toute chose, donne-moi tes mains.
Intriguée, elle obéit sans protester. Archi referma ses paumes sur celles de son amie et, aussitôt, une sensation de picotement parcourut la peau meurtrie de Lya. Puis la douleur s’estompa, remplacée par une chaleur apaisante. Quand il relâcha son emprise, ses mains étaient comme neuves.
-Merci…, souffla-t-elle, touchée.
Sans plus attendre, ils entamèrent leur descente.
Au fur et à mesure qu’ils progressaient dans le couloir de plus en plus étroit, des torches fixées aux murs s’allumaient les unes après les autres, n’éclairant que quelques marches devant eux, plongeant toujours plus profondément dans la pénombre.
-Vous êtes sûrs que c’est ici ?, demanda Matthew, mal à l’aise.
-C’est vrai que les bibliothèques ne sont pas ton habitat naturel, répliqua Archi avec un sourire moqueur.
-Très drôle, Archi !
-Stop !, ordonna Lya. Regardez, on est arrivés.
Devant eux se dressait une simple porte en bois sombre. Lya s’avança pour l’ouvrir, mais s’arrêta en voyant que ses compagnons ne bougeaient plus.
-Arrêtez de faire les idiots et venez !, s’impatienta-t-elle.
Elle poussa la porte, révélant une gigantesque bibliothèque aux étagères de bois rouge. Les rangées de livres s’élevaient sur plusieurs étages, et un imposant lustre en cristal, d’au moins dix mètres de diamètre, diffusait une lumière dorée dans la pièce. Plusieurs élèves étaient déjà installés à des tables d’étude, tandis que d’autres s’étaient réfugiés dans des alcôves isolées pour lire en toute tranquillité.
-Alors là, si je m’y attendais… , souffla Matthew, bouche bée devant l’immensité du lieu.
Au fond de la salle, une vieille dame s’affairait derrière un large bureau de chêne massif. Elle ne semblait pas prêter attention aux nouveaux arrivants, mais Lya s’élança sans hésiter vers elle.
-Si nous devons fouiller tous ces livres, nous serons morts avant d’avoir trouvé quoi que ce soit !, pesta-t-elle.
-Nous n’avons qu’à demander à la bibliothécaire, proposa Archi, pragmatique.
-Très bonne idée ! Et on lui dit quoi ? “Bonjour, on cherche une prophétie, mais on ne connaît ni son nom exact, ni de quoi il s’agit, vous pouvez nous aider ?”, se moqua Matthew.
-Tu as une meilleure idée, peut-être ?, s’agaca Archi.
Ils échangèrent un regard noir, mais avant que la tension ne monte davantage, ils se rendirent compte que Lya n’était plus à leurs côtés.
-Où est-elle passée ?
La jeune femme était déjà devant le bureau de la bibliothécaire.
-Bonjour, nous cherchons des informations sur une prophétie, mais…
-Sur votre droite, quatrième rangée, la coupa sèchement la vieille dame sans même lever les yeux.
-M-merci…, balbutia Lya, interloquée.
Derrière elle, les garçons échangèrent un regard abasourdi.
-Eh bien, ça ne va peut-être pas être si compliqué finalement…, reprit Matthew, soudain plein d’espoir.
*****
-Je veux mourir..., gémit Matthew en s'affalant sur la table, le visage à demi enseveli sous ses bras.
Trois heures qu'ils fouillaient désespérément parmi les ouvrages de la section consacrée aux prophéties, et toujours aucune mention d'"Eohl". Une cinquantaine de livres recouvraient leur bureau, formant une véritable montagne de pages jaunies et d'encre effacée par le temps. Leurs esprits fatigués tournaient à vide. Archi, épuisé, jeta sa tête en arrière, pressant ses tempes entre ses doigts comme s'il espérait en extraire une idée salvatrice.
Un cri soudain de Lya les fit sursauter.
-Là !
Les garçons bondirent immédiatement vers elle, encerclant son épaule pour mieux voir ce qui avait provoqué son excitation. Son doigt tremblant pointait un sommaire. Parmi une liste de noms de prophéties, l'une d'elles était effacée. Quelqu'un avait visiblement tenté de brûler l'écriture, mais malgré cela, le mot "Eohl" restait encore partiellement lisible.
Lya tourna fébrilement les pages pour atteindre celle indiquée. Son enthousiasme s'évanouit d'un coup lorsqu'elle découvrit que la page avait été arrachée. Seul un bord calciné en attestait l'existence passée.
-Putain !, s'emporta Matthew en frappant du poing sur la table. On était si proche du but !
-Ce n'est pas possible..., souffla Lya, les yeux rivés sur le vide laissé par la page disparue.
Matthew se tourna vers Archi qui était resté silencieux, son visage fermé, comme figé dans une intense réflexion.
-Comment tu peux être aussi calme ? ça ne te fait rien ?!, s'agaça-t-il.
Archi inspira lentement avant de répondre avec une pointe de mélancolie dans la voix.
-Je suis aussi frustré que vous, mais il faut voir les choses autrement. Ce que nous avons trouvé nous donne déjà plusieurs informations essentielles. D'abord, cela confirme que la prophétie existe bien.
Matt et Lya étaient suspendus à ses lèvres.
-Ensuite, cela signifie que quelqu'un a délibérément tenté d'en effacer toute trace. S'il n'y a qu'un seul ouvrage qui la mentionne, c'est probablement parce que tous les autres ont été retirés. Et un tel acte ne peut être ordonné que par une personne haut placée.
-Super, on sait qu'on nous cache quelque chose, et maintenant on fait quoi ?, ironisa Matthew, toujours aussi frustré.
-Le directeur est sans doute celui qui en sait le plus, mais il ne nous dira rien volontairement..., murmura Lya, pensivement.
Un éclair traversa soudain son esprit.
-Vous vous souvenez de ce qu'il a dit l'autre soir ? "Les autres se tairont, mais j'ai peur de Valma."
Le silence s'installa un instant avant que Matthew ne se redresse brusquement, la bouche entrouverte d'incrédulité.
- Attendez... Vous êtes en train de me dire qu'on devrait essayer de faire parler le professeur Obscuda ?
-C'est risqué..., admit Lya en déglutissant.
Matthew fixa Archi avec suspicion.
-T'as une idée derrière la tête, pas vrai ?
Le blondinet esquissa un sourire en coin.
-Il faudrait qu'elle baisse sa garde.
-Impossible !, protesta Matt.
-L'alcool, continua Archi, imperturbable. Si elle boit trop, elle pourrait se montrer plus loquace.
-Comment tu sais qu’elle ne tient pas l’alcool ?, interrogea Lya, les sourcils froncés.
-Je le sais, c’est tout.
Son ton sérieux ne laissait place à aucune discussion. Lya n’insista pas, mais une question persistait dans son esprit : comment Archi pouvait-il être aussi sûr de lui ?
-Admettons que tu aies raison..., grogna Matthew. Comment veux-tu t’y prendre ?
-Tu pourrais lui demander un entraînement individuel.
-Je doute qu’elle accepte..., rétorqua Lya.
-On ne peut pas savoir sans essayer, répondit Archi.
Il plongea ensuite son regard dans celui de Matthew, un éclair de provocation brillant dans ses prunelles.
-À moins que tu aies trop peur du "dragon" ?
-Je sais ce que tu essaies de faire, mais pas besoin de ça pour que j’accepte, répliqua le brun en croisant les bras. J’irais.
-Matt, t’es sûr ?, s’inquiéta Lya.
-On n’a pas d’autres plans pour l’instant.
-Alors c’est décidé, conclut Archi. Je me charge de la mettre dans de bonnes conditions et d’obtenir de l’alcool.
-De "bonnes conditions" ?, répéta Lya, mal à l’aise.
-C’est vous qui faites autant de bruit ?
Les trois amis sursautèrent et se retournèrent d’un bloc. Accoudée à une étagère, Amanda les observait, les bras chargés de livres anciens.
-Vous savez que c’est une bibliothèque, pas un bar ?
-A-Amanda !, bredouilla Lya, tentant maladroitement de masquer les ouvrages étalés sur leur table. Qu’est-ce que tu fais ici ?
-Avec Anita, nous travaillons sur notre exposé sur l’arbre de vérité. Vous savez, le devoir à rendre pour demain ! Ce n’est pas ce que vous devriez faire aussi ?
Elle haussa un sourcil, perplexe.
-Bien sûr !, affirma un peu trop vigoureusement Matthew.
- Et vous faites votre recherche dans la section des prophéties... ?
Archi ne perdit pas son sang-froid.
-Un arbre capable de révéler toutes les vérités demandées par un être pur si on l'invoque au péril de sa vie... Cela relève plus du mythe prophétique que de l’histoire, tu ne crois pas ?
Amanda sembla réfléchir, puis acquiesça.
-Hm... ce n’est pas faux. Dans tous les cas, faites moins de bruit.
Lorsqu’elle disparut, Matt et Lya expirèrent enfin.
-On doit encore bosser notre discrétion, affirma la jeune femme.
*****
Le lendemain matin, le trio finalisa son plan. En fin d’après-midi, Matthew se rendrait au bureau d’Obscuda sous prétexte de solliciter ses conseils. Il devrait improviser pour la suite, jouer sur les émotions et tenter de la faire boire. Le reste dépendrait de lui.
Lorsque l’heure fatidique arriva, Matt s’arrêta devant la porte en bois massif et inspira profondément. Il toqua trois fois, le cœur battant un peu trop vite. La poignée tourna presque immédiatement, révélant une Valma Obscuda à l’air fatigué et légèrement agacé.
-Matthew ?, s’étonna-t-elle en haussant un sourcil. Qu’est-ce que tu fais ici ?
-Veuillez m’excuser de vous déranger, madame… mais j’aurais voulu vous parler. En privé, précisa-t-il en serrant instinctivement la gourde qu’il tenait contre lui.
La professeure hésita un instant, balaya le couloir du regard comme pour s’assurer qu’ils étaient seuls, puis soupira avant de s’effacer pour le laisser entrer.
Matt pénétra dans la pièce et retint une grimace. Il s’attendait à une froideur clinique, un bureau austère. À la place, il découvrit un intérieur à la fois élégant et désordonné. Une cheminée ronflait doucement, projetant des ombres dans la pièce. Un petit canapé en cuir, recouvert d’un plaid, faisait face au feu. Contre le mur, un lit impeccable contrastait avec le chaos régnant sur le bureau. Des feuilles froissées s’accumulaient, des livres étaient ouverts à la hâte, et un cadre photo brisé gisait sur le sol.
Lorsque son regard s’arrêta sur ce dernier détail, Valma se hâta de ramasser les morceaux de verre, tentant de masquer son trouble.
-Juste un petit accident, marmonna-t-elle.
-Je comprends, répondit Matt sans trop y croire.
-Bon, crache le morceau qu’on en finisse, trancha-t-elle en croisant les bras.
-Est-ce que je peux m’asseoir ?
Elle leva les yeux au ciel, mais acquiesça d’un signe de tête. Il prit place sur le canapé tandis qu’elle restait adossée à la tablette de la cheminée, bras croisés, visiblement impatiente.
-C’est… chaleureux chez vous, tenta-t-il pour briser la glace.
-Parle, Matthew.
-Oui.
Il s’éclaircit la gorge, cherchant ses mots.
-Je me demande si je dois continuer la formation…
Un silence s’installa. Valma haussa un sourcil.
-Pourquoi tu penses ça ?
-J’ai l’impression de ne pas être à la hauteur. De ne pas être assez fort pour vos cours, vous voyez ?
-C’est le cas, répondit-elle sans hésitation.
-Ah…
-Comme tout le monde, pour l’instant.
Matthew grimaça. Il poursuivit avec une voix plus posée.
-Ce que je veux dire, c’est que je me sens… un peu seul ici. Comme si je n’avais pas ma place.
Il vit un éclat imperceptible traverser le regard de la professeure. Ses yeux s’étaient légèrement baissés, comme si ces mots la touchaient plus qu’elle ne voulait le montrer. Il tenait peut-être quelque chose.
-Je dis ça, mais aucune chance que vous ayez déjà ressenti quelque chose du genre. Vous êtes trop forte.
Un silence s'imposa et l'expression de Valma se ferma légèrement.
Bingo.
-C’est l’image que je donne ?, demanda-t-elle, presque amusée.
-Plutôt, oui.
Un rictus amer déformales lèvres de la jeune femme.
Finalement, elle se laissa tomber à côté de lui sur le canapé. Matt sentit une légère tension dans l’air. La lueur du feu accentuait les ombres sous ses yeux et, en l’observant de plus près, il remarqua une rougeur suspecte autour de ses paupières. Elle avait pleuré.
-Tu sais, lâcha-t-elle soudainement, tu peux être le plus fort du monde… la solitude reste un ennemi imbattable.
-Oui, souffla-t-il. Parfois, on a l’impression que personne ne nous comprend… et c’est dur.
-Tu n’as pas besoin d’être compris. Tu peux faire ta vie seule, point.
Sa voix était plus dure, plus tranchante, mais Matt sentait qu’elle ne parlait pas de lui. Il la voyait autrement, à présent. Derrière son masque de glace, il y avait une femme profondément blessée.
Il hésita un instant avant de jouer sa dernière carte.
-Ça vous dirait de boire un coup avec moi ?
-…Pardon ?
Elle le regarda, interloquée.
-Juste un verre. Pour parler, ça me détendrais.
Il agita la gourde sous son nez. Valma fronça les sourcils.
-Qu’est-ce que c’est ?
-Du vin de prune.
Pendant un instant, elle ne dit rien. Puis son expression se transforma en un masque d’incrédulité mêlé de colère.
-Tu te fous de moi, Matthew ?!, gronda-t-elle. C’est interdit à l’école, je pourrais te renvoyer sur-le-champ !
-Allez, madame, insista-t-il en prenant un air abattu. Je comptais boire seul, mais… à deux, c’est moins pathétique, non ?
Un silence pesant s’installa. Elle hésitait. Juste une seconde. Matt retint son souffle.
Mais la lueur de vulnérabilité disparut aussitôt de son regard, remplacée par son habituelle fermeté.
-Si c’est tout ce que tu avais à me dire, tu peux sortir.
Raté.
-Et je confisque cette gourde. Tu te crois où, exactement ?
Avant qu’il ne puisse répliquer, elle lui arracha l’objet des mains et le poussa vers la sortie. La porte claqua derrière lui, le laissant seul dans le couloir, l’échec cuisant.
Lorsqu’il retrouva ses camarades dans leur dortoir, Lya bondit vers lui, pleine d’espoir.
-Alors ?!
Archi, plus pragmatique, plissa les yeux en analysant son expression.
-Il a échoué.
-Tu es marrant, toi, rétorqua Matthew. Comment voulais-tu que ça marche ?! Et en plus, je suis sûr qu’elle va me faire payer ça en cours !
Lya lui tapota l’épaule en signe de soutien. Il ne fallait pas se laisser abattre. Ils devaient trouver une autre approche, un autre plan.
Les heures défilèrent. La nuit tomba. Le couvre-feu s’activa et chacun se retira dans son lit, le moral en berne. Peut-être que c’était une impasse.
Jusqu’à ce que trois coups légers retentissent contre la porte du dortoir.