- Oh ! Tu crois que c'est le moment de dormir ! Réveille-toi !
Kim ouvrit immédiatement les yeux.
- Oulah, ça CAILLE ! s'exclama-t-elle.
Elle se leva précipitamment, toute grelottante, et entreprit de retirer la neige de ses vêtements. Celle-ci lui brûlait la peau. Puis elle regarda, avec des yeux ébahis, autour d'elle. À la place du lac et de la plage où elle s'était endormie, le paysage blanc de neige l'éblouissait autant qu’il la surprenait. De plus, contrairement à l'endroit où elle avait décidé de dormir, Kim se rendait compte de la présence d'arbres au loin, qui étaient tout sauf des palmiers. À vrai dire, elle avait aussi l’impression d’apercevoir des montagnes recouvertes de neige. Elle remarqua avec soulagement qu’il se trouvait non loin de là une maisonnette en bois dont de la lumière émanait des fenêtres. Mais ce qui la surprenait davantage était la présence d'un inconnu qui se tenait juste devant elle.
Celui-ci, d'une tête de plus qu'elle, la toisait avec un regard dur. Il semblait en colère et pourtant sa bouche revêtait l'ombre d'un sourire. Un sourire aussi froid que celui de la neige qui tombait autour d'eux.
Les dents claquantes, Kim remarqua que l'homme, étrangement, était seulement habillé d'un pantalon bleu foncé, qui ondulait à chaque rafale de vent. Son torse nu, curieusement, n'était pas violet de froid, mais blanc, si blanc qu'on aurait dit qu'il rayonnait. Ses cheveux blancs, ébouriffés par la bise, se confondaient avec le ciel et ses yeux étaient d'un magnifique bleu givré.
Magnifique était un terme qui lui allait bien…Effrayant aussi, avec son regard perçant et ce sourire si cruel. Malveillant. L’inconnu se décida à ouvrir la bouche.
- Il faut que nous parlions sérieusement toi et moi, Henyët, de la tournure que prend ta quête. Aurais-tu l’obligeance de me suivre à l’intérieur ? déclara calmement l’homme, toujours armé de son sourire cruel.
Kim aurait dû se méfier de lui et pourtant une part d’elle-même n’avait qu’une envie : le suivre, d’autant que le froid la transperçait. Elle lui fit part de son accord, sans oublier cependant de lui demander une explication quant à ce qui se passait.
- Nous verrons…Si j’en ai le temps.
L’homme se dirigea vers la maisonnette en bois. A l’intérieur, une cheminée était allumée, d’où la lumière qui filtrait par les fenêtres. Kim fila directement devant celle-ci. Elle se retourna ensuite vers l’homme qui, après être entré dans la masure, ne s’était pas vraiment éloigné de la porte d’entrée. Quelques instants passèrent où il se regardèrent dans les yeux quand enfin Kim décida qu’elle n’attendrai pas plus longtemps pour avoir des réponses.
- Qui êtes-vous et qu’est-ce que vous voulez ? Et comment est-ce que j’ai fait pour débarquer là alors que j’étais au bord d’un lac deux minutes avant ?
- Je ne suis pas le mieux placé pour donner des explications scientifiques vulgarisées à une Henyët qui ne sait même pas contrôler sa bague, répondit méchamment l’inconnu. Je pense que tu sauras bien assez vite qui je suis. Quant à savoir comment tu es venue ici, je te l’expliquerai plus tard, ou disons plus tôt si je devais parler en matière de chronologie…déclara-t-il encore en fronçant les sourcils, comme s’il faisait un effort de réflexion.
- En effet, on n’est pas vraiment dans une explication scientifique vulgarisée, là. Très bien, reprit Kim, dans ce cas est-ce que pourriez-vous au moins me dire ce que vous voulez ?
- À vrai dire, je tenais surtout à te rencontrer et aussi à faire en sorte que tu ne restes pas bloquée comme une andouille dans un royaume alors qu’il y en a tant d’autres à explorer. Jamais tu ne trouveras la Tulipe si tu te décourages simplement parce que tu n’as aucun indice, repartit l’homme en haussant les épaules.
- C’est bien gentil de dire ça, mais c’est décourageant de tourner en rond, ou plutôt de ne pas tourner du tout, figurez-vous, répondit Kim qui commençait sérieusement à en avoir assez de cet individu condescendant. Je me doute bien que la Tulipe ne va pas venir à moi avec un grand sourire, en disant : « Coucou, c’est moi la Tulipe magique de Nouklyën, est-ce que tu pourrais changer ma couleur s’il te plait ? » Mais un petit coup de pouce, pourrait être apprécié aussi.
- Ton ironie ne te sauvera pas, même si je dois dire que ça a le don de ridiculiser le Roi, répondit l’homme avec un petit rire. Tu n’auras aucun indice de ma part, je crois que tu sais déjà qui tu dois chercher si tu veux des informations sur ta bague ou la Tulipe.
- Ça veut dire que l’Espace existe ? demanda Kim à qui l’espoir revenait peu à peu.
- Bien sûr qu’il existe puisque j’existe et que tu existes aussi ! Enfin, ça, il te l’expliquera aussi quand tu le rencontreras.
- Et ça vous tuerait de me dire où il est ou au moins de me donner une carte pour me repérer dans ce monde de fous ? s’enquit Kim en s’énervant.
- Ce n’est pas moi qui m’occupe des cartes, désolé, rétorqua son vis-à-vis en souriant de toutes ses dents blanches.
Soudain, alors que Kim s’apprêtait à répliquer, le vent se mit à souffler si fort que les vitres tremblèrent. Il s’engouffra par la cheminée et éteignit le feu. Heureusement qu’il ne se trouvait aucun meuble à l’intérieur sinon ils se seraient envolés aussi ! Mais alors que Kim faisait ce constat, les murs du logis se mirent à disparaître lentement, jusqu’à ce qu’il n’y ait plus aucune preuve de sa présence. Kim et le mystérieux inconnu étaient de nouveau dehors dans le froid du blizzard, sous la neige qui ne s’était pas arrêtée de tomber. Le froid recommençait à mordre Kim, alors elle tenta une dernière fois d’obtenir des informations :
- Écoutez, je ne sais pas qui vous êtes mais ce qui est sûr c’est que vous pouvez m’aider, alors pourquoi ne pas le faire ? voulu-t-elle savoir avec une note de désespoir dans la voix.
- Je n‘ai pas de compte à rendre aux humains, déclara l’autre. Ils ne m’aiment pas et je ne les aime pas non plus. Ils sont ingrats, grossiers et incapables de se rendre compte de la chance que je leur donne. Même si tu es l’Henyët, tu es comme eux, une humaine, et je ne vois pas pourquoi je t’aiderais alors que tu vois les dix-neuf premières années de ta vie comme un gâchis, répondit l’homme, manifestement en colère, car il ne souriait plus cette fois.
- Je ne vois vraiment pas le rapport avec ma question ! s’écria Kim. Vous êtes un humain aussi à ce que je sache ! Quelqu’un de très puissant peut-être, mais un humain tout de même ! Vous devez être un sacré psychopathe pour vous exclure de l’humanité en pensant que vous valez mieux que les autres !
- Je ne suis pas humain ! Ou peut-être que si, je ne sais pas. Tout ce que je sais, c’est que l’humanité ne vaut rien !
- Alors pourquoi vouloir que je trouve la Tulipe dans ce cas ? s’insurgea Kim en croisant les bras. Pourquoi ne pas vouloir laisser les choses comme elles sont ? Si vous détestez tant l’humanité, ça doit bien vous faire rire de la voir être détruite par l’un de ses semblables.
- Tout ce que je veux, c’est redevenir celui que j’étais avant. Je n’ai pas grand-chose à faire des problèmes de l’humanité ! Après tout, ne suis-je pas moi-même un problème ? s’égaya l’homme avec un grand sourire.
- Vous vous fichez du reste de l’humanité ? Rien que pour cette raison, je serais capable de ne pas même tenter de chercher la Tulipe, rien que pour vous voir souffrir parce que vous devriez rester celui que vous êtes maintenant. D’ailleurs, ça n’a pas beaucoup de sens, mais comme tous les déments, ce que vous racontez n’a pas beaucoup de logique n’est-ce pas ?
- ÇA SUFFIT ! Hurla l’autre.
Tout à coup, tout s’arrêta. La neige cessa de tomber en plein vol, le vent ne souffla plus. Même le temps semblait s’être arrêté. Le froid, en revanche, n’avait pas disparu et Kim commençait sérieusement à s’inquiéter de sa santé. Elle n’était pas vraiment vêtue pour l’hiver après tout. L’homme devant Kim avait l’impression de se retenir fortement de ne pas frapper l’Henyët. Ses yeux luisaient dangereusement et ce qui ressemblait bien à une puissante magie émanait de lui, malgré ses efforts pour la contenir visiblement. Puis il ferma les yeux et desserra lentement les poings qu’il avait tenus fermés jusque-là. Il souffla un bon coup puis rouvrit ses yeux, qui brillaient un peu moins. Enfin, il se remit à parler, avec une apparence trompeuse de calme dans sa voix glaciale :
- Je ne m'attendais pas à ça. Je me suis peut-être trompé, tu as l'air d'avoir de la force... Je suis désolé de t'avoir malmenée ainsi.
Ce n’était pas la réaction à laquelle s’attendait Kim. Cependant elle commençait sérieusement à avoir froid, ne sentant même plus ses extrémités. Et pour cause ! Elle vit avec horreur que ses mains étaient en train de tourner au violet.
- Aa-a-ah... gémit-elle de douleur. Comment fait-il, dit-elle en grinçant des dents, je suis à la limite de voir mes doigts tomber et lui est torse nu comme s’il était à la plage…
- Si tu ne trouves pas la Tulipe avant qu'Il ne te trouve, notre monde est perdu, déclara calmement le mage. Le temps que nous avions arrive à sa fin, comme tu as pu le remarquer. Je n’ai jamais su où se trouvait l’Espace, tout comme il n’a jamais été capable de dire à quelle époque j’existais. Mais tu le trouveras parce que c’est écrit. Un dernier conseil : essaie de faire en sorte que tes émotions sortent par le biais de ta bague et non par celui de ta bouche. Je suis sûr que ce sera plus efficace pour le combattre.
- Pour combattre qui ? grommela Kim, qui ne maîtrisait plus vraiment ses lèvres gelées.
- À ton avis ? Tu n’as qu’une seule personne à combattre, celle qui a fait de ce monde ce qu’il est maintenant, celle qui a fait de moi et de mes frères un semblant d’humain. Celle qui a fait en sorte que tu sois bannie de Toowaïyeff parce que tu as mis cette bague à ton doigt ce matin.
- Comment pouvez-vous savoir tout ça ? Je ne vous connais même pas !
- Bien sûr que tu me connais, mais pas sous cette forme. Bien, il est temps de partir, conclut l’étranger, nous nous retrouverons ici et maintenant plus tard Henyët, adieu…
- Attendez, vous ne pouvez pas me laisser là ! s’écria Kim.
- Non, en effet.
Sur ce, l’homme leva sa main droite vers la jeune fille qui écarquilla les yeux sous le coup de l’étonnement. Son visiteur revêtit une fois de plus son petit sourire en coin et tout à coup, et Kim fut soudainement projetée en arrière, ou alors ce fut l’homme et le décor qui furent projetés loin en avant. Et il ne resta plus que les ténèbres.