Chapitre 8 ○ Volent les tables

— Je peux t’aider ? résonna la voix de la jeune femme comme on menacerait quelqu’un avec un sourire.

Les deux couettes de l’adolescente descendaient aux niveaux de ses fesses, mais à aucun moment tu ne te dis qu’il devait être judicieux de la provoquer sur sa coiffure. Toute sourire, tu pris soin d’adoucir tes traits pour ne pas jouer tout de suite l’effrontée ; ta présence suffisait pour parvenir à cet effet.

— Certainement ! Je m’appelle Zetsu Sachiko, et je souhaiterais m’inscrire au club d’arts.

— Ah.

Si ton interlocutrice avait su masquer rapidement sa surprise lorsqu’elle comprit que quelqu’un souhaitait lui parler, cette fois, elle eut plus de moins à camoufler le dégoût qui plissa son nez et tordit ses lèvres. Finalement, c’est un sourire doux et chaleureux qui prit place sur son visage poupin. Elle se leva d’un mouvement souple et ordonné, ses yeux sombres ne quittant pas les tiens.

— Je vois ! Je m’appelle pour ma part Oujitsuna Michiko, et je suis la présidente du club. Viens, je t’en prie, passe donc de l’autre côté : j’aimerais te montrer quelque chose.

Confiante, tu contournas la table en bois sous les commentaires des quelques élèves qui épiaient la scène dans son absurdité. Enfin, c’était comme cela qu’on voulait te le faire ressentir, mais de ton côté, tu te sentais comme un pion sans maître qui n’avait pour objectif que de voir jusqu’où il pourrait aller.

Et pour l’instant, le chemin parcouru à Himawari était aussi court que ridiculement plus large que la plupart des peureux qui grouillaient entre les murs du lycée. Oujitsuna te montra d’un geste ample les quelques pièces que tu avais déjà aperçues de loin ; tu ne retins pas un sifflement admiratif face à la qualité de beaucoup de tableaux.

— Qu’en penses-tu ?

— Ce sont les productions d’élèves ?

— Oui, ricana ton aînée en masquant sa bouche de sa main droite, à qui voudrais-tu que ces œuvres appartiennent ? Mais tu n’as pas répondu à ma question.

Exact. Et tu ne répondis pas car, malgré quelques tableaux qui étaient vraiment d’un niveau professionnel, d’autres ressemblaient bien plus à tes dessins d’enfants gardés un après-midi de pluie où ils ne pouvaient pas s’amuser dehors ; ça respirait l’ennui et l’amateurisme.

Sauf que tu n’eus pas le temps d’ouvrir la bouche qu’un souffle rapide te frôla le nez ; tu trébuchas sur un tabouret en voulant reculer. Les yeux écarquillés, tu compris à la vive douleur près de tes narines que l’air ne venait pas de sauvagement te fouetter, non. Il suffisait de voir le bras d’Oujitsuna armé et ses doigts crispés comme si elle avait des griffes pour comprendre ce à quoi tu venais d’échapper : elle t’aurait probablement déchiré la peau si tu ne t’étais pas rendue compte instinctivement qu’il y avait un problème.

— Non mais tu te prends pour qui ? rugis la brune dont le visage était rouge de colère. On n’accepte pas les nouveaux ici !

L’air gonfla dans ta gorge jusqu’à ce que l’excitation en soit douloureuse ; l’hilarité gagna tes doigts, tes bras, ta poitrine, et tu te mis à rire, quelque peu soulagée de voir que tu ne passerais pas outre une petite agression… puis sur un ton joueur, tu lui répondis ;

— Ah ? Vous n’acceptez pas les… nouveaux ? Bah ma pauvre, vu la qualité de pas mal d’œuvres accrochées ici…

Ta provocation fit mouche puisqu’en un instant, le léopard qu’était Oujitsuna bondit vers toi bien avant que tu n’achèves ta phrase. Tu l’entendis presque rugir, mais manquas d’être surprise par sa vitesse ; tu ne sais pas comment, mais cette sale peste venait d’utiliser une force considérable dans ses jambes pour se projeter en avant, son bras jeté en direction de ton visage. C’était très rare de trouver une combattante avec des qualités similaires aux tiennes ; peut-être que ton ainée se souffla la même chose quand elle te vit te décaler rapidement pour lui attraper le bras.

— Et, hop !

Une technique simple et pourtant si pratique d’aïkido consistait à prendre les forces de tes adversaires pour les retourner contre eux. Ce n’était pas pour rien que tu ne faisais pas physiquement très peur ; l’effet de surprise lisible sur le visage de tes assaillants t’approchaient toujours un peu de l’orgasme.

Coincée par sa propre vitesse, Michiko n’eut d’autre choix que de se sentir propulsée contre plusieurs tables. Toujours en position de lancé, tu relevas la tête pour entendre des exclamations particulièrement sonores qui provenaient de ton dos. Tu admiras le visage sonné et méchamment surpris d’Oujitsuna, tentant de graver dans ta mémoire cette première expérience. Tu penchas la tête en arrière, prit une grande bouffée d’air. Tu pouvais sentir le moindre de tes muscles trembler, et l’adrénaline continuer de couler dans ton corps comme l’eau dans un ruisseau en pente. Tu attrapas d’un geste volontairement lent la fiche de ton inscription, fièrement restée à sa place sur la table de présentation. Tu te rapprochas de la tigresse comme un petit félin trop malicieux. Tu lâchas le feuillet au-dessus de l’adolescente à terre, qui virevolta jusqu’à atteindre ses pieds.

— Zetsu Sachiko, donc. Comme ça, tu ne pourras plus m’accuser de n’être qu’une nouvelle. Retiens-le bien.

 

Tu ne sais pas qui prit les airs en premier ; ton ego, ton assurance, ou ton propre corps ? Quelque chose avait percuté ton dos, ça, ton cerveau le compris assez rapidement, mais les deux secondes qui suivirent ne furent qu’un mélange d’étranglements surpris de ta part et d’un jeu disco de sons et lumières dans ton cerveau. Tu t’échouas finalement en vrac, plus ou moins entre d’une statue représentant un sandwich au fromage fondu et un plateau de shogi renversé. Le ventre contre le bois du gymnase, la douleur qui démarrait au milieu de ton dos se propagea comme un court-circuit dans le reste de ton corps ; un voile sombre t’obscurcit la vue, mais tu distinguas l’objet qui vint s’écraser près de toi à ta suite. On venait de t’envoyer une putain de table dans le dos, et tout ce que tu trouvas à faire fut de rigoler dans ta panique.

Sans savoir si tu avais repris tes esprits ou perdu définitivement le peu de raison que tu avais encore, tu te retournas sur le dos pour ne pas rester inerte au sol. Et là, ton cœur rata pas un battement, mais le cycle entier ; un grand brun dont les cheveux reflétaient la lumière avec pureté, une chemise débraillée et un corps que tu devinais musclé se tenait à l’entrée du stand. Ah, s’il n’avait pas eu ses cheveux longs attachés en queue de cheval, peut-être n’aurais-tu jamais compris de qui il s’agissait. Mais quand il tendit un bras à Oujitsuna pour l’aider à se relever, tu n’entendis que son nom tourner en boucle dans ta tête.

Nobukazu Yudai. Nobukazu Yudai. Nobukazu Yudai.

Tu ne savais plus comment tu avais appris son nom, mais la seule perspective d’avoir reconnu le chef d’un des plus gros clans du lycée t’emplit de joie.

— Je répète sa question, tonna la voix grave du garçon, tu te prends pour qui ?

Sa voix grave et autoritaire te fit rougir. Oh, que tu aimais son être tout entier ! Tu venais quand même de te faire remarquer par le second au classement des dangers. C’était flatteur ! Il t’avait même adressé la parole ! Le paradis te sembla subitement bien fade à côté de ta situation… sauf quand tu saisis que le Yudai s’avançait dangereusement vers ta position, se massant l’épaule droite comme s’il s’échauffait.

Oh putain, le lancé de table, ce n’était que la mise en bouche !

Tu déglutis. Le goût métallique dans ta bouche te fit comprendre que tu t’étais mordue la langue, mais plus rien d’autre ne comptait à présent que l’écrasant charisme de l’adolescent qui s’avançait pour t’achever. Un rire nerveux s’étouffa dans ta gorge ; tu titubas, franchement hallucinée par ta première journée à Himawari.

— Zetsu Sachiko, murmuras-tu.

— Pardon ?

L’homme s’était arrêté ; il ne s’attendait pas à ce que tu reprennes la parole. Tu relevas le nez, sans chercher à te tenir droite ; tu avais trop mal au dos pour ça, et puis n’étant pas très grande ça ne servait à rien de te grandir davantage. Un filet de sang coulait de ton nez ; tu essuyas ta peau du revers de ton poignet, les yeux brûlant d’envie.

— Tu m’as posé une question, tu te souviens ? Alors je te réponds. Je me prends pour ce que je suis, Zetsu Sachiko.

Et tu n’attendis pas un nouvel échange pour lui foncer dessus. Malgré la fatigue et les blessures, ton rire fut peut-être le moins maîtrisé de tes mouvements. Tu t’étouffas à moitié en inspirant trop d’air trop vite, ce qui donna à ta course un aspect erratique presque effrayant. Poussée par un vent pour une fois unique, tu confondis l’espace de quelques secondes le bois du gymnase pour l’asphalte d’une autre cour, quelques mois en arrière. Le goût du sang dans ta bouche ne fut pas sans rappeler celui de quelqu’un d’autre, dont une giclure passa rapidement la barrière de tes lèvres qui dessinaient un précieux sourire. Tu descendis tes appuis ; vu d’ici, Yudai parut encore plus grand que le géant qu’il représentait déjà. A moins d’un mètre de lui, tu descendis un peu plus pour encore plus rapidement bondir ; cette fois, hors de question d’y aller avec une prise, puisque l’adolescent ne bougeait pas. L’air se coupa dans ta poitrine, tu gonflas les joues d’efforts alors que ton genou filait droit vers son visage ; comme quoi, tu avais sauté plus haut que le désespoir ne te l’aurait normalement permis.

Tout s’arrêta. Ou presque. Le choc estimé ne fut pas celui que tu t’imaginais ; tes oreilles bourdonnaient d’avance du son caractéristique d’un nez fracassé, tu ressentais déjà la douleur aigue contre ton genou. Telle cette bizarre imagerie, tout se fracassa au moment même où tu réalisas que tu étais suspendue dans les airs. Cette demi-seconde dura presque une minute ; ton poignet était emprisonné dans le sien, immense, alors que ton genou voyait les ongles de Yudai s’enfoncer dans ta chaire. Tu n’avais été qu’à quelques millimètres de son visage… et il t’avait arrêté avec une force inhumaine.

Ton cœur gonfla de passion quand tu distinguas un petit sourire sur son visage. Subjuguée, cela ne t’empêcha pas de voir arriver l’énorme coup de tête qu’il t’asséna, te propulsant en sens inverse par un jeu de forces dont tu n’avais connaissance que par la pratique ; tu n’étais pas très douée en physique.

Peut-être fis-tu quelques tonneaux avant de t’écraser, ironiquement près de la table qui avait précédemment percuter ton dos. Tu te mordis plus sévèrement la langue, alors que le plat de ta main râclait sans ambition le bois du gymnase, te permettant de t’accrocher au brin de conscience. Contrairement aux minutes précédentes, tu te retrouvas certes sur le ventre, mais face à Oujitsuna qui remettait sa chemise en place et à Yudai, qui ramassa ta feuille d’inscription miraculeusement sauvée malgré l’animation de votre petit affrontement. Un voile sombre allait et venait devant tes yeux, rendant les silhouettes moins distinctes. Tu vis quand même le grand brun tendre la feuille à la présidente du club, qui haussa les sourcils d’un air indigné.

— Sérieusement, Yudai ?

— Pourquoi pas.

Pourquoi pas. Deux mots qui te firent immédiatement tomber amoureuse et qui ne décrochèrent pas le sourire qui se colla à ton visage. Une paire de talons claqua devant la table, et tu entendis distinctement le soupir de ce qui devait être une professeure.

— Allô ? fis la voix de la belle enseignante d’arts. Oui, j’en ai une à terre, juste là. Oui, cela aura été le seul combat… cette année est étrangement calme.

Et tu te laissas sombrer dans un vide qui n’eut pas besoin de te happer.

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Herbe Rouge
Posté le 26/02/2021
Cool, une bonne bagarre :)
Toujours sympa cette histoire, juste délirante bien comme il faut :)

Un de mes passages préféré sur ce chapitre : "Tu ne sais pas qui prit les airs en premier ; ton ego, ton assurance, ou ton propre corps ?"
Akaracthe
Posté le 05/04/2021
Merci d'avoir pris le temps de me lire et de commenter ♥
MissRedInHell
Posté le 09/12/2020
Ah yess ! De la bagarre ! Fallait bien que ça arrive vu toutes les tensions, les stratégies... Y a bien un moment où il fallait que ça pète et ça a été très bien exécuté !
Comme toujours, c'est le bordel dans ce lycée et c'est parfait. x')
Akaracthe
Posté le 05/04/2021
CASTAGNE !
MissRedInHell
Posté le 08/04/2021
Yessss c'est ça qu'on veut !!! :D
Melau
Posté le 28/10/2020
Hii !
J'ai enfin eu le temps de venir lire ! Je suis bien contente de ce chapitre qui bouge vraiment ! C'est très agréable à lire, malgré quelques petites erreurs et des tournures un peu étranges.
J'ai noté, au tout début du chapitre, "plus de moins à camoufler le dégoût" je suppose que c'était "plus de mal à camoufler le dégoût" ? (vu le sens de la phrase).

En tous cas, j'ai hâte de lire la suite ! bravo à toi et bon courage :)
Akaracthe
Posté le 01/12/2020
Tu as raison pour la correction xD
Désolée de répondre aussi tard, mon mois de novembre a été tout à fait insupportable, mais je me rattrape !

Contente qu'il t'ait plu :p
DIMETHYLPENTANE
Posté le 14/10/2020
Hello ! C'était très cool, enfin de la vraie bagarre yaaaaye. Et comment ça c'est Yudai-chan le beau gosse maintenant, j'étais team Yuta-chan moi (émoji pas content et qui BOUDE) !!

J'ai noté quelques trucs cette fois :
"le lancé de table" -> le lancer
"ton cerveau le compris assez rapidement" -> comprit (je crois, tu m'as mis le doute)
"s’enfoncer dans ta chaire" -> chair
"et il t’avait arrêté" -> arrêtée
"qui avait précédemment percuter ton dos" -> percuté
Et le changement de temps dans cette phrase "Tu ne sais pas qui prit les airs en premier ; ton ego, ton assurance, ou ton propre corps ?". Je ne sais pas si c'est un choix ou pas, mais ça m'a sauté aux yeux du coup. J'ai eu un peu de mal aussi avec la tournure, je comprends ce que tu as voulu dire mais c'est un peu... capillotracté ?

Sinon j'ai beaucoup aimé ce passage là : "comme quoi, tu avais sauté plus haut que le désespoir ne te l’aurait normalement permis." ça sonne bien et c'est cool, moi c'est tout ce qu'il me faut pour apprécier hihi.
Bon courage pour la suite !
Akaracthe
Posté le 14/10/2020
Bah alors les fautes je pensais les avoir corrigé xD j'ai pas du ouvrir le bon fichier mdr. Merci en tout cas !
Et t'inquiète, Yuta-chan aussi on va le revoir, mais c'est plus drôle si on met plein de BG partout lààà ♥
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