Chapitre 9 ○ Quand tu te souviens...

Ce n’était pas la première fois que tu perdais connaissance. Une chape de familiarité t’entoura dans ce brin de conscience, malgré la brume qui embaumait ton esprit. Chose cependant inhabituelle ; tu te sentis rêver. Le vent soufflait fort, ou plutôt les vents ; au bord du vide, l’un te poussait dans le dos pour te faire tomber, tandis que l’autre s’efforçait de te faire reculer. Au final, cette dualité stagnante te rendait immobile, du haut de cet immeuble. En bas, la horde n’attendait qu’une chose, ta chute. Et toi, les poings serrés, l’excitation dans le regard, tu voulais voir qui allait finir par te faire basculer d’un côté ou d’un autre.

Un clignement de paupières plus tard, le décor s’etait estompé pour se remodeler un peu plus. Les couches de gris se superposaient dans une étrange harmonie. Se découvrit finalement une route, un lampadaire, un distributeur de boissons puis enfin l’entièreté de la rue. Tu la connaissais sans la connaître ; Ikebukuro, ses lumières criardes, ses petits cafés de ruelles dans lesquels tu aimerais te perdre plus souvent. En levant le nez, il aurait été difficile de rater le rouge qui illuminait le ciel. Quelques nuances couleur charbon se rejoignaient au loin, sur un point fixe, formant un immense tronc d’arbre. A bien y regarder, c’était comme si les éclairs qui striaient la cavité céleste n’étaient que de longues racines inversées. Tes yeux se focalisèrent subitement sur une silhouette, à l’horizon ; une femme courrait. Non, tu le sentis dans tes os ; elle fuyait. Tu ne pouvais définir que ses magnifiques cheveux noirs qui flottaient dans son dos. Sans le comprendre, une violente douleur s’écrasa dans ta poitrine ; tu rassemblas tes bras contre toi, malheureuse. Cette personne qui fuyait, tu la connaissais. Une vague de frustration te donna envie de hurler au monde une peine que tu ne pensais pas mériter, dont tu ne comprenais pas l’origine. Tu tremblas avant de te calmer d’un soupir ; ta main avait déchiré une partie de ta chemise. Tu te sentis si faible, si… seule. Ce constat te terrifia.

— Je n’ai pas envie moi, d’être seule.

Tu scellas tout de suite tes lèvres ; venais-tu vraiment de prononcer ces mots à voix haute ? Tu n’as jamais été seule ! Donc tu ne pouvais pas avoir peur de quelque chose d’aussi ridicule, tu n’étais plus une enfant ! Tu pestas, t’angoissas jusqu’à en pleurer. Puis l’atroce réalité te plongeas dans des questionnements sans fin. Pourquoi… te battais-tu, Sachiko ? Tu revis autour de toi des bulles de souvenirs si multiples qu’il aurait été impossible de toutes les reconnaître. Pourtant, tu savais où menaient chaque souvenir ; tes combats. Disputes. Une passion du défit et du conflit qui te prit au début du collègue. Tes premières « guerres » de Wasurenagusa, ton lien avec Ikuo. Mais où étaient tes attaches ? Qui se souviendrait de toi quand tu partiras ? Le néant qui suivit cette question te donne envie de pleurer. Tu avais toujours eu ce goût prononcé pour les risques et la manipulation.

C’était un jeu, dangereux certes, mais la vie n’était qu’un jeu. N’est-ce pas ?

Quelque part, tu sentis que les réponses à tes questions se trouvaient dans cette rue d’Ikebukuro. L’idée eut à peine le temps de s’immiscer dans ta tête que le rêve se mua à nouveau ; les bulles éclatèrent autour de toi pour te plonger dans un couloir très sombre, moins coloré, comme enrobé dans l’espace. Une boule s’illumina à ta gauche, présentant des vestiaires trop bien connus.

— Ah, oui, je me souviens…

***

Le bruit d’un casier que l’on refermait brusquement ne parvint pas à te sortir de tes songes. Les discussions se continuaient dans ce vestiaire rempli de camarades avec qui tu n’avais que peu d’affinité, sauf peut-être pour une ; Umi, assise à ta droite, et qui fumait une cigarette allant à l’encontre de toutes les règles de Wasurenagusa. Tu lui adressas un regard amusé ; sans elle, ta première année de lycée n’aurait pas eu la même saveur.

Encore en soutien-gorge avec ton vêtement de rechange dans les bras, tu jetas un œil machina à ton téléphone ; ton coeur se gonflait moins d’espoir de recevoir une nouvelle d’Ikuo, disparu après l’incident de décembre. C’était peut-être ta faute, mais personne ne le savait, pas même le premier des concernés ; Vine. Le seul premier année s’étant hissé à la tête du lycée était un génie de stratégie, avide de pouvoir et particulièrement intelligent. De tous les défis, c’était ton plus beau ; parvenir à briser le petit trio qu’il formait avec Ikuo et sa jumelle. Déjà car leur relation ne te semblait pas saine, mais surtout car ça t’amusait de mettre à mal les plans amoureux de Vine concernant l’adolescente ; et si en plus de cela, tu pouvais séparer Vine de l’un de ses plus fidèles vassaux…

Ça n’avait que trop bien marché. Un long frisson parcourut ton dos en repensant aux conséquences que cela aurait pu avoir s’il avait tout découvert ; et bien que le stress ne retombait jamais complètement quand tu étais au lycée, force était de constater qu’en deux mois, rien ne t’était encore arrivé.

— Et toi Sachiko, fit soudainement une fille en face de toi, il y a un garçon qui te plaît ?

La malice transpirait le regard clair de ta camarade. Tu terminas d’enfiler ta chemise, laissant planer un petit laps de temps dramatique ; tu aimais bien les histoires à suspens. Même si de ton côté, c’était surtout une manière de réfléchir à ce que tu pourrais répondre ; ce genre de questions étaient aux atipodes de tes intérêts, mais tu ne pouvais pas le leur dire de cette manière. Tu notas que même Umi, qui te connaissait pourtant très bien, semblait attendre que tu entrouvres les lèvres.

Si elle savait pour ma dernière relation, elle réagirait différemment.

— Mmh, je ne vais pas vous mentir, peut-être bien, oui.

Tu n’avais rien contre l’idée de faire jaser quelques minutes. L’émulsion qui anima les filles autour d’elle constitua une très belle récompense, même si Umi eut un froncement de sourcils préoccupés.

— Sachiko, murmura ta meilleure amie en t’attrapant le poignet.

Tu déglutis face à ton air sérieux. Quoi ? Qu’y avait-il de mal à aimer quelqu’un, même si ce n’était qu’un petit mensonge à peine voilé ?

— Ça ne serait pas Vine ?

Tu n’eus que le temps d’entrouvrir la bouche pour contester, choquée qu’elle ait pu en venir à cette conclusion, que la porte des vestiaires s’ouvrit brusquement. Une des portes paroles de ce fameux chef vint prévenir tout le monde qu’un combat aurait lieu d’ici peu de temps, et qu’un rassemblement était demandé le soir même, après les cours.

— Hey ! Mais on va se battre contre qui ? hurla une des sportives, toutes excitées.

— Le lycée Français.

Et la porte se refermit dans son dos. Sachiko fronça les sourcils ; ce n’était pas une annonce habituelle, cette obligation de combattre était toute aussi étrange. Tu remarquas qu’Umi avait précipitamment écrasé le bout de cigarette contre le banc en métal, craignant qu’un professeur n’ait subitement eu l’envie d’entrer. Même si Umi parut finalement soulagée, vous étiez peut-être les deux seules à rester quelque peu suspicieuse.

— Umicchan, ça te dirait qu’on aille manger au restaurant de nouilles à côté ?

— Hein ? Heu, ah, ouais, ouais, carrément !

Le vestiaire se vidait de sa population dans une frénésie que tu ressentais sans comprendre.

— C’est trop dommage ! Ils sont super mignons au lycée français…

— Berk ! fit une petite blonde en entendant la première, tu vas pas me dire que tu aimes ces étrangers ?!

— Mais ils ont un joli visage…

Tu en profitas pour tapoter l’épaule de la déçue avec un petit clin d’oeil.

— Allons les filles, il y a plein de manière de battre un garçon sans lui frapper le visage… je vous montrerais.

Tu sortis avec Umi dans une proximité qui continuaient de faire discuter vos camarades dans votre dos. De ton côté tu t’en fichais, surtout que ta meilleure amie était également d’avis d’ignorer ce genre de choses. Quand vous passâtes la barrière de colliers de perles qui constituaient l’entrée du restaurant en face de Wasurenagusa, le gros barbus qui servait une bière à un habitué fut si heureux de vous apercevoir qu’il s’approcha pour vous prendre dans ses bras.

— Ah ! Enfin de jolies jeunes filles pour attirer le client dans mon auberge !

— Pervers, s’amusa Umi pour toute réponse alors qu’il vous laissait vous installer.

La commande et le début du repas se passa dans un silence dont tu ne te rendis même pas compte. Concentrée sur tes nouilles et tes pensées, c’est un fort raclement de gorge d’Umi qui te fit comprendre que plus que le silence, c’était surtout tes oreilles qui s’étaient bouchées ; la pauvre n’avait cessé de faire des remarques sur les passants, de blaguer avec le petit serveur et de te dire des cochonneries.

— Bon Sachiko, que tu m’ignores je veux bien, mais tu me dois au moins une explication !

— Une explication ? Sur le fait de ne pas t’avoir répondu si j’avais envie de sortir avec Vine ? demandas-tu en haussant un sourcil.

— Quoi ? Mais non ! Quoique… oh attends, ne change pas de sujet ! s’agaça ton interlocutrice.

— C’est toi qui n’a lancé qu’un demi-sujet…

Tu esquivas une salière jetée en ta direction. Un petit rire s’échappa de tes lèvres, même si tu restais curieuse de ce que te voulais Umi. Cette dernière, après avoir serré les poings et juré qu’elle te referait bien le visage, reprit une grande inspiration avant de te regarder droit dans les yeux. L’intensité dans ses pupilles te fit reprendre immédiatement ton sérieux ; Umi paraissait un peu bête, un peu trop violente et sanguine, mais l’adolescente restait capable de garder la tête froide et de poser les bonnes questions. tu devais au moins lui reconnaître cela.

— Sachiko, je sais reconnaître quand quelque chose de travaille. De quoi s’agit-il ?

Tu ralentis le mouvement que tu faisais avec tes baguettes jusqu’à t’arrêter pour les reposer près de ton bol. Finalement, tu n’avais même pas mangé les nouilles trempées dans le bouillon, alors que la faim t’assaillait peut-être plus que d’habitude.

— Bien vu. Je réfléchissais à ce soir.

— J’en étais sûre. Et donc ?

— Au lycée français, ils ne sont pas plus de deux cents, et surtout ils n’ont jamais été reconnus comme étant des bastonneurs. Ce qui m’inquiète c’est cette annonce générale de notre côté. Vine veut que nous soyions tous là… et même si on admet que la moitié de nos effectifs seront vraiment présents, on reste largement plus nombreux que les français.

Umi s’etouffa avec sa gorgée d’eau. Tu en eus un petit sourire en coin, sachant très bien qu’elle ne pensait jamais à ce genre de choses.

— Si vine veut tant que nous soyons là, continuas-tu sans t’inquiéter de la bave sur le menton de ton amie, c’est qu’il est lui-même inquiet de quelque chose.

— Vine ? Inquiet ? Ca me paraît surréaliste ! Et puis bon, peut-être que les français ne viennent pas seuls, mais du coup Vine a certainement prévu de l’aide aussi ! Non ?

Tu croisas les bras contre ta poitrine. Tu y pensais, tout à l’heure.

— Vine a en effet des liens avec le Front armé… mais il y a forcément quelque chose qu’on ne sait pas.

La discussion se boucla sur cette interrogation, car ni Umi ni toi n’avaient de réponses concrètes à donner sur l’instant. Une part de toi angoissait mais une autre, bien plus excitée, te chantait que la fin de la journée serait absolument géniale. Tu rêvas un instant de ce qu’aurait dit Ikuo s’il était encore là, avant de te rendre compte qu’il parasitait un peu trop tes pensées ces derniers temps.

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Herbe Rouge
Posté le 01/03/2021
Salut,

De mon coté, j'ai compris assez rapidement que c'était un flashback, donc pas de soucis de ce coté.
Ni pour le reste d'ailleurs. Chapitre paisible, mais intéressant, qui permet, et surtout "va permettre" (si le chapitre suivant est bien la suite du flashback) de mieux comprendre Sachiko.
Akaracthe
Posté le 05/04/2021
Merci de ton retour !
Melau
Posté le 11/12/2020
Coucouuuu !

Ahlala ! Je suis bien contente de retrouver Sachiko ! Et surtout ton style ! Je ne sais pas si c'est ma mémoire qui me joue des tours, mais je trouve que ce chapitre est très poétique.
J'avoue avoir été déstabilisée au début par le saut dans le temps (si j'ai bien compris il y en a eu un, pas vrai ? x)), mais dès qu'on a retrouvé Umi et que la discussion a repris son cours, j'ai vu où tu voulais en venir.
Dans l'ensemble j'ai apprécié ce chapitre. Il est temps qu'il y ait véritablement de l'action et qu'un problème se crée.

Quelques remarques sur la forme maintenant :
- la concordance des temps est à revoir (tu passes parfois au présent au lieu de rester dans les temps du passé).
- les points-virgules : trop nombreux. Il vaut mieux couper ta phrase par moment, surtout que le lecteur ne reprend pas son souffle après un point-virgule, du moins pas autant qu'après un point. Parfois tu ne les utilises pas correctement, pense à mettre une simple virgule ou changer de phrase, c'est tout aussi lisible (même si je suis d'accord que ça change le style).
- Les coquilles et erreurs de conjugaison notables : pour une fois, j'ai pensé à en relever ! elles sont dans l'ordres en plus :
. Une passion du défi et du conflit qui te prit au début du collège (et non "défit" et "collègue")
. un oeil machinal (oubli du L) (et on dirait plutôt un coup d'oeil machinal)
. Le seul première année (à la place de "le seul premier année" ; mais on peut tout à fait douter dessus, la phrase serait peut-être à modifier pour ne pas avoir ce souci)
. porte-paroles (et non portes paroles
. plein de manières (= plusieurs manières)
. une proximité qui continuait (et non continuaient) pareil pour la barrière de collier de perles qui constituait (et non constituaient)
. de ce que te voulait Umi (et non voulais)
. quand quelque chose te travaille (de travaille)
. manque la majuscule à Vine (- Si Vine veut tant...)

Voilàààà x)
ça fait très long, j'en suis désolée !

En tous cas, je serai là pour lire le prochain chapitre avec plaisir ! Et prends ton temps, ne t'inquiète pas pour ça ;)

Bon courage à toi !
Akaracthe
Posté le 29/12/2020
Oh bah t'excuse pas ! Moi à partir du moment où les gens font l'effort de me lire et de m'aiguiller, ça me va parfaitement. Merci beaucoup ♥
MissRedInHell
Posté le 09/12/2020
Hey !

J'aime beaucoup ce chapitre qui se diffère des précédents. Ca renforce la bagarre du chapitre précédent. J'ai vraiment la sensation qu'il y a quelque chose qui s'est brisé en Sachiko à ce moment-là (ou qui s'est révélé plus en détail). Du coup, je me demande vraiment ce qui va en ressortir dans les chapitres suivants ^^

J'avoue avoir été un peu déstabilisée par le flashback. Je ne l'ai pas compris directement, probablement à cause de ma mémoire des noms au ras des pâquerettes. Mais au final, ça s'est compris dans l'ambiance je trouve. :3

Du coup, j'arrive à la fin des chapitres dispo ;-;
J'ai dévoré les derniers chapitres et je ne le regrette pas. J'ai peut-être un peu plus de mal à m'attacher à l'héroïne que dans d'autres histoires, mais je ne trouve pas ça dérangeant non plus. Je me laisse totalement portée par l'histoire, l'absurdité de la situation par moment... Il y a un univers extrêmement riche qui m'accroche bien. :3

Et super point positif ! Au début de ma lecture, en voyant la deuxième personne, j'ai coupé mes musiques habituelles pour lire. Bah ce fut la meilleure décision de ma vie. Je viens de me rendre compte que j'arrivais pas vraiment à lire avec de la musique. XD
Akaracthe
Posté le 05/04/2021
Ah bah comme quoi XDD
Merci de ton retour ça me fait super plaisir !
MissRedInHell
Posté le 08/04/2021
Je t'en prie o/
DIMETHYLPENTANE
Posté le 08/12/2020
Hello there. ( ͡° ͜ʖ ͡°)
Il y a encore quelques points virgules qui à mon sens ne devraient pas en être (supprimés ou remplacés par autre chose) et il reste aussi quelques fautes et coquilles de concordance de temps mais rien de très grave.
Toute la partie du rêve/bad trip est assez intéressante, j'ai remarqué un genre de cassure dans le ton de l'histoire (je n'ai pas relu les chapitres précédents avant celui-là alors je me base sur un souvenir pour le coup). C'est aussi une bonne idée, je trouve, d'avoir utilisé sa perte de connaissance pour intégrer un flashback, ça s'inscrit assez naturellement dans le récit et c'est cool d'avoir un peu plus d'informations sur l'ambiance de l'endroit d'où elle vient par rapport à là où elle est maintenant etc.
Bon courage pour la suite !
Akaracthe
Posté le 05/04/2021
Merci de ton retour ! (je pensais t'avoir répondu... my bad)
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