CHAPITRE 9
Il n’était pas difficile de trouver les krats, dès lors que l’on avait conscience de leur existence. Il y avait les rats, et il y avait un peu plus gros, un peu plus poilu et encore bien plus intelligent. Les krats. Une hiérarchie forte divisait leur population et influençait leur apparence. Les sentinelles pouvaient être confondus avec des rats si l’on était mauvais observateur, et c’est elles que l’on avait le plus de chances de croiser en premier lieu, que ce soit en Zone ou, manifestement, en Ville. Et c’est l’une d’elles que Sorc pistait justement.
Une sentinelle qui faisait les poubelles dans une ruelle des quartiers ouest.
Le krat n’avait pas encore repéré Sorc et se faisait un festin des restes d’un sandwich abandonné dans les ordures. Deux options s’ouvraient pour la sorcière. Ou attendre patiemment que le rongeur en ait finit de ses ripailles puis le suivre discrètement jusque chez lui, ou…
Silhouette floue et silencieuse dans l’ombre de la rue, le chat bondit d’un coup, et s’abattit sur le krat. Le pauvre animal n’eût pas le temps de se retourner qu’une grosse patte de Sorc posée sur sa queue le maintenait sur place.
― Bonjour sentinelle, lui murmura-t-il aux oreilles. Pourriez-vous me conduire à votre roi ?
Le krat tenta de se dégager en couinant, mais la prise du chat était bonne. Sorc patienta et le krat se fatigua, jusqu’à n’en plus pouvoir.
À bout de souffle, le rongeur finit par s’immobiliser, puis se retourner pour regarder Sorc dans les yeux. Le chat se lécha les babines avant de se ressaisir.
― Pourriez-vous me conduire à votre roi ? répéta Sorc.
Après un temps, le krat opina du chef.
*
Le Roi des krats n’avait rien d’une sentinelle. Il n’avait plus grand chose d’un rat non plus, à part la fourrure grise, le museau en pointe et les griffes au bout des doigts. Énorme, se déplaçant debout sur ses pattes arrière, il arborait une petite veste sans manche de couleur rouge et sur la tête, une couronne de divers metaux assemblés. Ses yeux, globuleux, lançaient des éclairs à quiconque croisait son regard.
Pour le rejoindre, il avait fallut à Sorc suivre sa sentinelle dans d’interminables canaux sous-terrains, à l’odeur douteuse et aux éboulis récurrents. Le krat avait à plusieurs reprises tenté de s’évader, mais la sorcière veillait et l’avait inlassablement rattrapé. Le pauvre rongeur n’avait eu d’autres choix que de servir de guide au chat dans les égouts de la Ville.
C’est ainsi qu’ils se tenaient désormais à l’entrée d’une salle du trône peu accueillante et pleine d’activité. Des krats de tout types couraient partout, répondant aux ordres des soldats ou parfois, du Roi lui-même. Ce dernier vociférait du haut d’une pyramide de déchets métalliques rassemblant tous types de carcasses, du cadis renversé à la petite cuillère tordue, en passant par le capot d’une voiture dont le vert se faisait manger par la rouille. Un fauteuil rouge étonnamment moderne et de bonne facture était posé au sommet de cette montagne et sur ce fauteuil était posé le Roi.
La pièce était haute, spacieuse et son plafond vouté. De nombreux couloirs en émergeaient et des tuyaux de toutes tailles et circonvolutions en chargeaient ses murs. Certaines jointures gouttaient dangereusement, créant des flaques odorantes que les krats prenaient à peine garde d’éviter.
Mais l’affairement général ne dura pas. La nouvelle d’un chat dans la kratière se diffusa en une vague de couinements et se dispersa du couloir où se trouvait Sorc jusqu’au trône. Des dizaines de petites têtes de krats se tournèrent dans la direction de la sorcière, puis un vent de panique général fit se vider la pièce en une poignée de seconde. Seuls restèrent le Roi et sa garde rapprochée, un arc de cercle de krats soldats, baraqués, tendus sur leurs pattes et feulant sous leurs armures de fortune.
Le Roi, lui, ne bougea pas d’un poil.
― Tu n’es pas chat, tu es sorcière, dit-il en posant ses gros yeux sur Sorc.
― C’est exact, répondit Sorc qui s’avança dans la pièce.
― Tu viens de loin, que fais-tu ici ?
― C’est une longue histoire. Je viens enquêter sur la série des meurtres par immolation.
De façon à peine perceptible, le Roi se crispa. Une ébauche de frisson qui n’échappa pas à l’oeil du chat.
― Et que fais-tu là, chez moi ? demanda le Roi.
― Je n’ai que quelques questions à te poser.
Sorc s’assit au pied de l’entassement de métal. Le Roi des krats se redressa sur son siège pour mieux le regarder de haut.
― Et tu t’imagines que je vais y répondre ?
― Je ne sais pas, mais je peux toujours essayer.
Du haut de sa pyramide de métal, le Roi s'esclaffa.
― Sais-tu au moins ce que les krats font là ?
― Comme partout ailleurs, du commerce.
De nouveau, le Roi rigola.
― Exact. Du commerce. As-tu quelque chose à me vendre ou à m’acheter ?
― Je crains que non.
― Alors notre conversation s’arrête ici. Rentre chez toi, sorcière.
Les krats soldats se resserrèrent aux pieds de leur Roi et feulèrent de plus belle. Sorc, nullement impressionné se lécha une patte, avant de la passer derrière son oreille.
― Dans tes caves, possèdes-tu de la salpitre, des cornes de buaffleux ou de la poussière des moines ?
Les babines du Roi se contractèrent en un sourire finassier.
― Des envies de démarrer un petit feu ? demanda-t-il.
― En possèdes-tu ?
― Je possède de tout. Je suis le Roi des krats.
― Tout ?
― Tout.
― Quelqu’un est-il venu t’en acheter dernièrement ?
― Quoi ?
― De quoi démarrer un petit feu…
Le sourire du Roi s’élargit encore un peu plus, révélant ses grandes dents de devant, deux tuiles blanches parfaitement alignées et acérées.
― Et tu t’imagines, une fois de plus, que je vais te répondre ?
― Et bien c’est à dire, voyez-vous sire, que j’ai quelques arguments.
― Tiens donc. Et quels seraient-ils ?
Sorc se leva machinalement. Le Roi se redressa sur son siège ; le rang des soldats gonfla ses muscles. La sorcière ne s’en formalisa pas et se dirigea lentement vers l’amas de ferraille.
― Et bien, reprit Sorc en battant nonchalamment de la queue, je suis bel et bien sorcière, mais ma projection n’est pas vraiment chat.
Il continua, en ronronnant, sa tranquille avancée vers le trône. Mais à chacun de ses pas, sa silhouette s’épaississait, grandissait et prenait de plus en plus de place dans la pièce. Le chat noir devint panthère qui grandit encore et encore pour atteindre le haut de la salle de ses omoplates et le dessus de la pyramide de son museau. Les soldats ne devinrent plus que des petites choses piaillant et s’échappant, cherchant les issues les plus proches. Et le Roi, poupée d’enfant pouvant tenir en entier dans la gueule de Sorc, s’enfonçait désormais dans son siège.
La sorcière posa lentement sa large patte sur le torse du Roi et appuya. Encore, puis encore un peu plus. Du bout de ses doigts sortirent comme au ralenti d’énormes griffes dont l’une pointait sur la gorge du krat.
― Je vais répéter ma question, dit Sorc. As-tu vendu dernièrement des ingrédients permettant de déclencher un feu magique ?
Le Roi des krats n’était plus qu’une masse flasque, tremblante et impatiente que tout cela s’arrête.
― Non, non j’ai rien vendu de la sorte.
― Des clients particuliers, des demandes hors du commun ces dernières semaines ?
Le krat eût un hoquet et tenta pathétiquement de sourire.
― Ben, c’est à dire, c’est mon quotidien, les gens particuliers qui viennent me voir pour des demandes hors du commun.
Les griffes de Sorc s’allongèrent encore un peu plus, se plantant dans la peau du Roi.
― En rapport de près ou de loin avec les meurtres par immolation dans les quartier riches ?
― Non, non, pas que je saches, lâcha le rongeur.
Un silence se fit.
Le krat tressaillait, Sorc le regardait dans le fond des yeux.
Puis d’un coup, la sorcière lâcha prise et s’en retourna vers l’entrée de la pièce. Le temps d’arriver au couloir, elle avait repris taille et forme d’un simple chat de gouttière et s’en alla courant, sans un regard en arrière.
C'est chouette de découvrir d'autres couches de la Ville, d'autres habitants surnaturels.
J'ai été surprise de voir que Sorc utilise la menace, je ne m'attendais pas à ça, de sa part. Qu'il s'en serve pour être mené jusqu'au roi, c'est pas tant ça qui m'a étonné, davantage le face-à-face avec le roi. Mais peut-être que le personnage se révèle tout simplement différent que ce que je croyais.
J'ai lu le commentaire de Raza et ta réponse - de mon côté, je trouve aussi que ce chapitre est un peu plus faible que les autres dans son apport à l'ensemble.
Mais ça reste palpitant et accrocheur, je passe au chapitre suivant.
PS : n'hésite pas à dire, si, à ce stade de l'écriture, tu préférerais des commentaires plus courts, ou plus orientés vers des points particuliers. Pour l'instant, je mets juste ce qui me vient :-)
oui je suis d'accord avec vous deux pour ce chapitre. J'ai l'impression d'avoir un peu "gâché" les krats en rendant cette rencontre si expéditive.
Je vais réfléchir à comment améliorer cela : )
Merci mille fois pour tes commentaires, ils sont supers précieux, c'est parfait pour moi, car je doute beaucoup sur ce récit, plus j'avance moins je suis sûre de moi et d'où je vous emmène, haha, donc avoir des retours au fur et à mesure de la lecture sur ce qui te vient en première impression c'est idéal pour moi : )
Merci merci <3
<3 le roi des krats. J'aime ce côté casse noisettes, magique mais d'une manière plus sombre que la simple magie de contes de fées. Jebpense que pour une réécriture plus tard, tu pourrais retravailler les quelques lignes de début de dialogue entre sorc et le roi, qui donnent l'impression que tu cherches tes mots, mais lenreste est top <3
Sorc fait donc de la menace ! Je me demande justevpourqyoibilnnenluibdemande pas durectement ce qu'il sait, puisqu'il a l'air de savoir quelque chose, quand même ?
À bientôt, merci !
Oui quand je me relis je pense que ce chapitre demandera pas mal de réécriture à la fois de forme mais aussi de fond. J'ai l'impression que cette présentation des krats est un peu "jetée" rapidement... Je verrai tout cela en seconde écriture : )