Il y a de cela fort, fort longtemps.
Sur ses prunelles dansaient des drapeaux de rouges et de jaunes, imprimant sur sa rétine un motif qui ne le quittait plus. Lorsque Tess clignait des yeux, le feu était toujours là, à l’attendre, à seulement quelques pas de plus.
Quelques pas de plus.
Mais alors qu’il approchait enfin du prochain foyer, posé au milieu d’un croisement entre deux voies, un grand vent de nouveau se leva, gronda et fondit sur lui. Une fois de plus, le bûcher que Tess tentait de rejoindre fut séché en un souffle glacé, le privant de la promesse d’une proche escale.
Il voulu courrir jusqu’au tas de bois pour y plonger sa torche au plus vite et tenter de le ranimer, mais à peine eût-il fait un pas qu’une silhouette pâle se détacha de l’ombre, venant du sentier transversal.
Par réflexe, Tess brandit nerveusement son flambeau entre lui et l’ombre blanche qui s’avançait. Aucune attaque ne vint, alors il décala lentement sa lumière sur le côté afin de mieux voir ce qui se présentait cette fois à lui.
Une femme, aux cheveux longs ondulant dans le vent, se détachait, pâle, sur le fond charbon de la nuit. Tess ne la connaissait pas.
― Qui es-tu ? demanda-t-il.
Les yeux de la femme n’étaient que deux entailles noires dans son visage et lui fire penser, une nouvelle fois, au talisman de Blanda qui pesait toujours dans sa sacoche.
L’inconnue s’arrêta à quelques pieds du halo ambré que dessinait sur le sol l’éclat de la torche.
― Je viens d’une autre vallée et je viens au Grand Brasier, lui dit la femme. Je n’ai pas de torche, peux-tu m’y conduire ?
Sa voix était faible, lointaine, comme venue de plus loin que son corps.
― J’en reviens et je dois rentrer chez moi, ma femme est malade, lui dit Tess. Pourquoi être partie de chez toi si tard, seule et sans torche ?
― J’habite loin et je dois aller au Brasier, mon fils est malade, lui répondit-elle. Pourquoi ne pas m’accompagner jusqu’à la Montenn, toi qui a une torche ?
Tess frémit. Il ne voulait pas faire demi-tour, il avait déjà parcouru tant de chemin. Et cette femme lui faisait peur. De plus, l’Uddrie ne lui avait-elle pas conseillé de ne pas revenir sur ses pas ?
― Il est tard, la fête arrive à sa fin, il n’y a rien pour toi là-bas. C’est trop tard pour le Grand Brasier, lui dit Tess. Rentre chez toi.
― Mon fils est malade, d’un mal que personne ne comprend, lui dit la femme. Je dois aller fêter les Dieux pour qu’ils m’entendent.
Une fois de plus, Tess se demanda s’il s’agissait d’une épreuve. Fallait-il aider cette femme et prouver sa bravoure aux Dieux ? Ou s’agissait-il d’un piège de mages ? Ou peut-être encore que cette mère n’était autre qu’une mère qui devait prier au Grand Brasier pour tenter de sauver son fils malade.
― La nuit est trop avancée, dit finalement Tess. Les feux de chemins s'éteignent et les ombres sont trop étranges ce soir. Moi-même, comment pourrais-tu savoir que je ne suis pas un mage ?
La femme le regardait toujours, depuis sa pénombre, sans bouger.
Tess plongea la main dans sa sacoche.
― Regarde, reprit Tess. Voici une amulette des trois Parentes, elles protègent et guérissent. Elles veilleront sur ton fils et, peut-être, le sauveront.
Tess s’avança de quelques pas, puis quelques autres encore, se plaçant maintenant entre le bûcher fumant et l’inconnue. Le femme reculait au fur et à mesure que le halo de la torche s’avançait.
― Si tu penses que je pourrais être un mage et ma torche une illusion et bien regarde, je ne m’approche pas plus de toi, expliqua-t-il à l’inconnue. Je vais poser la statuette par terre, ici, elle est pour toi. Prends là, et rentre chez toi, le Grand Brasier ne fera rien de plus que ce que cette statue ne fera.
Tess se pencha pour poser la sculpture au sol, puis recula rapidement pour rejoindre l’ancien bûcher.
Si cette femme était un mage, pensait-il, elle n’oserait pas avancer sur un chemin protégé par les trois Parentes. Si elle était une fée, elle serait satisfaite de l’avoir vu sacrifier ce talisman en l’offrant à une autre.
Fort de cette assurance mais les yeux toujours rivés vers l’inconnue et la torche toujours brandie entre eux, il fit le tour du grand tas de bois encore brulant de braises.
Il y logea l’extrémité enflammée de sa torche pour le faire repartir.
Tess n’osait pas s’accroupir pour souffler sur les braises, il préférait rester debout, prêt à se défendre… au cas où.
Heureusement, le bois était encore chaud et tout n’avait pas encore brûlé. Alors que Tess invoquait les flammes de toute ses pensées, elles s’éveillèrent enfin et dévorèrent avec appétit les bûches restantes.
Le feu reprit vite en taille et sa lueur se répandit sur tout le croisement.
Tess, soufflant, leva les yeux à la recherche de la femme.
À la place où il pensait la trouver, il ne vit que terre et herbes folles. Il la chercha plus loin du regard et de la torche, il ne trouva personne. Pas une silhouette, pas un mouvement, pas un bruit.
Au sol, la sculpture des Trois Parentes avait disparu.
Très beau chapitre, j'aime bien le personnage mystérieux qui apparait et disparait avec la statuette. Au début j'ai pensé que c'était le renard, mais la femme n'avait pas l'air blessée. Les suppositions que fait Tess vis-à-vis de cette seconde apparition permettent de mieux appréhender l'univers dans lequel Tess évolue, peuplé de mages et de fées. La femme n'est donc pas un mage, puisqu'elle semble être partie avec la statuette. Encore une fois, on doit mener l'enquête. Ca me donne envie de relire tous les chapitres "il y a fort fort longtemps", pour relever des indices, parce qu'avec la lecture fragmentée, j'ai du mal à tout relier (mais je vais pas le faire, pas ce soir ^^).
En tout cas c'est toujours agréable de te lire,
A bientôt
merci beaucoup de continuer ta lecture de "Feux" : )
C'est vrai qu'il y a comme une double enquête finalement entre le passé et le présent, je suis rassurée que cela fonctionne !
C'est vrai que la lecture fractionnée ne rend pas évidente la fluidité de l'intrigue, j'espère que cela ne pose pas trop de problème de compréhension...
Merci encore de ton commentaire !
des bises,
itchane.
Cette situation met en lumière un peu mieux le caractère de Tess, je trouve qu'on ressent que c'est un homme intègre, empathique ; et l'apparition donne du poids à tout ce qui a été évoqué dans les chapitres précédents, à propos de la présence des esprits, du surnaturel - et l'importance des feux.
Au début du texte, l'expression "drapeaux de rouges et jaunes m'a moyennement convaincu, j'ai relu plusieurs fois pour être sûr-e de ce que je comprenais (et pour parler avec franchise, le drapeau rouge m'a tout de suite évoqué le communisme). Mais ça vient peut-être que de moi.
L'expression "piège de mages" sonne vraiment bien, ça sonne comme une expression consacrée, utilisée par ce peuple qui met derrière quelque chose de précis (ou pas forcément précis, mais eux savent ce que ça veut dire, quoi).
"croisement entre deux voies" : est-ce voulu de ne pas utiliser "carrefour" ?
Il voulu courrir -> voulut courir
J'aime bien le tour que prend cette partie de l'histoire.
Merci beaucoup pour ton message !
Oui, même si le doute persiste le côté "esprit" ressort de plus en plus, cela me fait plaisir de te lire car c'était l'effet escompté ^^
Je note l'expression des drapeaux qui ne passe pas très bien semble-t-il, je chercherai autre chose : )
Merci encore : )
Que j'aime cette ambiance un peu horrifique. Ça me fait penser à des histoires de fantômes japonaises. Le côté élémental doit yvêtte pour quelque chose. La fin m'interpelle, parce qu'avec tout ça, je ne sais pas sibje suis effrayé ou content que lanstatuette soit partie. Les deux je crois ?
C'était un très beau chapitre, merci !
merci pour ta lecture et ton commentaire.
J'avais peur que les chapitres "il y a fort fort longtemps" ne coupent trop la narration ou qu'ils deviennent un peu répétitifs. Il semblerait qu'ils plaisent encore, ouf ! ^^
Il n'y en a plus pour très longtemps avant que les fils se recoupent ^^