Chapitre 9 - La cérémonie

À Mÿrre, en terre physée.

Le voyage jusqu'à Mÿrre se déroula sans encombres, bien qu'il fût long. La ville se trouvait au bord du plus grand lac du Nouveau Monde, dans la région sableuse de Yacuiba. Le climat y était aride en été, mais doux en hiver et il faisait bon y vivre. C'était la première fois qu'Endza partait aussi loin de chez elle. Elle se réveilla toute excitée par la journée qui l'attendait et ouvrit les rideaux de sa chambre pour prendre la température. Le soleil irradia immédiatement la pièce et baigna ses cheveux roux de lumière. La chambre avait la vue sur le lac, regarder l'eau scintiller au réveil était magnifique. L'odeur de pin qui emplissait ses narines apaisa également la jeune fille.

J’aurais aimé partager ça avec mes sœurs malgré tout, songea la cadette.

Ce n'était pas Endza qui devait être là aujourd'hui et elle se sentait un peu coupable d'avoir pris la place de Manon, mais ce sentiment fut vite oublié. Nazar avait dormi dans la chambre à côté de la sienne et ils s'étaient retrouvés nez à nez quand il ouvrit, lui aussi, sa fenêtre. Les deux adolescents échangèrent un sourire puis se préparèrent pour affronter la journée.

_ Allons éblouir les physés ! s’enthousiasma Endza seule devant son miroir.

Endza voulait garder sa robe bustier, réalisée par Solenne, pour le jour de la révélation de l'Élu. Elle se rabattit donc sur une tenue plus simple et opta pour une jupe longue assorti à un chemisier blanc. La cérémonie se déroulerait sur quatre jours et aujourd'hui, il n’était question que de présenter les candidats et leurs pouvoirs au reste du monde. Ensuite, une fois que leurs aptitudes auraient été reconnues dans la matinée, ils allaient tous défier Bénédit un à un.

J’ai quelques jours devant moi qui me permettront, peut-être, de trouver mon âme sœur, songea la rouquine en se coiffant minutieusement.

Une fois présentés, les candidats avaient près de trois jours pour se battre contre l’actuel Élu jusqu'à arriver à le vaincre. Ensuite, le peu de candidats restants n’aurait plus qu’à tenter de s'associer au telsman de l'ancien Élu. Seul l’un d'entre eux y parviendrait et prendrait ainsi sa place. C'était l'ultime épreuve, celle de l'Oracle et en réalité, c'était la seule qui comptait. Le reste des étapes étaient plus apparentées à du spectacle et Endza adorait ça.

_ Ma fille, tu es prête pour ce premier jour ? toqua Paskhal.

_ Oui Père, j’arrive ! répondit Endza, guillerette.

La joyeuse troupe constituée des deux adolescents, de Paskhal et d'Arthur, se retrouva sur le lieu de la cérémonie. Ils avaient leurs places assises attitrées, à côté des Élus des rouges et des oranges. Le ministre y siégeait également.

_ Nous sommes au premier rang ! s’enthousiasma Endza en s’asseyant à côté de Nazar.

 La célébration avait lieu sur une des grandes places de la ville. L'aménagement des spectateurs dans des gradins faisait penser à celui d'une arène. Des banderoles avaient été installées sur les immeubles adjacents en l'honneur des Physés et la ville blanche s’était parée de rouge pour l’occasion. Le temps était à la fête. Les rues de sables blancs débordaient de touristes qui amenaient, eux aussi, un peu de couleur dans ces camaïeux de crème.

_ Restons à l’affut malgré les festivités, murmura Paskhal à l’intention de son fils pendant qu’Endza découvrait la cérémonie avec émerveillement.

_ Je suis sur mes gardes, le rassura Arthur. 

La présentation tant attendue commença et ce fut l'Élu des Hylés qui s'en occupa. Gaultier était le plus jeune des trois représentants siréliens. Il avait vingt-six ans et s'était fait élire alors qu'il n'était âgé que de douze ans. Il avait la faculté de maitriser le magnétisme et de transformer tout son corps en métal. Il commença donc son discours avec son allure humaine, mais au fur et à mesure de ses paroles, sa peau d'ébène se remplaçait par du métal. Il finit par en être entièrement recouvert, ce qui lui valut des applaudissements amusés de la foule.

_ Mes amis, monsieur le ministre, nous sommes réunis ici pour l'avenir des Physés. Nous avons six candidats en lice. Seul l'un d'eux est l'Élu, successeur de Bénédit. Mesdames et messieurs, soyez bien attentifs, voici les participants !

À ces mots, les six concernés rejoignirent l'estrade pour saluer le public. Ils firent tous une révérence en direction de la tribune officielle pour ensuite dévoiler leur pouvoir. Il était question de contrôle d'animaux, de maitrise de la nature et de la météo, ainsi que de guérison. Les candidats enchainèrent les exploits sous l'œil admiratif du ministre tandis qu’Endza et Nazar s'enthousiasmaient d'autant de talent.

_ C’est la première fois que je vois des Physés aussi doués ! commenta Endza.

_ Tu m’étonnes, avant aujourd’hui nous ne connaissions que le médecin d’Eybure et ses minces talents de guérisseurs, acquiesça Nazar.

Les deux adolescents applaudissaient donc à tout va, admiratifs. Toutefois, ce sont les deux derniers qui eurent leur préférence. Ils les avaient reconnus suite à leurs portraits dans les journaux. Il s'agissait de Vikthor et de sa sœur Sophya.

_ Tu as vu le regard qu’il nous jette ? Il a l’air de vouloir défier toute l’assemblée, chuchota l’adolescente subjuguée.

Face à eux, Vikthor affichait une mine fermée, il ne s'était pas encore remis de la perte de son âme sœur. En réalité, il était même en colère et il en voulait à Garnel Asage. Ce dernier venait de proscrire toutes les futures relations amoureuses humano-siréliennes et c'était devenu officiel le matin même alors que tout le monde avait les yeux rivés sur cette cérémonie. Personne n'avait donc réellement relevé l'information nouvellement parue. Garnel Asage avait fait preuve d'intelligence et profité de l'agitation pour faire passer cette loi. Vikthor, qui avait appris l'information avant sa participation, était rentré dans une colère noire et sa sœur avait eu du mal à le convaincre de venir à la cérémonie malgré tout.

_ Qu’est-ce qu’il est impressionnant ! surenchérit Endza.

_ Ah oui, tu trouves ? marmonna Nazar presque jaloux de ne pas avoir les regards sur lui, pour une fois. 

Vikthor était le favori et était reconnu pour être un jeune homme vif d’esprit malgré ses seize ans. On le voyait aussi comme un grand gaillard qui pouvait se permettre de défier l'autorité quand elle se montrait injuste. On le disait impulsif, mais droit, toujours à protéger ses valeurs jusqu'au bout.

_ C’est à son tour de parader ! s’enthousiasma Endza en applaudissant de plus belle.

Devant la tribune officielle, le ténébreux Vikthor réalisa sa prestation sans ciller pourtant il avait une idée en tête.

_ Regarde, il est doué de guérison ! comprit la rouquine en voyant l’adolescent se taillader la peau puis la guérir l’instant d’après.

Alors qu’il s’était ouvert le bras, sa blessure s’était refermée instantanément ne laissant aucune cicatrice sur sa peau bronzée.

_ J’aurais trouvé ça plus impressionnant s’il l’avait fait sur quelqu’un d’autre, railla Nazar avec médisance.

_ Je crois que tu as parlé trop vite ! le taquina Endza alors que Vikthor invitait le ministre à participer au tour.

Tandis que Garnel Asage se vit dans l’obligation de refuser l’invitation, le physé se rabattit sur une des humaines qui accompagnaient le ministre. Bien qu’il commençât à être jaloux de Vikthor, Nazar devait avouer qu’il avait le sens du spectacle. Il fallait oser balafrer le décolleté d’une jeune humaine en fixant monsieur Asage tout du long. Heureusement, l’assistante n’en garda aucune trace. D’un revers de la main, Vikthor referma la blessure en quelques secondes devant une assistance émoustillée.

_ BRAVO ! criait la foule en délire.

Tout le monde applaudissait à s'en faire mal aux mains, mais pourtant ce n'était pas fini. Le favori allait dégainer un dernier tour. Sous le regard médusé d’Endza, Vikthor fit sortir des racines de la terre, mais aussi de son corps. Il les maniait comme il le souhaitait et sous son impulsion, elles se dirigèrent droit vers le ministre Asage. L’adolescent profita de l’interdiction d’interrompre une démonstration pour placer ses lianes autour du siège du politicien, resserrant peu à peu leur étreinte.

_ Culotté, chuchota Endza admirative.

Le ministre, malgré l'affront, ne bougea pas et ils se fixèrent intensément pendant de longues minutes. Malgré tout, Vikthor finit par lâcher son emprise comme si de rien n’était, sans jamais baisser les yeux. La foule s'était alors tue et la place était plongée dans un silence assourdissant. Avec cette action, le beau brun pouvait déclencher une guerre. Tout le monde était pendu aux lèvres du ministre, mais celui-ci se contenta d'applaudir doucement. Le pire était passé, ou du moins c'est ce qu'on espérait.     

_ Place à sa sœur, à présent ! se réjouit Nazar.

Loin de faire retomber la pression, Sophya s'amusa de la météo en abattant un nuage de pluie juste au-dessus du ministre.

_ Décidément, il n'est pas le bienvenu ici, constata la cadette surprise.  

Sophya eut cependant la prudence de sécher le politicien juste après, à l'aide du vent. Le public s'émerveilla du spectacle voyant se succéder beau temps, tornades, éclairs et trombes d’eau. La démonstration de Sophya annonça la fin de la matinée et avec elle le début de la seconde épreuve.

_ Les choses sérieuses vont commencer ! déclara Nazar en prenant Endza par les épaules.

Les présentations faites, il fallait maintenant se battre et vaincre le présent Élu à l'aide de ses dons. Cette épreuve s'étalerait sur le reste de l'après-midi et sur les deux jours suivants. S'il n'avait pas réussi la veille, chaque candidat pouvait revenir le lendemain tenter sa chance. Certains abandonnaient tandis que d'autres ne lâchaient rien. Vikthor et Sophya n'eurent pas ce problème et se dévouèrent pour commencer.

_ Bien sûr, les favoris ouvrent le bal ! soupira Nazar. 

Si Bénédit possédait le don de guérison comme Vikthor, son autre pouvoir était lié aux animaux. L’actuel Élu avait la faculté de pouvoir les diriger et il déchaina ours, cerfs et loups sur le premier participant. Celui-ci répondit à coup de racines et de plantes géantes pour envoyer ses lianes en direction des animaux afin de les attraper et de les attacher.

_ Tu as vu, il essaye de ne blesser aucun des animaux de Bénédit !

Tandis qu’Endza était admirative, Vikthor s’évertuait à créer un enchevêtrement d'arbres autour des ours pour les retenir. Pendant qu’ils se battaient avec hargne, les deux hommes scintillaient de rouge. Cela arrivait souvent que l’aura d’une personne brille lorsqu’elle utilisait son don intensément. En effet, il émanait des Siréliens des couleurs chaudes telles que des nuances de jaunes, de rouges ou d'orangés traduisant l’utilisation de leurs pouvoirs.

_ Bénédit est en difficulté, ses animaux battent en retraite, constata Nazar.

Bien qu’il eût le dessus, Vikthor ne tua aucune des bêtes venues aider Bénédit et se contenta de les immobiliser une à une. Les ours furent les derniers à capituler permettant à l’adolescent de relever le défi. Vikthor serait présenté à l'Oracle.

La journée s'acheva sur la performance de Sophya. Pendant tout le combat, son aura violette s'opposait aux scintillements rouges de son Élu. Elle eut plus de mal à retenir le courroux des autres animaux de Bénédit.  Ils se rapprochaient d'elle dangereusement et elle les blessa à de nombreuses reprises sans le vouloir. Sophya faisait s'abattre la foudre au plus proche d'eux, pour les faire fuir, car elle n'avait pas le don de guérison et tentait donc, tant bien que mal, d'éviter le combat rapproché.

Comme son frère, elle avait une stratégie de repoussement et une tempête eut finalement raison du don de Bénédit. L'épreuve de Sophya s'était éternisée et elle avait fini par déchainer vents, foudres et pluies pour s'en sortir.  Au passage, elle tua un ours et plusieurs cerfs, pour son plus grand malheur. Elle aurait préféré ne pas gagner ainsi, mais elle avait reçu le droit de se présenter, elle aussi, à la dernière épreuve.          

_ La famille Peyrache est en lis pour devenir Élu, conclut Nazar en quittant l’arène.

Le soir venu, tout le monde allait diner dans la ville où des stands étaient installés un peu partout. On y partageait ses pronostics, ses impressions autour de grands verres. Paskhal était invité à la table d'honneur avec les autres Élus et le ministre Garnel Asage. Sa fille et Nazar optèrent, eux, pour la table juste à côté, celle des candidats. Endza souhaitait rencontrer Vikthor tandis que Nazar avait une préférence pour Sophya. Arthur suivit d'abord son père puis préféra rejoindre sa sœur pour se retrouver assis en face du favori. Vikthor et lui eurent un vrai coup de cœur amical. À la fin du repas, ils échangeaient comme s'ils s'étaient toujours connus.

Le lendemain, ce fut tout naturellement que Vikthor et sa sœur rejoignirent Arthur dans les gradins officiels. Ils ne reprendraient la cérémonie que pour l'Oracle, mais d'ici là, ils se devaient d'assister aux autres affrontements des candidats. Ils avaient convaincu leur nouvel ami de s'éloigner de son père et surtout du ministre. Ils ne pouvaient pas le sentir et Arthur avait du mal à se faire une idée sur lui. Nazar et Endza s'étaient contentés de suivre le mouvement, dans un premier temps. Ils avaient ensuite fait bande à part et préféraient, finalement, la présence de Paskhal.  Nazar, peu habitué à être dans l'ombre, supportait mal de passer la journée avec Vikthor.

_ C’est au tour de Sonfà, elle aussi on l’a dit très prometteuse, expliqua Nazar. 

La candidate, soutenue par la famille Peyrache, passait à la suite de deux abandons. Ses camarades, à force d'échouer, avaient fini par laisser tomber leur idée de vaincre Bénédit.

_ Je sais, c’est la seconde et dernière fille du groupe.

Plus petite que Sophya, Sonfà avait toutefois des pouvoirs similaires. Cependant, la métisse ne pouvait user de son don qu'à travers son corps et pouvait donc voler en se soulevant par le biais du vent ou encore se transformer en boule d'énergie tel un éclair.  Si elle ne pouvait pas faire la pluie et le beau temps comme Sophya, elle était douée pour se transformer en tornade.

_ On va enfin assister à un vrai corps à corps, s’enthousiasma Nazar avide de combats.

La cadette du groupe ne fit pas mentir Nazar et lutta avec les animaux de Bénédit. Tour à tour, elle fonçait sur eux et à leur contact, elle se déchargeait de son électricité. Pour éviter les coups, elle se transformait ensuite en tornade.

_ Tout va si vite ! J’ai du mal à voir qui prend le dessus entre son tourbillon fuchsia qui fait des va-et-vient incessants et ces ours qui attaquent sans relâche, commenta Endza subjuguée.

À chaque fois que les animaux de Bénédit arrivaient à l'atteindre, ils recevaient de la foudre. Certains étaient même projetés violemment en arrière. À l'aide du vent, Sonfà volait de loup en loup. Ainsi, elle éparpillait la meute pour les attirer, ensuite, un par un. Si tous les animaux se jetaient sur elle en même temps, elle avait peu de chance de gagner l'épreuve, mais heureusement Sonfà était rusée. Elle s'employa à mettre hors état de nuire chacun de ses adversaires, un à un pour épuiser Bénédit.

C'est cette tactique qui lui donna sa place pour l’Oracle. L’actuel Élu était de plus en plus fatigué par la cérémonie et il avait combattu vite, oubliant la stratégie. Beau joueur, il rejoignit Sonfà au centre de l'arène. Fier d'elle, Bénédit passa la main dans ses cheveux crépus pour féliciter sa nièce. C'était la dernière de la journée à être passée, mais il restait un dernier candidat à combattre pour le lendemain. Ensuite, ce serait enfin l’Oracle. Vikthor et sa sœur se levèrent pour féliciter leur amie à leur tour. Sonfà posa ses yeux d'un gris métallique sur son ainé et Vikthor lui ouvrit grand les bras.

_ Félicitations, ma chère amie ! glissa-t-il à son oreille parée de nombreuses boucles qui s’entrechoquèrent avec le telsman de Vikthor.

_ Je savais qu'on y arriverait tous les trois. Surtout toi ! lui répondit Sonfà en se détachant de son étreinte.

Elle tenta de le décoiffer en passant sa main dans ses cheveux bruns, mais il était trop grand pour cela et il l'écarta sans peine en rigolant. Vikthor était le cliché du grand brun ténébreux. Avec sa peau légèrement mate et ses fossettes, il aurait pu avoir toute une cour derrière lui. Cependant, contrairement à Nazar, il n'en jouait jamais. Il était trop droit pour se servir de ses charmes et jusqu'ici il n'avait eu d'yeux que pour la jeune Louise avec qu’il s’était liée peu de temps avant la fusillade. Sa sœur Sophya, était-elle aussi très élancée. Tout en muscle, elle était une grande sportive. Sa longue chevelure tirée dans une tresse épaisse lui donnait des airs de guerrière et Sonfà l’admirait pour ça.

Le lendemain, tout le monde se regroupa pour assister à un dernier combat entre Bénédit et un participant.

_ Cette fois, ce n’est pas très spectaculaire, remarqua Endza.

En effet, le dernier participant ne brilla pas et s’avoua vite vaincu face à un Bénédit qui avait repris des forces. 

_ L’Oracle va avoir lieu plus tôt que prévu.

L’ultime épreuve qui ne devait se dérouler que le lendemain matin fut déplacée à l’après-midi du troisième jour. Le dernier candidat ayant échoué à vaincre Bénédit, le rôle d’Élu allait se jouer entre Vikthor, sa petite sœur et Sonfà. Bénédit avait congédié la foule pour la matinée, car il souhaitait reprendre des forces avant l’Oracle. Cependant, tandis que l’Élu des physés se reposait, on avait rapporté des actes de vandalisme à Paskhal. Des humains et des siréliens s'étaient également battus. Les sans-pouvoirs voulaient rencontrer le dirigeant Garnel Asage, mais les autres ne comprenaient pas la place de simples humains dans leur rang, ministre ou non.

Paskhal s'évertua à calmer la foule et Garnel l’épaula tandis qu’Arthur n'eut qu'à s'élancer pour séparer tout le monde. Son pouvoir de super vitesse permit d'éparpiller les deux clans en quelques minutes sans échauffer encore plus les esprits et Paskhal usa de son don d'orateur pour calmer le reste de la foule. Malheureusement, l'affrontement avait ravivé les tensions de la fusillade et on reprochait enfin à Garnel sa prise de position contre les relations humano-siréliennes. D'autres au contraire le soutenaient.

Toute la foule était galvanisée par la présence du ministre et du conciliateur-dynaste. Certains se risquèrent même à lancer des bouteilles, mais Endza les rattrapa avec aisance, grâce à son corps élastique. S’il avait cru pouvoir contenir la foule pendant un temps, Arthur prit finalement la décision d'exfiltrer son père et sa sœur.

_ Tu as eu raison, c’était bien trop dangereux ! le félicita la cadette.

Si Paskhal avait le respect des Siréliens, les humains l'écoutaient moins. Heureusement, la sécurité avait fini par calmer les spectateurs, à force de sommations. Garnel Asage ne plaisantait pas avec l’autorité et il avait l’habitude d’avoir le dessus.

À treize heures trente, la cérémonie reprit par un long discours de Gaultier. Il avait été chargé de rasseoir l'autorité Sirélienne et de légitimer la présence du ministre. Il le fit avec aisance et dans le plus grand des silences. Son aspect d'homme métallique suffisait à rendre discrets tous les trouble-fêtes. Cette fois, Paskhal avait également rejoint le centre de la scène et Arthur, assurant sa protection, l'accompagnait.

_ L’Oracle va enfin avoir lieu ! s’écria Endza émue par l’expérience.

Le moment était sensible, car, à cet instant, le futur et l'actuel Élu étaient vulnérables. En parfaite symbiose, ils ne pourraient se protéger d'une attaque. Ils avaient donc besoin de la présence des autres pour effectuer la dernière épreuve en toute sécurité. Nazar et Endza étaient restés à côté du ministre. Tous trois tendus, ils observaient avec attention la scène tandis que les candidats tiraient au sort leur ordre de passage.

_ Sophya sera la première. Vikthor, si les deux autres n'ont pas réussi, s'y risquera le dernier, commenta Nazar.

L'Oracle était un moment très particulier où les deux telsmans de l'ancien et du nouvel Élu se liaient ensemble, comme ceux des âmes sœurs. Pendant cet instant, le temps semblait se figer pour les deux participants. Leurs auras scintillaient plus que jamais et leurs couleurs se mélangeaient. Chacun d’eux revivait leur première utilisation du don ainsi que des moments forts de leur vie. Les deux passés s'assimilaient pour former une nouvelle histoire, le temps d'un instant. C'était comme si leurs souvenirs s'imbriquaient dans ceux de l'autre. Ce n'était pas forcément compréhensible pour les deux Élus, mais cela se terminait toujours par la création d'un souvenir commun. Si Bénédit se liait avec l'un des trois adolescents, à la fin du processus, il se remémorerait son intronisation et cette pensée se mélangerait au moment présent.

_ Je suis pour Vikthor ! souligna Endza pour titiller la jalousie de son ami.

Dans un grand silence, Sophya rejoignit Bénédit au centre de l'arène où elle salua le public qui l'encourageait. Puis, elle ferma les yeux et prit la main que lui tendait son Élu. Leurs deux telsmans se soulevèrent, l'un après l'autre, dans un mélange de lumières rouges et violettes.

_ Leurs amulettes ont l’air de se chercher, mais vont-elles rentrer en fusion ? s’interrogea Nazar enthousiaste. 

Sous les yeux des spectateurs, Sophya sentait l'attraction et sans faire exprès, elle déclencha une foudre violette tout autour d'eux. Cela dura un moment pendant lequel, les deux amulettes restèrent en lévitation, attirée l’une par l’autre. Cependant, la liaison ne vint jamais et quand Bénédit lâcha la main de la jeune fille, les deux telsmans retombèrent d'un coup.

_ Sophya n'est pas et ne sera jamais l’Élue, commenta Nazar déçu.

La brunette laissa alors la place à son amie et Sonfà, impatiente, accourue tout sourire. Dans la foule, chacun prenait les paris et Endza la première.

_ Au tour de la plus jeune !

Pour le moment, Vikthor avait la plus grosse côte, mais la foule acclama également la jeune métisse. Son allure frêle, mais masculine avait séduit les spectateurs. Après les avoir salués, elle tendit la main à son oncle et ce dernier lui attrapa l'avant-bras. À ce contacte, leurs deux corps se soulevèrent. Avec le stress et l'excitation, Sonfà avait déclenché une bourrasque de vent qui les soulevait du sol et ils tournoyaient sur place, dans les airs dans un mélange d'ondes rouges et fuchsias. L'adolescente sentit son telsman se soulever vers celui de Bénédit, cependant ce dernier ne lui rendit pas la pareille. L'amulette de l'Élu resta ballante, pendue à son cou.

_ Désolée Nazar, mais ce ne sera pas une femme qui succédera à Bénédit !

Déçus à cette annonce, l’oncle et la nièce retombèrent un peu violemment sur le sol. La brise colorée, déclenchée par Sonfà, s'était stoppée net avec cet échec. Il ne restait donc plus que Vikthor dans cette course à l'Élu. Arthur lui serra la main pour l'encourager et Vikthor embrassa chaleureusement sa sœur et fît également une accolade à Sonfà.

_ Pourquoi prend-il autant de temps à prendre la main de Bénédit ? siffla Nazar.

Alors que Bénédit l’attendait bras tendu, Vikthor pris son temps pour regarder tout autour de lui, comme s'il mémorisait cet instant à tout jamais. Après avoir fait un hochement de tête à Endza qui lui faisait signe, il plongea son regard dans celui du ministre.

_ Tu as vu, il m’a regardé ! s’enthousiasma l’adolescente au grand dam de son ami.

Vikthor ne pouvait que penser à Louise à cet instant, mais il ressentait également une sorte de panique. Il ne comprenait pas bien cette sensation, mais elle devait être due à la situation. 

Alors qu’il défiait Garnel Asage du regard, pour lui sous-entendre qu’en tant que futur Élu il ne lui accorderait pas son crédit, Bénédit toussota pour le rappeler à l’ordre.

_ Le moment est sacré, ce n’est pas le moment de faire de la politique, siffla Nazar agacé.

Heureusement, Vikthor se ressaisit et prit enfin la main de Bénédit. À cet instant, une onde de choc d'un rouge flamboyant se fit ressentir. Les deux telsmans s'étaient liés sans se chercher et tout s'était fait immédiatement, en même temps qu'ils se serraient la main.

Tandis que la foule était éblouie par tant d’auras, Vikthor voyait plusieurs images se succéder. Il distingua tout d’abord son ainé utiliser son pouvoir pour la première fois, sur son chien. Ensuite, il se vit, au même moment, en train de faire pousser sa première fleur. Les deux souvenirs distincts semblaient n'en devenir qu'un seul. Ils vécurent un à un les moments importants de leurs vies, tous liés à leurs pouvoirs.

Cependant, d'autres images venaient s'interposer. Elles n'appartenaient pas à leur passé. Ni à l'un ni à l'autre. Elles semblaient émaner uniquement de Vikthor, mais ils ne les reconnaissaient pas. Dans ses pensées, il vit une jeune fille brune tituber et trébucher. Elle semblait étourdie, plus maitre de ses moyens, mais Vikthor ne comprenait pas ce qu'il percevait, ni pourquoi. Alors qu’il la voyait vaciller et s'écrouler par terre, il resta un moment figé sur l'image de ses cheveux bruns mouillés par la flaque dans laquelle elle était tombée, tête la première. Un instant passa, l'image restant bloquée sur cette femme.

_ C’est très long, non ? fit remarquer Endza impatiente.

Pendant que la foule s’impatientait, Vikthor fut pris de court par la vision d’une balle fusant à toute allure. L’adolescent surpris revu ensuite sa fiancée, Louise comme si deux moments se mélangeaient.  Pour la première fois, il voyait la scène telle qu'il l'avait vécu, mais aussi à travers les yeux de Bénédit et il avait l'impression de revivre le deuil une seconde fois. Tandis que la mélancolie le gagnait, il se sentit suffoquer tout d’un coup.

_ Il se passe quelque chose, Vikthor à l’air de se tordre de douleur ! commenta Nazar alarmé.

À le voir ainsi, c'était comme si Vikthor s'était pris un coup dans le ventre. Alors qu’il n’arrivait pas à reprendre le dessus sur cette douleur fantôme, le nouvel Élu revoyait sans cesse la même femme et elle lui rappelait quelqu'un. Pourtant, il ne l'avait jamais vu, mais c’était comme s’ils étaient liés. Puis ce fut le trou noir et de nouveau plus rien. Cependant, une certitude s’était emparée de lui et il savait, plus ou moins, qui était cette jeune femme.

_ Elle… Elle est en danger, balbutia Vikthor perdu.

Paskhal regardait la scène au côté de son fils et il était fier que tout se soit déroulé comme prévu. Les débordements avaient été maitrisés, personne n'avait été en danger et surtout, il avait misé sur le bon candidat. Pour lui, il l'avait ressenti, c'était Vikthor depuis le début. Tandis qu’Arthur applaudissait bruyamment, hypnotisé par cette scène puissante et colorée, Sophya à ses côtés, criait le nom de son frère.

_ PEYRACHE, vive Vikthor Peyrache ! s'exclamait-elle et la foule répétait en cœur ces mêmes mots.

La fusion touchait à sa fin quand Paskhal lâcha un cri. Il s'était écroulé par terre, en se touchant le ventre et il suffoquait, les larmes aux yeux. Le Kalokas avait ressenti une balle lui traverser le corps. Alors que son fils s'était penché sur son père pour tenter de le relever Paskhal restait plier en deux. Affolés, Endza et Nazar les rejoignirent. C'était incompréhensible, il n'y avait eu aucune attaque visible. Tout le monde autour d'eux s'alarmait sans comprendre. Aucun coup de feu, aucun débordement n'était survenu, mais c'était comme si une personne invisible avait attaqué l'Élu des Kalokas.

Vikthor et Bénédit étaient toujours liés, dans leur bulle rouge, quand Paskhal réussit à reprendre son souffle. Il lâcha d'une traite le prénom de sa femme, mais ses enfants ne le comprirent pas. Les autres, autour d'eux, tentaient de lui venir en aide et certains voulaient user de leur don de guérisseur, mais Paskhal eut assez de force pour les stopper.

_ Hestia ! répéta-t-il. Ce n'est pas moi, c'est Hestia. On a tiré sur mon âme sœur ! balbutia-t-il enfin.

À ces mots, tout le monde se retourna cherchant du regard la femme en question, mais Arthur et Endza, eux ne bougèrent pas. Elle n'était pas présente à la cérémonie, mais à des centaines de kilomètres de là et Paskhal pouvait ressentir sa douleur, car c'était son âme sœur. Après plusieurs minutes, il se ressaisit pour se relever tandis qu’Endza pleurait à chaudes larmes dans les bras de Nazar. Au même moment, la liaison des telsmans des élus se termina enfin. Tandis que Paskhal fulminait de colère, il fut pris de court par Vikthor.

_ Votre fille, elle est en danger. Je l'ai vu pendant l'Oracle. Il semblerait qu'elle se soit fait enlever, souffla le nouvel Élu sûr de lui.

À ce moment, Arthur en avait la certitude, il parlait de Manon. Son père avait eu raison, tout s'était bien passé à Mÿrre et ils n'étaient pas en danger ici. Paskhal s'était focalisé sur son voyage, mais c'était leur absence qui avait été dangereuse.