« Des nouvelles... de Nathaniel ?!! Que veux-tu dire, Yvanaël ? ALLONS, PARLE, PAR SOPHIE ! »
Devenue soudain émotive à l’évocation de ce nom qui rimait désormais avec un cuisant échec... Rose s’était levée et avait tapé du poing sur la table, incapable de se contenir davantage. Son hurlement, mais aussi l’écho de son coup sur la table, avaient retenti dans toute la taverne, éteignant les dernières conversations.
Yvanaël disposait désormais de l’attention de tous, y compris de mages qui lui étaient totalement inconnus.
« Vous êtes déterminés à me mettre mal à l’aise, c’est vraiment terrible, reprit-il calmement. Mais je ne le prendrai pas personnellement et je vais te répondre, Rose.
« Comme je le disais, nous avons potentiellement des nouvelles plus réjouissantes que vous concernant Nathaniel. De nombreuses rumeurs, plus au moins cohérentes, circulent sur le Grand Continent. Elles ne sont pas directement à son sujet mais des oreilles attentives sauront interpréter ces bruits de rues agitant jusqu’à la population de la capitale.
« D’Isorialys à Portys, on raconte à qui veut l’entendre qu’un des navires les plus réputés du royaume a transporté des Sentinelles. Inutile de préciser que son capitaine, s’il revenait rendre compte au roi, pourrait avoir de sérieux ennuis. Ses actes ne relèvent pas moins de la trahison. On raconte aussi que le fameux Tapéinótita fut attaqué par une des créatures les plus redoutées de notre monde tandis qu’il traversait la Transition. De gigantesques créatures à l’aura enflammée l’auraient renvoyé dans le Territoire Inconnu… Tant et si bien que de nombreuses voix murmurent avec espoir que les Sentinelles seraient de retour après plus de vingt ans d’absence.
« Parmi tous ces murmures, quelques-uns sont légèrement plus informés… ou plus osés. Ceux-là s’aventurent sur une pente plus complotiste, expliquant comment un jeune homme aurait peut-être été agressé sur ce même navire… »
Tous les clients s’étaient levés et approchés de la table des Sentinelles pour écouter la suite de l’histoire. Tous étaient suspendus aux lèvres d’Yvanaël, impatients d’en connaître l’issue.
« Ces rumeurs là s’accordent toutes à dire que le garçon aurait disparu. Mais un petit nombre d’entre elles en savaient encore plus. Une femme aux cheveux rouges aurait attenté à la vie du jeune homme puis l’aurait jeté par dessus bord. Ce dont cette femme ne se doutait pas, en revanche, c’est qu’il serait sauvé peu de temps plus tard par un navire pidoque qui poursuivait le Tapéinótita. »
Tous les regards se tournèrent vers Rose.
« Je n’ai entendu aucune explication plausible quant à l’apparition mystérieuse de cette femme à la description si familière… mais je me dois de formuler ce que chacun pense désormais tout bas : l’étau ne serait-il pas en train de se resserrer autour d’elle ?
— Histoire intrigante, et avec une fin exceptionnelle. Je te le concède, mon cher et tendre, tes talents de conteur se sont nettement améliorés depuis ta dernière tentative. Dommage que cette fin soit purement spéculative. Tes accusations ne s’appuient que sur des témoignages bancales et tu n’expliques nullement comment j’aurais pu me trouver à deux endroits en même temps. Oh, et j’oubliais ! Il te manque aussi le mobile du crime ! Je protégeais le petit depuis le début, pourquoi lui aurais-je fais le moindre mal ? »
Yvanaël n’avait pas vraiment accusé Rose, il est important de le souligner. Celui-ci l’aimait bien trop pour la soupçonner d’avoir commis une telle ignominie. Il avait volontairement terminé son histoire en laissant planer un certain doute afin d’obtenir cet effet accusateur mais il se doutait bien qu’elle n’avait rien à voir avec tout cela.
En vérité, il s’attendait à sa réponse défensive, la connaissant mieux que quiconque. Même s’il ne l’exprima pas, il n’en pensa pas moins qu’elle avait soulevé les questions que chacun se posait.
Le tavernier choisit cet instant de réflexion commune pour intervenir.
« Je dois moi-aussi avouer que je suis impressionné, mon ami. Tes progrès sont remarquables, en dépit de cette fin quelque peu fumeuse. Dommage que tes sources n’avaient pas davantage à t’apporter. En ce qui me concerne, je peux peut-être vous aider… et vous fournir une piste toute fraîche.
— Et de quelle piste s’agirait-il, Mélyandre ?
— Toujours impatient ce Solange… Tu ne me demandes pas ce que je souhaite en échange ? Tu crois que je vais vous fournir gracieusement mes informations ?
— On se connaît depuis des siècles et tu te mets à marchander ?
— J’ai mes raisons.
— Nous n’avons pas grand-chose à t’offrir.
— Je veux participer à la Bénédiction. »
Autour de la table plusieurs personnes s’offusquèrent et Rose exprima ce que chacun pensait tout bas.
« Tu sais bien que ce n’est pas aussi simple. Seules les Sentinelles peuvent y participer. »
Yvanaël, se voulant la voix de la raison, trancha avant que tout débat n’ait sa chance.
« OK. Maintenant, parle.
— Mais…
— Chaque minute que nous perdons en marchandage inutile représente un espoir en moins de retrouver Nathaniel, Rose. Si Mélyandre peut nous aider, qu’il fasse. Parle. »
Rose acquiesça et le tavernier dit ce qu’il avait à dire.
— Un tavernier côtoie des gens de tous les horizons, comme vous le savez. Cela donne de nombreuses occasions d’apprendre ce qu’il se passe dans le monde. Il y a peu, j’ai su par un de mes clients réguliers qu’une grande fête avait eu lieu à Oasys pour célébrer la mort d’un Zeaurageux. On m’a aussi raconté que le gosse qui a été sauvé par les Pidoques était suffisamment en forme pour y affronter un colosse avec une dague aux propriétés légendaires. Quant au colosse en question, il me semble que vous le connaissez. Les langues les plus audacieuses prétendent avoir vu sa blessure se guérir quasi instantanément avant qu’il ne parte avec le garçon ainsi qu’un troisième homme. Heureusement qu’Yvanaël est un homme raisonnable. Plus les rumeurs circulent, plus elles se précisent. Plus elles s’interrogent quant à l’identité du garçon et… pourquoi tant d’individus en veulent à sa vie… »